Kitabı oku: «Le Ciel De Nadira»

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Giovanni Mongiovì
LE CIEL DE NADIRA
Regnum

En couverture: les yeux de Luana (avec son aimable permission) ; bouclier normand, Athènes, Musée de la Guerre.

giovannimongiovi.com

Copyright © 2019 – Giovanni Mongiovì

Copyright © 2020 – Loretta Barbarossa (traductrice)

Il n’est pas nécessaire que j’écrive l'indescriptible, que j’ose la description de l' immensément parfait, la conscience à laquelle je m'élève est déjà de la poésie, la plus haute et propre , écrite par des mains intangibles , conçue par d’excellents esprits, inspirée
par un cœur incommensurable ; mon amour, nous nous sommes re-trouvés dans l'art de Dieu :
" qu’un être en aime un autre d’amour de plus en plus
indissoluble”
Que je t'aime plus chaque jour …
A Valentina et Tommaso….lustru dê me òcchii…

Avant-propos

Même les milles fleuves qui se jetteront en mer ne porteront jamais le nom des eaux dans lesquelles ils aboutissent, pour la simple raison que la mer ne peut être la raison d’un fleuve. De la même manière, le principe ne peut décalquer la définition du but, ni en dépasser son importance. Que l’on regarde la source d’un fleuve sur les hautes falaises d’où il se lève, qu’on en goûte ses eaux, et sur cette base qu’on lui attribue un nom.

Ce n’est pas l’action qui fait l’homme, ce n’est pas la main qui accompli l’acte, mais le cœur, là d’où s’élève le motif, la raison de tout. L’essence du péché originel ne fut pas le fruit cueilli mais tout ce qui déplaça ce geste .

C’est ainsi que la cupidité peut se cacher dans toute chose, dans la chair succulente, dans la rougeur du vin, dans les formes d’une jeune fille… où de cette façon, au moins, elle justifie celui qui cède. La vérité est qu’elle se cache exclusivement dans les yeux et dans le cœur de celui qui sent ce feu qui consume, cette flamme dévorante qu’est la concupiscence.

Parmi les illustres de ces peuples de l’antique lignée grecque, une histoire était racontée, une de ces histoires qui ont résisté au baptême du christianisme et à l’épée de l’Islam. Penthésilée, une puissante amazone, fut appelée à se battre pour la défense des chevaux de Troie. C’était une très belle femme et comme cela arrive souvent dans les mythes grecs, les déesses l’enviaient. Pour cette raison, Aphrodite voulu la punir par la plus terrible des peines : tout homme qui l’aurait vue aurait éprouvé un désir si irrésistible de la posséder qu’il aurait sans aucun doute tenté de la violer. Penthésilée se cacha sous son armature autant qu’elle pu, sauf que durant une bataille, Achille la tua et la dépouilla de ses armes. A ce moment seulement, il fut évident que la peine de Penthésilée dépassait même la mort… Achille ne pu lui résister…

Au delà de ce mythe, peut-il vraiment exister quelque chose de si extraordinairement irrésistible et maudit qu’il secoue irrémédiablement le désir de celui qui regarde ? Une beauté d’une telle puissance capable de faire émerger la malice des cœurs, mais ambivalente au point de faire ressortir les nobles vertus dans l’âme des méritants.

L’histoire suivante est la première… parmi tant d’autres histoires, d’hommes et femmes et du sang qui lie chacun d’eux à leur passé et au futur à venir. C’est l’histoire de cette terre, de ses peuples, de ses guerres, de ses vices et de ses qualités dormantes

Toutefois l’histoire qui suit est vraiment la première histoire et en tant que telle est l’originale… en tant qu’originale elle ne peut que parler de ce même désir qui porta, en principe, l’homme à son premier péché.

PARTIE 1 – L’ÉTRANGER LIÉ AU POTEAU

Chapitre 1

Hiver 1060 (452 de l’hégire), Rabaḍ di Qasr Yanna

Là, dans cette vallée où les norias1 ne cessent de tourner… là où le mont Qasr Yanna pose ses racines… là sur cette plaine où se trouve le Ra-baḍ2

La vallée aux pieds de l’antique Enna se perdait vers l’orient ; des siècles d’engagement arabe l’avaient rendue plus fertile qu’elle n’aurait pu l’être. En regardant vers l’ouest, Qasr Yanna3, le nombril de la Sicile se profilait au dessus du mont. Vers l’est, en bas du plateau, le regard se perdait sur des dizaines de collines, bois, prairies, pâturages et torrents….

Mais aussi sur les hautes roues hydrauliques, capables de soulever l’eau de la vallée… et des canaux creusés pour la transporter vers les potagers. Le village avait peu de maisons, peut-être une trentaine, et seulement une petite mosquée, comme pour témoigner combien le lieu avait peu d’im-portance.

