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Kitabı oku: «Le Guaranis», sayfa 14

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DÉSASTRE

La nuit fut tranquille.

Les Brésiliens la passèrent plongés dans un profond sommeil; Diogo, seul, dont l'organisation de fer semblait ne pas connaître la fatigue, veilla sur le salut commun.

Deux heures environ avant le lever du soleil, le batteur d'estrade, expédié par le marquis, rentra au camp.

Il était porteur d'étranges nouvelles: les Indiens avaient disparu sans laisser de traces.

Diogo écouta attentivement le rapport de cet homme; puis, se tournant vers le marquis qui, lui aussi, avait passé la nuit sans que le sommeil vînt clore ses paupières:

«Eh bien? lui demanda-t-il.

– Mais il me semble … répondit le marquis.

– Attendez, interrompit Diogo. Mon ami, dit-il en s'adressant au batteur d'estrade, allez vous reposer, vous devez avoir besoin de réparer vos forces.»

Le Brésilien salua et se retira aussitôt.

«Il est inutile, reprit Diogo, que cet homme entende ce que nous avons à nous dire. Maintenant que nous sommes seuls, parlez, Excellence, je vous écoute.

– Je crois que si ces nouvelles sont vraies, elles sont excellentes.

– Vraies ou fausses, moi, je les trouve exécrables.

– Ah!

– Comprenez-moi bien, Excellence, et persuadez-vous que je possède des Indiens et de leurs mœurs une connaissance trop approfondie pour me tromper.

– Je le reconnais, mon ami, parlez donc, je vous prie.

– Je croirais, Excellence, manquer à tous mes devoirs, si, au point de vue où nous en sommes arrivés, je ne vous parlais pas avec la plus grande franchise; or, il est évident pour moi que les Indiens vous tendent un piège, les Guaycurus vous ont loyalement averti de vous retirer, ils vous ont laissé la liberté de le faire; à tort ou à raison vous avez méprisé leurs avis et vous vous êtes obstiné à pousser en avant. Je ne discute pas avec vous, remarquez-le bien, Excellence, l'opportunité de cette détermination, je constate un fait, voilà tout.

– Continuez, mon ami.

– Ils ont si peu l'intention de se retirer, qu'ils m'ont expédié, moi, sans savoir naturellement à qui ils s'adressaient, demander des secours à leurs alliés les Payagoas; puis ils vous ont attaqué avec fureur, non pas dans le but de s'emparer de votre camp, ils savaient d'avance qu'ils ne réussiraient pas, mais pour vous réduire dans l'état où vous êtes, c'est-à-dire aux abois, et à cela, vous en conviendrez vous-même, ils ont complètement réussi.

– Concluez, concluez, interrompit le marquis avec violence.

– La conclusion est des plus simples, Excellence, reprit le capitão avec ce ton de bonhomie qui lui était naturel: les Guaycurus ont feint de se retirer afin de vous attirer en plaine et avoir meilleur marché de vous, à cause des armes à feu que vous possédez, et dont la supériorité disparaîtra lorsque vous serez accablé par le nombre.

– Auriez-vous peur, Diogo? lui demanda ironiquement le marquis.

– Certes, Excellence, grand'peur même.

– Vous?

– Pardon, ceci demande une explication. J'ai peur, non pas de mourir, dès l'instant où vous m'avez fait connaître votre formelle intention, j'ai fait le sacrifice de ma vie.

– Alors, que me dites-vous donc?

– Je vous dis, Excellence, que je ne crains pas de mourir, mais que j'ai horriblement peur de me faire tuer bêtement, ce qui n'est pas du tout la même chose. J'ai une réputation à soutenir, Excellence.»

Malgré la gravité de la situation, le marquis éclata de rire.

«Bah! Bah! fit-il, les choses, j'en suis convaincu, tourneront mieux que vous ne le supposez.

– Je le souhaite sans l'espérer, Excellence.

– Voyons, vous croyez-vous en état de nous guider vers l'endroit où le chef des Paulistas se trouve en ce moment?

