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Kitabı oku: «L'éclaireur», sayfa 14

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Les deux hommes s'inclinèrent affirmativement: don Leo continua:

– Certaines raisons qu'il est inutile de rapporter ici m'avaient, il y a quelques mois, conduit à Mexico; par suite de ces raisons, je menais une vie assez singulière, fréquentant des gens de la pire espèce, et me faufilant, lorsque l'occasion s'en présentait, dans les sociétés les plus ou les moins mêlées, suivant que vous comprendrez mes paroles. N'allez pas croire, par ce qui précède, que je me livrais à quelques opérations criminelles, vous commettriez une grave erreur: seulement, de même que bon nombre de nos compatriotes, je faisais certains commerces interlopes, peut-être vus d'un mauvais œil par les préposés du gouvernement, mais qui, pour cela, n'ont rien de fort répréhensibles en eux.

Bon-Affût et don Mariano échangèrent un regard: ils avaient compris ou cru comprendre.

Don Leo de Torres feignit de ne pas apercevoir ce regard.

– Un des lieux que je fréquentais le plus assidûment, dit-il, était la plaza Mayor; là, je visitais un evangelista, vieillard d'une cinquantaine d'années, doublé de juif et de lombard, qui, sous une apparence vénérable, cachait l'âme la plus vénale et le cœur le plus corrompu; ce coquin émérite, dans l'intérêt des mille commerces occultes auxquels il se livrait, et à cause de ses fonctions d'evangelista, connaissait à fond les secrets d'un nombre infini de familles et était au courant de toutes les infamies qui se commettent tous les jours dans cette immense capitale. Un jour que par hasard je me trouvais chez lui à l'oración, une jeune fille entra; cette jeune fille était belle, paraissait honnête; elle tremblait comme la feuille en mettant le pied dans l'antre du misérable; celui-ci lui fit son plus charmant sourire et lui demanda obséquieusement à quoi il pouvait lui servir: elle lança un regard timide autour d'elle et m'aperçut. Je ne sais pourquoi j'avais flairé un mystère; la tête sur la table, le front posé sur mes deux mains croisées, je feignais de dormir. – Cet homme? fit-elle en me désignant. – Oh! répondit l'evangelista, il est ivre de pulque; c'est un pauvre sous-officier sans importance; d'ailleurs, il dort. – Elle hésita; puis, semblant prendre tout à coup sa résolution, elle sortit un mince papier de sa poitrine. – Copiez cela, dit-elle à l'evangelista, je vous donnerai deux onces. – Le vieux coquin saisit le papier et le parcourut des yeux. – Mais ce n'est pas du castillan, cela, dit-il. – C'est du français, reprit-elle; que vous importe? – A moi, rien. – Il prépara son papier, ses plumes, et copia le billet sans plus d'observation; lorsque cela fut terminé, la jeune fille compara les deux billets, fit un sourire de satisfaction, déchira l'original, plia la copie en forme de lettre, dicta une adresse abrégée à l'evangelista; puis elle prit la lettre, la serra dans son corsage, et sortit après avoir payé le prix convenu que l'evangelista saisit avec joie, car il avait plus gagné en quelques minutes qu'il ne gagnait d'ordinaire en un mois. A peine la jeune fille eut-elle disparu, que je relevai la tête; mais l'evangelista me fit signe de reprendre ma première position: il avait entendu tourner la clef dans la serrure de la porte de sa bicoque; j'obéis, et bien m'en prit, car un homme entra presque aussitôt. Cet homme désirait évidemment ne pas être connu; il était embossé avec soin dans un large manteau; les ailes de son sombrero étaient rabattues sur ses yeux; il fit en entrant un geste de mécontentement. – Quel est cet homme? dit-il en me désignant. – Un pauvre diable, ivre, qui dort. – Une jeune fille sort d'ici. – C'est possible, répondit l'evangelista, mis sur ses gardes par cette question. – Pas de phrases ambigües, drôle, répondit l'étranger avec hauteur; je te connais et je te paye, ajouta-t-il en laissant tomber une lourde bourse sur la table; réponds. L'evangelista tressaillit; tous ses scrupules disparurent à la vue de l'or qui scintillait à travers les mailles de la bourse. – Une jeune fille sort d'ici, reprit l'inconnu. – Oui. – Que t'a-t-elle demandé? – De lui transcrire un billet écrit en français. – C'est bien, montre-moi ce billet. – Elle l'a plié en forme de lettre, a mis une adresse et l'a emporté.

