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Kitabı oku: «L'éclaireur», sayfa 16

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Dès qu'il eut atteint les premiers arbres du couvert, il s'arrêta de nouveau, s'assura par un regard circulaire que nul être humain n'apparaissait aux environs, et, rassuré par le calme et le silence qui régnaient autour de lui, il mit pied à terre, dessella son cheval qu'il entrava de façon à ce que, sans s'éloigner, il put chercher sa nourriture, et, s'étendant sur le sol, il se mit à réfléchir.

Sa position était loin d'être agréable: il se trouvait seul, presque sans armes, dans un pays inconnu, contraint de fuir les hommes de sa couleur, obligé de ne compter que sur lui-même pour faire face à tous les événements qui surviendraient et aux dangers qui l'environnaient de toutes parts.

Certes, un homme plus résolu que ne l'était don Estevan et doué par la nature d'une organisation plus fortement trempée que celle qu'il possédait, se serait, à sa place, trouvé fort empêché et se serait laissé aller, sinon au désespoir, du moins au découragement. Le Mexicain, vaincu par les atroces émotions et les fatigues inouïes qu'il avait endurées pendant la nuit fatale qui venait de s'écouler, tomba malgré lui dans un état de prostration et d'insensibilité tels, que peu à peu les objets extérieurs disparurent pour ainsi dire à ses yeux, et il n'exista plus que par la pensée, ce phare toujours brillant dans le cerveau humain et que Dieu, dans sa bonté infini, y fait luire dans les plus épaisses ténèbres, afin de rendre à la créature, dans les situations extrêmes, le sentiment de sa force et la volonté de la lutte.

Depuis longtemps déjà don Estevan était assis, le coude sur le genou, la tête dans la main, regardant sans voir, écoutant sans entendre, lorsque tout à coup il tressaillit et se redressa brusquement.

Une main s'était posée doucement sur son épaule.

Si léger qu'eût été cet attouchement, il avait suffi pour réveiller le Mexicain et le rendre au sentiment de sa situation présente.

Il regarda.

Deux hommes, deux Indiens étaient près de lui.

Ces Indiens étaient Addick et le Loup-Rouge.

Un éclair de joie brilla dans l'œil de don Estevan: ces deux hommes, il le pressentait, étaient pour lui deux alliés. Il les désirait sans espérer de les rencontrer jamais.

En effet, dans le désert, peut-on être certain de trouver ceux que l'on cherche? Addick fixait sur lui un regard sardonique.

– Och! dit-il, mon frère pâle dort les yeux ouverts; sa fatigue est grande à ce qu'il paraît.

– Oui, répondit don Estevan.

Il y eut un instant de silence.

– Je n'espérais pas retrouver aussitôt mon frère et surtout dans une position aussi agréable, reprit l'Indien.

– Ah! fit encore don Estevan.

– Oui, aidé par mon frère le Loup-Rouge et ses guerriers, je m'étais mis en marche afin de porter, s'il était possible, secours au visage pâle.

Le Mexicain le regarda d'un air soupçonneux.

– Merci, dit-il enfin avec une mordante ironie, je n'ai eu besoin du secours de personne.

– Tant mieux, cela ne m'étonne pas; mon frère est un grand guerrier dans sa nation; mais peut-être ce secours qui lui a été inutile jusqu'à présent lui servira-t-il plus tard.

– Écoutez, peau-rouge, fit don Estevan, croyez-moi, ne luttons pas de finesse, soyons francs l'un vis-à-vis de l'autre; vous savez de mes affaires beaucoup plus que je n'aurais voulu vous en laisser deviner; comment l'avez-vous appris, peu m'importe; seulement, si je vous connais bien, vous avez une proposition à me faire, proposition que sans doute, d'après la position dans laquelle je me trouve, vous pensez que j'accepterai; faites donc cette proposition clairement, nettement, ainsi qu'un homme doit le faire, et finissons-en, au lieu de perdre un temps précieux en vains discours et en circonlocutions inutiles.

Addick sourit sournoisement.

– Mon frère parle bien, dit-il d'un ton mielleux, sa sagesse est grande; je serai franc avec lui; il a besoin de moi, je veux le servir.

