Kitabı oku: «Jean Ziska», sayfa 4
III
Ziska ne commandait jusque-là que de pauvres gens du peuple. Il les exerça au métier des armes dans lequel il était consommé, et en fit d'excellents soldats. Sa forteresse de Tabor se construisait rapidement. Protégée par des rochers escarpés et par deux torrents qui en faisaient une péninsule, elle fut défendue en outre par des fossés profonds et des murailles si épaisses, qu'elles pouvaient braver toutes les machines de guerre, des tours et des remparts savamment disposés et construits avec une force cyclopéenne. Il se procura bientôt de la cavalerie, en enlevant par surprise un poste où Sigismond avait envoyé mille chevaux. Il apprit à ses gens à les monter et leur fit faire l'exercice du manège. Puis il se rendit à Prague avec quatre mille hommes qui suffirent pour y porter l'épouvante chez les uns et pour enflammer l'ardeur des autres. Les hussites de Prague leur proposèrent de détruire les forteresses et de faire serment de ne jamais recevoir Sigismond. Ziska pensa que le moment n'était pas venu, et qu'avant tout il fallait se débarrasser du clergé. D'un côté, sa haine l'y poussait; de l'autre, il songeait aux dépenses qu'une telle entreprise allait nécessiter, et il savait bien où il trouverait de quoi payer les frais de la guerre. L'impatience des taborites était extrême. Peut-être trouvaient-ils que Ziska n'allait pas assez vite à leur gré, car ils parlaient encore de déposer Wenceslas, et d'élire roi un bourgeois nommé Nicolas Gansz. Pour les occuper, Ziska, qui ne voulait peut-être pas livrer et abandonner le maître, qu'il avait servi et qui lui avait été débonnaire, leur livra le pillage des couvents, tandis que Wenceslas se retirait dans une autre forteresse à une lieue de Prague. Le monastère de Saint-Ambroise et le couvent des Carmes furent dévastés et les moines chassés. Le gage de chaque victoire était l'inauguration de la communion nouvelle dans les églises. On y portait la monstrance c'est-à-dire l'eucharistie, dans un calice de bois, afin de contraster avec les vases d'or et les ostensoirs chargés de pierreries dont se servaient les catholiques. Ziska, à leur tête, entra dans la maison du compère prêtre qui avait abusé de sa soeur, le tua, le dépouilla de ses habits sacerdotaux et le pendit aux fenêtres.
De là ils allèrent à la maison de ville où le sénat venait de s'assembler pour prendre des mesures contre eux. Un moine prémontré, nommé Jean, nouvellement hussite, et l'un des hommes les plus terribles de cette révolution, animait la fureur populaire en promenant un tableau où était peint le calice hussitique. Le sénat répondait avec fermeté au peuple qui réclamait l'élargissement de quelques prisonniers. En ce moment, je ne sais quelle main insensée lança une pierre sur Jean le prémontré et sur sa monstrance. A cet outrage, la fureur du peuple se réveilla, on fit irruption dans le palais. Onze sénateurs prirent la fuite, et tous les autres, avec le juge et des citoyens de leur parti, furent jetés par les fenêtres et reçus en bas sur des broches et sur des fourches; le valet du juge, sans doute celui qui avait eu la malheureuse folie de jeter la pierre, fut assommé dans sa cuisine.
