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Kitabı oku: «Le secrétaire intime», sayfa 7

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XI

Lorsque Julien rentra dans le bal, il remarqua un personnage qu'il n'avait pas encore vu. C'était un très-joli scarabée appelé par les entomologistes criocère du lis. Il est d'un beau rouge luisant, avec une face très-effilée et fort spirituelle. Les personnes qui l'ont examiné au microscope lui ont reconnu plusieurs protubérances avantageuses et un regard plein d'affabilité. Ce scarabée produisait dans le bal une très-grande sensation, non pas tant à cause de son corselet, dont la perfection effaçait tous les autres, qu'à cause de son visage, qui était miraculeusement imité. Il portait un masque si semblable à la nature, que le professeur d'histoire naturelle de la cour se frotta l'œil gauche et se demanda s'il n'avait pas devant la pupille le verre de son excellentissime microscope, garni d'un véritable criocère. S'étant bien convaincu que ce gigantesque scarabée était vraiment devant lui dans des proportions réelles et palpables, il tomba dans une sorte de délire, et, se redressant sur son fauteuil, il s'écria en pâlissant et en levant ses mains jointes au-dessus de sa tête: «Pardonne-moi, ô maître de la nature, pardonne-moi, puissant Créateur, la mort de tant d'insectes inoffensifs! Oui, j'en conviens, j'ai massacré les plus innocents papillons! j'ai percé d'une épingle et condamné à un épouvantable supplice les plus irréprochables coléoptères! mais je ne l'ai fait ni par haine ni par vengeance; j'en prends à témoin la lumière du soleil, ou, pour mieux dire, celle de la lune, qui doit être levée, car il est deux heures trente-cinq minutes dix-sept secondes; et dans cette saison…

– Pour l'amour du ciel!» remettez-vous, mon cher maître Cantharide! s'écria la princesse en avalant son mouchoir pour ne pas éclater de rire; car les princes ne rient point impunément, et ils n'ont pas même la liberté de sourire sans voir autour d'eux assez de figures épanouies pour les faire mourir du spleen. La princesse, qui aimait beaucoup le digne maître Cantharide, ne voulut point donner à la cour, rassemblée avec stupeur autour de lui, l'exemple d'une gaieté qui fût devenue insultante. Mais le criocère s'étant approché, comme les autres, pour savoir la cause de la défaillance dans laquelle maître Cantharide venait de tomber, l'infortuné savant, voyant de plus près cette face de criocère si bien imitée, eut un véritable accès de frénésie. «Ô spectre! spectre effrayant! s'écria-t-il, non, il n'y a pas un costumier sur la terre qui, même en suivant les instructions des plus grands savants de l'univers, soit capable d'exécuter une pareille tête de criocère. Ô phytophage gigantesque! fantôme menaçant! éloigne-toi, épargne-moi, pardonne-moi. Hélas! il est bien vrai que, la nuit dernière, je t'ai ramassé dans le calice d'un beau lis penché sur la pièce d'eau; il est vrai que je t'ai arraché sans pitié de ton palais embaumé, et que je t'ai inhumainement saisi dans la poussière d'or où tu te réfugiais! Oui, j'ai mis fin à ton innocente vie, à une vie toute d'amour, de liberté, de zéphire et de bonheur. Je t'ai dépecé membre par membre, viscère par viscère; j'ai enfoncé dans tes flancs une pince cruelle et des aiguilles acérées; je t'ai vu mourir dans les convulsions d'une lente agonie. Oh! que Dieu me le pardonne! j'en ai d'épouvantables remords. Malgré les crimes énormes que j'ai accumulés sur ma tête, jamais je n'en ai commis d'aussi atroce que celui de ta mort. Modeste et gracieuse créature, hélas! hélas! quand je te vis étendue par morceaux sur le talc de mon microscope, je fus saisi d'horreur, et je me demandai de quel droit… Mais épargne-moi ta vue; ton fantôme exagéré jusqu'aux proportions humaines me glace d'effroi. Que deviendrais-je, ô ciel! si tous les insectes que j'ai mutilés, écartelés, empalés, m'apparaissaient, à cette heure, armés de leurs cornes, de leurs dents, de leurs scies, de leurs griffes, de leurs aiguillons…»

La gravité de la princesse ne put tenir plus longtemps à ce discours extraordinaire; elle eut le malheur de rencontrer le regard de la Ginetta, et aussitôt, comme un élan sympathique, leur gaieté déborda en un double éclat de rire. Aussitôt tous les courtisans, même ceux qui n'avaient pas entendu un mot du discours de maître Cantharide, se livrèrent aux transports d'une gaieté convulsive. Ils se tordirent les bras, se fendirent la bouche jusqu'aux oreilles, et quelques-uns qui étaient sous les yeux de la princesse espérèrent obtenir son attention en se laissant choir sur le parquet. Au bruit de tous ces rires, à la vue de toutes ces contorsions, le pauvre Cantharide crut être arrivé à sa dernière heure, et rendre ses comptes en enfer, au milieu d'un sabbat de fantômes et de démons métamorphosés en insectes. Il se leva saisi d'épouvante, et s'enfuit en renversant tout ce qui se trouva sur son passage, et en s'écriant d'une voix étouffée: «Scaraboni! Scarafaggj…»

La princesse, craignant pour sa santé, imposa d'un geste le silence et l'immobilité; et, s'élançant sur ses traces, elle le saisit par une de ses ailes de cantharide; car le professeur avait choisi le costume du beau scarabée dont la princesse lui avait donné le surnom.

«Mon cher maître, lui dit-elle, mon excellent ami, veuillez vous calmer et être bien certain que tout ceci n'est qu'une illusion de votre cerveau malade. Vous vous livrez à de trop graves études depuis quelque temps, cher Cantharide, et votre âme sensible vous crée des souffrances et des remords que le plus pur et le plus austère des chrétiens vous envierait. De grâce, revenez prendre part à nos plaisirs et admirer avec nous le costume admirable de ce criocère.

– Ah! gracieuse princesse! s'écria Cantharide en jetant autour de lui un regard effaré, si vous tenez un peu à la vie de votre humble serviteur, faites que cet effroyable criocère ne se présente jamais devant mes yeux. Non, ce n'est pas avec du carton et du verre qu'on a pu imiter le globe de ces yeux à mille millions de facettes qui rendent l'existence intellectuelle et physique des insectes si supérieure à la nôtre. Il n'y a pas de cristal assez limpide pour rendre l'éclat diamantin d'un œil de scarabée; non, il n'y en a point, et il n'est personne qui ait assez bien observé une physionomie d'insecte pour la reproduire ainsi. Je n'aurais pas pu le faire moi-même; et cependant il n'est au monde qu'un homme qui soit supérieur à moi-même dans cette connaissance: c'est un jeune homme que j'ai connu à Paris, et qui s'appelait…»

En ce moment le criocère, qui était immédiatement derrière maître Cantharide, se pencha à son oreille, et lui dit un mot qui fil tressaillir le savant de la tête aux pieds. «Juste ciel! s'écria-t-il, en croirai-je le témoignage de l'ouïe?» Et s'élançant dans les bras du criocère, il le serra si étroitement contre son sein, qu'il se cassa une aile et trois pattes.

La princesse, voyant cette scène ridicule se terminer d'une manière aussi touchante, laissa les deux scarabées se retirer à l'écart et causer d'une manière fort animée. Elle retournait à la danse lorsque l'abbé Scipione, qui ce jour-là était chargé, par une faveur toute spéciale, des fonctions de grand maître des cérémonies, s'approcha d'elle humblement et lui demanda la faveur de quelques instants d'entretien. Quintilia l'appela sur un balcon auprès duquel elle se trouvait; et Saint-Julien, qui ne la perdait pas de vue, sortant par une autre porte vitrée, se trouva sur le balcon tout auprès d'elle, mais caché dans un bosquet touffu de géraniums et de clématites odorantes.

«Très-illustre et gracieuse souveraine, dit l'abbé, il se présente un incident de haute importance, mais sur lequel il m'est absolument impossible de prendre un parti sans la volonté de Votre Altesse.

– Parle, Scipione, répondit Quintilia, et dis-moi quelle est cette grave circonstance.

– Votre Altesse, dit l'abbé, m'a donné pour consigne de ne laisser entrer aucune personne masquée dans le bal; elle a daigné seulement permettre que chacun pût ajouter à sa coiffure ou adapter à son visage un trait distinctif de l'insecte qu'il s'est chargé de représenter.

Les uns ont donc été autorisés à prendre des nez postiches, les autres des fronts métalliques, d'autres des dards, d'autres des yeux de verre, etc.; mais ici le cas est tout différent…

– Eh bien! quoi? dit la princesse impatientée.

– Pardon si j'abuse des précieux instants de Votre Altesse, reprit l'abbé; mais je dois signaler une infraction notable aux lois qu'elle a établies: le criocère du lis, comme l'appelle, je crois, notre cher maître Cantarella…

– Eh bien! le criocère du lis, n'en finirons-nous pas d'aujourd'hui avec lui?

– Oserai-je faire observer à Votre Altesse que le criocère du lis porte un masque complet qui ne laisse voir aucune des parties de son visage! Cette circonstance n'a pu échapper à la sagacité de Son Altesse, et sans doute il ne me convient pas…»

Quintilia fit un geste d'impatience; le pauvre abbé s'arrêta effrayé, puis il reprit en tremblant:

«J'ai cru qu'il était de mon devoir de soumettre à Votre Altesse cette difficulté. Si elle approuve l'exception en faveur du criocère…

– Non, pas du tout, répliqua brusquement la princesse. Qui s'est permis de manquer ainsi à mes ordres? Comment s'appelle-t-il?

– Juste ciel! dit l'abbé, j'ai cru, en voyant la bonne et charmante humeur de Votre Altesse, qu'elle savait fort bien le nom de ce personnage; pour moi, je l'ignore absolument.

– Comment, l'abbé! s'écria Quintilia avec colère, il y a ici, dans mon palais, dans mes salons, une personne dont vous ne savez pas le nom! Un inconnu, un insolent, un espion peut-être! Et vous appelez cela remplir les fonctions dont je vous charge! Par le nom de mon père! je vous chasserai.

– Très-gracieuse souveraine… s'écria le pauvre abbé en se jetant à genoux.

– Allez, allez, Monsieur, reprit Quintilia d'un ton impérieux, allez savoir le nom de celui qui me désobéit et me brave de la sorte. Toute cette scène absurde que maître Cantharide nous a faite m'a empêchée de faire attention à ce masque. Je croyais que c'était un des nôtres; je croyais n'être entourée que d'amis; je me reposais sur vous de ce soin. Ne me répondez rien, vous êtes inexcusable. Allez, et rapportez-moi une réponse sur-le-champ. Je vous attends ici. Je ne remettrai pas le pied dans un salon où un inconnu masqué ose se montrer devant moi. Cours; et si ce n'est point une personne invitée, qu'elle soit chassée à l'instant.

Le pauvre abbé, pâle et inondé d'une sueur froide, s'élança dans le bal en murmurant d'une voix sourde: Maschera! ah! maschera maladetta!

«Monsieur, dit-il à l'étranger avec une arrogance qu'il déployait pour la première fois de sa vie, qui êtes-vous? Son Altesse veut le savoir.»

L'étranger se pencha à l'oreille du grand maître des cérémonies et lui dit son nom; mais il ne fit point sur lui le même effet que sur maître Cantharide. «Je ne vous connais pas, dit l'abbé; et comme vous n'êtes pas invité, j'ai ordre de vous faire sortir.

– Allez dire d'abord mon nom à la princesse, répondit l'étranger, et si elle m'ordonne de sortir…»

Une contestation allait s'élever sans l'intercession de maître Cantharide.

«Lui! s'écria-t-il, faire sortir un homme comme lui, le premier entomologiste du monde, l'homme le plus aimable que j'aie jamais rencontré!.. Restez ici, mon ami, je prends tout sur moi, et j'accompagne l'abbé pour dire à la princesse qui vous êtes.

– Cela est inutile, répondit l'étranger, la princesse me connaît. Que monsieur consente seulement à lui dire mon nom.»

L'abbé céda à contre-cœur et retourna vers la princesse, qui l'attendait toujours sur le balcon. Les jambes lui flageolaient, et il eut de la peine à articuler le nom qu'on lui avait transmis.

«Rosenhaïm! s'écria-t-elle violemment; l'ai-je bien entendu? Parlez plus haut; ou plutôt non! parlez plus bas. Rosenhaïm!»

– Rosenhaïm, répéta l'abbé prêt à s'évanouir.

Mais la princesse, au lieu de l'accabler de sa colère, fit un grand cri, et s'élançant à son cou, elle l'embrassa avec force en s'écriant: «Ah! l'abbé! mon cher abbé!» L'abbé crut d'abord qu'elle avait dessein de l'étrangler; mais quand il vit la joie briller sur ses traits, et qu'il sentit sur ses vieilles joues desséchées l'étreinte d'une bouche sérénissime, il se précipita à genoux, et n'exprima sa surprise et sa reconnaissance que par un torrent de larmes. Alors la princesse, craignant d'avoir été entendue, regarda autour d'elle, puis lui parla à l'oreille si bas, que Saint-Julien ne put entendre que les derniers mots: «Et sois muet comme si tu étais mort.»

«Pour le coup, pensa Saint-Julien, je touche à une grande crise; je vais découvrir quelque chose d'infernal.»

La princesse resta immobile sur le balcon pendant cinq minutes. Elle avait l'air d'une statue éclairée par la lune; puis elle leva tout à coup ses deux bras vers le ciel étoilé, fit un grand soupir, mit sa main sur son cœur, et rentra dans le bal avec un visage parfaitement calme.

Saint-Julien chercha du regard le mystérieux étranger; il avait disparu. La princesse se retira peu après et ne reparut plus. Saint-Julien passa le reste de la nuit à errer dans le palais sans pouvoir découvrir autre chose. Il se trouva de nouveau face à face avec Galeotto, qui remontait l'escalier d'un air préoccupé.

«Où vas tu? lui dit-il.

– Je cherche le criocère, répondit le page; mais il faut qu'il ait pris sa volée dans les airs, et que ce soit un scarabée véritable, comme l'a cru maître Cantharide…

– Je crois que nous ne découvrirons plus rien aujourd'hui, dit Saint-Julien. Je suis accablé de fatigue, je vais me coucher.

– Je fais serment de ne pas me coucher, reprit le page, avant de savoir quel est cet étranger.

– Sais-tu ce que c'est que Rosenhaïm? demanda Saint-Julien.

– Pas le moins du monde, dit le page.

– En ce cas nous ne savons rien, reprit Saint-Julien, et il quitta la fête.»

XII

«Comment! mon cher Cantharide, disait le lendemain Quintilia à son savant bibliothécaire, toute cette scène tragique n'était qu'une moquerie?

– Comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, très-illustre princesse.

– Mais sais-tu, mon cher maître, que je pourrais bien m'en fâcher, et trouver ta comédie un peu impertinente?

– Elle a pu être de mauvais goût; mais Votre Altesse doit m'excuser en faveur du dénouement.

– Sans doute, sans doute, mon ami, reprit la princesse; mais garde-toi de jamais te vanter devant qui que ce soit de cette mauvaise plaisanterie. Tout le monde en a été dupe comme moi, et personne n'a les mêmes raisons pour te la pardonner. À l'heure qu'il est, je suis sûre qu'il n'est question d'autre chose dans toute la résidence que de la manie singulière dont, par suite de trop graves études, ta pauvre cervelle a été atteinte hier au milieu de la fête.

– Déjà, répondit le savant, plus de trente personnes sont venues ce matin s'informer de ma santé; et pour ne pas me trahir, tout en déclarant que j'étais infiniment plus calme, j'ai affecté d'éviter avec horreur de parler d'aucune chose qui eût rapport à l'histoire des insectes.

– C'est pourquoi les bonnes âmes, répliqua la princesse, ont dû chercher avec affectation tous les moyens de ramener la conversation sur ce sujet, afin de satisfaire leur curiosité au risque de te rendre tout à fait fou. Mais explique-moi une circonstance que je ne comprends pas bien. Notre ami m'a raconté comment, voulant me surprendre, il t'avait prévenu de son arrivée; comment tu l'avais reçu et caché dans ton pavillon du parc, où tu l'avais déguisé avec soin sous ce costume de criocère. Je conçois pourquoi, voyant que je ne faisais aucune attention à lui, tu as débité ce grotesque monologue qui a tant diverti toute la cour et moi-même, tandis que tu t'enorgueillissais intérieurement de notre crédulité et de ta fourberie. Mais dis-moi pourquoi, au moment où je courus après toi, et où le criocère, s'approchant de ton oreille, parut te dire une parole mystérieuse, tu fis un grand cri de surprise et te jetas à son cou comme à la nouvelle d'une joie inespérée?

– C'était, très-illustre princesse, répondit le professeur, pour fixer encore plus votre attention sur lui; et si vous eussiez bien voulu écouter mes paroles, vous eussiez deviné sur-le-champ quel était ce personnage mystérieux. Je vous disais alors textuellement les paroles que voici: «Il n'est personne qui ait assez bien observé une physionomie d'insecte pour la reproduire ainsi; je n'aurais pu le faire moi-même, et cependant il n'est qu'un homme au monde qui soit supérieur à moi dans cette science…»

– Je me souviens fort bien du reste de la phrase, interrompit la princesse; tu ajoutas: «C'est un jeune homme que j'ai connu à Paris, et qui s'appelait…» Ici, je te pinçai le bras; car, te croyant véritablement en délire, je craignis que tu ne vinsses à prononcer ce nom qui ne doit jamais sortir d'aucune bouche… Le cri plaintif qui t'échappa en recevant ce conseil de prudence fut aussitôt étouffé par les embrassements de notre ami…

– Et j'espérais, gracieuse princesse, interrompit à son tour le professeur, que, ramenant votre esprit vers cette personne dont j'ai eu le bonheur de faire la connaissance à Paris, et pour laquelle j'ai conçu tant d'estime et d'admiration, vous seriez en même temps frappée de me voir m'élancer dans les bras du criocère, objet jusque-là de mon épouvante. Toute cette scène était concertée entre lui et moi. Il devait, en passant entre Votre Altesse et l'oreille de son très-humble sujet, prononcer son propre nom assez haut pour qu'il fût entendu de deux personnes. Mais, par malheur, Votre Altesse fut importunée en cet instant d'une fadeur du duc de Gurck; et notre ami, qui voulait surtout éviter les regards de ce seigneur, m'entraîna un peu plus loin, remettant à un moment plus propice…

– Ne vous semble-t-il pas, interrompit Quintilia, que quelqu'un vient de passer devant la fenêtre? J'ai cru voir une ombre sur le mur derrière vous.

– Je ne le pense pas, interrompit le professeur; mais, pour plus de prudence, fermons les portes et les fenêtres.»

En parlant ainsi, le professeur alla gravement fermer la fenêtre auprès de laquelle le petit Galeotto, accroupi dans les jasmins, avait écouté l'entretien précédent. C'est pourquoi il n'en put entendre davantage, et revint au palais assez mortifié d'avoir été dérangé au moment où peut-être il allait s'emparer du fameux secret.

Ce jour et le lendemain se passèrent sans qu'il fût possible à Saint-Julien et au page d'approcher de la princesse autrement qu'en public. Le premier ne s'étonnait pas d'être banni des appartements particuliers, et tout ce qui lui passait de bizarre et d'alarmant par la cervelle sur le compte de la princesse l'empêchait de se livrer au chagrin qu'il éprouvait, malgré lui, d'avoir perdu sa faveur. Je ne sais si ce fut un reste d'attachement pour elle, ou son avidité d'apprendre ce qu'il désirait tant savoir, qui le fit céder aux conseils et aux prières de Galeotto. Quoi qu'il en soit, il ne quitta pas la résidence. Le page mettait tant d'activité et d'espièglerie dans ses recherches, qu'il avait réussi à griser en quelque sorte le mélancolique et nonchalant Julien; il lui avait communiqué un peu de sa gaieté méchante, et le jeune homme, croyant toujours faire un rêve, se jetait ironiquement dans un caractère fantasque et affecté.

Cependant, au bout de quarante-huit heures, le rôle qu'il jouait lui devint insupportable. Sa gaieté tomba tout à coup. Tout ce qui se passait autour de lui lui causa une sorte d'horreur. Il se sentit suffoqué d'ennui et de tristesse; et comme les premiers sons du concert de la cour commençaient à s'élever dans la brise du soir, il s'enveloppa de son manteau, et, s'éloignant rapidement, il traversa le parc et gagna une grille qui donnait sur la campagne. Alors il monta sur une des collines qui entouraient la résidence, et s'égara pendant une heure environ dans les bois dont ces collines sont revêtues.

Quand il fut las de marcher, il s'arrêta au hasard, dans le premier endroit venu, et s'aperçut qu'il était dans un lieu découvert, beaucoup plus près du palais qu'il ne pensait l'être d'abord. Il s'étendit sur la bruyère et contempla, dans le vague de la nuit, le paysage incertain qui se déployait sous ses yeux. Le parc ducal était jeté au bas des montagnes par grandes masses noires, traversées ça et là d'une allée de sable blanchâtre, et semées de rotondes de gazon, de temples, de kiosques, d'autels emblématiques, et de statues de marbre qui apparaissaient dans l'ombre comme des fantômes immobiles. Le palais tremblait avec ses mille fenêtres illuminées dans les eaux de la Célina. Un grand cercle de brume enveloppait la ville jetée en amphithéâtre autour du parc; et quelques fusées silencieuses, lancées dans les airs, partaient à intervalles réguliers des divers points de la résidence.

Le sirocco, qui jusque-là avait soufflé avec force, tomba tout à coup, et le temps devint serein; les étoiles brillèrent, et la nuit fut assez claire pour que Saint-Julien pût saisir davantage les détails de ce tableau magique. À mesure que ses yeux s'en emparaient, l'air, devenant plus sonore, lui permit d'entendre le son des instruments monter jusqu'à lui. Il se coucha tout à fait contre terre, et remarqua que, plus on baisse les yeux au niveau du sol, plus la campagne prend un aspect magique et délicieux. Les plans semblent se détacher les uns des autres; les masses se découpent plus nettement, les ombres se distribuent avec plus d'harmonie. On est comme les spectateurs placés au parterre d'un théâtre, pour les yeux desquels tous les effets de décorations sont calculés, et qui jouissent mieux que ceux des loges de toutes les illusions de la scène.

En même temps, Saint-Julien saisit distinctement toute la mélodie du concert. Les sons lui arrivaient faibles, mais purs, et les vibrations de certaines notes et de certains instruments étaient si aériennes et si pénétrantes, que tous ses nerfs en furent détendus et soulagés. Il commença à respirer plus librement, et des larmes coulèrent sur ses joues brûlantes.

Un rinforzando de tous les instruments lui annonça que le concerto arrivait au tutti finale, et en effet les derniers accords s'élevèrent dans l'air et s'évanouirent. Saint-Julien écouta encore longtemps après que la musique eut cessé; enfin, n'entendant plus que le murmure uniforme d'un petit ruisseau qui s'échappait du taillis auprès de lui, il se leva pour s'en aller. C'est alors seulement qu'il aperçut un homme d'une taille élégante qui était debout à quelques pas de lui, et qui semblait partager son extase. Lorsque Saint-Julien passa près de lui, il s'inclina poliment pour le saluer, et le suivit à quelque distance. Comme Saint-Julien avait pris le devant et descendait assez lestement parmi les rochers au travers desquels passait le sentier, l'inconnu l'appela du titre de signore et le pria de l'attendre un peu.

«Que désire Votre Seigneurie? répondit Saint-Julien.»

L'inconnu reconnut à ce peu de mots italiens l'accent français de Saint-Julien, et, s'exprimant en français avec beaucoup de facilité, quoiqu'il eût pour sa part l'accent allemand, il lui demanda la permission de retourner avec lui à la ville.

«Excusez l'indiscrétion de ma demande, ajouta-t-il. Je suis étranger et nouvellement établi dans ce pays-ci. Ce sentier, que j'ai parcouru lorsqu'il faisait encore jour, ne m'est pas aussi familier qu'à vous, et, de plus, j'ai la vue très-basse. Si je ne vous semble pas importun, je marcherai derrière vous et profiterai de votre expérience.

– De tout mon cœur, répondit Saint-Julien, qui fut gagné sur-le-champ par le son de voix et les manières de l'étranger. Je vais ralentir mon pas, et je suis sûr que votre conversation m'empêchera d'apercevoir ce petit retard.»

En effet, la conversation fut bientôt engagée en commençant par la musique; elle parcourut toutes les choses générales dont peuvent s'entretenir deux personnes qui ne se connaissent pas.

Cette conversation fut tellement agréable pour l'un et pour l'autre, qu'une sorte de sympathie s'établit entre eux, et qu'ils éprouvèrent le besoin de prolonger leur rencontre. L'étranger proposa à Saint-Julien d'entrer avec lui dans une birreria. Saint-Julien accepta; et son compagnon ayant demandé de la bière et du tabac, ils passèrent encore une heure ensemble. Ils s'apprirent mutuellement leurs noms et leur profession.

«Je suis de Munich, dit l'étranger, je me nomme Spark, et j'ai trente ans; je suis étudiant et rien de plus. Je ne suis pas riche, mais je suis assez studieux et assez économe pour me contenter de mon sort, et trouver la vie une assez bonne chose. Je voyage depuis quelque temps pour mon instruction, et le hasard m'a amené dans cette petite principauté, dont j'ai trouvé l'aspect si beau et le séjour si agréable, que j'ai résolu d'y passer quelques semaines. Je serai heureux si vous me permettez de vous rencontrer de temps en temps à cette taverne ou de faire un tour de promenade avec vous à vos moments perdus.»

Saint-Julien accepta avec empressement, et ils se donnèrent rendez-vous à la même table pour le lendemain, à la même heure.

Lorsque Saint-Julien rentra au château, le concert était terminé. Minuit sonnait, et la princesse, fatiguée des veilles précédentes, se retirait dans ses appartements. À peine le jeune secrétaire était-il rentré dans le sien, qu'on frappa doucement à sa porte, et la voix de Ginetta lui dit à travers la serrure que Son Altesse le demandait.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
230 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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