Midi était à peine passé et au travers d’un terrain destiné à la culture des potirons, deux hommes traînaient par les aisselles un jeune homme d’environ trente ans.

Il pointait ses pieds nus au sol, tellement il avait peur de la capture, il semblait vouloir creuser les sillons généralement fait par une charrue. Il tenait le regard baissé, et ne montrait que sa tête et ses cheveux courts à ceux qui l’observaient. C’était l’hiver et maintenant ses chevilles s’enfonçaient dans la boue froide que la pluie du matin avait formée.

Le jeune homme portait un pantalon et une tunique déchirée. Les autres avaient des habits très différents : colorés et d’une coupe large. Un des deux avait une espèce de turban et ils portaient tous les deux une barbe et des cheveux longs.

Quand ils arrivèrent avec le misérable prisonnier dans les rues du Ra-baḍ, tous les curieux se rassemblèrent. Au village, tout le monde se connaissait et connaissait les habitants de la dernière maison au fond de la rue avant les potagers, la maison des chrétiens, les seuls du Rabaḍ.

On travaillait avec entrain dans toute la région pour rendre le terrain toujours plus adapté à la vie ; l’aire entière était vouée à l’agriculture, les familles se formaient dans des villages qui se propageaient parmi les collines. Il n’existait ni noble ni guerrier, mais seulement des paysans qui travaillaient pour eux mêmes et pour le collecteur d’impôts du Qā’id4 de Qasr Yanna.

La maison de ce dernier se trouvait à l’opposé de la maison des chrétiens, sur le point le plus élevé. Une large cour interne partiellement clôturée apparaissait devant la grande maison, c’est de là que les trois arrivèrent après avoir parcouru les petites rues en labyrinthe et les typiques cours des centres arabes. Ils lièrent le jeune malmené exactement au centre de l’endroit où l’on montait le marché, ils le lièrent aux mains et celles-ci au poteau. Ils tirèrent ensuite la corde vers le haut, en la bloquant à une bifurcation naturelle du bois dans la poutre située sur la tête du condamné pour qu’il ne puisse ni s’asseoir et ni se plier.

Maintenant un homme du Qā'id entra en scène, un type trop jeune pour le rôle qu’il recouvrait, appelé Umar. Un homme d’un bel aspect : d’origine berbère, d’une peau d’une couleur à peine olive, avec de beaux yeux profonds et noirs, et un nez droit bien proportionné. Sa barbe cachait son âge et le faisait ressembler à son père, Fuad, lui aussi collecteur d’impôts du Qā'id, disparu depuis presque deux ans.

En sortant du bureau des taxes, situé sur le côté de la maison, Umar tira par les cheveux la tête du prisonnier et l’obligea à le regarder dans les yeux. Vu les ecchymoses que cet homme portaient sur le visage, il semblait évident que les deux hommes l’avaient malmené à cœur joie.

Donc, ils furent tête à tête et rien ne séparait ces fiers yeux noirs qui fixaient les yeux encore plus fiers mais verts du prisonnier.

“ Ainsi tu as cru pouvoir m’insulter et t’en tirer comme ça… ” dit Umar.

Mais celui-ci ne répondit pas ; non pas parce qu’il ne comprenait pas l’arabe, mais parce que n’importe quelle parole aurait été inutile.

“ Ça ne vaut pas la peine de perdre du temps. ” ajouta le collecteur d’impôt.

Puis il fit un signe de la tête à un des deux qui l’avait ramené lié, et ce-lui-ci, en lui arrachant la tunique, le fouetta à l’aide une corde mouillée.

Les habitants du village regardaient, et personne n’avait le courage de mettre pieds outre la clôture de la cour. Ni les gémissements avortés, ni les saignements qui apparaissaient sur le dos de cet homme ne les impressionnèrent.

Chacun commentait avec son voisin qu’une telle chose n’était jamais arrivée au Rabaḍ.

La famille de celui-ci se cachait parmi la foule, en ayant le bon sens et la pudeur de ne pas parler. Les seuls absents étaient ceux de la maison du collecteur d’impôts, sa mère, sa femme et sa sœur, elles préféraient ne pas se mêler aux affaires du chef de famille.

Quand ensuite la personne chargée de cette torture termina son service et laissa à lui même le jeune homme lié au poteau, la foule retourna à ses mentions. Ils le laissèrent là, à la merci du froid, de la soirée et du gel de la nuit.

Ce n’est que vers minuit que quelqu’un eut la pitié et la permission de lui donner une couverture. Les hommes de Umar le lui permirent, en com-prenant que passer la nuit à la rigueur du plein hiver parmi les monts de Qasr Yanna aurait été trop pour n’importe qui.