– Je sais tout cela. – Alors? – Alors, repartit l'inconnu en ricanant, comme tu n'es pas un niais, tu as gardé une copie de ce billet, c'est cette copie que je veux voir. Je ne sais pourquoi la voix de cet homme m'avait frappé malgré moi; comme il me tournait à peu près le dos, j'en profitai pour faire à l'evangelista un signe qu'il comprit. – Je n'y ai pas songé, répondit-il. Il prit en disant ces mots une physionomie si naïvement niaise, que l'inconnu y fut trompé; il fit un geste de dépit. – Enfin, reprit-il, elle reviendra? – Je ne sais pas. – Je le sais, moi; chaque fois qu'elle viendra, tu conserveras une copie de ce qu'elle te fera écrire. C'est ici que doivent arriver les réponses de ces lettres? – Je l'ignore. – L'inconnu haussa les épaules. – Tu ne les remettras qu'après me les avoir montrées. A demain, et ne sois pas aussi sot qu'aujourd'hui, si tu veux que je me charge de ta fortune. L'evangelista grimaça un sourire. L'étranger se détourna pour sortir. Dans ce mouvement, un pan de son manteau s'accrocha après la table; les plis se dérangèrent et j'entrevis son visage; j'eus besoin de toute ma puissance sur moi-même pour ne pas pousser un cri en le reconnaissant: cet homme était don Estevan, votre frère. Il ramena son manteau sur son visage en étouffant une malédiction, et sortit. A peine fut-il dehors, que je me levai d'un bond; je verrouillai la porte, et me plaçant en face de l'evangelista: – A nous deux! lui dis-je. Il fit un geste de terreur; mon visage avait une expression terrible qui le fit reculer jusqu'au mur de sa bicoque en serrant la bourse qu'il venait de recevoir et que sans doute il supposait que je voulais lui voler. – Je suis un pauvre vieillard, me dit-il. – Où est la copie que tu as refusée à cet homme? répondis-je d'une voix brève. Il se baissa sur son pupitre, prit cette copie, et me la présenta sans dire un mot; je la lus en frémissant: j'avais compris. – Tiens, lui dis-je, en lui donnant une once, chaque fois tu me remettras le billet de la jeune fille, je te permets de le faire voir aussi à cet homme; seulement, retiens bien ceci: aucune des réponses écrites par l'individu qui sort d'ici ne doit être remise par toi à la jeune fille avant que je ne l'aie lue; je ne suis pas aussi riche que cet étranger, cependant je te payerai convenablement; tu me connais. Je n'ai plus qu'une chose à te dire: c'est que si tu me trahis, je te tuerai comme un chien. Je sortis. En refermant la porte, j'entendis l'evangelista murmurer a demi-voix: – ¡Santa Virgen! Dans quel guêpier me suis-je fourré! Maintenant, voici la clef de ce mystère: la jeune fille que j'avais rencontrée chez l'evangelista était novice au couvent des Bernardines, où se trouvait votre fille; doña Laura, ne sachant à qui se fier, l'avait chargée de faire parvenir à don Francisco de Paulo Serrano…

– Mon beau-frère, son parrain! s'écria don Mariano.

– Celui-là même, continua don Leo; elle avait, dis-je, chargé doña Louisa, son amie, de faire parvenir au señor Serrano des billets dans lesquels elle lui révélait les machinations criminelles de son oncle, les persécutions auxquelles elle était en butte, en le suppliant, comme le meilleur ami de son père, de venir à son secours et de la prendre sous sa protection.

– Oh! Ma pauvre fille! murmura don Mariano.

– Don Estevan, reprit don Leo, par je ne sais quel moyen avait appris les intentions de votre fille; afin de bien connaître ses projets et le moment venu de pouvoir les renverser, il feignit de tout ignorer, laissa la jeune fille porter les lettres à l'evangelista, lisant les copies et faisant lui-même les réponses, par la raison toute simple que don Francisco ne recevait pas les lettres de votre fille, parce que don Estevan avait gagné son valet-de-chambre qui les lui rendaient toutes cachetées; cette habille perfidie aurait réussi sans nul doute si le hasard ou plutôt la Providence ne m'avait placé aussi à propos dans l'échoppe de l'evangelista.

– Oh! murmura don Mariano, cet homme était un monstre.

– Non, reprit don Leo; les circonstances l'obligèrent à aller beaucoup plus loin qu'il n'aurait peut-être voulu; rien ne prouve qu'il désirât la mort de votre fille.

– Que voulait-il donc alors?

– Votre fortune; en contraignant doña Laura à prendre le voile, il atteignait son but; malheureusement, comme cela arrive toujours lorsqu'on s'engage dans cette voie épineuse qui fatalement aboutit au crime, bien qu'il eût froidement calculé toutes les chances de réussite, il ne pouvait prévoir mon intervention dans l'exécution de ses projets, intervention qui devait le faire échouer et l'obliger à commettre un crime afin d'assurer leur réussite. Doña Laura, persuadée que la protection de don Francisco ne lui faillirait pas, suivait scrupuleusement les conseils que je lui faisais parvenir dans les billets que je lui écrivais au nom de l'ami auquel elle s'adressait; quant à moi, je me tenais prêt à agir aussitôt que le moment serait venu. Je n'entrerai dans aucuns détails à ce sujet. Doña Laura refusa, dans l'église même, de prononcer ses vœux: le scandale fut extrême; l'abbesse, furieuse, résolut d'en finir. La malheureuse jeune fille, endormie au moyen d'un puissant narcotique, fut toute vivante plongée au fond d'un in pace dans lequel elle devait mourir de faim.

– Oh! s'écrièrent les deux hommes en tressaillant d'horreur.

– Je vous répète, continua don Leo, que je ne crois pas don Estevan capable de cette barbarie; il en fut probablement le complice indirect, mais rien de plus: l'abbesse fut seule coupable. Don Estevan accepta les faits accomplis, il en profita, rien de plus; nous devons le supposer ainsi pour l'honneur de l'humanité; autrement cet homme serait un monstre. Averti le jour même de ce qui s'était passé au couvent, je réunis une troupe de bandits et d'aventuriers, puis, la nuit venue, je m'introduisis par ruse dans le couvent, et, le pistolet au poing, j'enlevai votre fille.

– Vous! s'écria don Mariano avec un mouvement de surprise mêlé de joie. Mon Dieu, mon Dieu! Ainsi elle est sauvée, elle est en sûreté?

– Oui, dans un endroit où moi-même, aidé par Bon-Affût, je l'ai cachée.

– Don Estevan ne l'y aurait jamais trouvée, fit le chasseur avec un sourire narquois.

Le gentilhomme était en proie à une agitation extrême.

– Où est-elle, s'écria-t-il; je veux la voir; dites-moi en quel lieu elle se trouve, ma pauvre et chère enfant!

– Vous comprenez, répondit le jeune homme, que je ne l'ai pas gardée auprès de moi; je savais que les espions de don Estevan et votre frère lui-même me poursuivaient et surveillaient toutes mes démarches. Après avoir mis doña Laura en sûreté, j'attirai sur mes traces toutes les poursuites. Voici comment: ce palanquin, dit-il en le désignant du doigt, ce palanquin, a jusqu'au presidio de Tubac, renfermé doña Laura. J'eus soins de la laisser apercevoir une fois ou deux: il n'en fallut pas davantage pour faire supposer qu'elle était toujours auprès de moi; grâce au soin que je prenais de tenir constamment ce palanquin hermétiquement fermé et de n'en laisser approcher personne, j'avais le projet d'entraîner vos ennemis à ma suite, et, arrivé dans le désert, de les punir; mes calculs ont été plus justes que ceux de don Estevan, car Dieu me secondait; maintenant que le criminel a été puni, que doña Laura n'a plus rien à craindre, je suis prêt à vous faire connaître sa retraite et à vous conduire vers elle.

– Oh! Mon Dieu! Vous êtes juste et bon, s'écria don Mariano avec une expression de joie ineffable; mon Dieu, soyez béni! Je vais revoir mon enfant! Elle est sauvée!

– Elle est perdue si vous ne vous hâtez pas! s'écria une voix sépulcrale.

Les trois hommes se retournèrent avec épouvante.

Balle-Franche, le visage pâle et ensanglanté, les habits déchirés et souillés de sang, se tenait droit et immobile à l'entrée de la tente dont il tenait le rideau soulevé.

XXIII.
L'Aigle-Volant

Les Indiens, à cause de la vie qu'ils sont contraints de mener et de l'éducation qu'ils reçoivent, sont d'un caractère essentiellement défiant: habitués à se mettre constamment en garde contre tout ce qui les environne, à soupçonner les intentions en apparence les plus loyales, de cacher une trahison ou une perfidie, ils ont acquis une habileté peu commune pour deviner les projets des personnes avec lesquelles le hasard les met en rapport et déjouer les embûches tendues sous leurs pas par leurs ennemis.

Mahchsi-Karehde, nous l'avons dit déjà, était un guerrier expert, aussi sage au conseil que vaillant au combat, et qui, bien que très jeune encore, jouissait à juste titre d'une grande réputation dans sa tribu.

Aussitôt que Bon-Affût, au nom de la loi de Lynch, eut prononcé la sentence de don Estevan, il y eut une espèce de désordre parmi les chasseurs qui rompirent leurs rangs et commencèrent à causer et à discuter vivement entre eux, ainsi que cela arrive toujours en pareil cas. L'Aigle-Volant profita de ce que l'attention était portée ailleurs et que personne ne songeait à lui pour faire à l'Églantine, dont les yeux étaient incessamment fixés sur lui, un signe que la jeune femme comprit, et il se glissa silencieusement au milieu des buissons, où il disparut sans que nul ne s'occupât de son absence.

Après avoir marché pendant environ vingt minutes dans la forêt, se jugeant probablement assez éloigné, le chef s'arrêta, et se tourna vers sa femme qui ne l'avait pas quitté d'un pas.

– Laissons les visages pâles, dit-il, accomplir leur œuvre; l'Aigle-Volant est un guerrier comanche, il ne doit pas intervenir davantage entre eux.

– Le chef retourne dans son village? demanda timidement l'Églantine.

L'Indien sourit d'un air fin.

– Tout n'est pas fini encore, répondit-il, l'Aigle-Volant veillera sur ses amis.

La jeune femme baissa la tête, et voyant que l'Indien s'était assis, elle se prépara à allumer le feu du campement. Le chef l'arrêta d'un geste.

– L'Aigle-Volant ne veut pas être découvert, reprit-il; que ma sœur prenne place à ses côtés, et qu'elle attende; un ami est en péril à cette heure.

En ce moment il se fit, non loin de l'endroit où les deux peaux-rouges étaient arrêtés, un grand bruit de branches cassées et froissées dans le taillis.

L'Indien prêta attentivement l'oreille pendant quelques minutes, le corps penché vers le sol.

– L'Aigle-Volant revient, dit-il en se relevant.

– L'Églantine l'attendra, répondit la jeune femme en lui jetant un doux regard.

Le chef déposa auprès de sa compagne les armes qui auraient pu le gêner dans l'exécution du projet qu'il méditait; il ne garda que sa reata qu'il leva avec soin dans sa main droite, et se dirigea à pas de loup dans la direction du bruit qu'il avait entendu et qui de seconde en seconde se faisait plus fort.

A peine se fut-il avancé d'une vingtaine de pas en se frayant un chemin à travers les lianes entrelacées et les hautes herbes qui lui barraient le passage, qu'il aperçut, arrêté à dix mètres de lui environ, un magnifique cheval noir qui, les oreilles couchées en arrière, le cou allongé et les quatre pieds tendus, fixait sur lui ses grands yeux intelligents d'un air effaré en renâclant avec force, la bouche couverte d'écume et les naseaux sanglants.

– Ooah! murmura le chef en s'arrêtant tout court et admirant le superbe animal en connaisseur.

Il se rapprocha de quelques pas encore, en ayant soin de ne pas effaroucher davantage le cheval, qui suivait tous ses mouvements d'un œil inquiet; et à l'instant où il le vit bondir pour s'échapper, il fit siffler sa reata autour de sa tête et la lança avec tant d'adresse que le nœud coulant tomba sur les épaules du cheval; celui-ci essaya pendant trois ou quatre minutes de reprendre la liberté qui lui était si subitement ravie; mais bientôt, reconnaissant l'inutilité de ses efforts, il se résigna à accepter de nouveau l'esclavage, et laissa approcher l'Indien sans chercher à continuer plus longtemps la lutte. C'est avec raison que nous disons qu'il se résigna à accepter de nouveau l'esclavage, car cet animal n'était pas un cheval sauvage, mais bien le magnifique barbe de don Estevan, que celui-ci avait probablement perdu pendant le combat lorsqu'il avait été blessé. Les harnais du cheval étaient en partie brisés et déchirés par les ronces, mais cependant encore en état de servir.

Le chef, joyeux de la bonne aubaine que lui procurait le hasard, monta sur le cheval et retourna auprès de l'Églantine, qui, soumise et obéissante comme une véritable femme indienne, n'avait pas bougé depuis son départ.

– L'Aigle-Volant retournera dans son village monté sur un coursier digne d'un aussi grand chef, lui dit-elle en l'apercevant.

L'Indien sourit avec orgueil.

– Oui, répondit-il, les sachems seront fiers de lui.

Et avec ce naïf enfantillage qui s'allie si bien à la rudesse primitive de ces hommes de fer, il s'amusa à exécuter pendant quelques instants les passes, les voltes et les courbettes les plus difficiles, heureux de l'admiration effrayée de celle qu'il aimait et qui ne pouvait s'empêcher de trembler en le voyant manœuvrer aussi facilement ce magnifique animal. Le chef mit enfin pied à terre et vint, tout en conservant dans la main la bride du cheval, s'asseoir auprès de la jeune femme.

Ils demeurèrent ainsi assez longtemps côte à côte sans échanger une parole: l'Aigle-Volant paraissait réfléchir profondément. Ses yeux erraient çà et là dans les ténèbres, comme s'il eût voulu pénétrer et distinguer dans l'obscurité quelque objet lointain; il écoutait avidement les bruits de la solitude, en jouant machinalement avec son couteau à scalper.

– Les voilà! s'écria-t-il tout à coup en se relevant, comme poussé par un ressort.

L'Églantine le regarda avec étonnement.

– Ma sœur n'entend-elle pas? lui demanda-t-il.

– Oui, fit-elle après un instant, j'entends un bruit de chevaux dans les halliers.

– Ce sont les visages pâles qui regagnent leur camp.

– Allons-nous donc les suivre?

– L'Aigle-Volant ne quitte jamais sans raison le sentier tracé par ses mocassins; l'Églantine accompagnera le guerrier.

– Mon père en doute-t-il?

– Non; l'Églantine est une digne fille des Comanches; elle viendra sans murmurer. Un visage pâle, ami de Mahchsi-Karehde, est en danger en ce moment.

– Le chef le sauvera.

L'Indien sourit.

– Oui, dit-il; ou, si j'arrive trop tard pour cela, au moins je le vengerai, et son âme tressaillira de joie dans les Prairies bienheureuses en apprenant de son peuple que son ami ne l'a pas oublié.

– Je suis prête à suivre le chef.

– Partons donc alors, car il est temps.

L'Indien se mit en selle d'un bond: l'Églantine se prépara à le suivre à pied.

Les femmes indiennes ne montent jamais le cheval de guerre de leurs maris ou de leurs frères. Condamnées par les lois qui régissent leurs peuplades à demeurer constamment courbées sous un joug de fer, à être réduites à la plus complète abjection, et à s'occuper des travaux les plus durs et les pénibles, elles supportent tout sans se plaindre, persuadées qu'il en doit être ainsi, et que rien ne saurait les soustraire à l'implacable tyrannie qui pèse sur elles depuis leur naissance jusqu'à leur mort. En obligeant sa femme à le suivre à pied au milieu d'une forêt vierge par des chemins impraticables, rendus plus difficiles encore à cause des ténèbres, l'Aigle-Volant était convaincu qu'il ne faisait qu'une chose toute simple et toute naturelle; l'Églantine, de son côté, le comprit ainsi, car elle ne se permit pas la moindre observation.

Ils se mirent donc en route, tournant le dos à la rivière et s'avançant du côté de la clairière.

Dans quel but le chef retournait-il sur ses pas et reprenait-il le trajet qu'il avait accompli une heure auparavant afin de s'éloigner des gambucinos?

C'est ce que bientôt nous apprendrons probablement.

A une centaine de mètres de la clairière environ, ils entendirent le bruit d'un coup de feu.

L'Aigle-Volant s'arrêta.

– Ooah! murmura-t-il, que se passe-t-il donc? Me serais-je trompé?

Mettant immédiatement pied à terre, il donna son cheval à garder à sa femme, en lui ordonnant de le suivre à distance; et se glissant parmi les herbes, il s'avança en toute hâte vers la clairière, inquiet de ce coup de feu qu'il ne savait à quoi attribuer, car l'idée ne lui vint pas un seul instant que ce fût don Estevan qui l'eût tiré dans l'intention de se tuer; le chef était convaincu qu'un homme de ce caractère n'abandonnait jamais une partie, quelque désespérée qu'elle fût. Son appréciation n'était pas complètement fausse.

Persuadé de ce que nous avons dit plus haut, l'Aigle-Volant, redoutant un malheur dont il semblait avoir prévu la possibilité, se hâtait donc de gagner la clairière, afin d'éclaircir ses doutes, et tremblant de les voir se changer en certitude.

Arrivé sur la lisière de la clairière, il s'arrêta, écarta les branches avec précaution, et regarda. Les ténèbres étaient tellement épaisses, qu'il ne put rien distinguer; un silence funèbre régnait sur cette partie de la forêt. Soudain les buissons s'écartèrent, un homme, ou plutôt un démon, bondit comme un chacal, passa auprès de lui avec une vélocité extrême, et se perdit bientôt dans l'obscurité.

Un triste pressentiment serra le cœur du peau-rouge; il fit un mouvement pour se lancer à la poursuite de l'inconnu; mais se ravisant presqu'aussitôt.

– Voyons ici d'abord, murmura-t-il; cet homme je suis certain de le retrouver quand je le voudrai.

Il entra dans la clairière. Les feux abandonnés ne jetaient plus aucune lueur, tout était ombre et silence. Le chef marcha rapidement vers l'endroit où la fosse avait été creusée. Elle était vide, don Estevan avait disparu; sur le revers du talus, formé par les terres rejetées en dehors de la fosse, un homme étendu gisait sans mouvement.

L'Aigle-Volant se pencha sur lui et l'examina attentivement pendant quelques secondes.

– Je le savais! murmura-t-il en se redressant avec un sourire de dédain, cela devait arriver ainsi, les faces pâles sont de vieilles femmes bavardes, l'ingratitude est un vice blanc, la vengeance est une vertu rouge.

Le chef demeura pensif, les yeux fixés sur le blessé.

– Le sauverai-je? reprit-il enfin. A quoi bon? Ne vaut-il pas mieux laisser les coyotes se déchirer entre eux; les guerriers rouges se rient de leur fureur; celui-là ajouta-t-il, était cependant un des meilleurs entre ces faces pâles pillardes qui viennent nous relancer jusque dans nos derniers refuges! Bah! Que m'importe! Nos deux races sont ennemies; les bêtes fauves l'achèveront, à chacun sa proie.

Et il fit un geste pour s'éloigner. Soudain il sentit une main se poser sur son épaule, et une voix timide murmura doucement à son oreille:

– Ce visage pâle est l'ami de la tête grise qui a délivré l'Aigle-Volant; le sachem l'ignore-t-il?

Le chef tressaillit à cette question qui répondait si bien à ses pensées intérieures; car, tout en se parlant à lui-même et en cherchant à se prouver qu'il avait raison d'abandonner le blessé, l'Indien savait fort bien que l'action qu'il préméditait était répréhensible et que l'honneur exigeait qu'il secourût l'homme étendu à ses pieds.

– L'Églantine connaît ce chasseur? répondit-il évasivement.

– L'Églantine l'a vu il y a deux jours pour la première fois, lorsqu'il a sauvé si courageusement l'ami du chef.

– Ooah! murmura l'Indien, ma sœur dit vrai; ce guerrier est brave, son cœur est large, il est l'ami des peaux-rouges, l'Aigle-Volant est un chef renommé pour sa grandeur d'âme, il n'abandonnera pas le visage pâle aux hideux coyotes.

– Mahchsi-Karehde est le plus grand guerrier de sa nation, sa tête est pleine de sagesse, ce qu'il fait est bien.

L'Aigle-Volant sourit avec satisfaction à ce compliment de la jeune femme.

– Visitons les blessures de cet homme.

L'Églantine alluma une branche d'ocote dont elle se fit une torche; les deux Indiens se penchèrent sur le blessé toujours immobile, et à la flamme vacillante de la torche, ils l'examinèrent de nouveau et plus attentivement.

Balle-Franche n'avait qu'une blessure légère occasionnée par le pommeau du pistolet dont il avait été frappé; la force du coup, en amenant une abondante hémorragie, avait causé un étourdissement suivi d'une syncope; la plaie était assez étroite, peu profonde et placé à la partie supérieure du front entre les deux sourcils; évidemment, don Estevan avait essayé d'assommer le digne chasseur de la même façon que dans les Corridas de toros de México; les espadas expérimentés se plaisent parfois à tuer ainsi un taureaux, afin de faire briller leur adresse aux yeux de tous les spectateurs groupés anxieusement sur les gradins del acho. Son coup, bien que lancé d'une main ferme, avait été porté trop précipitamment, et n'avait pas été calculé assez sûrement pour être mortel; seulement, il est évident que si le chef indien ne l'avait pas secouru avant la fin de la nuit, le chasseur aurait été tout vivant dévoré par les bêtes fauves qui rôdaient aux environs en quête d'une proie.

Tous les Indiens, lorsqu'ils sont en voyage, portent sur eux, passé en bandoulière, un sac en parchemin qui a à peu près la forme d'une gibecière et qu'ils nomment sac à la médecine; ce sac contient les simples dont ces hommes primitifs se servent afin de guérir les blessures qu'ils reçoivent dans les combats, leurs instruments de chirurgie et les poudres destinées à couper les fièvres.

Après avoir examiné la blessure de Balle-Franche, le chef hocha la tête avec satisfaction, et il se mit immédiatement en devoir de la panser. Avec un instrument tranchant fait d'une pierre d'obsidienne aiguisée et coupant comme un rasoir, il commença d'abord, aidé par l'Églantine, par raser les cheveux autour de la plaie; ensuite il fouilla dans son sac à la médecine, en tira une poignée de feuilles d'oregano qu'il pila et pétrit avec soin, avec de l'eau-de-vie de Barcelone nommé refino. Nous ferons remarquer ici que, dans tous les médicaments indiens, l'eau-de-vie joue un grand rôle; il ajouta à ce mélange un peu d'eau et de sel, forma du tout une pâte assez compacte, et après avoir lavé la plaie à deux reprises avec de l'eau coupée de refino, il appliqua dessus cette espèce de cataplasme, en l'assujettissant avec des feuilles d'abanijo.

Ce remède si simple produisit un effet presque instantané: au bout de dix minutes au plus, le chasseur poussa un soupir, ouvrit les yeux, et se redressa en regardant de tous les côtés, comme un homme réveillé en sursaut d'un profond sommeil, et qui ne se rend pas encore bien compte des objets extérieurs.

Cependant Balle-Franche était un homme doué d'une organisation trop solide pour que cet état durât longtemps; bientôt il parvint à remettre de l'ordre dans ses idées, se souvint de ce qui s'était passé, et de la trahison dont il avait été la victime de la part de l'homme qu'il avait sauvé.

– Merci, peau-rouge, dit-il d'une voix faible encore, en tendant la main au chef.

Celui-ci la serra cordialement.

– Mon frère se sent mieux, répondit-il avec sollicitude.

– Je me sens aussi bien maintenant que si rien ne m'était arrivé.

– Ooah! Mon frère se vengera de son ennemi alors.

– Rapportez-vous-en à moi pour cela, le traître ne m'échappera pas, aussi vrai que mon nom est Balle-Franche, répondit énergiquement le chasseur.

– Bon! Mon frère tuera son ennemi, et il suspendra sa chevelure à l'entrée de son wigwam.

– Non, non, chef, cette vengeance peut convenir à un peau-rouge, mais ce n'est pas celle d'un homme de ma race et de ma couleur.

– Que fera donc mon frère?

Le chasseur sourit finement, puis au bout de quelques instants, il reprit la conversation, mais sans répondre à la demande de l'Indien.

– Depuis combien de temps me trouvé-je ici? dit-il.

– Une heure environ.

– Pas davantage?

– Non.

– Dieu soit loué! Mon assassin ne peut être loin encore.

– Och, une mauvaise conscience est un puissant aiguillon, observa sentencieusement l'Indien.

– C'est juste.

– Que veut faire mon frère?

– Je ne sais encore; la position est des plus délicates pour moi, reprit Balle-Franche d'un air pensif; poussé par mon cœur et le souvenir d'un service rendu il y a longtemps déjà, j'ai commis une action qui peut être interprétée de plusieurs façons différentes; je reconnais maintenant que j'ai eu tort; cependant je vous avoue, peau-rouge, que je ne me soucie nullement d'être en butte aux reproches de mes amis; il est dur pour un homme de mon âge, dont les cheveux sont blancs et qui devrait avoir de l'expérience, de s'entendre dire qu'il a agi comme un enfant, et qu'il n'est qu'un sot.

– Il vous faut pourtant prendre un parti.

– Je le sais bien; voilà justement ce qui me tourmente, d'autant plus qu'il est urgent que don Miguel et don Mariano soient avertis le plus tôt possible de ce qui est arrivé, afin de remédier aux suites de ma sottise.

– Écoutez, dit le chef, je comprends combien l'aveu qu'il vous faut faire vous répugne; il est excessivement pénible pour un vieillard de courber la tête sous des reproches, quelque mérités qu'ils soient.

– Eh bien?

– Si vous y consentez, je ferai moi, ce que vous avez tant de peine à vous résoudre à faire. Pendant que vous accompagnerez l'Églantine, j'irai trouver vos amis, les visages pâles; je leur rapporterai ce qui s'est passé, je les mettrai en garde contre leur ennemi, et vous, vous n'aurez rien à redouter de leur colère.

A cette proposition du chef indien, le rouge de l'indignation empourpra le visage du chasseur.

– Non, s'écria-t-il avec véhémence, je n'ajouterai pas une lâcheté à ma faute; je saurai subir les conséquences de mon action, tant pis pour moi; je vous remercie, chef; votre proposition part d'un bon cœur, mais je ne puis l'accepter.

– Mon frère est le maître.

– Hâtons-nous, s'écria le chasseur, nous n'avons perdu que trop de temps; Dieu sait quelles peuvent être les conséquences de mon action et les malheurs qui peut-être en découleront. S'il m'est impossible de les prévenir, il est de mon devoir de faire tout pour en amoindrir la portée; venez, chef, suivez-moi, rendons-nous au camp sans plus tarder.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 mayıs 2017
Hacim:
480 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain