Kitabı oku: «Le fils du Soleil», sayfa 8

Yazı tipi:

III.–MARIA

En quittant le Carmen, Sanchez avait senti le souvenir de sa soeur s'éveiller dans sa pensée; et, pour prévenir don Luis Munoz de l'invasion des Indiens, il s'était lancé à toute bride vers l'estancia de San-Julian où, grâce à la vitesse du cheval frais que le gouverneur lui avait donné, il était arrivé sans encombre. Tout était tranquille à San-Julian, la sentinelle placée en vedette sur le mirador n'avait rien aperçu d'inquiétant dans le lointain.

Le Pavito, en l'absence du capataz, veillait à la batterie, comme un bon chien de garde.

–-Où est don José, demanda le bombero.

–-Au Carmen, en compagnie de don Fernando Bustamente, répondit le gaucho.

–-Quoi, ils ne sont pas encore de retour?

–-Non.

–-Conduisez-moi auprès de don Luis.

L'estanciero reçut à merveille le bombero et fit appeler sa soeur, qui arriva avec dona Linda.

–-Qui vous amène si vite, Sanchez?

–-Une raison fort grave, don Luis, répondit-il après avoir à plusieurs reprises embrassé Maria. Mais voyez donc, seigneurie! est-elle jolie dans ce nouveau costume! Embrasse-moi encore, petite soeur.

–-N'êtes-vous venu que pour dévorer cette enfant de caresses! dit en souriant don Luis; donnez-vous-en à coeur joie, mon brave ami.

–-Cela suffirait presque, reprit Sanchez, dont les yeux se remplirent de larmes. Hélas! notre famille diminue de jour en jour. Enfin, ajouta-t-il en changeant de ton, quelque amitié que j'aie pour ma soeur, ce n'est pas seulement pour elle que je suis ici. Mais tenez, seigneurie, je mens, c'est pour elle, pour elle seule! en apparence pour vous. J'arrive du Carmen.

–-Du Carmen! fit involontairement dona Linda.

–-Oui, senorita, répondit le bombero, comme s'il eût deviné la pensée secrète de la jeune fille, et j'y ai vu don Fernando Bustamente.

Dona Linda rougit comme une cerise et se tut.

–-Et qu'alliez-vous faire au Carmen? demanda don Luis.

–-Prévenir Son Excellence le colonel don Luciano Quiros que les Indiens sont entrés sur le territoire de la république, pillant et incendiant tout sur le chemin.

–-Une invasion! fit don Luis avec un tressaillement intérieur.

–-Oh mon Dieu! s'écrièrent les deux jeunes filles en joignant les mains avec un mouvement de frayeur.

–-Oui, Seigneurie, une invasion innombrable et terrible. Le gouverneur avait, je me suis rappelé ma soeur et je suis venu.

–-Vous êtes un brave garçon, Sanchez, lui dit l'estanciero, en lui tendant la main; vous n'êtes pas un frère pour Maria, vous êtes une mère. Mais n'ayez crainte! l'estancia est plus sûre que le Carmen.

–-Je l'ai vu dès mon arrivée, seigneurie, et cela m'a ôté un rude poids qui pesait sur ma poitrine, je vais donc, le coeur dispos et presque joyeux, rejoindre mes deux frères.–Simon est mort dans la lutte;–le même sort nous attend, mais Maria est heureuse, je puis mourir en paix.

–-Oh! mon bon Sanchez, s'écria Maria qui se jeta en pleurs dans ses bras: ne dois-tu pas vivre pour moi qui t'aime?

–-Allons, ne pleure pas, petite, et adieu! Je retourne dans la plaine.

–-Adieu! dit l'estanciero, c'est un mot triste, Sanchez; au revoir!

–-Seigneurie, reprit le bombero, nous ne disons jamais: au revoir! à nos amis.

Il embrassa tendrement sa soeur toujours en larmes, sortit de l'appartement, remonta sur son cheval et repartit au galop.

–-Mon père, dit vivement dona Linda, est-ce que nous allons demeurer à l'estancia durant l'invasion des Indiens?

–-Mon enfant, c'est l'abri le plus sûr.

–-Mais, don Fernando? ajouta-t-elle avec une câlinerie charmante.

–-Il viendra nous rejoindre.

–-Oh! non, fit-elle brusquement; y songez-vous mon père? Les chemins sont impraticables et infestés d'Indiens; je ne veux pas qu'il tombe dans une embuscade de païens.

