Kitabı oku: «Vingt années de Paris», sayfa 7
EUGENE VERMESCH
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En feuilletant chez l'éditeur Charavay, l'autre soir, un manuscrit posthume de ce condamné mort en exil, sa physionomie m'est réapparue dans le souvenir…
Lors de ma prime jeunesse, un beau matin, nous vîmes entrer, dans l'hôtel où je vivotais en compagnie de quelques étudiants, un garçon de vingt ans, blondasse, râpé, nez en quête, chapeau sur l'oreille, qui semblait un composé de Gringoire et de Panurge.
Le carabin qu'il venait voir nous le présenta:
– M. Eugène Vermesch, poète.
La maison, rue Vavin, maison aujourd'hui détruite, était précédée d'une cour plantée d'arbres, sous lesquels on dressait en ce moment la nappe de la table d'hôte. Invité à prendre sa part du déjeuner frugal, Vermesch, à la hâte, engloutit quelques bouchées, puis, c'était là sa préoccupation, tira de ses poches quelques feuillets imprimés fraîchement, et commença de nous jeter à la tête ses élucubrations.
Ce qu'il nous lut, c'était les Lettres à Mimi, une brochure qu'on a vue se faner parmi tant d'autres sous les galeries de l'Odéon, l'inévitable vagissement de la vingtième année en ce temps, une ritournelle ressassée en l'honneur de la grisette idéale, ce mythe évanoui.
La guitare d'Eugène en valait une autre du même genre, pas plus. Difficilement, sur cet échantillon, l'auteur eût obtenu le moindre brin du «vert laurier» dont Banville est dépositaire; mais il montrait un rêve si pareil au mien, de si bon cœur enfilait le chapelet des hémistiches, que tout d'abord il me fut sympathique, et qu'aujourd'hui encore, je me rappelle en souriant sa tête enthousiaste, renversée en arrière, laissant pendre les cheveux, ses longs yeux doux filtrant une lueur charmée, les trois fils d'or de sa moustache, et le geste de sa main, qu'il avait belle, envolé à la suite des rimes dans la brise qui, là haut, chantait à travers les arbres, et semait des fleurs d'acacia dans nos verres.
Ce qu'un autre, plus expérimenté dès lors, aurait pu lui reprocher, c'était un manque de personnalité, une assimilation trop flagrante; ses vers, pas mal faits d'ailleurs, sonnaient trop clairement l'écho des Béranger, des Musset, des Mürger. Pas de notes individuelles. Par là, il manquait au premier devoir de l'homme, et surtout de l'artiste, qui est de se montrer soi-même afin de rendre fidèlement à l'œuvre les virtuosités originales qu'il a reçues de la nature.
Mais tant d'autres ont réussi et sont honorés pour une pareille lâcheté de tempérament, que je ne saurais en faire un crime à Vermesch. D'ailleurs il en est mort. Oui, feu Vermesch est une victime du pastiche, et je le montrerai tout à l'heure.
Depuis son débarquement du pays, Lille en Flandre, il vivait rue de Seine, en une chambre d'hôtel qui l'abrita jusqu'à l'heure de la fuite, c'est-à-dire neuf années environ.
Partout, sur les meubles détraqués, sur le vieux divan, sur le carreau, des montagnes, des écroulements de livres et de brochures qu'il empilait sans cesse. La demeure en était encombrée; ce que Vermesch a lu de l'écriture des autres est incalculable. Il ne se plaisait qu'en ce fouillis d'imprimés ou aux discussions esthétiques. J'insiste sur sa fidélité au logis, parce qu'elle indique, à mon sens, un besoin de recueillement et d'intimité propre aux natures tendres et inoffensives.
C'est donc là, dans cet amas de bouquins amis, que Vermesch, les yeux humides, le nez au ciel, incessamment en proie au vœu littéraire, improvisait, déclamait, remâchait des vers et des morceaux de prose, inspirés toujours par l'admiration des maîtres qu'il ne cessait de lire.
Entre temps, il flânait à gauche ou à droite, sous l'Odéon ou sur les quais, bouquinant, poussant des reconnaissances dans les bureaux de rédaction du Hanneton ou d'autres feuilles de cette valeur, et y laissant gratis le «fruit de sa veine».
Pas d'autre souci. La médecine, qui lui avait servi de prétexte à gagner Paris, était depuis longtemps délaissée. Sa mère, veuve, lui servait une petite pension. Ses goûts étaient sobres. Je crois qu'il était heureux. Sa mère mourut.
Du mince héritage qui lui revint, – une quinzaine de mille francs, – il confia la presque totalité à son ami Victor Azam qui depuis… mais qu'importe? – à son éditeur et ami Victor Azam qui, lancé à la Bourse, devait amplement et rapidement faire fructifier le magot. On ignora toujours le détail des opérations triomphantes qui s'ensuivirent; ce qui est certain, c'est que Victor Azam ne rendit à son ami et collaborateur que les coquilles… des typographes de son imprimerie.
Alors ce fut la misère.
Je l'ai revu en ce temps, couvert d'un paletot de poils qui devint légendaire, coiffé d'un feutre avachi, courant les librairies, les bibliothèques, les journaux, sans plainte, mais amaigri, inquiet, affamé. C'était fini de rire à la Muse. Il fallait tirer le pain quotidien de ce qui n'avait été jusqu'alors qu'amusements et dilettantisme. Un reste de la vanité qu'avaient fait éclore les faciles applaudissements des camarades lui raidissait l'échine, le rendait peu sympathique aux marchands de copie.
Cependant il trouva quelques maigres débouchés, mit en œuvre ses procédés d'assimilation, travaillant beaucoup, mais obsédé toujours de la manie d'imitation qui avait daté ses débuts, ne trouvant rien de bien neuf, de saisissant, et, avec beaucoup d'érudition et conscience, perdant son encre.
Il ne faudrait point cependant dénier à Vermesch tout mérite littéraire. Ses Hommes du jour et ses Binettes rimées, deux volumes inspirés de Banville et Monselet (toujours le pastiche), montrent des qualités d'ironie et de finesse qui, en une autre époque, eussent suffi à la fortune d'un débutant.
J'ai rompu des lances et en romprai encore contre quiconque pour la défense des huitains, ballades et stances qui composent le Testament du sieur Vermesch. Malheureusement, l'idée du Testament est à Villon, et sa forme, à tout le monde un peu; c'est égal! je ne sais rien de plus tendre et de plus accompli que les strophes à Rachel, qui commencent ainsi:
Si de l'or flâne en mon gilet,
Qu'on le porte chez Rachel, fille
Qui reste seule, sans famille
Et loge près du Châtelet.
Elle est jolie et mal famée,
Elle a l'œil bleu, grand et moqueur.
Et c'est, des reines de mon cœur,
Celle que j'ai le mieux aimée.
De même pour l'ode héroïque qui ouvre et ferme le volume. Il y a incontestablement dans ces vers, en dehors de la facture, imitée de Hugo, un mouvement et un souffle, un lyrisme difficiles à rencontrer autre part, dans le prétentieux fatras des rapsodies modernes.
Vermesch avait de la nature, de la volonté, du travail, surtout de l'enthousiasme, une émotion sincère. Encouragé, sans doute il eût pris son vol plus audacieusement, plus librement dans l'art, se fût débarrassé des chaînes qui rivaient son effort à l'admiration servile du passé. Tout l'ont ignoré, dédaigné. L'amertume est venue: la destinée, obstinément, lui refusait place. Il a fallu, pour qu'on l'aperçût, – et à quelle lueur! – qu'il écrivît: le Père Duchêne!
Et dans quel but? Dans quelles circonstances? Mourant de faim, après le siège; pour, avec son flair de journaliste et son procédé coutumier d'adaptation, arracher un succès avec un morceau de pain à l'actualité, pour essayer d'un pastiche au goût du jour. Je vous dis que c'est le pastiche qui l'a perdu!
Vermesch, en ressuscitant le Père Duchêne, j'en suis certain, n'a pas, une seconde, prévu son importance folle et ses effroyables conséquences.
Il a voulu pasticher Hébert, comme il avait pastiché Villon, Rabelais, Hugo, Leconte de l'Isle, etc…
Est-ce à dire que je veuille l'absoudre? Non! Mais j'interviens centre les traditions exagérées qui transforment en épouvantes éternelles des aventures niaises, et du premier jobard mal inspiré font un spectre terrifiant et gigantesque.
Vermesch, indécis, chétif, timide et bayant aux étoiles, n'aurait pas tué une mouche, comme on dit.
Mettons plus souvent au jour vrai la physionomie réelle des réprouvés de la tradition. Cela, sans doute, ne diminuera pas le mal qu'il ont pu faire; mais, du moins, éteindrait-on cette auréole de damnés dont l'imagination les affuble, qui est une sorte de gloire aussi, et qui peut tenter les hallucinés de l'avenir.
Un mot de Vermesch pour finir et prouver son inconscience en tant que fauteur du Père Duchêne.
Aux premiers jours de juin, comme les massacres de la répression duraient encore, il était réfugié, rue du Four-Saint-Germain, dans une de ces admirables familles dont rien ne désempare la charité.
C'est là que je le vis.
Dans la rue, les soldats allaient et venaient; les vigilances de la répression se multipliaient.
Tout à coup, tranquillement, Vermesch parla d'une course à faire dans les environs, d'une visite, à deux cents pas, disait-il, l'affaire de dix minutes.
– L'affaire de la mort, malheureux! m'écriai-je. Tu seras fusillé en arrivant sous la porte!
Et il me répondit:
– De quel droit?
Il n'y avait qu'à hausser les épaules jusqu'au plafond et à se taire; c'est ce que je fis.
Il ne sortit pas du reste; on le fit évader; il alla s'engloutir dans le brouillard de Londres.
En 1871, il écrivait, parlant de ses regrets, de sa douleur d'expatrié: «Si cela dure, je mourrai.»
Cela a duré huit ans pour lui.
Et, l'année dernière, on l'a enterré dans un coin du sol anglais. Par un beau temps, les journaux l'ont dit. Pour un jour, le ciel de Londres était bleu. Il faisait du soleil comme en France.
LE NAIN. SOUVENIR DU PAVÉ LATIN
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Puisque Jean Richepin, mon excellent camarade et confrère, a nommé dernièrement dans ses articles Astezani, je veux, en souvenir de l'intérêt que nous inspira jadis cette ébauche macabre, essayer d'en évoquer la silhouette tordue et touchante.
Je l'ai peint d'ailleurs, autrefois, grattant sa mandoline, assis au milieu des fleurs, et j'ai conservé la toile; il est là devant moi, tandis que je noircis ce papier; il me regarde écrire.
Il doit être peu de Parisiens de ma génération, j'entends des Parisiens de la rive gauche, des amoureux de l'Odéon et du Luxembourg, de ce beau quartier paisible, parfumé, naïf, où mourut Michelet, où vieillit Sainte-Beuve, où Hugo fut jeune, où l'enthousiasme naît, où se repose la gloire; il doit être, dis-je, peu de mes contemporains qui n'aient, le soir, en ces dernières années, tressailli, sursauté même en apercevant tout à coup dans l'ombre, à hauteur des genoux, une sorte de gnome transparent, surmonté d'un chapeau de haut tuyau, semblable à un poêle en marche.
Barbu, bourru, couvert d'un manteau loqueteux, frappant le trottoir d'un bâton court, proportionné à sa taille, l'être, au moment même où l'on allait marcher sur lui, poussait un sourd grognement. Le passant, effaré, sautait de côté, et, dans l'espace resté libre, le nain passait avec un ton fanfaron.
C'était Astezani qui trottait au travail ou en revenait, selon qu'il était huit heures ou minuit. Son travail c'était la musique; le gonflement qu'il avait au côté droit sous son manteau, équilibrant sa bosse, était causé par une mandoline qu'il portait amoureusement serrée à son flanc difforme; une antique et jolie mandoline florentine, au manche arrondi en volute, fanée, recuite, couleur de vieille orange.
Il arrivait des profondeurs de la banlieue, rêveur, grommelant, grincheux, livrant, du bout de sa canne, des combats aux chiens indiscrets qui le venaient flairer, gagnait le boulevard Michel et se haussait aux vitres des cafés.
Quand il réussissait à atteindre le bouton de la porte, il entrait.
Astezani était connu. Sitôt qu'il paraissait, les filles de service l'installaient sur un siège.
Lui, impassible, avec un feu de mépris dans l'œil, se laissait faire; on le hissait, on le calait.
Et alors, après quelques minutes pendant lesquelles il s'efforçait de s'isoler, le bout d'homme commençait de gratter son jambon.
Le silence aussitôt s'établissait profond, respectueux.
Je m'intéressai à ce monstre de génie; je le suivis, le fis parler, le fis poser; il était exigeant et demandait, pour poser, cinquante sous de l'heure.
J'appris qu'il était propriétaire, à la Butte-aux-Cailles, d'une masure qui lui rapportait cinquante sous par semaine.
Je voulus le diminuer, le réduire au prix habituel des modèles.
Il se fâcha et ne revint plus.
J'allai le chercher; il était mort; je vis sa veuve, car il avait femme et enfants. La femme était aveugle.
LA CHARGE DE M. THIERS
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Je l'écris pour l'ahurissement des provinciaux: je n'ai jamais vu M. Thiers. Je l'ai, à ma façon, dessiné cinq cents fois peut-être; je ne l'ai jamais vu.
Cela tient probablement à ce qu'il en est de mon humble individu comme de la plupart des Parisiens qui, peu soucieux de leurs monuments, laissent volontiers s'écouler la vie sans s'inquiéter de savoir si l'obélisque a une porte et sans gargariser d'ascensions exténuées la colonne.
Je n'ai pas enjambé le petit Thiers. Cet aveu fait, je n'ai plus qu'à exaspérer les peintres fanatiques de la copie méticuleuse du modèle, en déclarant qu'il me semble avoir mieux fait pour dessiner Thiers de ne le pas voir, et que, par ce moyen, j'ai mieux tenu compte de la légende et servi au public une silhouette plus conforme à ses idées préconçues.
J'ai eu l'honneur d'obtenir un soir, à dîner, l'approbation du grand Hugo pour cette parole.
On a le droit d'être laid jusqu'à trente ans; plus tard, la laideur est haïssable, car elle ne vient plus de la nature, mais du caractère. Thiers n'était pas absolument laid, mais petit, grincheux et bourgeois.
C'est la bourgeoisie qui lui doit des statues; le peuple ne lui doit rien; au reste, il a eu soin de donner la mesure de sa tendresse pour le peuple à Transnonain et en mai 71.
Le Mirabeau-mouche, l'élève de Talleyrand, Pickochole, disait Castille, Foutriquet, disait le maréchal Soult, sans foi politique, ajoutait Cormenin, mais avide de pouvoir, non pour le bien qu'il peut faire, mais pour celui qu'il procure, le trafiquant, avec Simon Deatz, de la duchesse de Berry, M. Thiers a bu largement et peut-être immodérément à la coupe d'une popularité qui faisait fausse route.
J'ai la satisfaction d'avoir, au cours de mon œuvre modeste, osé parfois dépailleter sa robe de prophète et montrer l'étincelle méchante qui crépitait au fond de ses lunettes. Le faux-col de Prudhomme se hausse de lui-même aux oreilles et à la mâchoire de ce partisan du pape, de cet ennemi de Proudhon et des chemins de fer. Le pli de sa lèvre serrée a le tranchant du sabre.
Est-ce à dire que la mémoire de M. Thiers usurpe la grande place que lui a concédée l'histoire? Non; mais j'ai trouvé un peu vaste pour lui le manteau que lui a taillé le peintre Vibert dans le drapeau tout entier de la France. Il eût suffi du moindre lambeau du haillon sublime qui couvre l'Humanité.
LETTRE DE POPULOT
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A SON COUSIN BIBI
endant que ces muffes-là digèrent ou tripotent des machines de Bourse en disant qu'il n'y a pas de question sociale, pour n'avoir pas à s'en occuper, je te vas l'expliquer en deux temps, moi, la question sociale, mon vieux Bibi.
Tu vas voir qu'y a pas besoin de grands mots ni de grandes phrases, ni de se f… des torticolis, ni d'avaler tant de verres d'eau sucrée pour dire une bonne fois ce qui tombe sous le bon sens du premier venu.
Quand t'es venu au monde, est-ce que t'as demandé à faire partie de la société? Non, pas vrai? Une fois sevré, t'avais devant toi tes quatre pattes pour en faire ce que tu pourrais. Si t'avais été d'âge à choisir, t'aurais peut-être préféré la vie sauvage, les bois, les fleuves, le grand vent, la chasse, la pêche, et un coin de terre à toi, car la terre a de quoi donner un coin à chacun de ses enfants.
Mais pas du tout. On t'a pigé au débuché du ventre de ta mère, inscrit, catalogué. Ton couillon de père et ta pauvre dinde de mère n'ont pas pipé.
Ça y était: t'étais de la société. C'est-à-dire que t'étais engagé, forcé d'aller te faire casser la gueule à vingt ans, sans savoir pourquoi, que tu seras forcé de payer des impôts à jet continu jusqu'au trou.
Pour t'imposer ces devoirs-là, quand t'as pas encore les yeux ouverts, qu'est-ce qu'elle te fourre en retour, la société?
Rien du tout. Débrouille-toi et casque! Ah! si t'es le fils d'un proprio, chouette! ça va bien; t'as qu'à te laisser aller: tu peux être crétin de naissance, te croiser les pattes, biturer le Cliquot, te boucher la gueule avec des truffes et te ramollir la colonne avec les filles. C'est ton droit; t'as le sac; ton père te l'a laissé, qui l'avait peut-être bien hérité aussi. Y a comme ça des bandes de fainéants qui se pondent les uns les autres pendant des siècles, et qui n'ont pas autre chose à faire que de s'empiffrer du sac qu'a volé le premier de la bande.
Car il y a ça d'esbrouffant, qu'on te fait avaler comme un miel, depuis le commencement des commencements, que les morts, avant de crever, ont le droit de disposer à tort et à travers de l'argent qui devrait être uniquement aux vivants, pour faciliter leurs transactions et leurs relations; en sorte que le capital, qui devrait être mobilisé perpétuellement, s'endort dans les mains des fainéants, des égoïstes, des ventrus. Comme si l'homme, après sa crevaison, avait droit à autre chose que de pourrir avec tous les autres atomes abolis de l'humanité. Comme si tout le monde, en ce monde, ne devait pas travailler pour soi, puis, en quittant le jeu, rendre tout à la masse, pour aider le jeu des nouveaux!
Comme si l'on avait droit, parce qu'on s'est enrichi dans sa vie, de modifier, quand on n'est plus rien sur terre, la destinée des vivants: sous prétexte qu'on a un faible pour ceux qui vous sortent de la cuisse, – ce qui n'est jamais bien sûr. Qu'on jouisse en sa vie de ce qu'on a su acquérir, rien de plus juste; mais encore après sa mort, c'est monstrueux.
C'est pourtant comme cela; et il se passera des siècles encore, sans qu'on ose toucher à l'hérédité qu'est le plus noir des crimes de lèse-humanité.
Oui! voyons: deux enfants qui naissent, l'un au premier, l'autre au grenier, ont-ils même droit devant la nature et la vie?
Autre chose que la somme et la qualité de leurs facultés et de leurs vertus doit-il les distinguer dans la suite?
Le fils du galérien vient au monde aussi fier que le fils de l'empereur; peut-être, est-il mieux doué pour l'utilité publique.
Il n'aura cependant que la honte, la misère, l'éternelle suspicion; s'il est orphelin, la prison qui avilit, jusqu'à la majorité!
Puis une balle de fusil dans quelque champ de bataille ou le cabanon des maudits.
L'autre, cependant, nagera dans le bien-être, se vautrera dans les jouissances de toute sorte et se croira d'essence supérieure parce qu'il aura reçu le jour et l'héritage d'un cochon gras.
Crève, enfant du pauvre; tu avais peut-être l'âme de Jésus, le génie de Hugo. Tant pis! Crève!
POPULOT.
L'OUVRIER BOULANGER
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uand Paris dort, quand, sur le pavé des rues mouillées où se mire la lune, on n'entend plus que le pas cadencé des sergents de ville; quand toutes fenêtres sont closes et qu'à peine on voit encore étinceler d'ici, de là, dans les hauteurs des mansardes, la lampe obstinée d'un studieux ou d'une ouvrière qui veille, avez-vous entendu quelquefois, dans la nuit, jaillir du sol comme un râle puissant et rhythmique?
Alors, sans doute, le cœur serré d'angoisse, ignorant la nature de ce bruit, vous avez marché, guidé par le son; vous êtes arrivé près d'un soupirail ardent, ouvert à fleur du trottoir, et, plongeant le regard dans la cave flamboyante et grise de poussière, vous y avez vu, comme une vision d'enfer, des hommes demi-nus, rouges du feu des fours, se courbant, se tordant avec le vent de la nuit sur l'échine, soulevant entre leurs bras nerveux une pâte épaisse et pesante, puis la rejetant au pétrin avec le Han! d'angoisse arraché par l'effort.
Ces hommes sont les geindres. Ils pétrissent le pain.
Le geindre n'est pas seul. Il est aidé par le mitron: l'un pétrit, l'autre enfourne et pèse. Ils commencent ensemble, à sept heures du soir, et finissent à trois heures du matin. Ensemble aussi, la farine en poussière les étouffe; la nécessité d'être debout incessamment les afflige de varices. Il n'est point rare de voir les jambes du geindre trouées de crevasses. En général, il meurt jeune et poussif.
A ce prix il conquiert, pendant sa courte existence, une maigre part de ce pain tant gaspillé par les uns, tant convoité par les autres, qu'il boulange en râlant pour le monde, et qu'il remonte, après la besogne finie, dévorer dans son taudis, plus pâle que la cendre du four éteint.