De nombreuses personnes virent ce jeune homme trembler et sauter pour rester en mouvement durant une grande partie de la nuit. Puis, au matin, quand il montèrent le marché tout autour de la cour, ils le virent s’endormir pendu par les poignets ; il semblait un sac noué à un tronc d’arbre. Quelqu’un le cru même mort et alla jusqu’à s’en assurer en lui flanquant une gifle.

L’après-midi arriva de nouveau ; maintenant le condamné ne mangeait ni ne buvait depuis un jour entier. Un troupeau de chèvres stationnait dans la cour, en bêlant et en mordant des brins d’herbe. Ce chant d’animaux de pâturage calma l’homme lié au pilori qui croyait ses genoux brisés et ses poux détachés… Puis, à un certain moment, il avertit une sorte de présence et rouvrit les yeux ; en effet quelqu’un était en train de l’observer depuis un moment. A trois pas de distances une jeune fille aux yeux ébahis le fixait. De très beaux yeux, aux traits merveilleux, jamais vu par la majorité des personnes, mais que le condamné et tous les autres du Rabaḍ connaissaient. Des yeux bleus d’un turquoise si intense à s’y perdre sans retour ; une étrange couleur qui vers l’extérieur de l’iris avait des nuances d’un bleu foncé comme la profondeur de la mer. Des yeux capables de provoquer la confusion de l’esprit et la damnation des cœurs.

La jeune fille portait un habit vert avec des décorations jaunes et bleues de formes typiques des gens de l’Afrique du Nord, elle tenait étroitement sur le visage un voile qui cachait ses traits. L’aspect physique du caractère exotique, si différent de ceux des indigènes de l’île, constituait la base pour l’œuvre incommensurable de ses yeux qui apparaissaient de manière atypique. Une boucle rebelle s’échappait de la constriction du voile rouge et révélait la tonalité brune de ses cheveux.

Quand le prisonnier la vit, il baissa de nouveau le regard et donc, en la regardant à nouveau peu après, il récita lentement :

“ Connais-tu, oh mon Dieu, le ciel de Nadira, les frontières de ses yeux ? ”

Elle le regarda perdue et demanda : ” Comment connais-tu ces paroles ? ” Depuis que Qā'id a visité ces lieux, les vers de cette poésie se sont diffusés dans tout le village et même outre. ” Donc, en la fixant d’un regard troublé, il la supplia :

“ Détache-moi, Nadira, ma Dame, je t’en prie ! ”

Mais elle semblait impassible, perdue par cette demande qu’elle ne par-venait pas à accueillir.

“ Je ne connais pas les frontières de tes yeux, Nadira… mais je peux t’en expliquer les origines si tu le désires… Cependant, donnes-moi au moins un peu d’eau… ”

A cela Nadira rentra chez elle sans se retourner et sans donner d’importance à cette requête ; le cliquetis des bracelets de ses chevilles résonnait dans toute la cour pendant qu’elle courrait vers l’entrée, toute refroidie à cause de l’habillement trop léger et inadapté pour l’extérieur.

L’eau n’arriva jamais au condamné, mais dès que Nadira arriva chez elle et vit Umar, son frère, qui comptait son argent sur une table, elle lui demanda :

“ Qu’a fait ce chrétien pour que tu lui réserves un tel traitement ? ” Maintenant elle ne se couvrait plus le visage et on voyait clairement comment ses lèvres charnues et son nez parfait contournaient harmonieusement ses yeux.

“ Qui ? ”

“ L’homme lié au poteau là dehors ”

“ Sa famille a refusé de payer la jizya5. ”

Donc Umar retourna compter son argent sur la même table, croyant l’avoir liquidée par une seule phrase.

“ Il va congeler ! Cela fait déjà deux jours qu’il est là lié à ce poteau. ” ” Depuis quand le sort des infidèles te préoccupe t’il ? ”

“ Ce matin j’ai vu tes enfants jouer autour de cet homme. Tu aurais dû voir comment la petite le regardait ! ”

“ Je le délierais, sois tranquille mais une autre nuit fraîche ne lui fera pas de mal. ”

“ Mais enfin, Umar, cette nuit il pourrait geler plus qu’hier. ”

“ Nous lui donnerons une autre couverture. Tu as bien vu que je n’ai pas empêché ta sœur de l’aider ? ”

“ Umar le magnanime ” ! Que penses-tu de ce nom ? ” fit-elle sarcastiquement.

A cela il soupira et d’un geste de colère donna un coup de bras à la pile de dirham6 en argent gagné par les taxes et le commerce.

“ Et je devrais me faire insulter par ces personnes ? ” lui demanda t-il, en élevant légèrement la voix.

“ Tu as dit qu’ils ont refusé de payer ; sais-tu s’ils ont pu ? Cette famille est la plus pauvre du Rabaḍ tout entier.

Rappelle-toi comment notre père nous faisait perdre une taxe ou un hommage pour ne pas opprimer les pauvres. ”

“ Les dhimmi7 avaient toujours payé, même avec notre père. ”

“ Encore mieux ! Si tous les protégés ont toujours payés, qu’est-ce qu’une seule fois pourrait faire ? ”

“ Un tel Corrado, le rouge, quand son père s’est présenté sans avoir sur soi la taxe pour la protection des infidèles croyant en Dieu, s’est avancé et en me regardant dans les yeux avec un air de défi, m’a dit :

“ Nous travaillons pour votre famille depuis vingt ans… la jizya, nous vous la donnerons quand nous l’aurons, autrement, contentes-toi du simple fait que nous travaillons pour toi. ”

Puis il s’en est allé dans ses potagers comme si de rien n’était. Com-ment aurais-je dû le traiter ?

“ Mais cela après avoir frappé son père sur la joue ! ” se mêla Jala, leur mère, qui, ayant entendu les tons depuis l’autre pièce, ne voulait pas que la discussion entre frère et sœur ne dégénère.

Nadira ressemblait beaucoup à Jala, à l’exception de ses insolites yeux bleus et de sa peau d’une nuance plus claire. En plus, Nadira était bien plus grande que Jala, qui aimait dire avec orgueil que sa fille était un pal – mier de femme par le fait de sa stature et de son physique longiligne.

Donc, Umar se releva et, en entendant les accusations, répondit :

“ Mère, tu ne peux comprendre ces questions ! Comment peut-on déter-miner si quelqu’un ne peut pas ou ne veut pas payer ? La punition sert à faire désister les menteurs ”

“ Nos gens ont toujours été une communauté unie, loin des intrigues, des jalousies entre races et religions différentes… et même des guerres. La maison des chrétiens au fond de la rue, est la seule du Rabaḍ. Elle a toujours été traitée dignement. A ce sujet, ton père savait ce qui était juste. C’est peut-être toi qui a raison….. mais pas au Rabaḍ de Qasr Yanna ; ici, nous nous sommes toujours aidés réciproquement. Hier les gens regardaient stupéfaits la manière dont tu as traité ce garçon. Notre métier est de par lui même déjà un métier détesté… il est juste que tu sois respecté, mais pas qu’ils aient peur de toi. ”

“ Qā'id demandera des comptes à son ‘āmil8 si les caisses sont vides. Et puis, depuis quand est-ce un crime de frapper un infidèle ? Nous leur avons permis de rester assis en présence d’un frère, nous leur avons per-mis de seller le mulet, nous avons permis à leurs femmes d’utiliser les bains en même temps que les nôtres… alors qu’ailleurs tout cela n’arrive pas. D’ailleurs, ils pourraient nous demander d’en rendre compte.

“En attendant, Nadira s’était réfugiée dans le lieux où elle allait étant enfant, sous la fronde d’un gros mûrier situé dans la propriété de la mai-son. Elle ne comprenait pas pourquoi une chose si importante devait lui arriver. Elle ne se sentait pas à la hauteur, elle pensait n’avoir rien fait pour mériter les attentions du Qā’id et une proposition de cette portée. Elle pleurait et tremblait…. donc elle appuya le dos contre le tronc et, les yeux fermés, elle se rappela la raison des évènements d’aujourd’hui. Mais ce chrétien que tu as fouetté a pris l’épée quand les soldats de Jirjis Maniakis pillèrent le village, et pourtant les dhimmi sont exemptés de guerre et ne peuvent porter d’armes. ”

“ Alors saches que je pense que cette réalité est erronée et ma tâche sera de rétablir l’ordre des choses. Qu’ils se soumettent à l’Islam eux aussi comme ont fait tant de chrétiens qui habitaient cette terre s’ils ne veulent pas être traités de manière différente.

Donc, maintenant Nadira répondit :

“ Et toutes ces choses depuis quand les penses-tu ? Depuis quand es-tu devenu le beau-frère du Qā'id ? ”

“ Et toi, fillette, depuis quand as-tu appris à répondre à ton walī9, protecteur et garant ? Depuis que le Qā'id a posé son regard sur toi et que tu lui as été promise comme future épouse ? Et si je lui racontais que tu as pris le temps de parler avec un chrétien lié au poteau. ”

“ Mon seigneur Ali aurait eu compassion de cet homme. ”

“ Bien, qu’il vienne me réprimander quand je le lui raconterai… avant qu’il ne t’ai détaché la langue pour de telles confidences avec des étrangers. ”

Nadira donc s’en alla déçue et fâchée, courant se réfugier dans sa chambre. Au passage de la jeune fille, les domestiques, curieux, disparurent rapidement. Ensuite, se jetant sur son lit, elle embrassa les nombreux coussins qui le recouvraient et se mit à pleurer.

“ Nadira, mon enfant. ” l’appela Jala.

Elle souleva la tête, désormais avec ses volumineux cheveux bouclés découverts, et écouta.

“ Nadira, mon enfant, cela peut être cruel de se rendre compte que tu appartiendras à quelqu’un que tu ne connais pas assez ; tu n’as que dix-neuf ans…. c’est déjà beaucoup, mais tu es encore inexpert en tout ! ”

“ Pourrait-il vraiment me détacher la langue ? ”

“ Laisse tomber ton frère. Cependant qu’une chose soit bien claire : ja-mais au grand jamais je ne veux te voir parler avec cet homme ! ”

“ Je ne lui ai pas parlé ! C’est lui qui m’a demandé de l’eau. ”

“ Et que t’a t-il dit d’autre ? ”

“ Rien ! ”

“ Bien, car il faut que tu saches qu’il s’agit d’un homme dangereux, de la pire espèce, Nadira. Et ton frère a raison de vouloir te punir. »

“ Il y a peu tu as dit le contraire… ”

“ J’ai dit à Umar comment son père se serait comporté… à toi je dis ce que je pense. Maintenant va voir si ta belle sœur a besoin d’aide ; c’est pour cela que tu n’es pas encore la femme du Qā'id… pour l’assister durant sa grossesse. ”

C’est ainsi que passaient les heures de ce second jour d’hiver de 1060 – le 452 selon l’hégire10 – où Corrado le chrétien avait été lié et humilié comme un bête têtue

Chapitre 2

Automne 1060 ( 452 de l’hégire ), Rabaḍ de Qasr Yanna

C’était encore le début du mois d’octobre, mieux encore quelques mois avant que Umar ne se venge de l’insolence de son fils envers les chrétiens en le liant au poteau de la cour, et que Nadira ne dispute avec son frère.

Sous le soleil de l’après midi, Khalid, un jeune garçon de douze ans très proche de Umar, un petit pasteur à qui le collecteur d’impôts confiait ses troupeaux personnels, venait rapidement vers le village. Très vite, il arriva devant la maison de Umar, en courant si rapidement qu’il semblait une foulée de vent de novembre. Donc, il était tellement essoufflé qu’il dû s’appuyer sur ses genoux et sur sa houlette, il s’écria :

“ Umar ! ”

De là à peu certains domestiques sortirent, vu l’horaire ils étaient occupés dans l’habitation. Une fois prévenu, le maître de maison sorti sur la porte sans dessus dessous, vu qu’il était évident qu’il était en train de dormir bercé par la tiède torpeur du début de l’automne.

“ Que veux-tu ? Qui hurle à cette heure-ci ? Je dormais avec mes enfants… et maintenant tu nous as tous réveillés ! ”

“ Umar, pardonnes-moi ! Les chèvres… ” et il s’interrompit pour re-prendre son souffle.

“ Qu’est-il arrivé à mes chèvres ? On te les a volées ? ” demanda l’autre inquiet.

“ Non, je les ai mises dans l’enclos. ”

“ Et tu les as certainement laissées sans surveillance. ”

“ J’aurais voulu envoyer une chèvre fartasa11, toutefois tu n’aurais quand même pas compris ses bêlements. ”

Khalid rit ; il était évident qu’il était en train de narguer son patron.

Umar le pris par l’oreille et le poussa au sol par un coup de pieds bien visé sur les fesses.

“ Dis-moi quelque chose d’important ou autrement c’est toi que je mettrai dans l’enclos ! ”

Et lui, en se relevant :

“ Le Qā'id, Monsieur… le Qā'id vient vers le Rabaḍt et te cherche. ”

“ Ali ibn12 al-Hawwās vient chez moi ? ” demanda surpris Umar, en ajustant d’une main ses cheveux comme si le seigneur de Gergent13 et de Qasr Yanna était déjà à ses côtés.

“ Il est accompagné par ses fidèles et il m’a demandé de t’informer qu’il vient avec de bons propos. ”

Umar s’efforça de bien voir et aperçut la caravane qui descendait par les courbes tortueuses du mont de Qasr Yanna.

“ Retourne à tes chèvres ! ” ordonna t-il au jeune garçon avant de rentrer en vitesse chez lui.

Une grande confusion se déchaîna dans la maison, et avec ferveur on essaya de rendre chaque chose digne de la visite du Qā'id. Dans le village également un vacarme se déchaîna : les femmes se ruèrent à l’entrée du Rabaḍ et certains hommes, ayant été prévenus, rentrèrent des potagers les plus proches.

Michele et Apollonia, frère et sœur de Corrado, s’approchèrent pour observer la scène avec curiosité. Ils auraient rendu hommage au Qā'id tout comme les autres ; celui qui les commandait importait peu, il s’agissait dans tous les cas de leur seigneur. D’ailleurs si Michele ne portait pas ces espèces de loques et les cheveux rasés, signes imposés par son statut de chrétien, personne n’aurait pu reconnaître qu’ils étaient des non-croyants de la parole du Prophète. En plus entre Apollonia et les femmes sarrasins14 du village il n’y avait aucune différence, à l’exception des traits plus continentaux de son visage. D’autre part, autrefois, Rabaḍ avait été colonisé exclusivement par des berbères. Toutefois, ailleurs, des islamiques à l’aspect plus européen – car d’origine différente ou parce qu’il s’agissait d’indigènes convertis – étaient très nombreux et la différence somatique d’avec les chrétiens était inexistante. En outre, depuis deux cents ans, la race berbère, arabe et indigène se mélangeait régulièrement et avait la tendance à se conformer en un seul peuple aux caractéristiques plus homo-gènes ; dans tout cela, donc, le Rabaḍ était une exception.

Il y avait un seul terme pour identifier les habitants de cette île… ils n’étaient ni arabes, ni berbères, ni indigènes, ni rien d’autre que des siciliens. Des Siciliens sarrasins et des siciliens grecs, mieux encore chrétiens – tout comme il y avait des siciliens de Judée – mais à la fin ils étaient tous des siciliens. A l’exception des nouveaux arrivés qui étaient exclus du concept de sicilien, ceux qui étaient passés de l’Afrique en Sicile aux temps de l’invasion de la dynastie des Zirides jusqu’à ce que Abd-Allah ne fut retourné de l’autre côté de la Méditerranée.

Ceux-ci, dévoués à l’Islam comme les autres, la plupart d’ethnie berbère, étaient définis africains, juste parce qu’ils provenaient de la région que le monde arabe définissait Ifrīqiya15. Les derniers africains étaient arrivés à peine quelques années auparavant, ils s’étaient enfuis des dévastations qui se déchaînaient sur la terre de leur provenance. Parvenir à créer un seul peuple entre siciliens et africains, bien que tous croyants en Allah, était une entreprise bien plus compliquée – dans le passé la question avait même débouché en un désordre civil – plutôt qu’à réussir à intégrer chrétiens et hébreux dans les tissus de la société islamique. La législation de la sharia16 sur ces derniers, en effet, était claire, rien ou presque rien ne pouvait être interprété ; ils étaient des dhimmi, des vassaux, contraints de payer la jizja, la capitation, tout en ayant le droit d’exister dans leur propre foi. Les africains au contraire étaient de vrais antagonistes, ceux avec lesquels les sarrasins siciliens devaient se partager la primauté de dominateurs.

Au Rabaḍ, toutefois, on n’avait jamais vu d’africains, le vrai problème de la journée semblait être celui de faire bonne impression devant le Qā’id ibn al-Ḥawwās, l’émir de Qasr Yanna, venu inexplicablement rendre vi-site à un de ses collecteurs d’impôts.

“ Si Corrado avait été ici ! ” s’exclama Apollonia dès qu’elle vit la caravane à l’entrée du village.

Apollonia était une femme qui avait un peu plus de vingt ans et avait un bel aspect, des cheveux ondulés châtains et des yeux noisette. La blancheur de sa peau la rendait encore plus attrayante, car parmi les arabes les jeunes filles aux caractéristiques européennes étaient les plus recherchées. S’il n’y avait pas eu l’obstacle de sa religion on lui aurait certainement dé-jà fait la cour et s’il n’y avait pas eu la petite dimension du Rabaḍ et son atmosphère familière, quelqu’un l’aurait sûrement induit à se convertir avec la promesse d’obtenir un mariage avantageux.

Michele était un peu plus jeune que Corrado, il ressemblait beaucoup à son père. Le jeune garçon semblait né pour travailler et bien qu’il était très grand, il était robuste et infatigable. Il lui manquait également quelques dents, il les avait cassées à l’âge de dix ans quand il avait tenté d’enlever un gros clou d’une poutrelle.

“ A cette heure-ci Corrado aura certainement déjà entendu la nouvelle et sera en train de remonter du potager avec notre père. ” répondit Michele

“ Quel homme sera t-il donc Qā’id ? ” demanda Apollonia, plus à elle même qu’à son frère.

Michele la regarda avec perplexité et, pris de jalousie, répondit :

“ Tu devrais peut-être rester à la maison comme font beaucoup de femmes mahométanes. ”

“ Je ne connais personne ici au Rabaḍ qui tient sous clé sa sœur. ”

“ Dehors ça fait un bout de temps que l’on ne voit pas la sœur de Umar, et si on la voit c’est avec le visage couvert. ”

“ Ça signifie qu’il existe un frère plus jaloux que toi. Et puis il suffit des yeux de Nadira pour attirer les hommes. ”

Les dernières paroles d’Apollonia étaient le pivot de nombreuses choses qui dès ce moment seraient arrivées…

Le Qā’id avançait dans les ruelles parmi les émeutes de la foule. Ali ibn Ni’ma, plus communément connu comme ibn al-Hawwās, était très aimé par les gens. Son nom lui même signifiait ” le démagogue ”, celui qui at-tire les faveurs du peuple. Et d’ailleurs son ascension n’aurait pu avoir lieu sans le soutien des gens et sans ses dons charismatiques ; un esclave de race berbère qui s’était libéré et qui était enfin devenu le Qā’id de l’entière Sicile centrale.

Ibn al-Ḥawwās arrivait en chevauchant un très beau cheval bien attelé d’ornements jaunes et verts. Les pensées d’Apollonia furent déçues quand elle se rendit compte que le seigneur de Qasr Yanna n’était pas un jeune homme prestant comme elle l’avait imaginé, mais était d’âge moyen, aux cheveux grisonnants et légèrement en surpoids. Toutefois son aspect n’était pas désagréable ; et pour sûr la plupart des jeunes filles qui l’acclamait à son passage aurait tout fait pour recevoir ses attentions.

En plus de la vingtaine d’hommes armés qui escortaient le Qā’id, une femme en habits noirs attirait l’attention. Celle-ci chevauchait en amazone le destrier immédiatement après celui de son seigneur, elle était accompagnée d’une paire de servantes. En outre il y avait un type vêtu d’un tel luxe qu’il était juste le second après ibn al-Ḥawwās.

Umar alla à l’entrée, il présenta ses hommages et invita son maître à entrer dans son ” indigne demeure ” ; ainsi appela t-il sa maison. Ali, le Qā’id, dès qu’il descendit de son cheval présenta bien vite les personnes qui le suivaient

“ Ma sœur Maimuna et Bashir, mon Vizir17 ”.

Pendant que Umar fit un signe de la main pour indiquer à ses proches, qui observaient par la porte, de s’approcher.

“ Ma mère, Jala… ma femme Ghadda et mes enfants Rashid et Fatima ; voici ma sœur, Nadira. ”

Chacune de ces femmes s’inclina mains jointes devant le Qā’id et ce-lui-ci répondit

“ Je ferais envoyer des dons pour récompenser la beauté de cette mai-son. ” en posant plus d’un regard sur les yeux de Nadira.

Les plus beaux tapis et les coussins les plus prestigieux avaient été pré-parés en vitesse sur le pavement de la plus grande pièce, pour que les hommes puissent s’asseoir et converser entre eux. Dans les cuisines même le tannūr18 avait été allumé pour cuire le pain tandis que les jeunes couraient à la source la plus proche pour porter de l’eau fraîche et courante aux invités. Ils s’assirent tout autour de la pièce, tandis que les femmes de la maison invitaient Maimuna à s’unir à eux de l’autre côté, derrière, sous une espèce de hangar délimité par une haie formée de roses.

Une rangée de femmes parmi les domestiques commencèrent à porter la nourriture, les fruits, mais aussi les pâtisseries au miel, le pain, les dates à peine cueillis et les jus de grenade. A ce point, le Vizir, se lissant la barbe à l’étrange forme pointue commença ses réflexions et ses questions tech-niques sur la gestion du village :

“ Le lieu est agréable et les personnes sont dévouées à leur Qā’id ; tout le mérite est pour vous ? ”

“ Il va à chaque habitant du Rabaḍ et au joug agréable que notre aimé Qā’id leur réserve. ”

“ Quels sont les nombres de la conscription du giund19 ? ” ” Quarante et un hommes, déjà armés. ”

“ Les dhimmi te sont soumis ? ”“ Il y a une seule famille de chrétiens…. des paysans parmi les plus paisibles. ”

“ Une seule ? Ailleurs, dans le iqlīm20 de Mazara, les chrétiens sont re-groupés en communautés, bien souvent modestes. ”

“ Les maraudeurs… avez-vous subi des attaques ? ” demanda à ce point Ali ibn al-Hawwās.

“Nous subissons des attaques depuis le temps de mon père. La dernière fut quand Jirjis Maniakis se déchaîna sur la côte orientale, il y a vingt ans. Pourquoi me le demandes-tu mon Seigneur ? ” Les sujets de Mohammed ibn al-Thumna, mon beau-frère, ne sont pas si doux que les habitants de ce village…. et le Rabaḍ est dans un avant-poste fragile aux pieds de Qasr Yanna, où il réside.

1.Noria : de l’arabe ”nā’ūra”. Est une roue hydraulique qui a l’objectif de soulever les eaux à un ni-veau supérieur en exploitant le courant du fleuve.
2.Rabaḍ : littéralement ”bourg”. Village qui en général se trouve à l’extérieur des remparts de la ville principale.
3.Qasr Yanna : nom de la ville d’Enna durant la période arabe. De ”qasr” qui signifie château etYanna”, littéralement Enna ; donc ” Château d’Enna ”. Durant la période normande, à cause d’une interprétation erronée du nom arabe, la ville fini par être appelée ”Castrogiovanni”.
4.Qā’id : littéralement ”maître” ou ”leader”. Indiquait un chef ou un commandant.
5.Jizya : impôt personnel que le non-musulman, le dhimmi, payait aux autorités musulmanes.
6.Dirham : monnaie d’argent encore utilisée dans beaucoup de pays musulmans.
7.Dhimmi : sujet non musulman, qui dans les pays gouvernés par la sharia jouit d’un pacte de protection (Dhimma) réservé en premier lieu aux appartenant des grandes religions monothéistes, juives et chré-tiennes, et qui jouissent à leur tour de certains droits, uniquement à condition de respecter une série d’obligations comme le paiement de la jizya.
8.Āmil: littéralement ” agent ” chargé de recueillir la jizya pour la verser dans les caisses de l’État.
9.Wali : dans la religion islamique, indique le parent masculin de l’épouse, dont le consentement est nécessaire pour la célébration du mariage.
10.Hégire : littéralement ”émigration ”. Indique l’exode de Mahomet de La Mecque à Médina. L’année de cet épisode, en 622 a.c. marque le début du calendrier musulman. Par exemple, en 453 de l’hégire correspond à 1061 de l’ère chrétienne ( compte tenu du fait que l’année musulmane est plus courte ).
11.Fartasa: mot sicilien qui indique un type de chèvre sans corne. Du berbère ” fartas ”, littéralement ”sans cheveux, teigneux.
12.Ibn: littéralement ”fils”. Présent dans les patronymes arabes pour indiquer sa propre descendance, souvent ayant la fonction actuelle du nom de famille. Est parfois traduit par ” bin“ ou ” ben“.
13.Gergent : nom de la ville d’Agrigente durant la période arabe.
14.Sarrasins: nom attribués aux musulmans du Moyen Age. Les autres synonymes utilisés dans le roman sont : maures, mahométans, islamiques, arabes et circoncis. Certains de ces termes sont impropres, toutefois ils reflètent la connaissance et la culture de la société de l’époque. Le terme ” musulman ” est absent car par rapport à la langue du récit il fut introduit avant le roman. Pour la même raison les termes ”byzantins ” et ” hébreux ” ont été remplacés par ” pèlerins ” et ” juifs ”.
15.Ifrīqiya : région correspondant à l’actuelle Tunisie et à certaines parties de l’Algérie et de la Libye. Littéralement ”Afrique ”, étant le terme dérivé du fait que les romains et ensuite les byzantins définissaient Afrique (province d’Afrique).
16.Sharia : loi de la religion islamique.
17.Vizir : important conseillé politique et religieux du calife, du sultan et de l’émir.
18.Tannūr : littéralement ” four ”. D’où le sicilien ” tannura”.
19.Giund : troupe, armée.
20.Iqlīm : subdivision administrative, province. Dans la Sicile musulmane il en existait historiquement trois. Elles furent par être appelées ”Vallées ” durant l’époque normande. Afin de faciliter l’identification de ces divisions politiques, il suffit de tenir compte du fait que la Sicile a une forme triangulaire, en tirant une bissectrice de chaque côté, on arrive à un point central du triangle. Les trois parties qui en résultent correspondent aux trois vallées historiques de la Sicile (iqlīm durant la période musulmane ).
  …de Demona : correspondant à la Sicile Nord-Orientale (de Demona, ville située sur les Nebro – di ).
  …de Mazara : correspondant à la Sicile occidentale (de Mazara, l’actuelle Mazara del Vallo).
  …de Noto : correspondant à la Sicile sud-orientale ( de la ville de Noto ).
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Yaş sınırı:
0+
Litres'teki yayın tarihi:
08 ekim 2020
Hacim:
540 s. 1 illüstrasyon
ISBN:
9788835411437
Telif hakkı:
Tektime S.r.l.s.
İndirme biçimi:
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