–-Comment faire?

–-Lui envoyer un exprès qui lui ordonne de ma part de rester au Carmen, ou, s'il tient absolument à revenir, de prendre une chaloupe; sur le fleuve les Indiens n'oseront pas l'attaquer. Ecrivez-lui, mon père. J'ajouterai quelques lignes à votre lettre; il ne voudra pas déplaire à sa femme.

–-Sa femme! fit le père en souriant.

–-Ou peu s'en faut, puisque je l'épouse dans deux jours. Vous allez écrite tout de suite, n'est-ce pas, cher père?

–-Je n'ai de volontés que tes caprices. Enfin, ajouta-t-il d'un air résigné.

Il se plaça devant un bureau en palissandre et écrivit. Linda, appuyée sur sa chaise en souriant, lisait par dessus son épaule. Dès que don Luis eut fini, il se tourna vers sa fille bien-aimée.

–-Eh bien! lui dit-il êtes-vous contente, petite curieuse?

–-Oh! mon père! fit-elle en lui prenant la tête à deux mains et la baisant au front.

Puis, par un mouvement plein de grâce amoureuse, elle ôta la plume des doigts de son père et traça quelques mots au bas de la lettre, quand au dehors retentit un grand bruit mêlé de gémissements.

–-Oh! mon Dieu! s'écria-t-elle comme frappée au coeur et pâlissant.

Elle se précipita sur le perron et aperçut le Pavito et Sanchez qui portaient un homme enveloppé dans un manteau. Des femmes silencieuses l'entouraient, tandis que d'autres personnes s'empressaient auprès de dona Diaz, prête à s'évanouir.

–-Quel est ce corps? demanda dona Linda d'une voix brève et saccadée.

–-C'est mon fils, cria la mère désolée.

–-Don Juan Perez, répondit Pavito.

–-Et don Fernando? fit la jeune fille.

–-Disparu! articula Sanchez.

Elle tomba à la renverse, demi-morte; son père la reçut dans ses bras. Les deux hommes entrèrent dans le salon.

Voici ce qui s'était passé.

Sanchez, à peu de distance de l'estancia, avait failli être désarçonné par un écart subit de son cheval. Tiré de ses rêveries par l'effroi de sa monture, le cavalier chercha des yeux quelle en était la cause. Qu'on juge de sa surprise! sur la place, qui semblait avoir été le théâtre d'une lutte sérieuse, la terre détrempée gardait l'empreinte des pieds de plusieurs chevaux; des armes y avaient été abandonnées, et sept cadavres gisaient pêle-mêle au milieu des mares de sang et de boue.

–-Eh quoi! pensa Sanchez, les Indiens sont déjà venus par ici?

Puis il ajouta:

–-Comment n'ont-ils pas dépouillé leurs victimes?

Il mit pied à terre et s'approcha des corps, qu'il regarda avec attention, et qu'il tâta et souleva l'un après l'autre.

–-Il s'est passé quelque chose qui n'est pas naturel, fit le bombero. Deux nègres! Oh! s'écria-t-il en venant auprès des gauchos, quels sont ceux qui portent des masques? Oh! oh! est-ce que, au lieu d'une embuscade ce serait un crime, et au lieu d'une attaque indienne une vengeance espagnole. Voyons un peu!

Il arracha du visage des quatre gauchos les lambeaux de laine qui servaient à les déguiser.

–-Ma foi! je ne les connais pas. Qui peuvent être ces misérables?

Au même moment, ses yeux se tournèrent, ses yeux tombèrent sur un dernier corps caché par un épais buisson, sous lequel il était allongé.

–-Celui-ci n'est pas vêtu de la même manière. Ce doit être un des caballeros attaqués par les brigands. Voyons-le, peut-être me mettra-t-il sur la trace de cette aventure.

Il poussa un cri en reconnaissant le capataz de l'estancia de San-Julian, don Juan Diaz. Il se pencha sur lui, le prit dans ses bras, le déposa doucement sur la route, le dos appuyé sur le rocher.

–-Pauvre capataz! brave et bon! Mais, si je ne me trompe, je sens un reste de chaleur. Vive Dieu! je voudrais qu'il ne fût pas mort.

Alors le bombero lui ouvrit ses habits, et aperçut à la poitrine trois blessures sans gravité; il se hâta de les bander avec soin: les chairs étaient à peine entamées. Sanchez se frottait les mains en signe de contentement, lorsqu'il découvrit au crâne une quatrième plaie sur laquelle les cheveux s'étaient collés et avaient arrêté le sang. Il lava la blessure, coupa aux alentours les cheveux avec son poignard, imbiba d'eau et de sel une compresse qu'il posa sur la palie, et la noua autour de la tête. Le capataz poussa un faible soupir et remua imperceptiblement.

–-Caraï! s'écria Sanchez ravi; il est sauvé: les blessures au crâne, quand elles ne tuent pas sur le coup, se guérissent en huit jours.

Peu à peu le blessé sembla revenir à la vie et ouvrit enfin ses yeux, qui regardèrent vaguement.

–-Eh! mon brave, vous sentez-vous mieux? Canario! vous revenez de loin, savez-vous?

Le capataz fit un petit signe de tête.

–-Attendez! continua Sanchez.

Et il lui introduisit dans la bouche le goulot de la bota d'aguardiente que les bomberos portent toujours à l'arçon de leur selle. Diaz fit la grimace, mais bientôt se résignant, il but la liqueur que son médecin lui entonnait de bon gré mal gré. Au bout de quelques minutes ses yeux brillèrent de leur éclat accoutumé, et un léger incarnat colora ses joues.

–-Merci! dit-il en repoussant la bota de la main.

–-Vous parlez, donc vous vivez, capataz! Pouvez-vous causer?…

–-Oui.

–-Sans danger pour vous, au moins?

–-Oui.

–-Et d'abord, me reconnaissez-vous?

–-Vous êtes Sanchez le bombero, dit le blessé en souriant.

–-Je suis un ami.

–-Que vous amis dans ce piteux état?

–-Je ne sais pas.

–-Hum! combien étaient-ils?

–-Je l'ignore.

–-Hein! et pourquoi vous ont-ils ainsi arrangé?

–-Je ne sais pas.

–-Je ne sais pas! je l'ignore! Tout cela n'est pas très clair; et, si vous n'en dites jamais davantage, il est douteux que vous compromettiez vos assassins. D'où veniez-vous? du Carmen?

–-Nous avons quitté ce matin le Carmen pour nous…

–-Un instant, s'il vous plaît! vous avez dit nous, n'est-ce pas?

–-Oui, nous.

–-Qui cela, nous?

–-Don Fernando Bustamente, moi et deux esclaves noirs.

–-Bien. A quel endroit vous êtes-vous séparé de don Fernando?

–-Je ne me suis pas séparé de don Fernando.

–-Ah bah!

–-Nous étions ensemble, lorsque des bandits masqués sont sortis tout à coup de ce bois et nous ont attaqués. Nos nègres ont été tués à la première décharge. Don Fernando et moi, nous nous sommes adossés contre un arbre, derrière nos chevaux, je me suis battu, et… je n'en puis dire davantage.

–-Ce coup à la tête vous a renversé; il y avait, pardieu! de quoi assommer un boeuf; mais vous avez la tête dure, et bien vous en a pris, car vous en reviendrez. Ainsi, vous n'avez pu reconnaître vos assassins?

–-Non.

–-Venez un peu les regarder avec moi. Pouvez-vous marcher?

–-Je le crois.

–-Essayez.

José Diaz se leva avec difficulté et fit quelques pas en trébuchant.

–-Donnez-moi le bras dit Sanchez.

Le capataz, soutenu par le bombero, examina le visage des gauchos.

–-Je reconnais celui-ci fit-il en désignant du doigt un cadavre, c'est Mato. Je sais maintenant quel est l'auteur du guet-apens.

–-Caraï! tant mieux! Mais le corps de don Fernando n'est pas là.

–-Dieu soit loué! s'écria le capataz; il se sera échappé, nous le retrouverons, à l'estancia.

–-Non, dit Sanchez.

–-Comment, non!

–-J'en arrive, je l'aurais vu.

–-Où est-il?

–-Ah! voilà! je dirais comme vous: je ne sais pas, ou, si vous l'aimez mieux, je l'ignore.

–-Je vais vous y conduire au petit pas: votre tête n'est point encore recousue, et une course rapide envenimerait la plaie.

–-N'importe, il faut que je m'y rende avec la rapidité du vent.

–-Vous voulez vous tuer, alors?

–-Cela m'est égal. Vous aimez don Luis Munoz et sa fille n'est-il pas vrai?

–-Caraï! si je les aime! je donnerais mon sang pour eux.