– Pour vous mettre sur la route, cela est on ne peut plus facile, Excellence; quant à vous conduire jusqu'à l'armée paulista, je ne m'en charge pas.

– Pourquoi donc?

– Dame! Parce que nous serons tous massacrés auparavant.

– Hum, Diogo, vous devenez monotone, mon ami, vous vous répétez.

– La fin me donnera raison, Excellence.

– Taisez-vous, prophète de mauvais augure; à quelle distance croyez-vous que nous soyons des Paulistas?

– Oh! La distance n'est pas longue.

– Mais encore?

– Trente lieues au plus.

– Comment, trente lieues, pas davantage? Allons, vous êtes fou avec vos craintes puériles, il est impossible que nous n'opérions pas notre jonction, y eût-il dix mille sauvages sur notre route.

– Vous verrez, Excellence, vous verrez, je ne vous dis que cela.

– Eh bien! Soit; le sort en est jeté, j'essayerai, quoi qu'il en arrive; au point du jour nous partirons.»

Diogo hocha la tête.

– Avec votre permission, Excellence, dit-il je crois que puisque vous voulez absolument faire une folie, encore serait-il convenable de la faire d'une façon logique.

– Ce qui signifie?..

– Que demain il sera trop tard.

– Ainsi, à votre avis, il faudrait?..

– Partir à l'instant, Excellence.

– Allons, soit, partons; vous voyez que je fais tout ce que vous voulez.

– Oui, lorsque cela cadre avec vos idées,» grommela la capitão en allant donner les ordres du départ.

Dans cette circonstance, comme dans toutes les précédentes, Diogo ne négligea aucune précaution pour assurer la retraite; cette fois même, il se surpassa, tant il fit preuve, non seulement de prudence, mais encore de présence d'esprit.

Quatre de ses soldats, hommes éprouvés et surtout expérimentés, furent par lui tout d'abord expédiés en avant pour éclairer la route et dépister les Indiens.

Dans l'assaut précédent, les chariots et les bagages avaient été brûlés, la plupart des mules de charge tuées; de sorte que la caravane, débarrassée de ses convois, se trouvait en mesure d'accélérer sa marche, ce que ne laissait pas, dans le cas présent, d'être un précieux avantage.

Diogo fit garnir les pieds des chevaux de sacs de peau de mouton remplis de sable, afin d'étouffer le bruit de leurs pas; de plus, il ordonna de serrer, au moyen de lasso, la bouche de chaque animal pour l'empêcher de hennir.

Lorsque chacun fut en selle:

«Compagnons, dit-il, pas un cri, pas un soupir; nous tenons en ce moment une expédition dont dépend le salut général. Si nous étions découverts, nous serions perdus; ayez constamment les yeux et les oreilles au guet, et surtout soyez prêts à toute éventualité.

– Un mot, Diogo, lui dit le marquis; pourquoi avez-vous exigé que nous partions si subitement?

– Parce que, Excellence, les Indigos bravos se gardent ordinairement fort mal et qu'ils passent la nuit à dormir, au lieu de surveiller leurs ennemis ou de chercher à les attaquer.

– Merci; maintenant partons.

– Un instant, Excellence; et s'adressant à tous les aventuriers: Je vais marcher le premier, dit-il; vous me suivrez un à un, en tenant vos chevaux en bride pour les empêcher de trébucher et de donner l'éveil à l'ennemi; vous tâcherez de marcher dans mes pas, afin de laisser une piste moins large: maintenant, faites bien attention de vous souvenir de ceci: le cri de l'alligator vous avertira de faire halte, le même cri répété deux fois voudra dire de se mettre en selle, le cri de la chouette commandera au galop; vous m'avez bien entendu, bien compris?

– Oui, répondirent à voix basse les Brésiliens.

– Alors, en route.»

La descente commença.

C'était un étrange spectacle que celui qu'offrait cette longue ligne de spectres noirs qui glissaient silencieux dans la nuit et semblaient ramper sur les flancs de cette colline.

Il faut avoir fait une marche semblable pour en bien comprendre toutes les terreurs secrètes.

Le bruit d'une branche fouettée par le vent, le froissement d'une feuille, le vol inattendu d'un oiseau nocturne, tout est sujet de crainte, tout fait tressaillir; l'homme le plus brave sent malgré lui le sang se glacer dans ses veines, car derrière chaque tronc d'arbre, chaque angle de rocher, il redoute de voir tout à coup surgir devant lui l'ennemi qu'il essaye d'éviter.

La descente fut longue, on ne marchait que lentement. Diogo qui semblait voir dans la nuit comme en plein jour, choisissait son terrain avec le plus grand soin et n'avançait que lorsqu'il était bien sûr que le sol sur lequel il posait le pied était solide.

Parfois on s'arrêtait pendant quelques secondes, alors un frémissement d'épouvante parcourait comme un courant électrique toute la ligne et faisait battre le cœur le plus ferme.

Enfin au bout d'une heure, dont chaque minute parut durer un siècle aux Brésiliens, on atteignit la plaine.

Le cri de l'alligator qui s'éleva dans le silence avertit les Brésiliens qu'ils devaient faire halte.

Deux minutes plus tard le même cri répété deux fois les fit se mettre en selle, puis enfin, au cri de la chouette, ils s'élancèrent au galop et partirent avec une rapidité doublée par la frayeur instinctive qu'ils éprouvaient d'un danger terrible qu'ils sentaient être suspendu au-dessus de leur tête.

Le marquis avait ordonné à doña Laura de monter à cheval; la jeune fille avait obéi passivement sans prononcer une parole, et sur l'injonction de don Roque, elle s'était placée ainsi que son esclave au milieu de la ligne des cavaliers.

Le marquis l'avait voulu ainsi parce que cette place lui paraissait la moins dangereuse et qu'il lui était ainsi plus facile de surveiller sa captive.

Pendant toute la nuit, les Brésiliens, penchés sur le cou de leurs chevaux, galopèrent à la suite du capitão.

Au lever du soleil, ils avaient fait dix-huit ou dix-neuf lieues, ce qui était énorme, mais les pauvres chevaux étaient rendus et ne pouvaient plus, se tenir.

A une lieue devant eux les fugitifs apercevaient un large cours d'eau.

C'était le Pilcomayo, un des affluents les plus considérables du rio Paraguay.

Le marquis s'approcha du capitão.

«Vous avez fait merveille, Diogo, lui dit-il; grâce à vos intelligentes dispositions, nous sommes sauvés.

– Ne me remerciez pas encore, Excellence, répondit l'Indien avec un sourire railleur, tout n'est pas fini encore.

– Oh! Oh! Nous avons maintenant une avance sur nos ennemis qui nous met hors de leur portée.

– Il n'y a pas d'avance avec les Guaycurus, Excellence; notre seule chance de salut était d'atteindre la rivière et de la traverser.

– Eh bien! Qui nous en empêche?

– Regardez les chevaux; avant que nous soyons arrivés à la moitié de la distance qui nous sépare du Pilcomayo, car cette rivière que vous voyez là-bas se nomme ainsi, les ennemis seront sur nous.

– C'est trop d'entêtement à la fin, voyez vous-même, la plaine est déserte.

– Vous croyez, Excellence?

– Dame, j'ai beau regarder dans toutes les directions, je ne vois rien.

– C'est que vous n'avez pas l'habitude de la prairie, voilà tout. Tenez, ajouta-t-il, en allongeant le bras dans la direction du nord-est, remarquez-vous cette ondulation convulsive des hautes herbes.

– En effet, mais qu'est-ce que cela prouve!

– Voyez-vous encore, continua l'impassible capitão, ces compagnies de ñandus et de seriemas qui courent éperdus dans toutes les directions, ces volées de guaros et de kamichis qui s'élèvent subitement en poussant des cris discordants?

– Oui, oui, je vois tout cela; après?

