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Kitabı oku: «Le Guaranis», sayfa 11

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VII
ASSAUT DE RUSES

Lorsque la nuit fut venue et que l'obscurité eut complètement noyé le paysage, don Diogo entra dans la tente où le marquis se promenait tout pensif, marchant de long en large, la tête basse et les bras croisés sur la poitrine.

«Ah! C'est vous, capitão, dit le jeune homme en s'arrêtant, quelles nouvelles?

– Rien que je sache, Excellence, répondit l'Indien; tout est calme, les sentinelles veillent; la nuit, je le crois, sera tranquille.

– Cependant, vous aviez, si je ne me trompe, quelque chose à me dire?

– En effet, Excellence, je venais vous annoncer que je quitte le camp.

– Vous quittez le camp?

– Ne faut-il pas que j'aille à la découverte?

– C'est vrai. Combien de temps comptez-vous rester dans cette excursion?

– Qui saurait le dire, Excellence? Peut-être un jour, peut-être deux, peut-être quelques heures, tout dépendra des circonstances; il est possible aussi que je sois découvert, et alors je ne reviendrai pas.»

Le marquis demeura un instant les yeux fixés avec une expression étrange sur le capitão.

«Don Diogo, lui dit-il enfin en lui posant amicalement la main sur l'épaule, avant de me quitter, laissez-moi vous adresser une question.

– Faites, Excellence.

– Quelle est la raison qui vous engage à me témoigner un dévouement si grand, une abnégation si complète?

– A quoi bon vous le dire, Excellence? Vous ne me comprendriez pas.

– Voilà plusieurs fois que je m'interroge à ce sujet sans pouvoir me répondre. Nous ne nous connaissons que depuis deux mois; avant la trahison de Malco, à peine avais-je échangé quelques banales paroles avec vous; vous n'avez, que je sache, aucun motif plausible pour vous intéresser à mon sort?

– Mon Dieu! Excellence, répondit insouciamment l'Indien, je ne m'intéresse nullement à vous, croyez-le bien.

– Mais alors, s'écria le marquis au comble de la surprise, pourquoi risquer ainsi votre vie pour moi?

– Je vous ai dit, Excellence, que vous ne me comprendriez pas.

– C'est égal, mon ami, répondez, je vous prie, à ma question; si dures que soient à entendre les vérités qui sortiront de votre bouche, j'ai cependant besoin que vous me les disiez.

– Vous le voulez, Excellence?

– Je l'exige, autant qu'il m'est permis de manifester ma volonté sur un tel sujet.

– Soit! Écoutez-moi donc, Excellence; seulement je doute que vous me compreniez bien, je vous le répète encore.

– Parlez! Parlez!

– Ne vous fâchez donc pas, je vous prie, Excellence, si ce que vous allez entendre vous semble un peu dur; à une question franchement posée, je dois faire une réponse franche. Vous, personnellement, vous ne m'intéressez nullement, vous l'avez dit vous-même; à peine est-ce si je vous connais. Dans toute autre circonstance il est probable que, si vous réclamiez mon aide, je vous la refuserais, car, je vous l'avoue, vous ne m'inspirez aucune sympathie et je n'ai naturellement aucune raison pour vous aimer. Seulement il arrive ceci, que vous êtes en quelque sorte sous ma garde; que, lorsqu'on m'a placé sous vos ordres j'ai juré de vous défendre envers et contre tous pendant le temps que nous voyagerions ensemble; lorsque ce misérable Malco vous a trahi, j'ai compris la responsabilité que cette trahison faisait peser sur moi; j'ai immédiatement, sans hésiter, accepté cette responsabilité avec toutes ses conséquences.

– Mais, interrompit le marquis, cela ne va pas jusqu'à faire le sacrifice de la vie, surtout pour un homme envers lequel on n'éprouve aucune sympathie.