–-Il s'agit du bonheur, peut-être de la vie de dona Linda. Vous voyez que la mienne n'est rien.

–-C'est vrai, fit le bombero d'un ton de conviction.

–-Ainsi, vous consentez?

–-Je consens.

–-Merci! Un mot encore! Si je meurs en route, vous direz à dona Linda que l'assassin…

–-Que l'assassin? dit Sanchez voyant que l'autre s'interrompait.

–-Mais non, reprit le capataz, c'est inutile, Dieu ne permettra pas que je meure avant de l'avoir vue.

–-Comme il vous plaira! Partons.

–-Rapidement, n'est-ce pas?

–-Comme la foudre.

Il remonta à cheval, plaça devant lui le capataz, qui n'avait point de monture et qui d'ailleurs était trop faible pour se tenir en selle; puis lâchant la bride et jouant de l'éperon, il s'envola avec la vélocité du cheval-fantôme de la ballade allemande.

Devant la porte de l'estancia, le cheval de Sanchez manqua des quatre pieds à la fois et tomba mort. Mais le bombero, qui avait prévu cet accident, se retrouva debout sur ses jambes et tenant dans ses bras son ami le capataz, que les secousses de cette course infernale avaient fait évanouir une seconde fois.

Le Pavito aida le bombero à porter jusqu'à la maison le pauvre don José Diaz.

Dona Linda, avait repris ses sens, s'obstina, malgré les prières de son père, à rester auprès du blessé. Elle lui prodigua ses soins, lui versa dans la bouche quelques gouttes d'un puissant cordial, et attendit le retour à la vie du capataz.

–-Pardon! senorita, pardon! lui dit-il dès qu'il eut rouvert les yeux et qu'il l'eut aperçue; je n'ai pu le sauver: mes forces m'ont trahi.

–-Je n'ai rien à vous pardonner, Diaz, répondit la jeune fille, qui avait tout appris par Sanchez. Au contraire, mon ami, je vous remercie de votre dévouement. Un mot seulement! Lorsque vous êtes tombé, don Fernando combattait toujours auprès de vous?

–-Oui, senorita.

–-Ce n'est donc qu'après votre chute qu'il a péri sous le nombre.

–-Non, don Fernando n'est point mort.

–-Qui vous le fait supposer?

–-Une chose toute simple: s'il avait été tué, son corps serait resté étendu à côté du mien. Quel intérêt, en effet, aient les assassins à cacher un cadavre, lorsqu'ils en abandonnaient sept au milieu de la route? S'ils avaient voulu cacher leur crime, un trou est vite creusé dans le sable.

–-C'est vrai, murmura dona Linda. Il vit encore. Mais savez-vous d'où vient ce crime?

–-Oui, senorita.

–-Et?…

Le capataz montra d'un coup d'oeil les personnes qui encombraient le salon. Dona Linda comprit, et d'un geste congédia l'assistance. Sanchez voulut suivre les autres.

–-Restez, lui dit-elle. Vous pouvez parler devant mon père, don Sanchez et sa soeur. Quel est l'homme qui vous a attaqués.

–-Permettez, senorita. Je ne dis pas positivement qu'il se trouvât au milieu des assassins, car je ne l'ai pas vu, mais c'est certainement lui qui les a lâchés contre nous et qui de loin les dirigeait.

–-Oui, Diaz; il était la tête, et ces dix ou douze bandits n'étaient que des bras.

–-C'est cela même. Parmi les morts j'ai reconnu le cadavre d'une de ses âmes damnées, du gaucho Mato, que j'ai surpris l'autre jour conspirant avec lui contre vous.

Un sourire amer plissa un instant les lèvres pâlies de la jeune fille.

–-Me direz-vous son nom, enfin? s'écria-t-elle en frappant du pied avec colère.

–-Don Juan Perez!

–-Je le savais! fit-elle avec un accent de dédain superbe. Oh! don Juan! don Juan! Cet homme, où le trouver à cette heure? Où est-il? Oh! je donnerais ma fortune, ma vie, pour être face à face avec lui. Est-ce donc pour assassiner impunément ses rivaux que cet homme mystérieux…

Elle ne put achever. Elle fondit en larmes et tomba dans les bras de don Luis en s'écriant avec des sanglots entrecoupés:

–-Mon père! mon père! qui me vengera?

–-Senorita, dit Sanchez, l'homme dont vous parlez est bien difficile à atteindre.

–-Vous le connaissez, don Sanchez? fit-elle en se redressant.

–-Oui, répondit-il. Mais vous, senorita, le connaissez-vous?

–-On dit que c'est un riche Espagnol.

–-On se trompe.

–-Auriez-vous pénétré le mystère dont il s'environne?

–-Oui.

Chacun se rapprocha de Sanchez.

–-Cet homme que vous appelez don Juan Perez, se nomme Neham-Outah; c'est un des principaux chefs des Indiens Aucas.

Un Indien! s'écria la jeune fille avec stupeur.

–-Oui, mais un de ces Indiens de couleur blanche, qui descendent des Incas et se prétendent fils du Soleil.

–-Prenez garde, Lindita, dit Maria, Neham-Outah est terrible…

–-Il ne me reste donc qu'à mourir, soupira la pauvre fiancée qui tomba sur un fauteuil.

Maria la contempla un moment avec un regard mêlé de douleur, de compassion, de tendresse, s'approcha d'elle et lui posa doucement la main sur l'épaule. A cet attouchement imprévu, dona Linda tressaillit et se retourna.

–-Que me veux-tu, pauvre enfant? lui demanda-t-elle tristement.

–-Sauver don Fernando, s'il est vivant, répondit Maria d'une voix calme et ferme.

–-Toi.

–-Moi. Lorsque j'étais sans asile, ne m'avez vous pas ouvert votre maison et votre coeur. Vous souffrez, et à mon tour je viens vous dire: Me voici.

–-Mais que pourras-tu faire, mon amie?

–-C'est mon secret. Je connais les Indiens; je sais comment il faut se conduire avec eux; je parle leur langage. Seulement, jurez-moi que d'ici à trois jours vous ne sortirez pas de l'estancia et que vous ne chercherez par aucun moyen à savoir ce qu'est devenu votre fiancé.

Dona Linda regarda Maria, dont l'oeil étincelait d'un feu clair et limpide; sus ses traits respirait je ne sais quelle grâce virile; sur ses lèvres roses se jouait un sourire si doux et si tranquille, qu'elle se sentit subjuguée et malgré elle l'espérance rentra dans son coeur.

–-Merci! reprit Maria. Adieu, Lindita! dans trois jours vous aurez des nouvelles de votre fiancé ou je serai morte.

IV.–L'INVASION

Donnons maintenant quelques explications sur l'expédition indienne, et sur les préparatifs et dispositions ordonnées par Neham-Outah au moment de tenter le siège du Carmen.

–-Si vous réussissez dans cette affaire, avait dit don Juan aux deux gauchos après leur avoir donné l'ordre d'enlever don Fernando Bustamente, vous aurez encore cinquante onces d'or; mais n'oubliez rien et veillez.

Chillito et Mato, restés seuls, se partagèrent les onces avec des transports de joie.

Don Juan était remonté à cheval et s'était rendu au Carmen, où il avait passé plusieurs jours dans sa maison, à l'insu de tout le monde. Pendant son séjour, à deux reprises différentes il avait eu, sous divers déguisements, des entrevues avec Pincheira dans la Poblacion-del-Sur, le rendez-vous habituel des gauchos. Chaque nuit trois ou quatre mules chargées de ballots étaient sorties, sous l'escorte d'Indiens, et s'étaient dirigées du côté des Andes.

Enfin, une nuit, après un long entretient avec Pincheira, don Juan quitta le Carmen à son tour, sans même que sa présence dans la ville eût été soupçonnée. A six lieues du Carmen, il trouva Mato et Chillito qu'il tança vertement pour leur mollesse à exécuter ses ordres. Il leur recommanda d'agir le plus promptement possible.

Le lendemain, jour de la chasse aux Nandus, Mato s'était présenté à la porte de l'estancia que Pavito avait refusé d'ouvrir.

En s'éloignant des deux bandits, don Juan gagna la grotte naturelle, où une fois déjà nous l'avons vu changer de vêtements. Là, il se revêtit de ses ornements indiens, et, suivant les bords du Rio-Négro, il galopa vers l'île du Chole-Hechel, où il avait donné rendez-vous aux détachements de guerre des tribus de toutes les nations patagones et araucaniennes.

Le nuit avait le charme des plus délicieuses nuits d'Amérique. L'air frais et embaumé par les parfums pénétrants des fleurs qui s'épanouissaient par touffes sur les rives du fleuve, portait l'âme vers la rêverie. Le ciel, d'un bleu profond et sombre, était comme brodé d'étoiles, au milieu desquelles scintillait l'éblouissante croix du Sud que les Indiens appellent Parou-Chayé. La lune dorait le sable de sa douce lumière, jouait dans le feuillage des arbres et dessinait sur les dunes du rivage des formes fantastiques. Le vent soufflait mollement à travers les branches où la hulotte bleue jetait par intervalles les notes mélodieuses de son chant plaintif. Çà et là, dans le lointain, on entendait le rugissement grave du cougouar, le miaulement saccadé de la panthère et les rauques abois des loups rouges.

Neham-Outah, enivré par cette belle nuit d'automne, ralentit le pas de son cheval et laissa son esprit aller à la dérive. Le descendant de Manco Capac et de Mama-oello, ces premiers Incas du Pérou, voyait passer et repasser devant sa pensée les splendeurs de sa race, éteintes depuis la mort de Tupac-Amaru, le dernier empereur péruvien, que les soldats espagnols avaient assassiné. Son coeur se gonflait d'orgueil et de joie en songeant qu'il allait reconstituer l'empire de ses pères. Cette terre, qu'il foulait aux pieds, était la sienne; cet air qu'il respirait, c'était l'air de la patrie.

Il marcha longtemps ainsi, voyageant dans le pays des rêves. Les étoiles commencèrent à pâlir dans le ciel; l'aube traçait déjà une ligne blanche qui par degré se colora de teintes jaunes et rougeâtres, et, à l'approche du jour, l'air fraîchissait. Neham-Outah, réveillé comme en sursaut par la rosée glaciale de la pampa, ramena en frissonnant les pans de son manteau sur son épaule et repartit au galop, en lançant un regard vers le ciel et en murmurant:

–-Mourir, ou vivre libre!

Mot sublime dans la bouche de cet homme! Riche, jeune et beau, il eût pu rester à Paris, où il avait étudié, y vivre en grand seigneur et cueillir à mains pleines toutes les joies de ce monde. Mais non, sans pensée ambitieuse et sans compter sur la reconnaissance humaine, il voulait délivrer sa patrie.

Vers huit heures du matin environ, Neham-Outah s'arrêta devant une immense tolderia, en face de l'île de Chole-Hechel. En cet endroit, le Rio-Négro a sa plus grande largeur: chacun des bras formés par l'île peut avoir à peu près quatre kilomètres. L'île, qui s'élève au milieu des eaux, longue de quatre lieues et large de deux, est un vaste bouquet d'où s'exhalent les plus suaves odeurs et où chantent d'innombrables oiseaux. Eclairée ce jour-là par les rayons d'un splendide soleil, l'île semblait avoir été déposée sur le fleuve comme une corbeille de fleurs, pour le plaisir des yeux et le ravissement de l'imagination.

Aussi loin que la vue s'étendait dans l'île, sur les deux rives du fleuve, on apercevait des milliers de toldos et de chozas, pressés les uns contre les autres, et dont les couleurs bizarres brillaient au soleil. De nombreuses pirogues, faites de peaux de cheval cousues ensemble et rondes pour la plupart, ou creusées dans des troncs d'arbres, sillonnaient le fleuve dans tous les sens.

Neham-Outah confia son cheval à une femme indienne et s'engagea au milieu des toldos. Devant leurs ouvertures flottaient au vent les banderoles de plumes d'autruche des chefs.

Dès son arrivée, il avait été reconnu; on se rangeait sur son passage, on s'inclinait respectueusement devant lui. La vénération que les nations australes ont conservée aux descendants des Incas s'est changée en une sorte d'adoration. Le soleil d'or et de pierreries qui ceignait son front semblait allumer la joie le plus vive dans tous les coeurs.

Arrivé au bord du fleuve, une pirogue de pêcheur le passa dans l'île, où un toldo avait été préparé pour lui. Lucaney, averti par des sentinelles qui guettaient sa venue, se présenta devant Neham-Outah, ou moment où il mit pied à terre.

–-Le grand chef, dit-il en s'inclinant est le bienvenu parmi ses fils. Mon père a-t-il fait un bon voyage?

–-J'ai fait un bon voyage, je remercie mon frère.

–-Si mon père le permet, je vais le conduire à son toldo.

–-Marchons, dit le chef.

