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Kitabı oku: «Nouvelles lettres d'un voyageur», sayfa 3

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Il n'y a pas que des plantes dans la nature: d'abord il y a tout; mais commencez par une des branches, et, quand vous l'aurez comprise, vous en saisirez plus facilement une autre, la faune après la flore, si bon vous semble. La pierre ne semble pas bien éloquente au milieu de tout cela. Elle l'est pourtant, cette grande architecture du temple; elle est l'histoire hiéroglyphique du monde, et, en l'étudiant, même dans les minuties minéralogiques, qui sont plus amusantes qu'instructives, on complète en soi le sens visuel du corps et de l'esprit. Ces mystérieuses opérations de la physique et de la chimie ont imprimé aux moindres objets des physionomies frappantes que ne saisit pas le premier oeil venu. Tous les rochers ne se ressemblent pas; chaque masse a son sens et son expression; toute forme, toute ligne a sa raison d'être et s'embellit du degré de logique que sa puissance manifeste. Les grands accidents comme les grands nivellements, les fières montagnes comme les steppes immenses, ont des aspects inépuisables de diversité. Quand la nature n'est pas belle, c'est que l'homme l'a changée; voir sa beauté où elle est et la voir dans tout ce qui la constitue, c'est le précieux résultat de l'étude de la nature, et c'est une erreur de croire que tout le monde est à même d'improviser ce résultat. Pour bien sentir la musique, il faut la savoir; pour apprécier la peinture, il faut l'avoir beaucoup interrogée dans l'oeuvre des maîtres. Tout le monde est d'accord sur ce point, et pourtant tout le monde croit voir le ciel, la mer et la terre avec des yeux compétents. Non, c'est impossible; la terre, la mer et le ciel sont le résultat d'une science plus abstraite et d'un art plus inspiré que nos oeuvres humaines. Je trouve inoffensifs les gens sincères qui avouent leur indifférence pour la nature; je trouve irritants ceux qui prétendent la comprendre sans la connaître et qui feignent de l'admirer sans la voir. Cette verbeuse et prétentieuse admiration descriptive des personnes qui voient mal rend forcément taciturnes celles qui voient mieux, et qui sentent d'ailleurs profondément l'impuissance des mots pour traduire l'infini du beau.

Voilà ce que je voulais vous écrire à propos de la botanique. Ne me dites plus que je la sais. J'en bois tant que je peux, voilà tout. Je ne saurai jamais. Sans mémoire, on est éternellement ignorant; mais savoir son ignorance, c'est savoir qu'il y a un monde enchanté où l'on voudrait toujours se glisser, et, si l'on reste à la porte, ce n'est pas parce qu'on se plaît au dehors dans la stérilité et dans l'impuissance, c'est parce qu'on n'est pas doué; mais au moins on est riche de désirs, d'élans, de rêves et d'aspirations. Le coeur vit de cette soif d'idéal. On s'oublie soi-même, on monte dans une région où la personnalité s'efface, parce que le sentiment, je dirais presque la sensation de la vie universelle, prend possession de notre être et le spiritualise en le dispersant dans le grand tout. C'est peut-être là la signification du mot mystérieux de contemplation, qui, pris dans l'acception matérielle, ne veut rien dire. Regarder sans être ému de ce qu'on voit serait une jouissance vague et de courte durée, si toutefois c'était une jouissance. Regarder la vie agir dans l'univers en même temps qu'elle agit en nous, c'est la sentir universalisée en soi et personnifiée dans l'univers. Levez les yeux vers le ciel et voyez palpiter la lumière des étoiles; chacune de ces palpitations répond aux pulsations de notre coeur. Notre planète est un des petits êtres qui vivent du scintillement de ces grands astres, et nous, êtres plus petits, nous vivons des mêmes effluves de chaleur et de lumière.

L'étoile est à nous, comme le soleil est à la terre. Tout nous appartient, puisque nous appartenons à tout, et ce perpétuel échange de vie s'opère dans la splendeur du plus sublime spectacle et du plus admirable mécanisme qu'il nous soit possible de concevoir. Tout y est beau, depuis Sirius, qui traverse l'éther d'une flèche de feu, jusqu'à l'oeil microscopique de l'imperceptible insecte qui reflète Sirius et le firmament. Tout y est grand, depuis le fleuve de mondes qui s'appelle la voie lactée jusqu'au ruisselet de la prairie qui coule dans son flot emperlé un monde de petits êtres extraordinairement forts, agiles, doués d'une vitalité intense, presque irréductible. Tout y est heureux, depuis la grande âme du monde qui révèle sa joie de vivre par son éternelle activité jusqu'à l'être qui se plaint toujours, l'homme! Oui, l'homme est infiniment heureux dans ses vrais rapports avec la nature. Il a le beau dans les yeux, le vrai est dans l'air qu'il respire, le bon est dans son coeur, puisqu'il est heureux quand il fait le bien, et triste, bête ou fou quand il fait le mal.

Qui l'empêche d'être lui-même? Son ignorance du milieu où il existe, partant son indifférence pour les biens qui sont à sa portée. La race humaine est une création trop moderne pour avoir établi sa relation vraie avec le vrai de l'univers. Extraordinairement douée, elle s'agite démesurément avant de se poser dans son milieu, et l'on pourrait dire qu'elle n'existe encore que par l'inquiétude et le besoin d'exister. En possession d'un sens merveilleux qui semble manquer aux autres créatures terrestres, et qui est précisément le besoin de connaître et de sentir ses rapports avec l'univers, elle les cherche péniblement et à travers tous les mirages que lui crée cette puissance admirable de l'esprit et de l'imagination. La raison humaine est encore incomplète. L'historien de l'humanité s'en étonne et s'en effraie. L'historien de la vie, le naturaliste, peut s'en affliger aussi, mais il n'est ni surpris ni découragé. Les chiffres de la durée ne sont pour lui que des palpitations de l'astre éternité.

L'homme est forcé d'être, il est donc forcé d'arriver à l'existence normale et complète, qui est le bonheur. Il en eut la révélation fugitive le jour où il écrivit au fronton de ses temples trois mots sacrés qui résumaient tout le but de sa vie philosophique, sociale et morale. Ces mots sont effacés de la bannière qui dirige la phalange humaine. Ils sont restés vivants dans l'univers qui les a entendus. Essayez de les arracher de l'âme du monde! Étouffez le tressaillement que la terre en a ressenti, faites qu'ils soient rayés du livre de la vie! Oui, oui, tâchez! On peut embrouiller ou suspendre tout ce qui est du domaine de l'idée, mais tuer une idée est aussi vain, aussi impossible que de vouloir anéantir la vibration d'un son jeté dans l'espace. Tirez cent mille coups de canon pour empêcher qu'on ne l'entende. Le dieu Pan se rit du vacarme, et l'écho a redit le chant mystérieux de sa petite flûte avant que vos mèches fussent allumées.

Liberté, seule condition du véritable fonctionnement de la vie; égalité, notion indispensable de la valeur de tout être vivant et de la nécessité de son action dans l'univers; fraternité, complément de l'existence, application et couronnement des deux premiers termes, action vitale par excellence.

On a dit que la Révolution était une expérience manquée. On n'a pu entendre cet arrêt que dans un sens relatif, purement historique. Le bouillonnement de la sève dans l'humanité peut bien n'avoir pas produit dans le moment voulu tout l'accroissement de vitalité intellectuelle et morale que les philosophes de cette grande époque devaient en attendre; mais c'est la loi de la nature même qui le voulait ainsi. La vie se compose d'action et de repos, de dépense d'énergie dans la veille et de recouvrement d'énergie dans le sommeil, de vie sous forme de mort et de mort sous forme de vie. Rien ne s'arrête et rien ne se perd. C'est l'ABC de la science, qu'elle s'intitule spiritualiste ou positive. Comment donc se perdrait une formule qui a fait monter à l'homme un degré de plus dans la série du perfectionnement que la loi de l'univers impose à son espèce?

Adieu, et aimons-nous.

A LA MÊME

II

Nohant, 20 avril.

Ma chère, si la science est triste, c'est parce qu'elle est toujours persécutée. Elle lutte, elle a l'austérité et la dignité de sa tâche écrite sur le front en caractères sacrés. Depuis ma dernière lettre, j'ai été mis au courant des faits nouveaux. La foi veut attribuer à l'État le droit d'imposer silence à l'examen. Je vous disais que ces discussions ne m'intéressaient pas. Elles ne me troublent pas pour mon compte, cela est certain. Je n'ai pas mission de défendre une école, je ne saurais pas le faire, et, bénissant ici ma propre ignorance qui me permet de me tromper autant qu'un autre, je me borne à défendre mon for intérieur contre des notions qui ne me paraissent pas convaincantes.

Mais ne pas m'intéresser à la marche des idées et aux luttes qu'elles suscitent, ce me serait tout aussi impossible qu'à vous. Nous ne sortirons pas trop de la physiologie botanique en causant de la marche générale des études sur l'histoire naturelle; toutes ses branches partent de l'arbre de la vie.

Voilà donc que la religion nous défend de conclure? Moi qui, par exemple, trouvais dans l'étude une sorte d'exaltation religieuse, je dois m'abstenir de l'étude. C'est une occupation criminelle qui peut conduire au doute, cela entraîne à discuter, et, comme on peut être vaincu dans la discussion, le mieux est de faire taire tout le monde. Quand on voit de quelle façon les influences finies ou près de finir se précipitent d'elles-mêmes, on est tenté de croire que les idées fausses ont besoin de se suicider avec éclat, et qu'elles convoquent le genre humain au spectacle de leur abdication. Comment! le Dieu des Juifs n'était pas assez humilié dans l'histoire le jour où en son nom le prêtre prononça la condamnation de Galilée! il fallait donner encore plus de solennité à la chose et venir, au XIXe siècle, invoquer les pouvoirs de l'État pour que défense fût faite à la science de s'enquérir de la vérité, et pour que cette sentence fût portée:

«La vérité est le domaine exclusif de l'Église; quand elle décrète que le soleil tourne autour de la terre, elle ne peut pas se tromper! N'a-t-elle pas l'Esprit-Saint pour lumière? Donc toutes les découvertes, tous les calculs, toutes les observations de la science sont rayées et annulées: qu'on se le dise, la terre ne tourne pas!»

Si la science penche vers le matérialisme exclusif, à qui la faute? Il fallait bien une réaction énergique contre ce prétendu esprit saint qui veut se passer des lumières de la raison et de l'expérience.

Dans un excellent article sur ce sujet, que je lisais hier, on rappelait fort à propos et avec beaucoup de poésie ce grand cri mystérieux que les derniers païens entendirent sur les rivages de la Grèce et qui les fit pâlir d'épouvante: Le grand Pan est mort!

L'auteur parlait des idées qui meurent. Moi, je songeais à celles qui ne meurent pas, et je voyais dans ce cri douloureux et solennel tout un monde qui s'écroulait, le culte et l'amour de la nature égorgés par le spiritualisme farouche et ignorant des nouveaux chrétiens sans lumière. Le divorce entre le corps et l'âme était prononcé, et le grand Pan, le dieu de la vie, léguait à ses derniers adeptes la tâche de réhabiliter la matière.

Depuis ce jour fatal, la science travaille à ressusciter le grand principe, et, comme il est immortel, elle réussira. Elle révolutionnera la face de la terre, c'est-à-dire que ses décisions auront un jour la force des vérités acquises, qu'elles auront pénétré dans tous les esprits, et qu'elles auront détruit insensiblement tous les vestiges de la superstition et de l'idolâtrie.

On fait grand bruit de ses tendances actuelles. On fait bien. C'est le moment de défendre le droit qu'elle a de tout voir, de tout juger et de tout dire, puisque ce droit lui est encore contesté par les juges de Galilée; mais, quand cette rumeur sera passée, quand la science aura triomphé des vains obstacles, – un peu plus tôt, un peu plus tard, ce triomphe est assuré, certain, fatal comme une loi de la vie; – quand, mise sous l'égide de la liberté sacrée invoquée par nos pères, elle poursuivra paisiblement ses travaux, la grande question, aujourd'hui mal posée, qui s'agite dans son sein sera élucidée. Il le faudra bien. Si le grand Pan représentait la force vitale inhérente à la matière, si en lui se personnifiaient la plante, les bois sacrés et les suaves parfums de la montagne, l'habitant ailé de l'arbre et de la prairie, la source fécondante et le torrent rapide, les hôtes du rocher, du chêne et de la bruyère, depuis le ciron jusqu'à l'homme, si tout enfin était Dieu ou divin, la vie était divinité: divinité accessible et intelligible, il est vrai, divinité amie de l'homme et partageant avec lui l'empire de la terre, mais essence divine incarnée; activité indestructible, revêtant toutes les formes, nécessairement pourvue d'organes quelconques, mais émanant d'un foyer d'amour universel, incommensurable.

Vous me dites souvent que vous êtes païenne. C'est une manière poétique de dire que vous aimez l'univers, et que les aperçus de la science vous ont ouvert le grand temple où tout est sacré, où toute forme est sainte, où toute fonction est bénie. En son temps, le paganisme n'était pas mieux compris des masses que ne l'était le théisme qui le côtoyait, et l'absorbait même dans la pensée des adorateurs exclusifs du grand Jupiter. Pour les esprits élevés, Pan était l'idée panthéiste, la même qui s'est ranimée sous la puissante étreinte de Spinoza. Depuis cette vaste conception, l'esprit humain s'est rouvert à une notion de plus en plus large du rôle de la matière, et la science démontre chaque jour la sublimité de ce rôle dans son union intime avec le principe de la vie.

En résulte-t-il qu'elle soit le principe même? La matière pourrait-elle se passer de l'esprit, qui ne peut se passer d'elle? Est-ce encore une question de mots? Je le crains bien, ou plutôt je l'espère. La science a-t-elle la prétention de faire éclore la pensée humaine comme résultat d'une combinaison chimique? Non, certes; mais elle peut espérer de surprendre un jour les combinaisons mystérieuses qui rendent la matière inorganisée propre à recevoir le baptême de la vie et à devenir son sanctuaire. Ce sera une magnifique découverte; mais quoi! après? L'homme saura, je suppose, par quelle opération naturelle le fluide vital pénètre un corps placé dans les conditions nécessaires à son apparition. Le Dieu qui, roulant dans ses doigts une boulette de terre, souffla dessus et en fit un être pensant, ne sera plus qu'un mythe. Fort bien, mais un mythe est l'expression symbolique d'une idée, et il restera à savoir si cette idée est un poëme ou une vérité.

Allons aussi loin qu'il est permis de supposer. Entrons dans le rêve, imaginons un nouveau Faust découvrant le moyen de renouveler sa propre existence, un Albertus Magnus faisant penser et parler une tête de bois, Capparion! un Berthelot futur voyant surgir de son creuset une forme organisée, vivante, – que saura-t-il de la source de cette vie mystérieuse? La philosophie a beaucoup à répondre, mais je vois surtout là une question d'histoire naturelle à résoudre, rentrant dans les célèbres discussions sur la génération spontanée. Pour mon compte, je crois presque à la génération spontanée, et je n'y vois aucun principe de matérialisme à enregistrer dans le sens absolu que l'on veut aujourd'hui attribuer à ce mot. La matière, dit-on, renferme le principe vivant. Ceci est encore l'histoire de la plante, qui tire ses organes de sa propre substance. Mais le principe vivant, d'où tire-t-il son activité, sa volition, son expansion, ses résultats sans limites connues? D'un milieu qui ne les a pas? C'est difficile à comprendre. La matière possède le principe viable; mais point de vie sans fécondation. La doctrine de la génération spontanée proclame que la fécondation n'est pas due nécessairement à l'espèce; elle admet donc qu'il y a des principes de fécondation dans toute combinaison vitale, et même que tout est combinaison vitale, vie latente, impatiente de s'organiser par son mariage avec la matière. Quoi qu'on fasse, il faut bien parler la langue humaine, se servir de mots qui expriment des idées. On aura beau nous dire que la vie est une pure opération et une simple action de la matière, on ne nous fera pas comprendre que les opérations de notre pensée et l'action de notre volonté ne soient pas le résultat de l'association de deux principes en nous. Que faites-vous de la mort, si la matière seule est le principe vivant? Vous dites que l'âme s'éteint quand le corps ne fonctionne plus. On peut vous demander pourquoi le corps ne fonctionne plus quand l'âme le quitte. Et tout cela, c'est un cercle vicieux, où les vrais savants sont moins affirmatifs que leurs impatients et enthousiastes adeptes. Il y a quelque chose de généreux et de hardi, j'en conviens, à braver les foudres de l'intolérance et à vouloir attribuer à la science la liberté de tout nier. Inclinons-nous devant le droit qu'elle a de se tromper. Ses adversaires en usent si largement! Mais attendons, pour nier l'action divine qui préside au grand hyménée universel, que l'homme soit arrivé par la science à s'en passer ou à la remplacer.

– Vous ne pensez, nous disent les médecins positivistes, que parce que vous avez un cerveau.

Très-bien; mais, sans ma pensée, mon cerveau serait une boîte vide. – Nous pouvons mettre le doigt sur la portion du cerveau qui pense et oblitérer sa fonction par une blessure, notre main peut écraser la raison et la pensée! – Vous pouvez produire la folie et la mort; mais empêcher l'une et guérir l'autre, voilà où vous cherchez en vain des remèdes infaillibles. Cette pensée qui s'éteint ou qui s'égare dans le cerveau épuisé et meurtri est bien forcée de quitter le milieu où elle ne peut plus fonctionner.

– Où va-t-elle? – Demandez-moi aussi d'où elle vient. Qui peut vous répondre? Me direz-vous d'où vient la matière? Vous voilà étudiant les météorites, étude admirable qui nous renseignera sans doute sur la formation des planètes. Mais, quand nous saurons que nous sommes nés du soleil, qui nous dira l'origine de celui-ci? Pouvez-vous vous emparer des causes premières? Vous n'en savez pas plus long sur l'avènement de la matière que sur celui de la vie, et, si vous vous fondez sur la priorité de l'apparition de la matière sur notre globe, vous ne résolvez rien. La vie était organisée ailleurs avant que notre terre fut prête à la recevoir; latente chez nous, elle fonctionnait dans d'autres régions de l'univers.

Mais il n'y a pas de matière proprement inerte; je le veux bien! Chaque élément de vitalité a sa vie propre, et j'admets sans surprise celle de la terre et du rocher. La vie chimique est encore intense sous nos pieds et se manifeste par les tressaillements et les suintements volcaniques; mais, encore une fois, la vie la plus élémentaire est toujours une vie; la vie inorganique – il paraît qu'on parle ainsi aujourd'hui – est toujours une force qui vient animer une inertie. D'où vient cette force? D'une loi. D'où vient la loi?

Pour répondre scientifiquement à une telle question, il faut trouver une formule nouvelle à coup sûr. Puisque tous les mots qui ont servi jusqu'ici à l'idée spiritualiste paraissent entachés de superstition, et que tous ceux qui servent à l'idée positiviste semblent entachés d'athéisme, vitalité, dis-nous ton nom!

Sublime inconnue, tu frémis sous ma main quand je touche un objet quelconque. Tu es là dans ce roc nu qui, l'an prochain ou dans un million d'années, aura servi, par sa décomposition ou toute autre influence peut-être occulte, à produire un fruit savoureux. Tu es palpable et visible et déjà merveilleusement savante dans la petite graine qui porte dans sa glume les prairies de six cents lieues de l'Amérique. Tu souris et rayonnes dans la fleur qui se pare pour l'hyménée. Tu bondis ou planes dans l'insecte vêtu des couleurs de la plante qui l'a nourri à l'état de larve. Tu dors sous les sables dorés du rivage des mers, tu es dans l'air que je respire comme dans le regard ami qui me console, dans le nuage qui passe comme dans le rayon qui le traverse. – Je te vois et je te sens dans tout; mais rayez le mot divin amour du livre de la nature, et je ne vois plus rien, je ne comprends plus, je ne vis plus.

La matière qui n'a pas la vie, et la vie qui ne se manifeste pas dans la matière ont-elles conscience du besoin qu'elles éprouvent de se réunir? Ce n'est pas très-probable sans la supposition d'un agent souverain qui les pousse irrésistiblement l'une vers l'autre. Quel est-il? son nom? Le nom que vous voudrez parmi ceux qui sont à l'usage de l'homme; moi, je n'en peux trouver que dans le vocabulaire classique des idées actuelles: âme du monde, amour, divinité. Je vois dans la moindre étude des choses naturelles, dans la moindre manifestation de la vie, une puissance dont nulle autre ne peut anéantir le principe. La matière a beau se ruer sur la matière et se dévorer elle-même, la vie a beau se greffer sur la vie et s'embrancher en d'inextricables réseaux où se confondent toutes les limites de la classification, tout se maintient dans l'équilibre qui permet à la vie de remplacer la mort à mesure que celle-ci opère une transformation devenue nécessaire. Je sens le souffle divin vibrer dans toutes ces harmonies qui se succèdent pour arriver toujours et par tous les modes au grand accord relativement parfait, âme universelle, amour inextinguible, puissance sans limites.

Laissons les savants chercher de nouvelles définitions. Si leurs tendances actuelles nous ramènent à d'Holbach et compagnie, comme il y avait là en somme très-bonne compagnie, il en sortira quelque chose de bon; la vie ne s'arrête pas parce que l'esprit fait fausse route. Une notion qui tend à comprimer son essor, à détruire son énergie, à refroidir son élan vers l'infini, n'est pas une notion durable; mais la science seule peut redresser et éclairer la science. S'il était possible de la réduire au silence, ce qu'il y a de vrai dans le spiritualisme aurait chance de succomber longtemps. Les esprits vulgaires s'empareraient d'un athéisme grossier comme d'un drapeau, et la recherche de la vérité serait soumise aux agitations de la politique. Tel n'est point le rôle de la science, tel n'est point le chemin du vrai. Telle n'est heureusement pas la loi du progrès, qui est la loi même de la vie.

Ce n'est certes pas moi, ma chère amie, qui vous dirai par où le monde passera pour sortir de cette crise. Je ne sais rien qu'une chose, c'est qu'il faut que l'homme devienne un être complet, et que je le vois en train d'être comme l'enfant dont on voulait donner une moitié à chacune des mères qui se le disputaient. L'enfant ne se laissera pas faire, soyons tranquilles.

Au reste, je me suis probablement aussi mal exprimé que possible sur le fond de la question en parlant de la vie comme d'une opération. C'est plus que cela sans doute, ce doit être le résultat d'une opération non surnaturelle, mais divine, où les éléments abstraits se marient aux éléments concrets de l'existence; mais il y a un langage technique que je ne veux point parler ici, parce qu'il me déplaît et n'éclaircit rien. Les sciences et les arts ont leur technologie très-nécessaire, et vous voyez que j'évite d'employer cette technologie à propos de botanique. Elle est si facile à apprendre que l'exhiber serait faire un mauvais calcul de pédantisme. La technologie métaphysique n'est pas beaucoup plus sorcière, comme on dit chez nous; mais elle n'a pas la justesse et la précision de la botanique. Chaque auteur est forcé de créer des termes à son usage pour caractériser les opérations de la pensée telle qu'il les conçoit. Ces opérations sont beaucoup plus profondes que les mystères microscopiques du monde tangible. Après tant de sublimes travaux et de grandioses explorations dans le domaine de l'âme, la science des idées n'a pas encore trouvé la parole qui peut se vulgariser: c'est un grand malheur et un grand tort. Le matérialisme radical menace d'une suppression complète la recherche des opérations de l'entendement humain. Allons donc! alors vienne l'homme de génie qui nous expliquera notre âme et notre corps dans l'ensemble de leurs fonctions, par des vérités sans réplique et dans une langue qui nous permettra d'enseigner à nos petits-enfants qu'ils ne sont ni anges ni bêtes!

Me voilà bien un peu loin de ce que je voulais vous dire aujourd'hui sur les herbiers. Je tiens cependant à ne pas finir sans cela.

L'herbier inspire des préventions aux artistes.

– C'est, disent-ils, une jolie collection de squelettes.

Avant tout, je dois vous dire que faire un herbier est une chose si grave, que j'ai écrit sur la première feuille du mien: Fagot. Je n'oserais donner un titre plus sérieux à une chose si capricieuse et si incomplète. Je parlerai donc de l'herbier au point de vue général, et je vous accorde que c'est un cimetière. Dès lors, ce n'est pas un coin aride pour la pensée. Le sentiment l'habite, car ce qui parle le plus éloquemment de la vie, c'est la mort.

Maintenant, écoutez une anecdote véridique.

J'ai vu Eugène Delacroix essayer pour la première fois de peindre des fleurs. Il avait étudié la botanique dans son enfance, et, comme il avait une admirable mémoire, il la savait encore, mais elle ne l'avait pas frappé en tant qu'artiste, et le sens ne lui en fut révélé que lorsqu'il reproduisit attentivement la couleur et la forme de la plante. Je le surpris dans une extase de ravissement devant un lis jaune dont il venait de comprendre la belle architecture; c'est le mot heureux dont il se servit. Il se hâtait de peindre, voyant qu'à chaque instant son modèle, accomplissant dans l'eau l'ensemble de sa floraison, changeait de ton et d'attitude. Il pensait avoir fini, et le résultat était merveilleux; mais, le lendemain, lorsqu'il compara l'art à la nature, il fut mécontent et retoucha. Le lis avait complètement changé. Les lobes du périanthe s'étaient recourbés en dehors, le ton des étamines avait pâli, celui de la fleur s'était accusé, le jaune d'or était devenu orangé, la hampe était plus ferme et plus droite, les feuilles, plus serrées contre la tige, semblaient plus étroites. C'était encore une harmonie, ce n'était plus la même. Le jour suivant, la plante était belle tout autrement. Elle devenait de plus en plus architecturale. La fleur se séchait et montrait ses organes plus développés; ses formes devenaient géométriques; c'est encore lui qui parle. Il voyait le squelette se dessiner, et la beauté du squelette le charmait. Il fallut le lui arracher pour qu'il ne fit pas, d'une étude de plante à l'état splendide de l'anthèse, une étude de plante en herbier.

Il me demanda alors à voir des plantes séchées, et il s'enamoura de ces silhouettes déliées et charmantes que conservent beaucoup d'espèces. Les raccourcis que la pression supprime, mais que la logique de l'oeil rétablit, le frappaient particulièrement.

– Les plantes d'herbier, disait-il, c'est la grâce dans la mort.

Chacun a son procédé pour conserver la plante sans la déformer. Le plus simple est le meilleur. Jetée et non posée dans le papier qui doit boire son suc, rétablie par le souffle dans son attitude naturelle, si elle l'a perdue en tombant sur ce lit mortuaire, elle doit être convenablement comprimée, mais jamais jusqu'à produire l'écrasement. Il faut renouveler tous les jours les couches de papier qui l'isolent, sans ouvrir le feuillet qui la contient. Le moindre dérangement gâte sa pose, tant quelle colle à son linceul. Au bout de quelques jours, pour la plupart des espèces, la dessiccation est opérée. Les plantes grasses demandent plus de pression, plus de temps et plus de soins, sans jamais donner de résultats satisfaisants. Les orchidées noircissent malgré le repassage au fer chaud, qui est préférable à la presse. Bannissons la presse absolument, elle détruit tout et ne laisse plus la moindre chance à l'analyse déjà si difficile du végétal desséché. Le but de l'herbier doit être de faciliter l'étude des sujets qu'il contient. Le goût des collections est puéril, s'il n'a pas ce but avant tout pour soi et pour les autres.

Mais l'herbier a pour moi une autre importance encore, une importance toute morale et toute de sentiment. C'est le passage d'une vie humaine à travers la nature, c'est le voyage enchanté d'une âme aimante dans le monde aimé de la création. Un herbier bien fait au point de vue de la conservation exhale une odeur particulière, où les senteurs diverses, même les senteurs fétides, se confondent en un parfum comparable à celui du thé le plus exquis. Ce parfum est pour moi comme l'expression de la vie prise dans son ensemble. Les saveurs salutaires des plantes dites officinales, mariées aux âcres émanations des plantes vireuses, lesquelles sont probablement tout aussi officinales que les autres, produisent la suavité qui est encore une richesse, une salubrité, une subtile beauté de la nature. Ainsi se perdent dans l'harmonie de l'ensemble les forces trop accusées pour nous de certains détails.

Ainsi de nos souvenirs, où se résument comme un parfum tout un passé composé de tristesse et de joie, de revers et de victoires. Il y a dans cet herbier-là des épines et des poisons: l'ortie, la ronce et la ciguë y figurent; mais tant de fleurs délicieusement belles et bienfaisantes sont là pour ramener à l'optimisme, qui serait peut-être la plus vraie des philosophies!

La ciguë d'ailleurs… je l'arrache sans pitié, je l'avoue, parce qu'elle envahit tout et détrône tout quand on la laisse faire; mais, outre qu'elle est bien belle, elle est une plante historique. Son nom est à jamais lié au divin poëme du Phédon. Les chrétiens ne sauraient dire quel arbre a fourni la croix vénérée de leur grand martyr. Tout le monde sait que la ciguë a procuré une mort douce et sublime au grand prédécesseur du crucifié. Innocente ou bienfaisante ciguë, sois donc réhabilitée, toi qui, forcée de donner la mort, sus prouver que tu n'atteignais pas la toute-puissance de l'âme, et laissas pure et lucide celle du sage jusqu'à la dernière pulsation de ses artères!

L'herbier est encore autre chose, c'est un reliquaire. Pas un individu qui ne soit un souvenir doux et pur. On ne fait de la botanique bien attentive que quand on a l'esprit libre des grandes préoccupations personnelles ou reposé des grandes douleurs. Chaque plante rappelle donc une heure de calme ou d'accalmie. Elle rappelle aussi les beaux jours des années écoulées, car on choisit ces jours-là pour chercher la vie épanouie et s'épanouir pour son propre compte. La vue des sujets un peu rares dans la localité explorée réveille la vision d'un paysage particulier. Je ne puis regarder la petite campanule à feuilles de lierre, – merveille de la forme! – sans revoir les blocs de granit de nos vieux dolmens, où je l'observai vivante pour la première fois. Elle perçait la mousse et le sable en mille endroits, sur un coteau couvert de hautes digitales pourprées, et ses mignonnes clochettes devenaient plus amples et plus colorées à mesure qu'elle se rapprochait du ruisseau qui jase timidement dans ces solitudes austères. Là aussi, je trouvai la lysimaque nemorum, assez rare chez nous, non moins merveilleuse de fini et de grâce, et, dans le bois voisin, l'oxalis acelosella, qui remplissait de ses touffes charmantes, —d'un vert gai, comme daignent dire les botanistes, – les profondes crevasses des antiques châtaigniers.