– ¡Voto a brios! Voilà qui est parler en homme; ceci me plaît; continuez, chef, si la fin de votre discours ressemble au commencement, je ne doute pas que nous nous entendions.

– Ooah! J'en suis convaincu; mais, avant de nous asseoir au foyer du conseil, mon frère a besoin de reprendre ses forces affaiblies par un long jeûne et de grandes fatigues. Les guerriers du Loup-Rouge sont campés ici près sous le couvert; que mon frère me suive; lorsqu'il aura pris un peu de nourriture, nous terminerons notre affaire.

– Soit, marchez, je vous suis, répondit don Estevan.

Les trois hommes s'éloignèrent alors dans la direction du camp des peaux-rouges, établi en effet à une centaine de pas au plus de l'endroit qu'ils venaient de quitter.

Les Indiens, mieux que tout autre peuple, les Arabes exceptés, entendent les lois de l'hospitalité, cette vertu des races nomades ignorée dans les villes où elle est, à la honte des peuples civilisés, remplacée par un froid égoïsme et une méfiance honteuse.

Don Estevan fut traité par les Indiens aussi bien qu'il leur fut possible de le faire. Après qu'il eut bu et mangé autant que l'exigeaient ses besoins, Addick reprit la parole:

– Mon frère pâle veut-il m'entendre à présent? dit-il; ses oreilles sont-elles ouvertes?

– Mes oreilles sont ouvertes, chef, je vous écoute avec toute l'attention dont je suis capable.

– Mon frère veut se venger de ses ennemis?

– Oui, s'écria don Estevan avec violence.

– Mais ces ennemis sont forts, ils sont nombreux; déjà mon frère a succombé dans la lutte qu'il a voulu soutenir contre eux; un homme, quand il est seul, est plus faible qu'un enfant.

– C'est vrai, murmura le Mexicain.

– Si mon frère consent à accorder au Loup-Rouge et à Addick ce qu'ils lui demanderont, les chefs rouges aideront mon frère dans sa vengeance et s'engagent à la faire réussir.

Une rougeur fébrile empourpra le visage de don Estevan: un mouvement convulsif agita ses membres.

– ¡Voto a brios! murmura-t-il d'une voix sombre: quelle que soit la condition que vous me posiez, je l'accepte, si vous me servez comme vous me le dites.

– Que mon frère ne s'engage pas légèrement, reprit en ricanant l'Indien: cette condition, il ne la connaît pas encore; peut-être regretterait-il de s'être trop avancé.

– Je vous répète, répondit fermement don Estevan, que je souscris à cette condition, quelle qu'elle soit; faites-la moi donc connaître sans plus tarder.

Le cauteleux Indien hésita ou parut hésiter trois ou quatre minutes qui durèrent un siècle pour le Mexicain; enfin, il reprit d'une voix perfidement doucereuse:

– Je sais où sont les deux jeunes filles pâles que mon frère cherche vainement.

Don Estevan, à cette parole, bondit comme s'il avait été soudainement piqué par un serpent.

– Vous le savez! s'écria-t-il en lui serrant le bras avec force et en le regardant fixement.

– Je le sais, répondit Addick, toujours impassible.

– Ce n'est pas possible.

L'Indien sourit avec mépris.

– C'est sous ma garde, dit-il, guidées par moi, qu'elles ont été conduites où elles se trouvent maintenant.

– Et vous pouvez m'y conduire?

– Je le puis.

– A l'instant?

– Oui, si vous acceptez mes conditions.

– C'est vrai, dites-les donc.

– Que préfère mon frère: ces jeunes filles ou la vengeance?

– La vengeance!

– Bon, les jeunes filles pâles demeureront où elles sont; Addick et le Loup-Rouge sont seuls, leurs callis sont solitaires, ils ont besoin chacun d'une femme; les guerriers chassent; les ciuatl préparent la nourriture et soignent les papous. Mon frère me comprend-il?

Ces paroles furent prononcées avec une si étrange accentuation que, malgré lui, le Mexicain frissonna; mais se remettant presque aussitôt:

– Et si j'accepte? dit-il.

– Le Loup-Rouge a deux cents guerriers: ils sont à la disposition de mon frère pour l'aider à accomplir sa vengeance.

Don Estevan laissa tomber sa tête dans ses mains: pendant plusieurs minutes, il demeura immobile; cet homme, qui, de sang-froid, avait résolu la mort de sa nièce, hésita à l'odieuse proposition qui lui était faite; cette condition lui semblait plus horrible que la mort.

Les Indiens attendirent, témoins impassibles en apparence du combat qui se livrait dans le cœur de l'homme qu'ils voulaient séduire; ils assistaient à cette lutte des bons et des mauvais penchants, calculant froidement dans leur for intérieur les chances de réussite que leur offraient les mauvais instincts du misérable qu'ils tenaient palpitant sous leur regard. Du reste, la lutte ne fut pas longue: don Estevan releva la tête, et, la voix calme, le visage froid et sans traces d'émotion d'aucune sorte:

– Eh bien, soit, dit-il, le sort en est jeté; j'accepte, je tiendrai ma parole; mais d'abord tenez la vôtre.

– Nous la tiendrons, répondirent les Indiens.

– Avant le huitième soleil, ajouta Addick, les ennemis de mon frère seront en sa puissance; il en disposera comme bon lui semblera.

– Et maintenant que dois-je faire? reprit don Estevan.

– Voici notre projet, fit Addick:

Les trois hommes discutèrent alors le plan de campagne qu'ils voulaient suivre, afin d'atteindre le but qu'ils se proposaient. Mais, comme nous verrons bientôt se dérouler ce plan, nous les laisserons, afin de nous occuper d'autres personnages de cette histoire, vers lesquels il nous faut revenir.

XXVI.
Une chasse dans la prairie

Les personnes réunies sous la tente de don Leo ne purent réprimer un mouvement de surprise et presque d'effroi à l'apparition imprévue de Balle-Franche; pâle, sanglant, les vêtements en désordre.

Le chasseur s'était arrêté à l'entrée de la tente, chancelant et promenant autour de lui des yeux hagards, tandis que peu à peu son visage prenait une expression de douleur et de profond découragement.

Tous ces hommes, habitués à la vie accidentée du désert, dont le courage, incessamment mis aux plus rudes épreuves, ne s'étonnaient de rien, se sentirent cependant frémir intérieurement et eurent le pressentiment d'un malheur.

Balle-Franche demeurait toujours immobile et muet.

Don Leo, le premier, rappela sa présence d'esprit et parvint à reprendre assez de puissance sur lui-même pour interpeler le nouveau venu.

– Qu'avez-vous, Balle-Franche? lui demanda-t-il d'une voix qu'il cherchait vainement à affermir: de quelle fâcheuse nouvelle vous êtes-vous fait le porteur auprès de nous?

Le Canadien passa à plusieurs reprises le revers de sa main sur son front inondé de sueur, et, après avoir jeté un dernier regard circulaire et soupçonneux autour de lui, il se décida enfin à répondre d'une voix basse et inarticulée:

– J'ai à vous annoncer une nouvelle terrible!

Le cœur de l'aventurier se serra; cependant il domina son émotion, et, d'une voix calme avec un soupire résigné:

– Qu'elle soit la bienvenue, car nous ne pouvons en apprendre d'autre; parlez donc, mon ami, nous vous écoutons.

Balle-Franche hésita, une rougeur fébrile envahit son visage; mais faisant un effort suprême:

– Je vous ai trahi! dit-il, lâchement trahi!

– Vous! s'écrièrent les assistants avec un accent de dénégation unanime en haussant les épaules.

– Oui, moi!

Ces deux mots furent prononcés du ton d'un homme dont la résolution est définitivement prise et qui accepte loyalement la responsabilité d'un acte qu'il reconnaît intérieurement blâmable.

Les assistants se regardèrent avec stupeur.

– Hum! murmura Bon-Affût en secouant tristement la tête, il y a là-dessous quelque chose d'incompréhensible; laissez-moi le soin de l'apprendre, continua-t-il en s'adressant à don Leo qui semblait se préparer à adresser de nouvelles questions au chasseur; je sais comment le faire parler.

L'aventurier y consentit d'un geste muet et se laissa retomber sur sa couche, tout en fixant un regard profondément interrogateur sur le Canadien.

Bon-Affût quitta la place que jusqu'à ce moment il avait occupée, et, s'approchant de Balle-Franche, il lui posa la main sur l'épaule. Le Canadien tressaillit à cet attouchement amical, redressa la tête et jeta un regard triste au vieux chasseur.

– Pardieu! fit celui-ci avec un sourire, le diable m'emporte si les oreilles ne nous ont pas tinté tout à l'heure! Voyons, Balle-Franche, mon vieux camarade, que s'est-il passé? Pourquoi cette mine effarée comme si le ciel était sur le point de nous tomber sur la tête? Que signifie cette prétendue trahison dont vous vous accusez et dont je garantis, moi qui vous connais depuis quarante ans, l'impossibilité flagrante.

– Ne vous avancez pas ainsi pour moi, frère, répondit Balle-Franche d'une voix creuse, j'ai manqué à la loi des Prairies, j'ai trahi, vous dis-je.

– Mais, au nom du diable, expliquez-vous alors! Vous ne pouvez avoir traité à notre préjudice avec ces chiens Apaches nos ennemis! Une pareille supposition serait ridicule.

– J'ai fait pis.

– Oh! Oh! Quoi donc alors?

– J'ai… hasarda Balle-Franche en hésitant.

– Quoi?

Don Mariano s'interposa tout à coup.

– Silence, dit-il d'une voix ferme; je devine ce que vous avez fait, et je vous en remercie; c'est à moi qu'il appartient de vous justifier devant nos amis, laissez-moi le faire.

Tous les regards se fixèrent curieusement sur le gentilhomme.

– Caballeros, reprit-il, ce digne homme s'accuse devant vous, comme d'une trahison, d'avoir consenti à me rendre un service immense; en un mot, il a sauvé mon frère!

– Il serait possible! s'écria don Leo avec violence.

Balle-Franche baissa affirmativement la tête.

– Oh! dit l'aventurier; malheureux, qu'avez-vous fait?

– Je n'ai pas voulu être fratricide! répondit noblement don Mariano.

Cette parole éclata comme la foudre au milieu de ces hommes au cœur de lion; ils baissèrent instinctivement la tête, et se sentirent frissonner malgré eux.

– Ne reprochez pas à ce loyal chasseur, reprit don Mariano, d'avoir sauvé ce misérable. N'a-t-il pas été assez puni? La leçon a été trop rude pour qu'elle ne lui profite pas. Forcé de se reconnaître vaincu, courbé sous la honte et les remords, il erre maintenant seul et sans appui sous l'œil tout puissant de Dieu, qui, lorsque son heure sera arrivée, saura bien lui infliger le châtiment de ses crimes! Maintenant, don Estevan n'est plus à redouter pour nous; jamais nous ne le retrouverons sur notre route.

– Arrêtez! s'écria Balle-Franche avec véhémence: s'il devait en être ainsi que vous le dites, je ne me reprocherais pas aussi violemment d'avoir consenti à vous obéir. Non, non, don Mariano, j'aurais du refuser. Morte la bête, mort le venin! Savez-vous ce qu'a fait cet homme? Dès qu'il s'est vu libre, grâce à moi, oubliant aussitôt que j'étais son sauveur, il a voulu traîtreusement m'arracher cette vie que je venais de lui rendre. Regardez la plaie béante de mon crâne, ajouta-il en enlevant d'un geste brusque le bandeau qui entourait sa tête, voilà la preuve de reconnaissance qu'il m'a laissée en se séparant de moi.

Tous les assistants poussèrent une exclamation d'horreur.

Balle-Franche raconta alors dans les plus grands détails, les événements qui s'étaient passés.

Les chasseurs l'écoutèrent avec attention; lorsque son récit fut terminé, il y eut un instant de silence.

– Que faire? murmura don Leo avec tristesse; tout est à recommencer à présent; il ne manque pas dans la Prairie, de misérables avec lesquels cet homme puisse s'entendre.

Don Mariano, accablé par ce qu'il venait d'apprendre, restait sombre et silencieux, sans prendre part à la discussion, reconnaissant intérieurement la faute qu'il avait commise, mais ne se sentant pas le courage de l'avouer et d'assumer ainsi sur lui la responsabilité immense du jugement prononcé par les coureurs des bois.

– Il faut en finir, dit Bon-Affût, les moments sont précieux; qui sait ce que fait ce scélérat pendant que nous délibérons? Levons le camp au plus vite, rendons-nous auprès des jeunes filles, elles doivent être sauvées d'abord; quant à nous, nous saurons bien déjouer les machinations criminelles de ce misérable lorsqu'elles s'adresseront directement à nous.

– Oui! s'écria don Leo, en route, en route! Dieu veuille que nous arrivions à temps!

Et oubliant sa faiblesse et ses blessures, l'aventurier se leva résolument. Balle-Franche l'arrêta; le vieux chasseur, débarrassé du poids qui pesait si lourdement sur sa conscience, avait repris toute son audace et toute sa liberté d'intelligence.

– Permettez, dit-il, nous avons affaire a forte partie, n'agissons pas à la légère, ne nous laissons pas tromper cette fois; voici ce que je propose:

– Parlez, répondit don Leo.

– D'après ce que je connais de cette malheureuse histoire, vous avez, don Miguel, aidé par mon vieux camarade Bon-Affût, caché les deux jeunes filles dans un lieu que vous supposez hors des atteintes de votre ennemi.

– Oui, répondit l'aventurier, à moins d'une trahison.

– Il faut toujours soupçonner une trahison possible au désert, reprit brutalement le chasseur, vous en avez la preuve devant vous; redoublons donc de prudence: don Miguel et sa cuadrilla vont, guidés par moi, se mettre immédiatement à la poursuite de don Stefano; croyez-moi, le plus important pour nous est de nous assurer de la personne de notre ennemi, et, vive Dieu! Pour l'atteindre, je vous jure que tout ce qui est humainement possible de faire, je le ferai; j'ai un terrible compte à régler avec lui maintenant, ajouta-t-il avec une expression de haine concentrée à laquelle personne ne se méprit.

– Mais les jeunes filles? s'écria don Leo.

– Patience, don Miguel; si vous aviez eu autant de forces que de volonté, c'eût été à vous que j'eusse réservé l'honneur de les aller chercher dans l'asile que vous leur avez si judicieusement choisi; mais cette tâche serait trop rude pour vous; laissez donc à Bon-Affût le soin de l'accomplir, soyez certain qu'il vous en rendra bon compte.

Don Leo de Torres demeura un instant sombre et pensif; Bon-Affût lui prit la main, et la lui serrant chaleureusement:

– Le conseil de Balle-Franche est bon, lui dit-il; dans les circonstances présentes, c'est le seul que nous puissions suivre: il nous faut joûter de ruse avec nos adversaires, afin de déjouer leurs fourberies. Laissez-moi ce soin; ce n'est pas en vain que l'on me nomme l'Éclaireur; je vous jure, sur ma vie, que je vous ramènerai les jeunes filles.

L'aventurier poussa un soupir.

– Faites donc comme vous l'entendrez, dit-il d'une voix triste, puisque je suis réduit à l'impuissance.

– Bien, don Leo, s'écria don Mariano, je reconnais que vos intentions sont réellement loyales, je vous remercie de votre abnégation; quant à vous, mon brave ami, ajouta-t-il en se tournant vers Bon-Affût, bien que je sois vieux et peu habitué à la vie de désert, je veux vous accompagner.

– Votre désir est juste, monsieur, je n'ai pas le droit de m'y opposer, puisque c'est votre fille que je vais essayer de sauver; les fatigues que vous endurerez et les périls que vous courrez pendant cette expédition ajouteront encore au bonheur que vous éprouverez à embrasser votre enfant, lorsque je serai parvenu à vous la rendre.

– Maintenant, dit Balle-Franche, vous, Bon-Affût, qui connaissez la direction que vous allez suivre, indiquez-nous un rendez-vous où nous puissions nous réunir lorsque chacun de nous aura accompli la tâche dont il se charge.