Lucaney s'inclina une seconde fois et guida le grand chef à travers un sentier tracé au milieu des buissons, ils arrivèrent bientôt à un toldo de couleurs éclatantes, vaste et propre, le plus beau de l'île en un mot.

–-Mon père est chez lui, dit Lucaney en soulevant le poncho qui en fermait l'ouverture.

Neham-Outah entra.

–-Que mon frère me suive! fit-il.

Le rideau de laine retomba sur les pas des deux ulmenes.

Cette habitation, semblable aux autres, contenait un feu, auprès duquel Neham-Outah et Lucaney s'accroupirent. Ils fumèrent en silence pendant quelques minutes, puis le grand chef s'adressa à Lucaney.

–-Les ulmenes, et les apo-ulmenes et les caraskenes de toutes les nations et de toutes les tribus sont-ils réunis dans l'île de Chole-Hechel, comme j'en avais donné l'ordre?

–-Ils sont tous réunis, répondit Lucaney.

–-Quand se rendront-ils dans mon toldo?

–-Les chefs attendent le bon plaisir de mon père.

–-Le temps est précieux. Il faut qu'à l'enuit'ha (petite nuit), nous ayons parcouru vingt lieues. Que Lucaney prévienne les chefs!

–-L'ulmen se leva sans répondre et sortit.

–-Allons! fit Neham-Outah dès qu'il fût seul, le sort en est jeté! Me voici dans la position de César, mais, vive Dieu! comme lui, je franchirai le Rubicon.

Il se leva, en proie à de profondes réflexions, et marcha de long en large dans le toldo pendant près d'une heure. Un bruit de pas se fit entendre; le rideau se souleva et Lucaney parut.

–-Eh bien? lui demanda Neham-Outah.

–-Les chefs sont là.

–-Qu'ils entrent!

Les ulmenes, soixante au moins, revêtus de leurs plus riches habits, peints et armés en guerre, passèrent silencieusement l'un après l'autre devant le grand chef, le saluèrent, baisèrent le bas de sa robe et se rangèrent autour du feu. Une troupe de guerriers aucas, au dehors, éloignait les curieux.

Neham-Outah, malgré son empire sur lui-même, ne put retenir un mouvement de fierté.

–-Que mes frères soient les bienvenus! dit-il. Je les attendais avec impatience. Lucaney combien de guerriers avez-vous rassemblé?

–-Deux mille cinq cents.

–-Chaukata?

–-Trois mille.

–-Métipan?

–-Deux mille.

–-Véra?

–-Trois mille sept cents.

–-Killapan?

–-Mille neuf cents.

Neham-Outah inscrivait au fur et à mesure sur son carnet les chiffres énoncés par les ulmenes qui, après avoir répondu, venaient se ranger à sa droite.

–-Lucaney, reprit-il, le détachement de guerre de Pincheira est-il ici?

–-Oui, mon père.

–-Combien compte-t-il de guerriers –Cinq mille huit cents.

–-Mulato, combien en avez-vous?

–-Quatre mille.

–-Guaylikof?

–-Trois mille sept cents.

–-Tranamel?

–-Trois mille cinq cents.

–-Killamil?

–-Six mille deux cents.

–-Churlakin?

–-Cinq mille six cents.

–-Quelles sont les nations qui ont accepté le quipus et envoyé leurs guerriers au rendez-vous?

–-Toutes! répondit Churlakin avec orgueil.

–-Mon coeur est satisfait de la sagesse de mon fils. Quel est l'effectif de ces huit nations?

–-Vingt-neuf mille sept cent soixante hommes commandés par les ulmenes les plus braves: Vicomte, Eyachu, Okenel, Kesné, Oyami, Thuepec, Volki et Amanehec.

–-Bien, dit Neham-Outah. Les chefs Aucas et Araucanes, qui sont ici, ont amené vingt-trois mille sept cent cinquante guerriers. Comptons aussi un renfort de cinq cent cinquante gauchos ou déserteurs blancs, dont le secours nous sera fort utile. L'effectif total de l'armée est de quatre-vingt-quatorze mille neuf cent-cinquante hommes, avec lesquels, si mes frères ont confiance en moi, avant trois mois nous aurons chassé à jamais les Espagnols et reconquis notre indépendance.

–-Que notre père commande, nous obéirons.