– Après, eh bien, Excellence, l'ondulation des herbes, sans cause apparente, puisqu'il n'y a pas un souffle de vent dans l'air; la course éperdue des ñandus et des seriemas, et le vol effaré des guaros et des kamichis signifient simplement que les Guaycurus sont à notre poursuite, et qu'avant une heure, ils nous auront atteints.

– Mais dans une heure nous aurons franchi la rivière.

– Avec nos chevaux, c'est impossible; c'est à peine s'ils parviennent à mettre un pied devant l'autre: regardez, ils trébuchent et s'abattent à chaque pas.

– C'est vrai, murmura le marquis; mais alors que faire?

– Nous préparer à mourir.

– Oh! Ce n'est pas vrai, ce que vous dites là, Diogo!

– Dans une heure, aucun de nous n'existera, répondit froidement le capitão.

– Mais nous ne nous laisserons pas assassiner sans nous défendre!

– Ceci est une autre question, Excellence; voulez-vous combattre jusqu'au dernier souffle?

– Certes.

– Très bien; laissez-moi faire alors. Nous serons tués, je le sais bien; mais la victoire coûtera cher à nos ennemis.»

Sans perdre un instant, le capitão prit ses dispositions pour le combat; elles furent d'une simplicité que les circonstances exigeaient impérieusement.

Les Brésiliens mirent pied à terre, égorgèrent leurs chevaux, et, avec les cadavres des malheureux animaux, ils formèrent un cercle assez grand pour les contenir tous.

Le marquis occupé en ce moment à parler avec animation à doña Laura ne s'aperçut de cette boucherie que lorsqu'il fut trop tard pour s'y opposer.

«Que faites-vous? s'écria-t-il.

– Des retranchements, répondit impassiblement Diogo. Derrière ces cadavres nous tirerons à l'abri jusqu'à ce que nos munitions soient épuisées.

– Mais comment fuirons-nous après le combat?»

L'Indien éclata d'un rire nerveux et strident.

«Nous ne fuirons pas puisque nous serons morts!»

Le marquis ne trouva rien à répondre, il baissa la tête et retourna auprès de la jeune fille.

Doña Laura s'était laissée tomber à terre en proie à un profond désespoir; son cheval était le seul qu'on n'eût pas tué, il se tenait auprès d'elle, la tête basse et frissonnant de terreur.

«Vous allez mourir, dit don Roque à la jeune fille.

– Je l'espère, répondit-elle d'une voix basse et entrecoupée.

– Vous me haïssez donc bien.

– Il n'y a pas dans mon cœur place pour la haine, je vous méprise.»

Il fit un mouvement de colère.

«Doña Laura, reprit-il, il en est temps encore, révélez-moi votre secret.

– Pourquoi faire? lui dit-elle en le regardant en face, puisque nous allons mourir.

– Malédiction! s'écria-t-il en frappant du pied avec rage; cette femme est un démon.»

Doña Laura sourit tristement.

«Rien ne saurait-il donc vous convaincre? A quoi vous servirait maintenant la possession de ce secret?

– Et à vous? répondit-elle froidement.

– Dites-le-moi, dites-le-moi, et, je vous le jure, je vous sauverai; quand je devrais pour cela marcher dans le sang jusqu'aux genoux. Oh! Si j'étais possesseur de ce secret précieux, je sens que je réussirais à échapper au danger terrible qui nous menace. Dites-le-moi, doña Laura, je vous en supplie.

– Non! Je préfère mourir que d'être sauvée par vous.»

Le marquis eut un moment de fureur folle.

«Meurs donc! Et sois maudite!» s'écria-t-il en saisissant un pistolet à sa ceinture.

Une main arrêta son bras.

Il se retourna en lançant un regard farouche à celui qui avait osé le toucher.

«Excusez-moi, Excellence, lui dit Diogo toujours impassible, si j'interromps votre intéressante conversation avec la señorita.»

Doña Laura n'avait pas fait un mouvement pour se soustraire à la mort; ses yeux ne s'étaient pas baissés, ses joues n'avaient pas pâli; la mort, pour elle, c'était la délivrance.

«Que me voulez-vous encore? s'écria le marquis.

– Vous annoncer, Excellence, que le moment est proche où il va falloir faire preuve d'adresse. Voyez.»

Le marquis regarda.

«Mais, misérable! s'écria-t-il au bout d'un instant, si vous n'êtes pas un traître, vous vous êtes grossièrement trompé.

– Plaît-il, Excellence.

– Par le saint nom de Dieu, c'est une manada de chevaux sauvages que vous avez prise pour nos ennemis.

– Définitivement, Excellence, répondit le capitão avec un sourire de dédain, vous n'avez pas la moindre expérience de la façon de combattre des Guaycurus, ni de la vie du désert; voici probablement la dernière chose que je vous apprendrai; mais il est toujours bon que vous le sachiez. Les Guaycurus sont les premiers jinetes du monde. Voici la tactique qu'ils emploient pour surprendre l'ennemi: ils lancent en avant une troupe de chevaux sauvages afin de dérober leur nombre, puis derrière ils se tiennent couchés de côté sur leurs chevaux, la main gauche à la crinière et le pied droit appuyé sur l'étrier; de cette façon, il est facile de se tromper et de supposer, ainsi que vous-même l'avez fait, que tous les chevaux sont libres; mais vous allez bientôt voir les cavaliers se redresser et vous les entendrez pousser leur cri de guerre.

Nous avons dit que tous les Brésiliens étaient étendus derrière les cadavres de leurs chevaux, prêts à faire feu au commandement.

Au-dessus d'eux, les vautours et les urubus, attirés par l'odeur du sang, volaient en longs cercles en poussant des cris rauques et discordants.

A une demi-lieue dans la plaine, une manada de chevaux accourait avec une extrême rapidité, en soulevant d'épais nuages de poussière.

Les Brésiliens étaient mornes et silencieux; ils se sentaient perdus.

Seul, Diogo avait conservé sa physionomie calme et son expression insouciante.

«Enfants! cria-t-il, ménagez vos munitions et ne tirez qu'à coup sûr; vous savez qu'il ne nous reste plus de poudre.»

Tout à coup, les chevaux sauvages arrivèrent comme la foudre sur les retranchements, et, malgré une décharge meurtrière faite à bout portant, les franchirent d'un élan irrésistible.

Les guerriers Guaycurus se mirent en selle en poussant d'affreux hurlements, et le massacre, car ce ne fut pas un combat, commença avec un acharnement incroyable.

Au premier rang, auprès de Tarou-Niom, se tenait Malco Díaz.

Les yeux du métis lançaient des éclairs, il se ruait avec une furie extraordinaire au plus épais de la mêlée, et faisait des efforts inouïs pour se rapprocher de doña Laura.

Par un mouvement plutôt instinctif que calculé, les Brésiliens, dès que leur retranchement improvisé avait été forcé, s'étaient groupés autour d'elle.

La jeune fille, agenouillée sur le sol, les mains jointes et les yeux au ciel, priait avec ferveur.

La pauvre Phoebé, la poitrine traversée par une lance, se tordait à ses pieds dans les dernières convulsions de l'agonie.

Il y avait quelque chose de réellement beau dans le spectacle offert par ces vingt et quelques hommes immobiles, silencieux, serrés les uns contre les autres, et luttant désespérément contre une multitude d'ennemis, ayant fait le sacrifice de leur vie, mais résolus à combattre jusqu'au dernier soupir, et ne tombant que morts.

Diogo et le marquis faisaient des prodiges de valeur; l'Indien, avec un mépris superbe de la mort; le blanc, avec la rage du désespoir.

«Hein! Excellence, dit le capitão, d'une voix railleuse, commencez-vous à croire que nous y resterons?»

Cependant les rangs des Brésiliens s'éclaircissaient de plus en plus, mais ils ne tombaient pas sans vengeance; les Guaycurus, décimés par les balles, éprouvaient des pertes énormes.

Soudain, Malco Díaz bondit en avant, renversa le marquis en le frappant du poitrail de son cheval, et, saisissant doña Laura par les cheveux, il l'enleva, la jeta en travers sur le cou de son cheval et s'élança à travers la plaine.

La jeune fille jeta un cri terrible et s'évanouit.

Ce cri, Diogo l'avait entendu; le capitão sauta par-dessus le corps du marquis étendu sans connaissance et, renversant tout sur son passage, il se précipita à la poursuite du métis.

Mais que pouvait un homme à pied contre un cavalier lancé à toute bride?

Le métis s'arrêta, un éclair jaillit de sa fauve prunelle, et il épaula son fusil.

Diogo le prévint.

«C'est ma dernière charge, murmura-t-il; elle sera pour elle.»

Et il lâcha la détente.

Malco Díaz chancela tout à coup; ses bras s'ouvrirent convulsivement, et il roula sur le sol en entraînant la jeune fille dans sa chute.

Il était mort.

Diogo s'élança vers lui, mais tout à coup il fit un bond de côté, et, prenant son arme par le canon, il la leva au-dessus de sa tête: un Indien venait sur lui; mais changeant presque aussitôt de position, il bondit comme un jaguar, enlaça de ses bras nerveux l'Indien qui le poursuivait, le renversa, et du même coup se mit en selle à sa place. Ce prodige d'adresse et d'agilité accompli, il vola au secours de la jeune fille.

A peine la soulevait-il dans ses bras pour la mettre sur le cheval qu'il s'était si miraculeusement approprié, que des guerriers Guaycurus l'enveloppèrent dans un cercle infranchissable.

Diogo jeta un regard douloureux à la jeune fille qu'il posa à terre, et, retirant de sa ceinture ses pistolets, seules armes qui lui restaient:

«Pauvre enfant! murmura-t-il, j'ai fait ce que j'ai pu; la fatalité était contre moi!»

Il arma froidement ses pistolets.

«J'en tuerai bien deux encore avant de mourir,» dit-il.

Tout à coup les rangs des guerriers s'ouvrirent. Tarou-Niom parut.

«Que nul ne touche à cet homme et à cette femme, dit-il, ils m'appartiennent.

– Allons, ce sera pour une autre fois, dit le capitão en replaçant ses pistolets à sa ceinture.

– Tu es brave, je t'aime, reprit Tarou-Niom; prends cette gni-maak (plume), elle te servira de sauvegarde. Reste ici jusqu'à ce que je revienne, et veille sur l'etlatoum (femme) que tu as si bien défendue.»

Diogo prit la plume et s'assit tristement auprès de la jeune fille.

Une heure plus tard le capitão et doña Laura accompagnaient les guerriers Guaycurus qui retournaient à leur village.

La jeune fille était toujours évanouie et ne connaissait pas encore toute l'étendue du nouveau malheur qui était venu fondre sur elle.

Diogo la portait sur le cou de son cheval et la soutenait avec précaution; le brave capitão paraissait déjà, non pas résigné, mais complètement consolé de sa défaite, et causait amicalement avec le capitão Tarou-Niom, qui lui témoignait beaucoup d'égards.

Le combat avait fini ainsi qu'il devait finir, c'est-à-dire par la mort de tous les Brésiliens.

Ils avaient été impitoyablement massacrés.

Seuls, Diogo et la jeune fille avaient survécu, par un miracle incompréhensible, qui avait fait jaillir un éclair de pitié dans le cœur féroce du chef guaycurus.

Quant au marquis de Castelmelhor, nul ne savait ce qu'il était devenu; malgré les recherches les plus actives, il avait été impossible de retrouver son corps.

Était-il mort? Était-il vivant et avait-il contre toute probabilité réussi à s'échapper?

Son sort demeurait enveloppé d'un impénétrable mystère.

Bientôt les Indiens disparurent, la plaine où s'était passée cette effroyable tragédie redevint solitaire, et les vautours, s'abattant sur les cadavres, commencèrent une horrible curée de chair humaine.

FIN DU PROLOGUE
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 mayıs 2017
Hacim:
310 s. 1 illüstrasyon
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