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Kitabı oku: «Jean Ziska», sayfa 5

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V

Les seigneurs de Rosemberg avaient embrassé le hussitisme avec ferveur, et l'un d'eux s'était montré ardent à venger le supplice de Jean Huss. Mais ses promesses échouèrent devant les séductions de Sigismond. Il devint l'ennemi le plus haï et le plus méprisé des Taborites, et, dès le commencement de 1420, Ziska tomba du haut de son Tabor, comme un torrent des montagnes, sur la ville d'Aust, qui était située presque sous ses pieds, et qui appartenait à Rosemberg. On était au carnaval, et après ces soirées de débauche, les habitants dormaient si profondément, qu'ils furent pris et massacrés en sursaut. Tous furent passés au fil de l'épée. Leurs maisons rasées disparurent du sol. Ce nid de papistes offusquait la vue de Ziska. Il en fit un champ de blé.

Ulric de Rosemberg, proche parent de celui-là, et que les historiens du temps appellent de Roses (Rosensis), resta attaché encore quelque temps au parti de Jean Ziska. Nous prenons note de lui pour qu'on ne le confonde pas avec le premier, qui fut assommé à coups de fléaux par les Taborites, puis coupé par morceaux et jeté au feu.

Ziska détruisit et massacra encore, au commencement de cette année 1420, une douzaine de communautés religieuses. Coranda l'accompagnait dans ces farouches expéditions. Hyneck Krussina, homme de tête et de main, imitant le zèle de Ziska, réunit, sur une montagne de Cuttemberg qu'il baptisa Oreb, des troupes de paysans qui prirent le nom d'Orébites. Les Taborites et les Orébites fraternisèrent dans les combats et communièrent ensemble sur les champs de bataille. En cas de danger, ils convinrent de se donner toujours avis et de se secourir mutuellement. En attendant la guerre du dehors, qui était imminente, ils se tinrent en haleine en détruisant ces moines que Ziska appelait les ennemis domestiques.

Au milieu de ces événements, Ziska devint aveugle. Comme il assiégeait la forteresse de Raby, il monta sur un arbre afin de voir et d'encourager ses gens. Une bombarde, en passant près de lui et en fracassant les branches, lui fit sauter un petit éclat de bois dans l'oeil, le seul qui lui restât. La forteresse n'en fut pas moins emportée d'assaut et réduite en cendres; puis Ziska alla se faire panser à Prague, et peu de temps après il rentra en campagne, privé entièrement et à jamais de la vue.

Il ne faut pas croire que cette guerre aux moines fut sans fatigues et sans dangers. Presque tous ces monastères étaient fortifiés; et les abbés, quand ils ne pouvaient pas compter sur leurs vassaux, appelaient les corps d'Impériaux pour les défendre. Quelquefois même on voyait des paysans ou des ouvriers prendre parti contre les Taborites, à cause de quelque privilège agricole ou industriel qu'ils voulaient conserver. Les mineurs de Cuttemberg21, qui étaient Allemands pour la plupart, haïssaient tellement les Orébites, qu'ils les guettaient au passage dans les passes étroites de leurs montagnes, les chassaient comme des bêtes fauves avec des chiens dressés à cet usage, et les précipitaient dans les mines après les avoir forcés à la course. On dit que six mille Hussites furent entassés dans une de ces cavernes.

L'assentiment des masses à l'oeuvre terrible de Ziska fut donc plus d'une fois traversé par des intérêts particuliers. Lorsque la bande affamée des sombres Taborites s'abattait sur quelque terre privilégiée par l'empereur, ou récemment conquise par le brigandage, ils pouvaient bien être reçus à coups de fléaux et de fourches par les nombreux occupants. Le système de Ziska était évidemment de ruiner le pays, afin d'organiser contre Sigismond une guerre de partisans implacable et meurtrière; et, s'il est permis de reconstruire, par conjecture, le plan d'un homme dont l'existence historique est environnée d'obscurités et de calomnies, on peut, et on doit attribuer à ce plan même la destruction systématique de tous les couvents et de tout le clergé de Bohème par Ziska, sans recourir à ses motifs de vengeance personnelle. En effet, Ziska voulait-il autre chose qu'une guerre pour l'indépendance nationale contre la race allemande? S'il la voulait, pouvait-il ne pas la considérer comme une entreprise désespérée à laquelle il fallait se préparer par tous les moyens et tous les sacrifices? Cette guerre nationale n'eût jamais été possible avec l'existence de cette population monacale, ramassis de transfuges et d'enfants perdus de toutes les nations, qui, après des velléités d'indépendance, avait fait sa paix avec le concile de Constance, en lui jurant soumission sur les cendres de Jean Huss. Ziska trouva dans l'enthousiasme des Taborites l'élément et la révélation du succès. L'amour de la patrie ne suffisait pas pour engager, tout d'un coup, le prolétaire bohème à s'armer, à brûler sa chaumière, à emmener sa femme et ses enfants à travers un pays désolé, pour aller se planter avec eux sur la brèche d'un fort, et y mourir de faim ou percé de coups en défendant son drapeau national. Le fanatisme avait, pour cette héroïque défense, pour cet austère détachement des lares domestiques, pour cette vie dure et errante, enfin pour cette résolution positive de vaincre ou de mourir, des forces que l'orgueil national n'avait déjà plus après le règne brillant et fort de Charles IV. La vie de Ziska n'est pas celle d'un vaillant capitaine seulement; c'est celle d'un politique consommé; du moins nous le croyons, et nous espérons bien le prouver, quoiqu'il n'ait pas laissé de meilleure réputation que celle d'un vaillant homme de guerre. Aussi distingua-t-il d'emblée, non le parti auquel il devait se ranger, mais celui qu'il devait se créer; et, tandis que les Hussites de Prague péroraient sur leurs quatre articles22, sans trouver en eux-mêmes la force de chasser la reine et les Impériaux, Ziska, appelant à lui, de tous les points, les plus braves et les plus ardents, avait organisé d'emblée un corps d'armée formidable, en même temps qu'un parti audacieux, aveuglément dévoué à son inspiration militaire, et sans cesse inspiré lui-même dans son rêve d'indépendance politique par une liberté d'examen religieux qui ne connaissait pas de limites humaines. Aussi le rocher de Tabor devint-il, comme par magie, le centre de la Bohème. C'était l'autel où le feu sacré ne mourait point; l'antre d'où sortaient, dans le danger, des légions de sombres archanges ou d'impitoyables démons; le paradis mystique où, dans les heures de repos, on allait essayer la réalisation d'une vie de communauté et d'égalité parfaite. Ziska, en pillant les monastères, savait donc bien ce qu'il faisait. Il avait une armée à faire vivre, et cette armée représentait pour lui la Bohème, puisqu'elle était la gardienne de toute liberté et de toute unité nationale. Il comptait sur une guerre qui devait durer, et qui dura effectivement plusieurs