– C'est vrai, répondit le Canadien, ceci est important; il serait même bon qu'un détachement de la cuadrilla de don Miguel se rendit directement au rendez-vous que nous allons choisir, afin qu'en cas de malheur chaque troupe put y trouver un secours ou une réserve.

– En effet, quinze de mes hommes les plus résolus iront immédiatement camper au lieu que vous désignerez, Bon-Affût, fit don Leo, afin d'être prêts à se porter partout où leur présence sera nécessaire.

– C'est une guerre en règle que nous faisons, ne l'oublions pas; ne négligeons donc aucune précaution; Ruperto, qui est un vieux chasseur de bisons, prendra, sauf votre bon plaisir, don Leo, le commandement de cette troupe, et il se rendra à Amaxtlan11.

– Oh! Je connais bien l'endroit, interrompit Ruperto, j'y ai souvent chassé le castor et la loutre.

– Voilà qui est bien, reprit Bon-Affût; maintenant, quoi qu'il arrive, nous devons nous trouver tous au lieu du rendez-vous, d'aujourd'hui en un mois, à moins d'un empêchement grave, et, dans ce cas, le détachement qui manquerait expédierait un émissaire à Ruperto, afin de l'instruire de la cause de son retard; est-ce convenu?

– Oui, répondirent les assistants.

– Mais, ajouta don Leo, vous ne partez pas seul avec don Mariano, je suppose?

– Non, je prends encore Domingo, que, pour certaines raisons à moi connues, je ne suis pas fâché d'avoir constamment sous la main; les deux domestiques de don Mariano me suivront aussi, ils sont braves, dévoués; je n'ai pas besoin de plus de monde.

– C'est bien peu, observa don Leo.

Le vieux chasseur eut un sourire d'une expression indéfinissable.

– Moins nous serons, mieux cela vaudra, dit-il, pour l'entreprise périlleuse que nous tentons; notre petite troupe passera invisible où une plus nombreuse serait arrêtée; rapportez-vous-en à moi.

– Je n'ai plus qu'un mot à ajouter.

– Dites.

– Réussissez!

Le Canadien sourit encore, mais cette fois avec une expression de tendre pitié.

– Je réussirai! répondit-il simplement, en serrant avec force la main que lui tendait son ami.

Les deux hommes s'étaient entendus.

Don Leo sortit alors de la tente.

Bientôt tout fut en mouvement dans le camp. Les gambucinos s'occupaient activement à détruire les retranchements, charger les wagons, seller les chevaux, etc., enfin chacun faisait les préparatifs d'un départ précipité.

– Ne m'avez-vous pas dit, demanda Bon-Affût à Balle-Franche, que vous aviez été relevé par l'Aigle-Volant?

– En effet, répondit celui-ci.

– Le chef s'est-il donc déjà séparé de vous?

– Aucunement; il m'a suivi au camp ainsi que l'Églantine.

– Dieu soit loué! Il m'accompagnera dans mon expédition; c'est un guerrier brave et expérimenté; son aide sera, je le crois, fort nécessaire à la réussite de mes projets. Où est-il resté?

– Ici, à quelques pas; allons le trouver, j'ai certaines chose à lui dire, moi aussi.

Les deux chasseurs quittèrent la tente de compagnie; ils aperçurent bientôt l'Aigle-Volant accroupi devant un feu et fumant impassiblement son calumet indien; sa femme se tenait immobile à ses côtés, attentive à satisfaire ses moindres désirs.

A la vue des chasseurs, le chef ôta sa pipe de sa bouche et les salua courtoisement.

Balle-Franche savait que le Comanche avait pris plusieurs mesures sur les empreintes laissées dans sa fuite par don Estevan; c'étaient ces mesures, dont il espérait se servir plus tard afin de retrouver la piste de son ennemi, qu'il désirait demander au chef.

Celui-ci les lui remit sans faire la moindre difficulté; le chasseur les serra précieusement dans sa poitrine avec un geste de satisfaction.

– Eh! murmura-t-il à part lui, voilà qui me fera trouver, un bout de la piste; avec l'aide de Dieu, j'espère que je ne tarderai pas à atteindre l'autre.

Cependant Bon-Affût s'était assis auprès de l'Aigle-Volant.

– Mon frère rouge compte-t-il toujours retourner dans sa tribu? lui demanda-t-il.

– Il y a longtemps que le sachem est absent, répondit l'Indien; ses fils ont hâte de le voir.

– Bon! fit le chasseur, cela doit être ainsi: l'Aigle-Volant est un chef renommé, ses fils ont besoin de lui.

– Les Comanches sont trop sages pour qu'un guerrier leur fasse faute et que son absence soit remarquée.

– Mon frère est modeste, mais son cœur vole vers le village de ses pères.

– Tous les hommes ne sont-il pas de même?

– C'est vrai, le sentiment de la patrie est inné au cœur de l'homme.

– Les visages pâles lèvent leur camp?

– Oui.

– Retournent-ils du côté du grand lac salé, dans leurs villages en pierre?

– Non, ils partent pour une grande chasse au bison, dans les prairies au bas de la grande rivière sans fin aux lames d'or.

– Ooah! fit le chef avec une certaine émotion; alors bien des lunes se passeront avant que je revoie mon frère.

– Pourquoi cela, chef?

– Le grand chasseur pâle n'accompagne-t-il pas ses frères?

– Non, fit laconiquement Bon-Affût.

– Och! Mon frère veut rire; que feront les visages pâles s'il ne les accompagne pas?

– Je vais du côté du soleil.

L'Indien tressaillit; il fixa un regard perçant sur son interlocuteur.

– Du côté du soleil, dit-il, comme se parlant à lui-même.

– Oui, reprit Bon-Affût, dans les prairies toujours vertes du pays d'Acatlan12, sur les bords de la belle rivière d'Atonatiuh13.

Un frémissement soudain agita le corps du chef; Bon-Affût était impassible, indifférent en apparence, bien qu'il suivit attentivement les diverses émotions qui malgré le masque que le chef cherchait à plaquer sur son visage, contractaient ses traits.

– Mon frère a tort, répondit-il au bout d'un instant.

– Pourquoi donc?

– Mon frère ignore que la terre dont il parle est sacrée; jamais le pied d'un blanc ne l'a impunément foulée.

– Je le sais, répondit négligemment le chasseur.

– Mon frère le sait, et il persiste à s'y rendre?

– Oui.

Il y eut entre les deux hommes un silence de quelques minutes; l'Indien aspirait précipitamment la fumée de son calumet, en proie à une émotion qu'il ne pouvait maîtriser. Enfin il reprit la parole:

– Chacun a sa destinée, dit-il de ce ton sentencieux particulier aux Indiens: mon frère attache sans doute une grande importance à ce voyage.

– Une immense; je me rends sur cette terre, bien que je connaisse parfaitement les périls qui m'y attendent, pour des intérêts d'une grande importance, et poussé par une volonté plus forte que la mienne.

– Bon! Je ne demande pas les secrets de mon frère: le cœur d'un homme est à lui, seul il doit y lire; L'Aigle-Volant est un puissant sachem, il suit aussi cette route; il protégera son frère pâle, si les intentions du chasseur sont pures.

– Elles le sont.

– Ooah! Mon frère a la parole d'un chef. J'ai dit.

Après avoir prononcé ces paroles, l'Indien reprit son calumet et recommença à fumer silencieusement. Bon-Affût était trop au fait des mœurs indiennes pour insister davantage; il se leva la joie au cœur d'avoir réussi à s'assurer un allié aussi puissant que le chef comanche, et il alla en toute hâte faire ses préparatifs de départ.

De leur côté, pendant la conversation que nous avons rapportée, les gambucinos n'étaient pas demeurés inactifs; don Miguel ou don Leo, ainsi qu'il plaira au lecteur de le nommer, avait si bien pressé ses gens, que déjà tout était prêt, les wagons chargés et attelés, les cavaliers en selle, le rifle sur la cuisse droite, n'attendaient plus que le signal de la marche.

Don Leo choisit dans sa troupe quinze vieux gambucinos aguerris contre les ruses indiennes, et sur lesquels il croyait pouvoir compter; il leur dit quelques mots afin de les mettre au fait de ses intentions, et les plaça sous les ordres de Ruperto avec injonction de lui obéir en tout, ainsi qu'ils le feraient à lui-même; les gambucinos le lui jurèrent.

Ce devoir accompli, il appela Domingo. Le gambucino arriva auprès de son chef avec cette démarche sournoisement indolente qui lui était particulière, et attendit respectueusement que celui-ci lui expliquât ses ordres.

Quand Domingo sut ce que l'on attendait de lui, il ne fut nullement flatté de la mission de confiance que son chef lui donnait, d'autant plus qu'il se souciait fort peu d'être sous la surveillance immédiate de Bon-Affût, dont le regard perçant avait le privilège de lui occasionner incessamment des tressaillements nerveux, et dont la surveillance assidue lui était des plus désagréables; cependant, comme il était impossible de désobéir ostensiblement à don Leo, le digne gambucino fit contre fortune bon cœur, se promettant in petto de se tenir sur ses gardes et de redoubler de prudence.

Lorsque don Leo se fut acquitté de tous les devoirs d'un chef sage et intelligent, il monta à cheval, bien qu'avec une certaine difficulté, à cause de la faiblesse occasionnée par ses blessures. Il se plaça en tête de sa troupe, à la droite de Balle-Franche, et après avoir fait un dernier signe d'adieu à don Mariano et à Bon-Affût, il donna le signal du départ.

Les deux troupes se mirent immédiatement en marche: celle conduite par Ruperto appuyant sur la gauche, et se dirigeant vers les montagnes, et celle de Balle-Franche suivant provisoirement le cours du Rubio.

Il ne restait plus au camp abandonné que Bon-Affût, don Mariano, l'Aigle-Volant, l'Églantine, les deux domestiques et le gambucino Domingo, qui suivait d'un regard d'envie ses compagnons qui s'éloignaient de plus en plus et qui finirent bientôt par disparaître.

Cette dernière troupe se composait donc de six hommes et d'une femme, en tout sept personnes.

Le vieux chasseur, pour des raisons qu'il gardait secrètes, ne voulait pas se mettre en route avant le coucher du soleil.

A peine cet astre eut-il disparu l'horizon dans des flots de vapeurs, que la nuit fut profonde et le paysage plongé presque immédiatement dans d'épaisses ténèbres.

Nous avons déjà fait plusieurs fois observer que dans les hautes latitudes américaines le crépuscule n'existe pas, ou du moins est tellement faible, que la nuit arrive pour ainsi dire sans transition.

Bon-Affût, depuis le départ des deux premiers détachements, n'avait pas prononcé un mot, pas fait un mouvement; ses compagnons, pour des motifs sans doute analogues aux siens, avaient respecté cette disposition silencieuse de leur chef; mais à peine la nuit fut-elle venue que le chasseur se redressa.

– En route, dit-il d'une voix brève.

Tous se levèrent.

Bon-Affût jeta autour de lui un regard investigateur.

– Laissez vos chevaux, dit-il, ils nous sont inutiles; ce n'est pas un voyage que nous entreprenons, nous commençons une chasse à l'homme; il nous faut être libres de nos mouvements; la piste que nous suivons est difficile. Juanito, vous resterez ici avec les animaux jusqu'à ce que vous receviez de nos nouvelles.

Le criado fit un geste de mécontentement.

– J'aurais préféré vous suivre et ne pas abandonner mon maître, dit-il.

– Je le comprends, mais j'ai besoin qu'un homme courageux et résolu surveille nos animaux, je ne pouvais mieux m'adresser qu'à vous; du reste, j'espère que vous ne demeurerez pas longtemps seul cependant comme nous ne savons quels chemins nous aurons à suivre ni les empêchements qui se dresseront sur notre route, construisez-vous une hutte. Chassez, faites ce que bon vous semblera, mais souvenez-vous que vous ne devez pas bouger d'ici sans mon ordre.

11.D'Aman, endroit où une rivière se divise en plusieurs branches.
12.Littéralement pays des roseaux; d'acatl, roseau.
13.Soleil d'eau; de atl, eau, et tonatiuh, soleil.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 mayıs 2017
Hacim:
480 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain