Kitabı oku: «Valentine», sayfa 20
– Hélas! je suis accablée de tristesse, dit Valentine, et je n'ai pas la force de repousser vos rêves. Ah! parle-moi parle-moi encore de ce bonheur; dis-moi qu'il ne peut nous fuir: je voudrais y croire.
– Et pourquoi donc t'y refuser?
– Je ne sais, dit-elle en mettant sa main sur sa poitrine, je sens là un poids qui m'étouffe. Le remords! Oh! oui, c est le remords! je n'ai pas mérité d'être heureuse, moi, je ne dois pas l'être. J'ai été coupable; j'ai trahi mes serments; j'ai oublié Dieu; Dieu me doit des châtiments, et non des récompenses.
– Chasse ces noires idées. Pauvre Valentine! te laisseras-tu donc ainsi ronger et flétrir par le chagrin? En quoi donc as-tu été si criminelle? N'as-tu pas résisté assez longtemps? N'est-ce pas moi qui suis le coupable? N'as-tu pas expié ta faute par ta douleur?
– Oh! oui, mes larmes auraient dû m'en laver! Mais, hélas! chaque jour m'enfonçait plus avant dans l'abîme; et qui sait si je n'y aurais pas croupi toute ma vie? Quel mérite aurai-je à présent? Comment réparerai-je le passé? Toi-même, pourras-tu m'aimer toujours? Auras-tu confiance en celle qui a trahi ses premiers serments?
– Mais, Valentine, pense donc à tout ce qui devrait te servir d'excuse. Songe donc à ta position malheureuse et fausse. Rappelle-toi ce mari qui t'a poussée à ta perte avec préméditation, à cette mère qui a refusé de t'ouvrir ses bras dans le danger, à cette vieille femme qui n'a trouvé rien de mieux à te dire à son lit de mort que ces religieuses paroles: Ma fille, prends un amant de ton rang.
– Ah! il est vrai, dit Valentine faisant un amer retour sur le passé, ils traitaient tous la vertu avec une incroyable légèreté. Moi seule, qu'ils accusaient, je concevais la grandeur de mes devoirs, et je voulais faire du mariage une obligation réciproque et sacrée. Mais ils riaient de ma simplicité; l'un me parlait d'argent, l'autre de dignité, un troisième de convenances. L'ambition ou le plaisir, c'était là toute la morale de leurs actions, tout le sens de leurs préceptes; ils m'invitaient à faillir et m'exhortaient à savoir seulement professer les dehors de la vertu. Si, au lieu d'être le fils d'un paysan, tu eusses été duc et pair, mon pauvre Bénédict, ils m'auraient portée en triomphe!
– Sois-en sûre, et ne prends donc plus les menaces de leur sottise et leur méchanceté pour les reproches de ta conscience.
Lorsque onze heures sonnèrent au coucou de la ferme, Bénédict s'apprêta à quitter Valentine. Il avait réussi à la calmer, à l'enivrer d'espoir, à la faire sourire; mais au moment où il la pressa contre son cœur pour lui dire adieu, elle fut saisie d'une étrange terreur.
– Et si j'allais te perdre! lui dit-elle en pâlissant. Nous avons prévu tout, hormis cela! Avant que tout ce bonheur se réalise, tu peux mourir, Bénédict!
– Mourir! lui dit-il en la couvrant de baisers, est-ce qu'on meurt quand on s'aime ainsi?
Elle lui ouvrit doucement la porte du verger, et l'embrassa encore sur le seuil.
– Te souviens-tu, lui dit-il tout bas, que tu m'as donné ici ton premier baiser sur le front?..
– À demain! lui répondit-elle.
Elle avait à peine regagné sa chambre qu'un cri profond et terrible retentit dans le verger; ce fut le seul bruit; mais il fut horrible, et toute la maison l'entendit.
En approchant de la ferme, Pierre Blutty avait vu de la lumière dans la chambre de sa femme, qu'il ne savait pas être occupée par Valentine. Il avait vu passer distinctement deux ombres sur le rideau, celle d'un homme et celle d'une femme; plus de doutes pour lui. En vain Simonneau avait voulu le calmer; désespérant d'y parvenir et craignant d'être inculpé dans une affaire criminelle, il avait pris le parti de s'éloigner. Blutty avait vu la porte s'entr'ouvrir, un rayon de lumière qui s'en échappait lui avait fait reconnaître Bénédict; une femme venait derrière lui, il ne put voir son visage parce que Bénédict le lui cacha en l'embrassant; mais ce ne pouvait être qu'Athénaïs. Le malheureux jaloux dressa alors sa fourche de fer au moment où Bénédict, voulant franchir la clôture du verger, monta sur le mur en pierres sèches à l'endroit qui portait encore les traces de son passage de la veille; il s'élança pour sauter et se jeta sur l'arme aiguë; les deux pointes s'enfoncèrent bien avant dans sa poitrine, et il tomba baigné dans son sang.
À cette même place, deux ans auparavant, il avait soutenu Valentine dans ses bras la première fois qu'elle était venue furtivement à la ferme pour voir sa sœur.
Une rumeur affreuse s'éleva dans la maison à la vue de ce crime; Blutty s'enfuit et s'alla remettre à la discrétion du procureur du roi. Il lui raconta franchement l'affaire: l'homme était son rival, il avait été assassiné dans le jardin du meurtrier; celui-ci pouvait se défendre en assurant qu'il l'avait pris pour un voleur. Aux yeux de la loi il devait être acquitté; aux yeux du magistrat auquel il confiait avec franchise la passion qui l'avait fait agir et le remords qui le déchirait, il trouva grâce. Il fût résulté des débats un horrible scandale pour la famille Lhéry, la plus nombreuse et la plus estimée du département. Il n'y eut point de poursuites contre Pierre Blutty.
On apporta le cadavre dans la salle.
Valentine recueillit encore un sourire, une parole d'amour et un regard vers le ciel. Il mourut sur son sein.
Alors elle fut entraînée dans sa chambre par Lhéry, tandis que madame Lhéry emmenait de son côté Athénaïs évanouie.
Louise, pâle, froide, et conservant toute sa raison, toutes ses facultés pour souffrir, resta seule auprès du cadavre.
Au bout d'une heure Lhéry vint la rejoindre.
– Votre sœur est bien mal, lui dit le vieillard consterné. Vous devriez aller la secourir. Je remplirai, moi, le triste devoir de rester ici.
Louise ne répondit rien, et entra dans la chambre de Valentine.
Lhéry l'avait déposée sur son lit. Elle avait la face verdâtre, ses yeux rouges et ardents ne versaient pas de larmes. Ses mains étaient raidies. autour de son cou; une sorte de râle convulsif s'exhalait de sa poitrine.
Louise, pâle aussi, mais calme en apparence, prit un flambeau et se pencha vers sa sœur.
Quand ces deux femmes se regardèrent, il y eut entre elles comme un magnétisme horrible. Le visage de Louise exprimait un mépris féroce, une haine glaciale; celui de Valentine, contracté par la terreur, cherchait vainement à fuir ce terrible examen, cette vengeresse apparition.
– Ainsi, dit Louise en passant sa main furieuse dans les cheveux épars de Valentine, comme si elle eût voulu les arracher, c'est vous qui l'avez tué!
– Oui, c'est moi! moi! moi! bégaya Valentine hébétée.
– Cela devait arriver, dit Louise. Il l'a voulu; il s'est attaché à votre destinée, et vous l'ayez perdu! Eh bien! achevez votre tâche, prenez aussi ma vie; car ma vie, c'était la sienne, et moi je ne lui survivrai pas! Savez-vous quel double coup vous avez frappé? Non, vous ne vous flattiez pas d'avoir fait tant de mal! Eh bien! triomphez! Vous m'avez supplantée, vous m'avez rongé le cœur tous les jours de votre vie, et vous venez d'y enfoncer le couteau. C'est bien! Valentine, vous avez complété l'œuvre de votre race. Il était écrit que de votre famille sortiraient pour moi tous les maux. Vous avez été la fille de votre mère, la fille de votre père, qui savait, lui aussi, faire si bien couler le sang! C'est vous qui m'avez attirée dans ces lieux, que je ne devais jamais revoir, vous qui, comme un basilic, m'y avez fascinée et attachée afin d'y dévorer mes entrailles à votre aise. Ah! vous ne savez pas comme vous m'avez fait souffrir! Le succès a dû passer votre attente. Vous ne savez pas comme je l'aimais, cet homme qui est mort! mais vous lui aviez jeté un charme, et il ne voyait plus clair autour de lui. Oh! je l'aurais rendu heureux, moi! Je ne l'aurais pas torturé comme vous avez fait! Je lui aurais sacrifié une vaine gloire et d'orgueilleux principes. Je n'aurais pas fait de sa vie un supplice de tous les jours. Sa jeunesse, si belle et si suave, ne se serait pas flétrie sous mes caresses égoïstes! Je ne l'aurais pas condamné à dépérir rongé de chagrins et de privations. Ensuite je ne l'aurais pas attiré dans un piège pour le livrer à un assassin. Non! il serait aujourd'hui plein d'avenir et de vie, s'il eût voulu m'aimer! Soyez maudite, vous qui l'en avez empêché!
En proférant ces imprécations, la malheureuse Louise s'affaiblit, et finit par tomber mourante aux pieds de sa sœur.
Quand elle revint à la vie, elle ne se souvint plus de ce qu'elle avait dit. Elle soigna Valentine avec amour; elle l'accabla de caresses et de larmes. Mais elle ne put effacer l'affreuse impression que cette confession involontaire lui avait faite. Dans ses accès de fièvre, Valentine se jetait dans ses bras en lui demandant pardon avec toutes les terreurs de la démence.
Elle mourut huit jours après. La religion versa quelque baume sur ses derniers instants, et la tendresse de Louise adoucit ce rude passage de la terre au ciel.
Louise avait tant souffert, que ses facultés, rompues au joug de la douleur, trempées au feu des passions dévorantes, avaient acquis une force surnaturelle. Elle résista à ce coup affreux, et vécut pour son fils.
Pierre Blutty ne put jamais se consoler de sa méprise. Malgré la rudesse de son organisation, le remords et le chagrin le rongeaient secrètement. Il devint sombre, hargneux, irritable. Tout ce qui ressemblait à un reproche l'exaspérait, parce que le reproche s'élevait encore plus haut en lui-même. Il eut peu de relations avec sa famille durant l'année qui suivit son crime. Athénaïs faisait de vains efforts pour dissimuler l'effroi et l'éloignement qu'il lui inspirait. Madame Lhéry se cachait pour ne pas le voir, et Louise quittait la ferme les jours où il devait y venir. Il chercha dans le vin une consolation à ses ennuis, et parvint à s'étourdir en s'enivrant tous les jours. Un soir il s'alla jeter dans la rivière, que la clarté blanche de la lune lui fit prendre pour un chemin sablé. Les paysans remarquèrent, comme une juste punition du ciel, que sa mort arriva, jour pour jour, heure pour heure, un an après celle de Bénédict.
Plusieurs années après, on vit bien du changement dans le pays. Athénaïs, héritière de deux cent mille francs légués par son parrain le maître de forges, acheta le château de Raimbault et les terres qui l'environnaient. M. Lhéry, poussé par sa femme à cet acte de vanité, vendit ses propriétés, ou plutôt les troqua (les malins du pays disent avec perte) contre les autres terres de Raimbault. Les bons fermiers s'installèrent donc dans l'opulente demeure de leurs anciens seigneurs, et la jeune veuve put satisfaire enfin ces goûts de luxe qu'on lui avait inspirés dès l'enfance.
XXXIX
Louise, qui avait été achever à Paris l'éducation de son fils, fut invitée alors à venir se fixer auprès de ses fidèles amis. Valentin venait d'être reçu médecin. On l'engageait à se fixer dans le pays, où M. Faure, devenu trop vieux pour exercer, lui léguait avec empressement sa clientèle.
Louise et son fils revinrent donc, et trouvèrent chez cette honnête famille l'accueil le plus sincère et le plus tendre. Ce fut une triste consolation pour eux que d'habiter le pavillon. Pendant cette longue absence, le jeune Valentin était devenu un homme; sa beauté, son instruction, sa modestie, ses nobles qualités, lui gagnaient l'estime et l'affection des plus récalcitrants sur l'article de la naissance. Cependant il portait bien légitimement le nom de Raimbault. Madame Lhéry ne l'oubliait pas, et disait tout bas à son mari que c'était peu d'être propriétaire si l'on n'était seigneur; ce qui signifiait, en d'autres termes, qu'il ne manquait plus à leur fille que le nom de leurs anciens maîtres. M. Lhéry trouvait le jeune médecin bien jeune.
– Eh! disait la mère Lhéry, notre Athénaïs l'est bien aussi. Est-ce que nous ne sommes pas de la même âge, toi et moi? Est-ce que nous en avons été moins heureux pour ça?
Le père Lhéry était plus positif que sa femme; il disait que l'argent attire l'argent; que sa fille était un assez beau parti pour prétendre non-seulement à un noble, mais encore à un riche propriétaire. Il fallut céder, car l'ancienne inclination de madame Blutty se réveilla avec une intensité nouvelle en retrouvant son jeune écolier si grand et si perfectionné. Louise hésita; Valentin, partagé entre son amour et sa fierté, se laissa pourtant convaincre par les brûlants regards de la belle veuve. Athénaïs devint sa femme.
Elle ne put pas résister à la démangeaison de se faire annoncer dans les salons aristocratiques des environs sous le titre de comtesse de Raimbault. Les voisins en firent des gorges chaudes, les uns par mépris, les autres par envie. La vraie comtesse de Raimbault intenta à la nouvelle un procès pour ce fait; mais elle mourut, et personne ne songea plus à réclamer. Athénaïs était bonne, elle fut heureuse; son mari, doué de l'excellent caractère et de la haute raison de Valentine, l'a facilement dominée et corrigée doucement de beaucoup de ses travers. Ceux qui lui restent la rendent piquante et la font aimer comme le feraient des qualités, tant elle les reconnaît avec franchise.
La famille Lhéry est raillée dans le pays pour ses vanités et ses ridicules; cependant nul pauvre n'est rebuté à la porte du château, nul voisin n'y réclame vainement un service; on en rit par jalousie plutôt que par pitié. Si quelque ancien compagnon du vieux Lhéry lui adresse parfois une lourde épigramme sur son changement de fortune, Lhéry s'en console en voyant que la moindre avance de sa part est reçue avec orgueil et reconnaissance.
Louise se repose auprès de sa nouvelle famille de la triste carrière qu'elle a fournie. L'âge des passions a fui derrière elle; une teinte de mélancolie religieuse s'est répandue sur ses pensées de chaque jour. Sa plus grande joie est d'élever sa petite-fille blonde et blanche, qui perpétue le nom bien-aimé de Valentine, et qui rappelle à sa très-jeune grand'mère les premières années de cette sœur chérie. En passant devant le cimetière du village, le voyageur a vu souvent le bel enfant jouer aux pieds de Louise, et cueillir des primevères qui croissent sur la double tombe de Valentine et de Bénédict.