– Ce n'est pas à vous, Excellence, c'est à moi que je fais ce sacrifice, à mon honneur, qui serait flétri si je ne tombais pas à vos côtés en essayant jusqu'au dernier moment de vous protéger et de vous faire un bouclier de mon corps; que vous, Excellence, gentilhomme d'Europe, aussi noble que le roi de Portugal, vous entendiez autrement certaines exigences de la vie civilisée, cela ne m'étonne pas et n'a rien qui me doive surprendre; mais nous autres, pauvres Indiens, nous ne possédons d'autre bien que notre honneur et nous ne consentons jamais à en faire bon marché; j'appartiens à un corps de soldats qui, depuis sa création, a continuellement donné des marques d'une fidélité à toute épreuve, sans que jamais un traître se soit rencontré dans ses rangs. Ce que je fais pour vous, tout autre à ma place le ferait; mais, ajouta-t-il avec un sourire triste, à quoi bon nous appesantir davantage sur ce sujet, Excellence? Mieux vaut nous arrêter là; profitez de mon dévouement sans vous inquiéter d'autre chose; d'ailleurs, il n'est pas aussi grand que vous le pensez.

– Comment cela?

– Eh! Mon Dieu, Excellence, par une raison toute simple: nous autres soldados da conquista qui sans cesse guerroyons contre les Indiens bravos, nous jouons continuellement notre vie et nous finissons toujours par être tués dans quelque embuscade; eh bien, je ne fais qu'avancer de quelques jours ou peut-être seulement de quelques heures le moment où il me faudra rendre mes comptes au Créateur; vous voyez que le sacrifice que je vous fais est minime et ne mérite en aucune façon que j'essaye de m'en prévaloir.»

Don Roque se sentit ému malgré lui par la naïve loyauté de cet homme à demi civilisé qui, à lui homme du monde, lui donnait, sans paraître s'en apercevoir ou même le soupçonner, une si haute leçon de morale.

«Vous valez mieux que moi, Diogo, lui dit-il en lui tendant la main.

– Eh! Non, Excellence, je suis moins civilisé, voilà tout; et il continua, après lui avoir, avec une bonhomie extrême, décoché ce dernier trait: Maintenant que j'ai répondu à votre question, nous reviendrons s'il vous plaît, Excellence, à notre affaire.

– Je ne demande pas mieux, capitão. Vous me disiez, je crois, que vous aviez l'intention de quitter le camp?

– Oui, Excellence, pour aller à la découverte.

– Fort bien; quand comptez-vous partir?

– Mais tout de suite, Excellence.

– Comment, si tôt?

– Nous n'avons pas un instant à perdre pour essayer de nous renseigner; nous avons affaire, ne l'oubliez pas, Excellence, aux Indiens bravos les plus fins et les plus braves du désert. D'ailleurs vous les verrez bientôt à l'œuvre, ce sont de rudes adversaires, allez.

– Je commence à le croire.

– Bientôt vous en aurez la certitude.

– Que dois-je faire pendant votre absence?

– Rien, Excellence.

– Cependant, il me semble…

– Rien, je vous le répète. Demeurer sans sortir, dans le camp, faire bonne garde, et vous assurer par vous-même que les sentinelles ne s'endorment pas à leur poste.

– Rapportez-vous en à moi pour cela.

– J'oubliais une chose fort importante, Excellence; si, ce que je ne suppose pas, vous étiez attaqué par les Indiens pendant mon absence, et serré de près, faites attacher une faja rouge à la plus haute branche de l'arbre de la vigie, cette faja, je la verrai quel que soit le lieu ou je me trouve; je comprendrai ce qu'elle voudra dire, et je me précautionnerai en conséquence, à mon retour au camp.

– Cela sera fait. Avez-vous d'autres recommandations?

– Aucune, Excellence; il ne me reste plus qu'à prendre congé de vous. Souvenez-vous de ne pas sortir avant mon arrivée; vous seriez perdu.

– Je ne bougerai pas d'une ligne; c'est convenu; vous me retrouverez, je l'espère, dans une situation aussi bonne que celle dans laquelle vous me laissez:

– Je l'espère, Excellence; au revoir.

– Au revoir et bonne chance!

– Je tâcherai.»

Diogo s'inclina une seconde fois et quitta la tente.

Le capitão sortit du camp à pied.

Les soldados da conquista se servent rarement du cheval, ils ne l'emploient que lorsqu'ils ont à faire un long trajet en plaine, car les forêts brésiliennes sont tellement épaisses et encombrées de lianes et de plantes grimpantes, qu'il est littéralement impossible de les traverser autrement que la hache à la main, ce qui rend le cheval non seulement inutile, mais en quelque sorte nuisible par l'embarras qu'il cause sans cesse à son maître.

Aussi les soldados da conquista sont-ils généralement d'excellents piétons. Ces hommes ont un jarret de fer; rien ne les arrête ou ne les retarde: ils marchent avec une vélocité et une sûreté qui feraient pâlir de jalousie nos chasseurs à pied, qui cependant jouissent à juste titre d'une réputation bien établie de marcheurs émérites.

Les distances que franchissent en quelques heures ces Indiens, dans des chemins impraticables, sont quelque chose de prodigieux et qui surpasse tout ce qu'on saurait imaginer.

Trente et même quarante lieues dans une journée ne sont rien pour eux; ils courent toujours; bien que chargés de leurs armes et de leur lourd bagage: ils suivent, sans se gêner, un cheval lancé au grand trot, et pourtant, pendant ces courses rapides, rien ne leur échappe, le plus petit indice est observé par eux; l'empreinte la plus fugitive laissée par mégarde sur le sol est aperçue et relevée avec soin; pas un bruit du désert qu'ils ne saisissent et ne commentent aussitôt: le bris d'une branche dans les taillis, le vol subit d'un oiseau, l'élan rapide d'un fauve quittant son repaire à leur approche; ils entendent et comprennent tout, et sont continuellement sur leurs gardes, prêts à faire face à l'ennemi, quel qu'il soit, qui surgit souvent tout à coup devant eux, et dont ils ont, avec leur infaillible expérience, deviné ou pressenti l'approche bien avant qu'il apparaisse.

Le capitão Diogo, nous n'avons pas besoin de le dire, le lecteur a déjà été à même de le reconnaître, jouissait parmi ses compagnons, bons appréciateurs en pareille matière, d'une réputation de finesse peu commune; il avait en plusieurs circonstances donné des preuves d'adresse et de sagacité admirables, mais jamais il ne s'était trouvé dans des circonstances aussi difficiles.

Les Indiens bravos dont il était l'implacable ennemi et auxquels il avait causé d'irréparables pertes, avaient pour lui une haine mêlée d'une superstitieuse terreur. Diogo avait si souvent et avec tant de bonheur évité les pièges tendus sous ses pas, si souvent échappé à une mort presque certaine, que les Indiens en étaient arrivés à supposer que cet homme était protégé par quelque charme inconnu et qu'il disposait d'une puissance surnaturelle qui l'aidait à surmonter les plus grandes difficultés et à sortir sain et sauf des plus affreux dangers.

Le capitão connaissait parfaitement l'opinion que les Indiens avaient de lui; il savait que, s'il tombait jamais entre leurs mains, non seulement il n'avait pas de quartier à espérer, mais encore il devait s'attendre à endurer les plus effroyables supplices. Pourtant, cette certitude n'avait aucune influence sur son esprit; son audace n'en était pas abattue, et, loin de prendre des précautions pendant le cours de ses diverses expéditions, c'était avec un plaisir indicible qu'il bravait en face ses adversaires, luttait de ruse avec eux et déjouait toutes leurs combinaisons pour s'emparer de sa personne.

L'expédition qu'il faisait en ce moment était la plus téméraire et la plus difficile de toutes celles que, jusque-là, il avait tentées.

Il ne s'agissait de rien moins que de s'introduire dans un village des Guaycurus, d'assister à leurs réunions et de parvenir ainsi à surprendre leurs secrets.

Diogo se considérait comme perdu, il avait la conviction que lui et tous les hommes qui composaient la caravane à laquelle il appartenait, tomberaient dans le désert massacrés par les Indiens; aussi, croyant n'avoir rien à ménager, agissait-il en conséquence, jouant, ainsi qu'on le dit vulgairement, le tout pour le tout, résolu à disputer jusqu'au bout la terrible partie dont sa vie était l'enjeu, et voulant, avant de succomber, prouver à ses ennemis ce dont il était capable, leur donner, en un mot, la mesure de ses forces.

Après être sorti du camp, le capitão descendit rapidement la colline, se dirigeant, malgré les ténèbres épaisses qui l'enveloppaient, avec autant, de certitude qu'en plein jour, et marchant avec une légèreté si grande, que le bruit de ses pas aurait, à quelques mètres seulement, été imperceptible à l'oreille la plus exercée et à l'ouïe la plus fine.

Lorsqu'il eut atteint le bord de la rivière, il s'orienta un instant, puis il se coucha sur le ventre et commença à ramper doucement dans la direction d'un buisson voisin, dont une partie baignait dans l'eau de la rive.

Arrivé à deux ou trois pas du buisson, l'Indien s'immobilisa subitement, et demeura l'espace de plusieurs minutes sans que le bruit même de sa respiration le pût dénoncer.

Puis, après avoir d'un regard circulaire sondé les ténèbres, il se ramassa et se pelotonna sur lui-même comme une bête fauve, prête à prendre son élan; saisissant son couteau de la main droite, il leva légèrement la tête et imita avec une rare perfection le sifflement du giboya ou boa constrictor, cet hôte redoutable des grands déserts brésiliens.

A peine ce sifflement se fut-il fait entendre que les branches du buisson s'agitèrent; elles s'écartèrent avec violence, et un Indien guaycurus bondit épouvanté sur la rive. Au même instant, le capitão surgit derrière lui, lui enfonça son couteau dans la nuque et le renversa mort à ses pieds, sans que le malheureux sauvage, surpris à l'improviste, eût eu le temps de pousser un cri d'agonie.

Ce meurtre avait été commis en moins de temps qu'il ne nous en a fallu pour le raconter; quelques secondes à peine s'étaient écoulées, et le guerrier gisait sans vie devant son implacable ennemi.

Don Diogo essuya froidement son couteau à une touffe d'herbe, le replaça à sa ceinture et, se penchant sur sa victime chaude encore, il la considéra attentivement pendant assez longtemps.

«Allons, murmura-t-il enfin, le hasard m'a favorisé, ce misérable était un guerrier d'élite, son costume me conviendra parfaitement.»

Après cet aparté qui expliquait le motif secret du meurtre qu'il venait de commettre d'une façon si brusque, et cependant si sûre, le capitão chargea sur ses épaules le corps du Guaycurus et se cacha avec lui dans le buisson, dont il l'avait si adroitement obligé à sortir.

Si on concluait, de ce que nous venons de raconter, que le capitão était un homme féroce et sanguinaire, on serait dans une grave erreur; don Diogo jouissait, dans la vie privée, d'une réputation justifiée de bonté et d'humanité, mais les circonstances dans lesquelles il se trouvait en ce moment étaient exceptionnelles: il se considérait avec raison dans le cas de légitime défense; il était évident que, si l'espion guaycurus qu'il avait surpris et si impitoyablement tué, l'eût aperçu le premier, il l'aurait poignardé sans hésitation, puisqu'il était en quelque sorte embusqué pour cela. Du reste, le capitão avait eu le soin de le dire lui même au marquis: la guerre qui commençait était toute de ruse et d'embûche, malheur à celui qui se laissait surprendre!

Aussi, le capitão n'éprouvait-il aucun remords de son action; bien au contraire, il en était fort satisfait, puisqu'il se trouvait propriétaire du costume qu'il convoitait pour se glisser inaperçu au milieu des ennemis.

Les moments étaient précieux; il se hâta donc de dépouiller sa victime, dont il revêtait au fur et à mesure les vêtements; par une heureuse coïncidence, les deux hommes étaient à peu près de la même taille, ce qui rendait l'échange encore plus facile.

Les Indiens possèdent un talent particulier non seulement pour se grimer, mais encore pour se mettre, dirons-nous, dans la peau de ceux dont ils veulent emprunter les traits.

A très peu de différences près, les peintures des chefs guaycurus sont toutes les mêmes; leurs allures ne diffèrent que fort peu, et lorsque c'est un Indien de pure race qui prend un de leurs costumes, il atteint facilement une rare perfection de déguisement.

En quelques instants, le mort fut complètement dépouillé; seulement, le capitão eut soin de placer sous son poncho ses pistolets et son couteau, armes dans lesquelles il avait plus de confiance que dans la lance, le carquois et les flèches du sauvage.

Après avoir caché avec soin ses propres vêtements dans un trou qu'il creusa à cet effet, le capitão s'assura que le silence le plus profond régnait aux environs; puis, rassuré ou à peu près, il chargea de nouveau le cadavre sur ses épaules, lui attacha une grosse pierre au cou pour l'empêcher de surnager, et, entr'ouvrant avec soin les branches du buisson dont les racines trempaient dans l'eau, il fit glisser doucement, et sans produire le moindre bruit, le corps dans la rivière.

Cette opération délicate terminée, le capitão se glissa de nouveau dans le buisson avec un sourire de satisfaction, et attendit patiemment l'occasion, que le hasard ne pouvait manquer de lui fournir, de sortir avec honneur de sa cachette.

Deux heures s'écoulèrent pendant lesquelles le calme mystérieux du désert ne fut troublé par aucun bruit.

Diogo commençait à se fatiguer de la longueur de sa faction; déjà il cherchait dans sa tête un moyen de la faire cesser et de joindre les Guaycurus, qui ne devaient pas, selon toute probabilité, être fort éloignés, lorsqu'un léger froissement de feuilles sèches éveilla son attention et lui fit tout à coup dresser les oreilles.

Il distingua bientôt le pas d'un homme qui s'approchait de lui; cet homme, bien que marchant avec prudence, ne croyait point cependant la situation assez périlleuse pour qu'il fût nécessaire d'user de grandes précautions; de là ce léger froissement qui, bien que léger, n'avait cependant pas échappé à l'ouïe fine et exercée du capitão.

Mais quel était cet homme? Que voulait-il?

Ces questions que s'adressait Diogo, et auxquelles il lui était impossible de répondre, ne laissaient pas que de l'inquiéter sérieusement pour sa sûreté personnelle.

Ce visiteur était-il seul ou suivi d'autres guerriers?

A tout hasard, le capitão se tint sur ses gardes; le moment suprême était arrivé de lutter de finesse avec ceux qu'il voulait tromper; il se tint prêt à soutenir bravement le choc, quel qu'il fût, dont il était menacé. Il fit appel, non seulement à tout son courage, mais encore à toute sa présence d'esprit, car il savait fort bien que de cette première rencontre dépendait le succès de sa périlleuse expédition.

Arrivé à quatre pas environ du buisson au fond duquel le capitão se tenait immobile et silencieux comme un bloc de granit, le rôdeur inconnu s'arrêta.

Pendant quelques secondes, il y eut un silence suprême, durant lequel on aurait presque entendu battre dans sa poitrine le cœur du brave soldat.

Il ne pouvait, à cause de l'obscurité, voir son ennemi; mais il devinait sa présence et s'inquiétait intérieurement de son immobilité et de son silence de mauvais augure; il redoutait instinctivement un piège semblable à celui qu'il avait employé; un pressentiment secret l'avertissait qu'il se trouvait en face d'un adversaire redoutable, et qu'il ne parviendrait peut-être pas à tromper.

Soudain le cri de la chouette s'éleva dans l'air à deux reprises différentes.

Si parfaitement modulée que fût l'imitation, l'oreille d'un Indien ne pouvait s'y tromper.

Le capitão comprit que ce cri était un signal de son visiteur inconnu.

Mais à qui s'adressait ce signal, était-ce à lui? Était-ce à des guerriers blottis dans les halliers environnants?

Peut-être les précautions de Diogo n'avaient-elles pas été bien prises: le nœud qui serrait la corde autour du cou du guerrier qu'il avait tué avait pu se défaire, le corps surnager, et les Guaycurus, en apercevant le cadavre, avoir découvert la trahison et venir en ce moment pour venger leur frère en tuant son assassin.

Ces diverses pensées traversèrent comme un éclair l'esprit du soldat; cependant il fallait répondre, toute hésitation le perdait; se recommandant au hasard, le capitão fit un effort suprême et imita à son tour, à deux reprises, le cri de la chouette.

Puis il attendit avec anxiété le résultat de cette tentative désespérée, n'osant croire à sa réussite.

Cette attente fut courte; presque au même instant, l'homme quel qu'il fût, qui se tenait auprès du buisson, fit entendre sa voix; il parlait en langue guaycurus que Diogo, non seulement comprenait, mais parlait avec une rare perfection.

«Ato ingote canchè Kjick piep, Paï13, demanda-t-il.

– Mochi14, répondit aussitôt le capitão à voix basse.

– Epoï, aboui15,» reprit le Guaycurus.

Après avoir échangé ces quelques mots, que nous avons mis en guaycurus pour donner au lecteur un spécimen de cette langue, don Diogo obéit à l'injonction qui lui était faite et sortit hardiment du buisson, bien que, malgré le succès de son stratagème, il ne se sentit cependant pas complètement rassuré.

L'Indien, qu'il reconnut au premier coup d'œil pour être Tarou-Niom lui-même, était si convaincu d'avoir affaire à un de ses guerriers, qu'il ne se donna même pas la peine de l'examiner, se contentant de jeter sur lui un regard distrait; d'ailleurs le chef paraissait fort préoccupé.

Il reprit presque aussitôt l'entretien que cette fois nous traduirons en français.

«Ces chiens n'ont donc pas essayé de battre la plaine pendant l'obscurité? demanda-t-il.

– Non, répondit Diogo, ils sont serrés comme des chiens poltrons, ils n'osent bouger.

– Epoï! Je les croyais plus braves et plus rusés; ils ont avec eux un homme qui connaît bien le désert, un traître de notre race auquel je me réserve de mettre des charbons ardents dans les yeux et de couper sa langue menteuse.»

Le capitão frémit intérieurement à ces menaces qui s'adressaient à lui; cependant, il fit bonne contenance.

«Ce chien mourra, dit-il.

– Lui et ceux qu'il conduit, répondit le chef; j'ai besoin de mon frère.

– Je suis aux ordres de Tarou-Niom.

– Les oreilles de mon frère sont ouvertes?

– Elles le sont.

– Epoï, je parle. Pour la réussite de mes projets, il me faut l'assistance des Payagoas; sans leurs hoïnaka16, je ne puis rien tenter. Émavidi-Chaimè m'a promis de m'en envoyer cinquante, montées chacune par dix guerriers, aussitôt que j'en témoignerai le désir. Mon frère le Grand-Sarigue ira demander les pirogues.

– J'irai.

– J'ai moi-même amené ici près le cheval de mon frère afin qu'il ne perde pas de temps à l'aller chercher. Voici mon keaio17. Mon frère le montrera à Émavidi-Chaimè, le chef des Payagoas, de la part de son ami Tarou-Niom, le capitão des Guaycurus, et il lui dira: «Tarou-Niom réclame l'accomplissement de la promesse faite.»

– Je le dirai, fit Diogo, qui répondait aussi laconiquement que possible.

– C'est bon; mon frère est un grand guerrier; je l'aime, qu'il me suive.»

Les deux hommes commencèrent alors à marcher rapidement, sans parler, l'un derrière l'autre.

Don Diogo bénissait intérieurement le hasard qui s'était plu à arranger si bien les choses; car il redoutait l'œil clairvoyant du chef guaycurus, et ce n'avait été qu'avec une appréhension secrète qu'il avait pensé au moment où tous deux seraient arrivés au camp, où la lueur des brasiers de veille aurait pu dénoncer son déguisement aux yeux si difficiles à tromper des Guaycurus, et qui, d'ailleurs connaissaient sans doute trop bien l'homme dont il avait pris la place pour espérer de leur donner le change.

Mais, maintenant, la position était changée; car, si par un malheureux hasard, le chef des Payagoas connaissait le guerrier mort, ce ne devait être que très superficiellement et sans avoir jamais eu avec lui des rapports assez intimes pour qu'il en eût gardé un souvenir bien net.

Cependant, les deux hommes atteignirent une clairière où se trouvaient deux chevaux tenus en bride par un esclave.

«Voici le cheval de mon frère, qu'il parte, dit Tarou-Niom, j'attends son retour avec impatience; il se dirige vers le midi, moi, je retourne au camp, à bientôt.»

Diogo ignorait lequel des deux chevaux était le sien; craignant de se tromper et de prendre l'un pour l'autre, il feignit de trébucher afin de laisser au chef le temps de se mettre en selle, ce que celui-ci, dont la méfiance n'était pas éveillée, fit immédiatement; Diogo imita son exemple.

Les deux hommes enfoncèrent leurs éperons dans les flancs de leur monture et s'éloignèrent à toute bride dans des directions différentes.

Lorsqu'il fut enfin seul, le capitão ne put retenir un soupir de soulagement.

«Ouf! dit-il à part lui, l'épreuve a été rude, mais je crois m'en être assez bien tiré jusqu'à présent: cependant il ne faut pas encore chanter victoire, attendons que nous sachions la fin de tout cela, pourvu que ce démon de chef Payagoas, que l'on dit si rusé, ne devine pas mon stratagème. A la grâce de Dieu! Lui seul me peut sauver à présent.»

Il hocha deux ou trois fois la tête d'un air de doute.

«C'est un miracle que je lui demande, ajouta-t-il, mais voudra-t-il le faire?»

13.Traduction littérale: Mon frère, le Grand-Sarigue a-t-il vu les blancs?
14.Non.
15.C'est bon, viens.
16.Pirogues de guerre.
17.Couteau.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 mayıs 2017
Hacim:
310 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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