L'affreuse ivresse ne fut qu'exaltée par ce premier sang; on s'était promis d'abord seulement de marcher sur toutes les églises et tous les couvents, pour y renverser les autels catholiques et y instituer le nouveau culte. Si Jean Ziska avait espéré satisfaire aux exigences de son parti en leur permettant ces démonstrations, il avait compté sans ce délire funeste qui s'empare des hommes lorsqu'ils se réunissent pour faire les actes du pouvoir sans en avoir médité les droits. D'ailleurs, en assouvissant sa vengeance personnelle, il avait donné un fatal exemple. Tout fut bientôt à feu et à sang dans Prague, et Ziska, qui était cependant un guerrier patriote et un vrai capitaine devant les ennemis de son pays, se vit entraîné du premier bond dans les horreurs de la guerre civile. Les habitants hussites de la vieille ville de Prague avaient donné parole à ceux de la nouvelle de les seconder. Le massacre du sénat les effraya et ils se renfermèrent chez eux. Les égorgeurs vinrent les y assiéger; la nuit seule mit fin au combat, et depuis ce jour, les citoyens des deux villes de Prague furent toujours animés les uns contre les autres. Le lendemain, la sédition recommença. La belle chartreuse, appelée le Jardin de Marie, fut pillée. Le prieur s'était enfui. Les chartreux, entraînés, couronnés d'épines et promenés dans les rues, se virent abreuvés d'outrages. Quand on fut arrivé sur le pont de Prague, à l'endroit où Jean de Népomuck avait été noyé par ordre de Wenceslas, quelques hussites proposèrent de faire une hécatombe des chartreux; d'autres, ennemis de ces cruautés, s'y opposèrent; on se querella et on se battit de nouveau. Enfin, les chartreux furent traînés à la maison de ville de la vieille cité, d'où les magistrats les firent évader.
En apprenant ces désastres, Wenceslas ne sut qu'entrer en fureur, maltraiter ses gens et mourir d'apoplexie. Pendant qu'il écoulait les offres d'accommodement de ses conseillers lesquels étaient, comme tous les ordres du royaume, divisés d'opinion pour et contre la doctrine, son grand échanson s'avisa de dire qu'il avait bien prévu tout cela. Cette parole irrita tellement le roi, qu'il le prit par les cheveux, le jeta par terre, et allait le poignarder, lorsque ses gens réussirent à le désarmer. Il tomba dans leurs bras, frappé de congestion cérébrale; dix-huit jours après, il mourut en jetant de grands cris et rugissant comme un lion.
Tous les historiens du temps représentent cet empereur comme un Sardanapale, un Thersite et un Copronime. Ils l'accusent d'avoir souillé les fonts baptismaux et l'autel sur lequel il fut couronné, étant enfant, présage de l'impureté de sa vie et de l'ignominie de son règne. «On peut dire de lui ce que Salluste dit de beaucoup de gens, qu'ils sont adonnés à leur ventre et au sommeil; dont le corps est esclave de la volupté, à qui l'âme est à charge et dont on ne peut pas plus estimer la vie que la mort18.» On prétend qu'un de ses cuisiniers lui ayant refusé à manger, sans doute par ordre du médecin, il le fit embrocher et rôtir; qu'il aimait passionnément son chien, parce qu'il mordait tout le monde; qu'il avait toujours un bourreau à ses côtés et qu'il l'appelait son compère, ayant tenu son enfant sur les fonts du baptême. Il fit jeter dans la rivière un docteur en théologie, pour avoir dit qu'il n'y a de vrai roi que celui qui règne bien.
Cette belle parole de Jean de Népomuck (car c'est de lui certainement qu'il s'agit ici), et plusieurs autres aperçus de son caractère, m'ont fait croire que, s'il eût vécu jusqu'à l'époque de la prédication et du procès de Jean Huss, il eût embrassé sa doctrine et partagé son sort. Sa canonisation n'eut lieu qu'au dix-septième siècle, et ce fut sans doute pour l'université du Prague une de ces politesses que l'Église adresse de temps en temps à certains ordres ou à certains corps pour leur faire sa cour. On sait comment fut débattue et octroyée la canonisation de saint François d'Assises, le grand hérétique du joannisme et le véritable auteur de toutes les sectes qui se rattachent au paupérisme de l'Évangile éternel. A quoi tiennent dans le ciel les entrées de faveur!
Wenceslas mourut sans enfants. On dit qu'il avait été frappé de stérilité par les enchantements et le poison. Il ne fut regretté de personne. Les catholiques l'avaient vu trembler et faiblir devant les menaces des hussites. Ceux-ci savaient qu'il avait fait tout dernièrement la liste de ceux d'entre eux qu'il voulait faire mourir, et qu'en feignant de les favoriser, il ne cessait d'écrire à son frère Sigismond pour qu'il vint le tirer de leurs mains. Il était donc, avec sa peur et sa paresse, le principal brandon de la guerre civile; car tandis qu'il laissait égorger les magistrats de Prague et ouvrait les temples catholiques aux sectaires, il appelait Sigismond et livrait aux Allemands les hussites des provinces.
Son cadavre subit l'expiation du supplice de Népomucène, à laquelle il avait échappé durant sa vie. Inhumé dans la basilique de la cour royale où était la sépulture des rois de Bohème, il fut déterré peu de temps après et jeté dans la Moldaw par les taborites. Mais comme une singulière destinée lui avait toujours fait trouver son salut dans l'eau, il fut repêché et reconnu par un marchand de poisson qui lui avait été attaché comme fournisseur. Le royal cadavre fut caché dans la maison du pécheur, et revendu, par la suite, à sa famille pour vingt ducats d'or.
La mort de Wenceslas fut suivie d'un long interrègne, durant lequel le terrible et vaillant borgne de Tabor fut de fait l'unique souverain de la Bohème.
IV
Sophie de Bavière, veuve de Wenceslas, s'étant vainement adressée à Sigismond, qui avait bien assez à faire de combattre les Turcs sur ses terres de Hongrie, se renferma du mieux qu'elle put dans le fort de Saint-Wenceslas, situé dans le Petit-Côté de Prague, sur la rive gauche de la Moldaw. La vieille et la nouvelle ville de Prague, ainsi que la forteresse de Wisrhad19, dont il sera souvent question dans cette histoire, sont situées sur la rive droite. On sait déjà que, malgré des dissidences d'opinion et de fréquents démêlés, ces deux villes étaient hussites. Le Petit Côté, qui contenait le château des rois de Bohême, et où la cour, le haut clergé et les principaux dignitaires faisaient leur résidence, était resté attaché au parti catholique.
Sophie, effrayée de son abandon et de l'agitation croissante des esprits, résolut de tenter un coup hardi: elle rassembla quelques troupes, sortit secrètement de la ville avec un seigneur de Schwamberg, et alla attaquer à l'improviste le redoutable Ziska, dans le district de Pilsen. Ziska n'avait avec lui, en cet instant, qu'une petite troupe de taborites, avec leurs femmes et leurs enfants, qui les suivaient partout. Réfugié sur une colline où il n'y avait que pierres et broussailles, et que la cavalerie de la reine ne pouvait gravir sans mettre pied à terre, il n'attendait pourtant pas sans inquiétude l'issue d'un combat où il se voyait entouré de tous côtés. Les femmes des taborites le sauvèrent par un stratagème singulier: aux approches de la nuit, elles étendirent leurs robes et leurs voiles dans les broussailles, où les Impériaux devaient s'engager tout bottés et éperonnés. Dès qu'ils eurent laissé leurs chevaux au bas de la colline, et qu'ils eurent fait quelques pas dans ces filets, ils s'y embarrassèrent si bien les pieds, qu'ils ne purent avancer ni reculer; et, tandis qu'ils essayaient de se dépêtrer, Ziska fondit sur eux, et les tailla en pièces. La reine et son général prirent la fuite, à la faveur de là nuit.
En attendant que Sigismond put s'attaquer en personne à l'audacieuse insurrection des hussites, Ziska, poursuivant son oeuvre, détruisit ou fit détruire par les nombreuses bandes de ses adhérents presque toutes les églises conventuelles et les monastères de la Bohème. On compte cinq cent cinquante de ces édifices dont il ne laissa pas pierre sur pierre. Les historiens catholiques ne tarissent pas en gémissements sur les funestes résultats de cette dévastation. Les pompeuses descriptions qu'il nous ont laissées de ces sanctuaires du luxe et de la paresse expliquent assez la rage d'un peuple laborieux et pauvre, et qui avait vu prélever sur son travail et sur ses besoins l'impôt exorbitant du clergé. Le monastère de la Cour royale, à Prague, avait sept chapelles, dont chacune était de la grandeur d'une église. Autour du jardin, on pouvait lire l'Écriture sainte sur les murailles, en majuscules, sur de belles planches, et les lettres grossissant toujours, à proportion de la hauteur de la muraille. Mais rien n'approchait de la magnificence des Bénédictins d'Opalowitz.
Leur couvent avait été fondé par Wratislas, premier roi de Bohème, au onzième siècle, et l'on n'y recevait que des personnes riches, à la condition qu'elles y apporteraient tous leurs biens. Il y avait là un certain trésor qui, depuis longtemps, alléchait ces vieux burgraves de l'intérieur, dont nous avons déjà parlé, brigands qui, sous prétexte de guerre ou de religion, avaient toujours flairé, et maintenant essayaient pour leur compte la conquête des couvents. Celui-là était le rêve d'un certain pillard, nommé Jean Miesteczki, qui ne cessait de rôder autour, attiré par la merveilleuse aventure de Charles IV, dont le pays avait gardé souvenance. Bien que cette chronique soit une digression, fidèle à notre amour pour cette partie de l'histoire que nous appelons le coloris, nous la raconterons à nos lectrices. Des auteurs plus graves que nous l'ont consignée en latin.
Un jour de l'année 1359, l'empereur Charles, étant à la chasse, disparut avec deux de ses écuyers et ne rejoignit ses compagnons que le soir à Koemgsgratz. L'empereur se mit à table, ne répondit que par un sourire à ceux que son absence avait effrayés, et se contenta de leur dire qu'un serment épouvantable l'empêchait de s'expliquer sur sa disparition mystérieuse. Cependant on remarqua que l'empereur avait au doigt une bague d'une forme antique, où était enchâssé un diamant tel, que le trésor impérial n'en avait jamais possédé d'aussi précieux.
On admira ce joyau, on se perdit en commentaires. L'empereur mourait d'envie de parler. Enfin, lorsque le bon vin l'eut rendu plus communicatif, il réfléchit un peu, déclara qu'il pouvait raconter son aventure avec certaines restrictions, sans violer son serment, et se décida à rapporter ce qui suit.
Il était entré dans un monastère pour s'y reposer, et il avait été fort bien reçu et régalé à merveille par l'abbé, qui le prenait pour un seigneur de la cour. Après le repas, pressé de dire son nom, il avait promis de le faire dans l'église seulement, en présence des deux plus anciens moines et de l'abbé. Celui-ci ayant choisi ceux en qui il avait le plus de confiance, et ayant conduit l'empereur dans l'église, l'empereur se nomma et leur déclara que le désir de voir leur trésor l'avait amené chez eux. Il leur engagea en même temps sa foi d'empereur des Romains qu'il n'en prendrait rien, et ne souffrirait jamais qu'on leur en prît la moindre chose. L'abbé, à ces paroles, fut saisi d'une grande frayeur, se retira à l'écart, et, après avoir délibéré longuement avec ses deux moines, il répondit au monarque: «Très-clément souverain, nous vous dirons que des soixante religieux que nous sommes ici, il n'y a que nous trois qui ayons connaissance du trésor. Quand il en meurt un des trois, on confie le secret à un autre, et nous sommes de serment de n'ouvrir le trésor à âme vivante. D'ailleurs, l'accès en est fort dangereux et ne convient point à Votre Majesté.»
L'empereur demanda qu'ils l'associassent, lui quatrième, à la prestation du serment et à la connaissance du trésor. Les moines inquiets délibérèrent encore; et, n'osant ni refuser, ni consentir, lui proposèrent de deux choses l'une, ou de voir le trésor sans voir le lieu, ou de voir le lieu sans voir le trésor.
– Montrez-moi seulement le trésor, dit l'empereur, et je serai content.
– Il faut donc, dirent les moines, que vous vous abandonniez à notre conduite.
– Mes chers pères, dit l'empereur, ma vie est entre vos mains.
Là-dessus, ils prennent l'empereur par la main, le mènent dans un enclos obscur (conclave), pavé de briques, allument deux cierges, lui mettent un capuchon baissé sur la tête, de sorte qu'il ne pouvait voir que ce qui était à ses pieds; ensuite les moines ayant levé quelques briques, il aperçut confusément une caverne très-profonde où il lui fallait descendre. Quand il fut arrivé en bas, les moines le tournèrent et le retournèrent jusqu'à ce qu'il en fût étourdi. Alors ils le conduisirent dans une cave souterraine longue de deux rues. Enfin ils lui ôtèrent son capuchon et le menèrent dans une chambre pleine d'argent en lingots, d'or en barres, de croix, de paix (pacificalia), et d'autres ornements d'église enrichis de pierreries, et quantité d'autres joyaux.
«Sire, dit alors l'abbé, tous ces trésors sont à vous; nous les gardions pour Votre Majesté. Daignez en prendre tout ce qu'il vous plaira.
– Dieu me préserve, répondit Charles, de toucher aux biens ecclésiastiques!
– Il ne sera pas dit, répliqua l'abbé, que Votre Majesté s'en retourne d'ici les mains vides.»
Et il lui mit au doigt la bague, qu'en achevant ce récit l'empereur montrait à ses compagnons de chasse, sans vouloir leur indiquer ni le nom ni la situation du monastère. Il s'estimait peut-être heureux d'en être sorti, et on l'approuva fort, sans doute, d'avoir refusé les offres insidieuses de l'abbé, lorsque pour l'éprouver celui-ci lui avait dit: Tout cela est à vous. Parole de moine! Si l'empereur l'eût pris au mot, il est douteux qu'il eût remonté l'escalier. Quoi qu'il en soit, ses courtisans eurent bientôt appris des écuyers qui l'avaient accompagné, qu'il s'agissait du trésor des Bénédictins d'Opatowitz, et de cette façon «la mine fut éventée.»
La suite de l'histoire de ce trésor montre à quel point les moines tenaient à ces inutiles richesses. Un demi-siècle après l'aventure de Charles IV, le couvent d'Opatowitz en éprouva une plus tragique à la même occasion. Jean Miesteczki, profitant des ravages de Ziska pour s'enrichir aussi de son côté, arriva sur le soir, à cheval, avec deux de ses compagnons, sous prétexte de rendre ses devoirs à l'abbé, qui s'appelait Pierre Laczur. Le brigand fut bien reçu et bien traité. Mais au milieu du souper, il en vint comme par hasard deux autres, et puis trois, et puis enfin toute la bande, qui tomba sur les moines et en tua un bon nombre. Pendant cette exécution, Miesteczki s'emparait de l'abbé et lui commandait le poignard sur la gorge de lui révéler le secret du couvent. Les vieux moines se laissèrent maltraiter cruellement et gardèrent le silence. Le malheureux abbé fut mis à la torture et ne révéla rien. Il en mourut peu de jours après, emportant son secret dans la tombe. Les historiens catholiques du temps en font un martyr. Quant à Miesteczki, il n'emporta de son expédition que les vases sacrés, la cassette particulière de l'abbé, et autres bribes dont il acheta le château et la ville d'Opokzno. Puis, pour racheter son âme de ce sacrilège, il fit une rude guerre aux hussites, qui pendirent son drapeau à un gibet de Prague. Plus tard, assiégé par eux dans Chrudim, il se fit hussite pour avoir la vie sauve, et ravagea encore les couvents avec eux, le métier étant fort de son goût. Enfin il rentra en grâce avec Sigismond après toutes ces aventures, et mourut peut-être en odeur de sainteté. Les Bénédictins d'Opatowitz furent repris et repillés par les Taborites. On ne dit pas si ceux-là trouvèrent le trésor. Peut-être existe-t-il encore sous quelque ruine aux entrailles de la terre.
Puisque nous consacrons ce chapitre aux épisodes ainsi que notre auteur20, qui en rapporte bien d'autres plus hors de saison, nous finirons par celle de Puchnick, évêque de Prague, mort avant la prédication de Jean Huss. Wenceslas, qui était fort railleur, le fit appeler un jour et lui commanda de prendre dans son trésor autant d'or qu'il en pourrait emporter sur lui. Le prélat, moins discret et moins prudent que Charles IV ne l'avait été chez les Bénédictins d'Opatowitz, remplit tellement ses poches, sa robe et ses bottines, qu'il ne put faire un pas pour s'en aller, et resta planté comme une statue devant l'ivrogne couronné, qui riait à faire écrouler les voûtes de son palais. Quand il eut fini de rire, Puchnick fut déchargé de son butin jusqu'à la dernière obole, et renvoyé honteusement aux huées des serviteurs. Telles étaient les moeurs du temps et les manières de la cour. L'avarice du clergé de Bohème était devenue proverbiale. Le peuple comparait les moines à des animaux immondes auxquels les couvents servaient d'étables. Il en fit justice avec la brutalité et la férocité qu'on retrouve au moyen âge chez tous les peuples, dans toutes les classes, et sous l'inspiration de toutes les idées religieuses. On brisa les images et les statues des saints; on leur coupa le nez et les oreilles, et on les jeta dans les rues et sur les chemins pour qu'elles fussent foulées aux pieds par les passants. On voit là plus de fanatisme que d'avarice; car bien des choses d'un grand prix furent perdues, entre autres des objets d'art et des manuscrits plus regrettables que les lingots d'or et d'argent des monastères. Ziska s'emparait de ces dernières dépouilles et les faisait porter à Tabor, où elles étaient scrupuleusement consacrées à l'édification de la ville et des fortifications, ainsi qu'à l'entretien des troupes et de leurs familles. Il ne se réservait que quelques jambons et viandes fumées, qu'il appelait ses toiles d'araignées parce qu'on les balayait aux murailles des réfectoires. Malheureusement, la vengeance ne se bornait pas là. Les moines et les religieuses étaient traités comme les statues de leurs saints, et livrés à toutes les tortures, à toutes les ignominies. Nous passerons rapidement sur ces détails, qui font frissonner. En l'année 1419, les Taborites détruisirent, seulement à Prague, quatorze de ces communautés. Ils n'épargnèrent que celle des Bénédictins esclavons, qui se déclara pour la doctrine de Jean Huss, et dont l'abbé alla au-devant d'eux leur offrir la communion sous les deux espèces. Ils la reçurent chargés et entourés de leurs arcs, hallebardes, massues, scorpions et catapultes. Ces Bénédictins étaient de ceux qui avaient obtenu, sous Charles IV, le privilège de dire les offices en langue slave, ce qui était un acheminement vers le schisme; et, comme la fondation de leur maison était contemporaine de celle de l'Université de Prague, on peut croire qu'ils avaient toujours penché vers ces mêmes idées d'indépendance et de réforme. Ils n'avaient certainement pas trempé dans les accusations que le clergé de Bohème porta contre Jean Huss et Jérôme au concile de Constance; car on ne fit grâce à aucun de ceux-là, et jamais supplice ne fut vengé avec autant d'éclat que celui de ces deux hommes illustres.