années. Il y avait dans les richesses des couvents de quoi entretenir cette armée tout le temps nécessaire; et, en même temps qu'il s'assurait des ressources considérables, il privait l'ennemi de ces mêmes ressources. La conduite de Sigismond prouva bientôt que Ziska ne s'était pas trompé en prévoyant que l'empereur apostolique pillerait les couvents et les églises pour subvenir à ses dépenses, avec aussi peu de scrupule que les hérétiques le faisaient de leur côté. Aussi Ziska ne perdit-il pas de temps pour lui ôter cet avantage. Les burgraves, en mettant la main à l'oeuvre avant lui, et en s'enrichissant des dépouilles du clergé, les uns pour satisfaire leur avarice ou leur prodigalité, les autres pour les offrir à Sigismond et acheter par là sa faveur, montrèrent bien à Ziska qu'il n'y avait pas à hésiter, et que tout acte de pitié ou de désintéressement tournerait à la perte de la Bohème. Les Taborites, poussés par une fureur religieuse, ne comprenaient peut-être pas la pensée politique de leur chef. Ils avaient réellement soif du sang des moines et des prêtres qui avaient dénoncé l'hérésie à Rome, et qui, mourant pour la plupart avec un courage héroïque, les menaçaient, jusque dans les tortures, des foudres du pape, du glaive de l'empereur, et des bûchers de l'inquisition. C'était donc une guerre à mort entre les deux doctrines; et, en supposant Ziska moins féroce que ses partisans (ce qui serait, je l'avoue, une supposition bien hasardée), il eût perdu tout ascendant sur ses anges exterminateurs, comme il les appelait, s'il se fût opposé à leurs cruautés. Il ne faut pas oublier que Ziska, absorbé dans des préoccupations toutes militaires, s'inquiétait peu, au fond, de la doctrine; qu'il persistait à se dire calixtin pour conserver son ascendant sur le juste-milieu hussite, qui était le parti le plus nombreux, sinon le plus énergique du moment; enfin, qu'il avait à se maintenir puissant sur toutes les nuances du hussitisme, et qu'il y parvint en tolérant tous les excès, sans vouloir précisément accepter la responsabilité de ceux mêmes où il avait trempé le plus activement. Nous n'alléguons pas ces motifs pour excuser les crimes qui furent commis par Ziska contre l'humanité. Mais on ne l'a pas accusé de ceux-là seulement, et il faut répéter souvent qu'au moyen âge, ces sortes de crimes, qui, Dieu merci, nous paraissent injustifiables aujourd'hui, n'avaient pas dans l'esprit des hommes la même importance. L'Église avait donné l'exemple. Elle, la gardienne des charitables et miséricordieuses inspirations du christianisme, la loi suprême, la justice idéale proclamée souveraine de toutes les justices matérielles des pouvoirs constitués, elle avait allumé les bûchers, inventé les tortures, proclamé la croisade contre les dissidents. Les moralistes de l'Église auraient donc eu bien mauvaise grâce à reprocher à Ziska le crime de lèse-humanité. Aussi les historiens catholiques ont-ils tenté de lui imputer des crimes de lèse-patriotisme, pensant que le premier ne le rendrait pas assez odieux à la postérité. Ils ont insisté sur son vandalisme, sur la ruine des monuments et des bibliothèques, la gloire et la lumière du pays. Je crois qu'il est des époques où ces actes de vandalisme sont plus que justifiables, et on les a comparés souvent à la résolution du capitaine de navire qui fait jeter à la mer les richesses de sa cargaison pour sauver son équipage dans la tempête. Je viens de prouver que, sans cette dévastation, les Bohémiens n'eussent pu résister six mois à l'ennemi. On verra que, grâce à elle, ils lui résistèrent pendant quatorze ans avec une énergie et des ressources incroyables.

Mais il est une autre accusation grave qui pèse sur Ziska, et qu'il faut encore examiner. Afin de le peindre comme le chef infâme d'une poignée de scélérats, afin de lui ôter son caractère terrible, et pourtant sacré, de chef du peuple et de représentant de sa patrie, on l'a montré, surtout dans les premiers temps de son entreprise, portant l'épouvante et la désolation chez ses propres compatriotes, chez ses coreligionnaires; on a affecté de peindre la haine et la terreur de certaines provinces qui résistèrent d'abord à son impulsion, et qu'il n'entraîna que par la violence. Ses apologistes ont vainement essayé de nier ou d'atténuer ses ravages dans les champs de la Bohême: nous les croyons certains, mais nous les comprenons ainsi:

Il ne s'agissait pas seulement pour Ziska de faire la guerre aux armées de Sigismond; il fallait la faire d'abord aux partisans de la monarchie, aux courtisans de la domination étrangère; et des populations entières, celles qui jouissaient, comme nous l'avons dit plus haut, de certains bénéfices de conquête on de certains privilèges agricoles et industriels, faisaient cause commune avec leurs seigneurs catholiques. Il y a plus: dans les premiers temps de l'insurrection, les paysans ne comprirent pas la mission des Taborites, et voulurent rester dans l'inaction. Quelque pauvre et accablé que soit le mercenaire, quelque humilié que soit le serf, on ne le surprend pas toujours dans une velléité de révolte et de courage. L'esclave s'habitue à sa chaîne, l'indigent aime son toit de chaume, et la crainte d'être plus mal l'empêche souvent de désirer mieux. Les prêtres taborites arrivaient dans les campagnes, prêchant la parole du Christ à ses disciples: «Levez-vous, quittez vos filets, et suivez-moi.» Ziska ajouta en vrai condottiere: «Cédez vos huttes, votre vaisselle de terre, votre maigre repas, et le bétail dont on vous a confié la garde, et les armes dont on vous a munis contre nous, à mes soldats, à mes enfants; car ils sont l'épée flamboyante de l'ange, ils sont la trompette du jugement dernier. Ils viennent pour punir vos maîtres et briser votre joug. Vous leur devez secours et assistance, amour et respect.» Le serf était souvent sourd à ce langage, et répondait: «Si vous venez de la part de Dieu, respectez au moins le prochain. Vous nous compromettez auprès de nos maîtres; vous nous ruinez. Vous êtes trop nombreux pour vivre de notre pain; vous ne l'êtes pas assez pour nous défendre quand les prêtres et les seigneurs viendront nous accabler. Retirez-vous, ou bien nous nous défendrons, nous vous traiterons comme des brigands.»

De là des luttes sanglantes; des villages, des villes mêmes qui n'avaient pas reçu les troupes impériales et qui n'avaient pas fait profession de foi catholique, furent réduites en cendres, horriblement saccagées et les habiants massacrés, parce qu'ils avaient refusé de marcher à la défense du pays. Ces terribles exécutions militaires assurèrent les desseins de Ziska. Tous les récalcitrants énergiques furent anéantis. Tous ceux qui se rendirent grossirent l'armée taborite. Ruinés, détachés de tout lien avec l'ancienne société, réduits à errer en mendiants sur une terre dévastée, ils n'eurent plus d'autre refuge que Tabor, celle cité étrange où, après avoir accompli des oeuvres de sang, une société nouvelle se retirait pour prier avec enthousiasme, et pour pratiquer avec une sainte ferveur la loi d'une égalité fraternelle et d'une communauté idéale. «La maison est brûlée, disait Ziska, mais le temple est ouvert. La famille est dispersée par le glaive, qu'elle se reforme sous la parole de Dieu. Ici les veuves trouveront de nouveaux époux, et les orphelins des pères plus sages et des appuis plus sûrs que ceux qu'ils ont perdus.» C'est ainsi que, de gré ou de force, il entraîna les populations à sa suite. Il commençait par leur envoyer ses prêtres, et quand leur prédication avait échoué, il arrivait avec ses implacables sommations et ses sentences vengeresses. En peu de temps l'agriculture fut détruite, l'industrie paralysée; les champs devinrent stériles, les bourgades où l'ennemi eût pu se reposer des monceaux de ruines, les bois et les montagnes peuplés d'invisibles défenseurs, chaque buisson du chemin une lanière pour le partisan aux aguets. Les seigneurs catholiques n'osaient plus sortir de leurs châteaux. Les garnisons impériales se tenaient muettes et consternées derrière leurs remparts. Prague et les villes royales se demandaient avec effroi ce qu'elles allaient devenir, et se perdaient, en discussions Idéologiques, ou en propositions d'accommodement avec la couronne sans oser se défendre. La Bohême était ruinée. Sigismond riait de sa détresse et ne se pressait pas d'arriver, pensant que les divers partis allaient lui aplanir le chemin en s'entre-dévorant. Mais Tabor était riche, Tabor se fortifiait. L'armée de Tabor grossissait tous les jours et s'endurcissait au métier des armes. Et quand le juste-milieu se plaignait à Ziska du dommage qu'il lui avait causé, Ziska montrait Tabor et disait: «Le salut est là, faites-vous Taborites. Vous ne voulez pas souffrir, vous autres? Nous voulons bien combattre pour vous; mais le moins qu'il en puisse arriver, c'est que votre repos et votre bien-être en soient un peu troublés. Faites comme nous, ou laissez-nous faire.»

Tel fut le rôle de Ziska. Un temps arriva où tous le comprirent et plièrent sous sa volonté, fanatiques et tièdes, Taborites et Calixtins. Mais n'anticipons pas sur les événements, et suivons un peu la marche des premières luttes.

VI

Les habitants des villes de Prague s'intitulaient, pour la plupart, Calixtins; à Rome on les appelait par dérision Hussites clochants, parce qu'ils avaient abandonné Jean Huss en plusieurs choses; à Tabor on les appelait faux Hussites, parce qu'ils se tenaient à la lettre de Jean Huss et de Wickieff plus qu'à l'esprit de leur prédication. Quant à eux, Calixtins, ils s'intitulaient Hussites purs. En 1420 ils avaient formulé leur doctrine en quatre articles: 1° la communion sous les deux espèces; 2° la libre prédication de la parole de Dieu; 3° la punition des péchés publics; la confiscation des biens du clergé et l'abrogation de tous ses pouvoirs et privilèges23.

Ils envoyèrent une députation à Tabor pour aviser aux moyens de se débarrasser de la reine qui, avec quelques troupes, tenait encore le Petit-Côté de Prague. On a conservé textuellement la réponse des Taborites à cette députation. «Nous vous plaignons de n'avoir pas la liberté de communier sous les deux espèces, parce que vous êtes commandés par deux forteresses. Si vous voulez sincèrement accepter notre secours, nous irons les démolir, nous abolirons le gouvernement monarchique, et nous ferons de la Bohème une république.» Il me semble qu'il ne faut pas commenter longuement cette réponse pour voir que le rétablissement de la coupe n'était pas une vaine subtilité, ni le stupide engouement d'un fanatisme barbare, comme on le croit communément, mais le signe et la formule d'une révolution fondamentale dans la société constituée.

La proposition fut acceptée. Le fort de Wishrad fut emporté d'assaut. De là, commandés par Ziska, les Praguois et les Taborites allèrent assiéger le Petit-Côté. Il y avait peu de temps qu'on faisait usage en Bohème des bombardes. Les assiégés portaient, à l'aide de ces machines de guerre, la terreur dans les rangs des Hussites. Mais les Taborites avaient appris à compter sur leurs bras et sur leur audace. Ils forcèrent le pont qui était défendu par un fort appelé la Maison de Saxe (Saxen Hausen) et posèrent le siège, au milieu de la nuit, devant le fort de Saint-Wenceslas. La reine prit la fuite. Un renfort d'Impériaux, qui était arrivé secrètement, défendit la forteresse. Le combat fut acharné. Les Hussites étaient maîtres de toute la ville; encore un peu, et la dernière force de Sigismond dans Prague, le fort de Saint Wenceslas, allait lui échapper. Mais les grands du royaume intervinrent, et, usant de leur ascendant accoutumé sur les Hussites de Prague, les firent consentir à une trêve de quatre mois. Il fut convenu que pendant cet armistice les cultes seraient libres de part et d'autre, le clergé e les propriétés respectés, enfin que Ziska restituerai Pilsen et ses autres conquêtes.

Ziska quitta la ville avec ses Taborites, résolu à ne point observer ce traité insensé. Le sénat de Prague reprit ses fonctions; mais les catholiques qui s'étaient enfuis durant le combat n'osèrent rentrer, craignant la haine du peuple: Sigismond écrivit des menaces; Ziska reprit ses courses et ses ravages dans les provinces.

La reine ayant rejoint son beau-frère Sigismond à Brunn en Moravie, ils convoquèrent une diète des prélats et des seigneurs, et écrivirent aux Praguois de venir traiter. La noblesse morave avait reçu l'empereur avec acclamations. Les députés hussites arrivèrent et communiérent ostensiblement sous les deux espèces, dans la ville, qui fut mise en interdit, c'est-à-dire privée de sacrements tout le temps qu'ils y demeurèrent, étant considérée par le clergé papiste comme souillée et empestée. Puis ils présentèrent leur requête, c'est-à-dire leurs quatre articles, à Sigismond qui se moqua d'eux. Mes chers Bohémiens, leur dit-il, laissez cela à part, ce n'est point ici un concile. Puis il leur donna ses conditions par écrit: qu'ils eussent à ôter les chaînes et les barricades des rues de Prague, et à porter les barres et les colonnes dans la forteresse; qu'ils abattissent tous les retranchements qu'ils avaient dressés devant Saint-Wenceslas; qu'ils reçussent ses troupes et ses gouverneurs; enfin qu'ils fissent une soumission complète, moyennant quoi il leur accorderait amnistie générale et les gouvernerait à la façon de l'empereur son père, et non autrement.

Les députés rentrèrent tristement à Prague et lurent cette sommation au sénat. Les esprits étaient abattus, Ziska n'était plus là. Les catholiques s'agitaient et menaçaient. On exécuta de point en point les ordres de Sigismond. Les chanoines, curés, moines et prêtres rentrèrent en triomphe, protégés par les soldats impériaux.

Ceux des Hussites qui n'avaient pas pris part à ces làchetés sortirent de Prague, et se rendirent tous à Tabor. Ils furent attaqués en chemin par quelques seigneurs royalistes, et sortirent vainqueurs de leurs mains après un rude combat. Une partie alla trouver Nicolas de Hussinetz à Sudomirtz, l'autre Ziska à Tabor. Ces chefs les conduisirent à la guerre, et leur firent détruire plusieurs places fortes, ravager quelques villes hostiles. Sigismond écrivit aux Praguois pour les remercier de leur soumission et pour intimer aux catholiques l'ordre d'exterminer absolument tous les Wicklefistes, Hussites et Taborites. Les papistes ne se firent pas prier, exercèrent d'abominables cruautés, et la Bohême fut un champ de carnage.

Cependant nul n'osa attaquer Ziska avant l'arrivée de l'empereur. Sigismond n'osait pas encore se montrer en Bohême. Il alla en Silésie punir une ancienne sédition, faire trancher la tête à douze des révoltés, et tirer à quatre chevaux dans les rues de Breslaw Jean de Crasa, prédicateur hussite, que l'on compte parmi les martyrs de Bohême; car l'hérésie a ses listes de saints et de victimes comme l'Église primitive, et à d'aussi bons titres.

L'empereur fit afficher la Croisade de Martin Y contre les Hussites. Ces folles rigueurs produisirent en Bohême l'effet qu'on devait en attendre. Le moine prémontré Jean, que nous avons déjà vu dans les premiers mouvements de Prague, revint, à la faveur du trouble, y prêcher le carême. Il déclama vigoureusement contre l'empereur et le baptisa d'un nom qui lui resta en Bohème, le cheval roux de l'Apocalypse. «Mes chers Praguois, disait-il, souvenez-vous de ceux de Breslaw et de Jean de Crasa.» Le peuple assembla la bourgeoisie et l'université, et jura entre leurs mains de ne jamais recevoir Sigismond, et de défendre la nouvelle communion jusqu'à la dernière goutte de son sang. Les hostilités recommencèrent à la ville et à la campagne. On écrivit des lettres circulaires dans tout le royaume. Partout le même serment fut proféré et monta vers le ciel.

Sigismond se décida enfin pour la guerre ouverte. Il leva des troupes en Hongrie, en Silésie, dans la Lusace, dans tout l'Empire.

Albert, archiduc d'Autriche, à la tête de quatre mille chevaux, renforcé par d'autres troupes considérables et par le capitaine de Moravie, fut le premier des Impériaux qui affronta le redoutable aveugle. Ziska les battit entre Prague et Tabor; puis, sans s'attarder à leur poursuite, il alla détruire un riche monastère que nous mentionnons dans le nombre à cause d'un épisode. De l'armée de vassaux qui le défendaient il ne resta que six hommes, lesquels se battirent jusqu'à la fin comme des lions. Ziska, émerveillé de leur bravoure, promit la vie à celui des six qui tuerait les cinq autres. Aussitôt ils se jetèrent comme des dogues les uns sur les autres. Il n'en resta qu'un qui, s'étant déclaré Taborite, se retira à Tabor et y communia sous les deux espèces en témoignage de fidélité.

Cependant les Hussites de Prague assiégeaient la forteresse de Saint-Wenceslas. Le gouverneur feignit de la leur rendre, pilla et emporta tout ce qu'il put dans le château, et se retira en laissant la place à son collègue Plawen; de sorte qu'au moment où les assiégeants s'y jetaient avec confiance, ils furent battus et repoussés. Cependant Ziska arrivait. Il s'arrêta le lendemain non loin de Prague pour regarder quelques Hussites qui détruisaient un couvent et insultaient les moines. «Frère Jean, lui dirent-ils, comment te plaît le régal que nous faisons à ces comédiens sacrés?» Mais Ziska, qui ne se plaisait à rien d'inutile, leur répondit en leur montrant la forteresse de Saint-Wenceslas: «Pourquoi avez-vous épargné cette boutique de chauve (calvitia officina)? – Hélas! dirent-ils, nous en fûmes honteusement chassés hier. – Venez donc,» reprit Ziska.

Ziska n'avait avec lui que trente chevaux. Il entre; et à peine a-t-on aperçu sa grosse tête rasée, sa longue moustache polonaise et ses yeux à jamais éteints, qui, dit-on, le rendaient plus terrible que la mort en personne, que les Praguois se raniment et se sentent exaltés d'une rage et d'une force nouvelles. Saint-Wenceslas est emporté, et Ziska s'en retourne à Tabor en leur recommandant de l'appeler toujours dans le danger.

A peine a-t-il disparu, qu'un renfort d'Impériaux arrive et reprend la forteresse. Ziska avait réellement une puissance surhumaine. Là où il était avec une poignée de Taborites, là était la victoire, et quand il partait il semblait qu'elle le suivit en croupe. C'est que l'âme et le nerf de cette révolution étaient en lui, ou plutôt à Tabor; car il semblait qu'il eût toujours besoin, après chaque action, d'aller s'y retremper; c'est que chez les Calixtins il n'y avait qu'une foi chancelante, des intentions vagues, un sentiment d'intérêt personnel toujours prêt à céder à la peur ou à la séduction, une politique de juste-milieu.

Un chef taborite, convoqué à la guerre sans quartier par les circulaires de Ziska, vint attaquer Wisrhad que les Impériaux, avaient repris. Il fut repoussé et aurait péri avec tous les siens si Ziska ne se fût montré. Les Impériaux, qui avaient fait une vigoureuse sortie, rentrèrent aussitôt. Ziska fut reçu cette fois à bras ouverts dans la ville. Le clergé, le sénat et la bourgeoisie accouraient au-devant de lui, et emmenaient les femmes et les enfants taborites dans leurs maisons pour les héberger et les régaler. Ses soldats couraient les rues, décoiffant les dames catholiques et coupant les moustaches à leurs maris. Plusieurs villes se déclarèrent taborites24, et envoyèrent leurs hommes à Prague pour offrir leurs services à l'aveugle. Un nouveau renfort était arrivé à Wisrhad, et l'empereur s'avançait à grandes journées. Ziska fit établir des lignes depuis le couvent de Sainte-Catherine (qu'on venait d'abattre), jusqu'à la Moldaw, cerner la forteresse pour empêcher tout secours de troupes et de vivres, couper tous les arbres de l'archevêché, afin de découvrir les mouvements de l'ennemi, et les Praguois renouvelèrent avec transport le serment de ne jamais recevoir Sigismond.

21.Dans le Boehmer-Wald, à la frontière bavaroise.
22.On verra plus tard quelle était cette formule politique et religieuse du juste-milieu hussite.
23.Ces quatre articles étaient une profession plus politique que religieuse. Les trois articles relatifs en apparence à la religion ne sont qu'une attaque de lui contre le pouvoir temporel et la richesse du clergé. Celui qui reclame la punition des péchés publics ne tend qu'à remettre les causes judiciaires et la répression des attaques contre la société nationale aux mains de magistrats élus par la nation, et non aux délègues en prince de de l'Eglise.
24.Laleni, Zatec et Slan, dont il sera parlé depuis et qui furent mises au rang des villes sacrées de la prédiction.