–-Jamais armée plus grande et plus forte n'a menacé la puissance espagnole depuis la tentative de Tahi-Mari contre le Chili. Les blancs ignorent nos projets, je m'en suis informé moi-même au Carmen. Ainsi notre invasion subite sera pour eux comme un coup de foudre et les glacera d'épouvante. A notre approche ils seront déjà à demi vaincus. Lucaney, avez-vous distribué à tous les guerriers qui savent s'en servir, les armes que je vous ai expédiées du Carmen?

–-Un corps de trente-deux mille hommes est armé de fusils, de baïonnettes, et abondamment muni de poudre et de balles.

–-C'est bien, Lucaney, Churlakin et Métipan resteront auprès de moi et m'aideront à communiquer avec les autres chef. Maintenant, ulmenes, apo-ulmenes et caraskenes des nations unies, écoutez mes ordres et qu'ils se gravent profondément dans vos coeurs; toute désobéissance ou lâcheté serait immédiatement punie de mort.

Il se fit un silence solennel, Neham-Outah promena sur l'assemblée un regard calme et fier.

–-Dans une heure, continua-t-il, l'armée se mettra en marche par troupes serrées. Un corps de cavalerie protégera chaque détachement d'infanterie. L'armée s'allongera en une ligne de vingt lieues, qui pivotera et se concentrera sur le Carmen. Tous les chefs incendieront la campagne sur leur passage, afin que la fumée, poussée par le vent, dissimule, comme un épais rideau, nos manoeuvres et notre marche. Les moissons, les estancias et toutes les propriétés des blancs seront brûlées et égalées au sol. Le bétail ira grossir le butin à l'arrière-garde. Pas de grâce pour les bomberos qui seront tués sur le champ. Killipan, avec douze mille cavaliers et dix mille fantassins, commandera l'arrière-garde, auquel se joindront les femmes en âge de combattre; il marchera à six heures derrière le principal corps d'armée. Souvenez-vous que les guerriers doivent s'avancer par masses compactes, et non pas à l'aventure. Allez et hâtez-vous; il faut que demain à l'ennif'ha nous soyons devant le Carmen.

Les chefs s'inclinèrent et défilèrent en silence hors du toldo.

Quelques minutes plus tard, une grande animation régnait dans l'immense camp des Indiens. Les femmes abattaient les toldos et chargeaient les mules; les guerriers se rassemblaient au son des instruments de musique; les enfants laçaient et sellaient les chevaux; enfin, on se hâtait pour le départ.

Peu à peu le désordre cessa. Les rangs se formèrent, et plusieurs détachements d'ébranlèrent dans diverses directions. Neham-Outah, monté sur le sommet d'une colline et accompagné de ses trois aides de camp, Lucaney, Churlakin et Métipan, suivait avec une lorgnette les mouvements de l'armée, qui, en une demi-heure, n'était plus en vue. Déjà la plaine était en feu et voilait l'horizon d'une fumée noirâtre.

Neham-Outah descendit de la colline et vint au rivage où les quatre ulmenes se jetèrent dans une pirogue qu'ils manoeuvrèrent eux-mêmes. Ils atteignirent bientôt la terre ferme. Là, vingt-cinq cavaliers aucas les attendaient. Toute la troupe se mit en marche sur les traces de l'armée–traces visibles, hélas! Cette campagne, si verdoyante et si belle le matin même, était morne, désolée, couverte de cendres et de ruines.

De loin, Sanchez et ses frères aperçurent les Indiens, et, quoique enveloppés par une masse de guerriers, ils parvinrent, à force de courage, à échapper à leurs ennemis, sauf le pauvre Simon qui fut tué par une lance indienne. Quinto et Julian, tous deux blessés, se sauvèrent en avant pour épier les envahisseurs, pendant que Sanchez, couvert de sang et de poussière, courait donner l'alarme au Carmen.

Ce contretemps affligea singulièrement Neham-Outah et dérangea ses combinaisons. Néanmoins, l'armée continua sa route, et, à la nuit close, à travers les premières ombres, ils aperçurent la colonie. A la tête d'une centaine de guerriers d'élite, Neham-Outah s'avança en se courbant contre la Poblacion-del-Sur. Partout le silence. Les barricades semblaient abandonnées. Les indiens, parvinrent à les escalader, et ils se seraient emparés de la ville sans la vigilance du major Blumel.

Yaş sınırı:
0+
Litres'teki yayın tarihi:
09 nisan 2019
Hacim:
220 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
İndirme biçimi:
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Java EE Testing mit Arquillian
Bernd Muller и др.
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin PDF
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre