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Kitabı oku: «Le Montonéro», sayfa 21

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XXI
LES CAPTIVES

Aussitôt après la réception terminée, don Pablo avait offert aux envoyés espagnols et à l'officier portugais, c'est-à-dire à don Zéno Cabral, qu'il était loin de se douter d'avoir pour hôte dans son camp, une collation que ceux-ci avaient accepté.

Bien que campés dans une des parties les plus inaccessibles des cordillières, les Pincheyras, grâce à leurs excursions continuelles et aux vols et aux pillages qu'ils commettaient dans les chacras, les bourgs, et même les villes situées sur les deux versants des montagnes, étaient fort bien approvisionnés; leur repaire regorgeait des choses les plus rares et les plus délicates.

Par les soins de la sœur de don Pablo, chargée par son frère des détails intérieurs de sa maison, une table avait été dressée et couverte d'une profusion de vivres de toutes sortes, de dulces, de fruits, de liqueurs, et même de vins d'Espagne et de France, que, certes, on eût été loin de s'attendre à rencontrer en pareil lieu.

Les Espagnols et les créoles hispano-américains sont généralement sobres; cependant lorsque l'occasion s'en présente, ils ne méprisent nullement les agréments d'une table bien garnie. En cette circonstance, ils fêtèrent à l'envi la bonne chère que leur offrait leur amphitryon, soit à cause des longues privations qu'ils avaient précédemment endurées soit parce que tout était en réalité exquis et servi avec beaucoup de goût; aussi le repas se prolongea-t-il assez longtemps, et il était plus de trois heures de l'après-dîner lorsque les convives se levèrent enfin de table.

Don Pablo prit alors à part don Zéno Cabral, qu'il avait placé auprès de lui à table, et pour lequel il éprouvait une vive sympathie.

– Señor don Sebastiao, lui dit-il d'une voix un peu émue, car malgré ou peut-être même à cause de sa sobriété habituelle, les quelques verres de vin généreux que le partisan avait été contraint de boire pour fêter ses convives, lui avaient donné une légère teinte d'ivresse, je vous trouve, ¡vive Dios! un charmant compagnon, et je désirerais faire quelque chose qui vous fût agréable.

– Vous me faites honneur, caballero, répondit Zéno Cabral avec une certaine réserve.

– Oui, ¡Dios me ampare! C'est ainsi; je vous avoue que ce matin j'étais assez contrarié de vous rendre les deux dames.

– Pour quelle raison?

– Diablos! J'aurais pu en tirer une bonne rançon.

– Qu'à cela ne tienne, caballero, et je suis tout prêt.

– Non, non, reprit-il vivement, ne parlons plus de cela, je me rattraperai sur d'autres de ce que je perds avec celles-ci; je voulais donc vous dire que je suis charmé maintenant de ce qui est arrivé. Bah! Vous me plaisez, mieux vaut qu'il en soit ainsi; d'ailleurs, ces femmes m'ennuient, elles pleurent continuellement, c'est insupportable.

– En effet, vous disiez donc?

– Et bien, ma foi, je disais que, si je pouvais vous être agréable en quelque chose, je serais heureux que vous me missiez à même de vous prouver l'estime que je fais de vous.

– Vous me flattez, caballero, en parlant ainsi, je ne mérite pas cette indulgence de votre part.

– Si, je vous jure; ainsi parlez, que désirez-vous?

– Eh bien! Puisqu'il en est ainsi, je serai franc avec vous, señor; il y a, en effet, une chose dans laquelle vous pouvez m'être utile.

– Eh bien! A la bonne heure, de quoi s'agit-il?

– Oh, mon Dieu! d'une chose bien simple: laissez, je vous prie, ces dames dans l'ignorance de leur délivrance; vous savez que la joie comme la douleur sont souvent fort à redouter lorsque tout à coup on les éprouve sans préparation; je redoute la révolution que pourrait occasionner à ces dames l'annonce de ce départ subit auquel elles sont si loin de s'attendre.

– Ce que vous me demandez là est en réalité très facile; cependant, il me faudra les avertir demain ou ce soir.

– Qu'à cela ne tienne, la chose est toute simple; dites-leur seulement qu'elles soient prêtes à monter à cheval demain au lever du soleil, sans les informer des causes ni du but de ce voyage; j'aurai soin de me tenir hors de leur vue jusqu'à ce que je trouve une occasion de me présenter à elles sans leur faire éprouver une trop forte commotion.

Le Pincheyra, homme fort peu sentimental de sa nature, ne comprenait rien à ce que lui disait le montonero: cependant, par suite de cette espèce de vanité innée chez tous les hommes qui les pousse à s'attribuer des qualités qu'ils ne possèdent pas, et d'ailleurs entraîné malgré lui vers sa nouvelle connaissance par une inexplicable sympathie, il ne fit aucune difficulté d'acquiescer à ce que lui demandait don Zéno Cabral, et consentit à le laisser complètement agir à sa guise, intérieurement flatté de la bonne opinion que celui-ci semblait avoir de lui et jaloux de lui prouver qu'il ne s'était pas trompé sur son compte.

Les choses ainsi arrangées, don Pablo chargea, sans entrer dans aucun détail, son frère José Antonio de prévenir les dames de leur prochain départ, et, s'éloignant en compagnie de don Zéno, il lui fit visiter le camp de Casa-Trama.

José Antonio, le troisième frère de Pincheyra, était un homme de vingt et quelques années, d'un caractère sombre, d'une intelligence bornée, qui accepta de mauvaise volonté la commission qui lui était donnée; il se hâta de s'en acquitter au plus vite.

Il se dirigea donc vers le toldo habité par les deux dames.

Elles étaient seules, occupées à causer entre elles, lorsque le Pincheyra se présenta.

A sa vue elles ne purent réprimer un mouvement de surprise et presque d'effroi; mais elles se remirent bientôt et lui rendirent le salut brusque qu'il leur fit, sans cependant leur adresser la parole, ce qui obligea la marquise à lui demander quel motif l'amenait auprès d'elles.

– Señora, répondit-il, mon frère le colonel don Pablo Pincheyra m'a chargé de vous avertir de vous tenir prêtes à quitter le camp demain au lever du soleil.

– Je vous remercie de cette bonne nouvelle, caballero, répondit froidement la marquise.

– Je ne sais si la nouvelle est bonne ou mauvaise, et cela m'est fort égal: on m'a ordonné de vous avertir, je le fais, voilà tout. Maintenant que ma commission est faite, adieu, je me retire.

Et sans plus de conversation il fit un geste pour s'éloigner.

– Pardon, caballero, lui dit la marquise en faisant un effort pour continuer l'entretien dans l'espoir de voir jaillir une lueur favorable dans le chaos qui l'enveloppait, un mot s'il vous plaît.

– Un mot, soit, répondit-il en s'arrêtant, mais pas davantage.

– Savez-vous pour quelle raison nous quittons le camp?

– Ma foi non; qu'est-ce que cela me fait, à moi, que vous partiez ou non.

– C'est vrai, cela doit vous être fort indifférent, cependant vous êtes, je crois, un des principaux officiers de votre frère.

– Je suis capitaine, répondit-il en se redressant avec orgueil.

– En cette qualité, vous devez être dans la confidence des projets de votre frère, savoir quelles sont ses intentions.

– Moi, pourquoi faire? Mon frère n'a pas de comptes à me rendre, je ne lui en demande pas.

La marquise se mordit les lèvres avec dépit, cependant elle continua, en changeant brusquement de conversation.

– Si je dois sitôt quitter le camp, permettez-moi, caballero, de vous offrir avant de me séparer de vous cette légère marque de souvenir, et retirant de sa poitrine un mignon reliquaire d'or curieusement ciselé, elle le lui présenta avec un gracieux sourire.

L'œil du bandit lança un éclair de convoitise.

– Oh! fit-il en tendant la main, qu'est-ce que c'est que cela?

– Ce médaillon, reprit la marquise, contient des reliques.

– Des reliques, fit-il, véritables?

– Certes, il renferme un morceau de la vraie croix et une dent de santa Rosa de Lima.

– Ah! Et cela peut servir, n'est-ce pas? Le père Gómez, le chapelain de mon frère, dit que les reliques des saints sont les meilleures armes qu'un chrétien puisse porter avec lui.

– Il a raison, celles-ci sont infaillibles contre les blessures et les maladies.

L'œil du bandit se dilata, une indicible expression de joie bouleversa sa figure.

– Et vous me les donnez! s'écria-t-il vivement.

– Je vous les donne, mais à une condition.

– Sans condition, reprit-il en fronçant le sourcil et en jetant un regard sinistre sur la marquise.

Le seul sentiment vivace au fond du cœur de cet homme, sa superstition, était éveillée. Peut-être pour s'emparer de ses reliques qu'il convoitait, n'aurait-il pas reculé devant un crime.

La marquise comprit à l'instant la pensée qui s'agitait indistincte encore dans son esprit obtus; elle ne s'émut pas et continua:

– Ces reliques perdraient aussitôt leur vertu, si elles étaient enlevées par violence à la personne qui les possède.

– Ah! murmura-t-il d'une voix sourde et inarticulée, il faut qu'elles soient librement données.

– Il le faut, répondit froidement la marquise.

Doña Eva avait senti un frisson de terreur parcourir ses membres à la menace voilée du bandit; mais, son exclamation la rassura, elle comprit que la bête féroce était domptée.

– Quelle est cette condition? reprit-il.

– Je désire savoir si des étrangers sont arrivés au camp aujourd'hui.

– Il en est arrivé ce matin.

– Des Espagnols?

– Oui.

– Il n'y avait pas de Portugais parmi eux?

– Je crois qu'il y en avait un.

– Vous en êtes sûr?

– Oui, c'est celui-là qui vous doit emmener; il a offert une forte rançon pour vous; je me le rappelle, parce que mon frère a refusé la rançon, tout en consentant à vous laisser partir, ce que je n'ai pas pu comprendre de sa part.

– Ah! murmura-t-elle d'un air rêveur.

– Vous n'avez plus rien à me demander?

– Une seule question encore.

– Faites vite, répondit-il les yeux avidement fixés sur le reliquaire, qu'il ne quittait pas du regard.

– Connaissez-vous don Emilio?

– Le Français?

– Oui, celui-là même.

– Je le connais.

– Je désirerais causer avec lui.

– C'est impossible.

– Pourquoi donc?

– Parce qu'il a quitté le camp il y a une heure, en compagnie de mon frère Santiago.

– Savez-vous quand il sera de retour?

– Jamais; je vous répète qu'il est parti.

Un soupir de soulagement s'échappa de la poitrine de la marquise. Si le jeune homme était parti, c'était dans l'intention de leur être utile, d'essayer de les sauver: tout espoir n'était donc pas perdu pour elles, puisqu'un ami dévoué veillait encore à leur salut.

– Je vous remercie, reprit-elle, de ce que vous avez consenti à me dire, voilà le reliquaire.

Le Pincheyra bondit dessus comme une bête fauve sur sa proie et le fit disparaître sous son poncho.

– Vous me jurez que les reliques sont vraies? demanda-t-il d'un ton soupçonneux.

– Je vous le jure.

– C'est égal, murmura-t-il en hochant la tête, je les ferai bénir par le Père Gómez, cela ne peut pas nuire; adieu, madame.

Et sans plus de salutations, il tourna sur les talons et quitta le toldo aussi brusquement qu'il y était entré, sans autrement prendre congé des deux dames et tenant la main droite fortement appuyée sur la poitrine dans le but sans doute de s'assurer que le précieux reliquaire était toujours à l'endroit où il l'avait caché.

Il y eut un long silence entre les deux dames après le départ du Pincheyra.

La marquise releva enfin les yeux et fixa un long regard sur sa fille, qui, la tête penchée sur la poitrine, semblait plongée dans d'amères réflexions.

– Eva! lui dit-elle d'une voix douce.

La jeune fille tressaillit, et, redressant vivement sa belle tête pâlie par le chagrin:

– Vous me parlez, ma mère? répondit-elle.

– Oui, ma fille, reprit la marquise; vous pensiez à notre malheureuse situation, sans doute?

– Hélas! fit-elle.

– Situation, continua la marquise, que chaque instant qui s'écoule rend plus affreuse car ne vous y trompez pas, mon enfant, cette liberté que nous accorde le bandit dont nous sommes les prisonnières, cette liberté n'est qu'un leurre.

– Oh! Le croyez vous donc, ma mère? Qui vous fait supposer cela?

– Je ne sais rien, et pourtant je suis convaincue que l'homme qui se dit envoyé par votre père pour nous ramener près de lui, et s'obstine à se tenir à l'écart, au lieu de se présenter à nous, ainsi qu'il le devrait faire; je suis convaincue que cet homme est un ennemi, plus redoutable peut-être pour nous que celui auquel il nous enlève, et qui, bandit sans foi ni loi, ne nous retenait cependant que dans l'espoir d'une riche rançon, n'ayant contre nous ni haine ni colère.

– Pardonnez-moi, ma mère, de ne pas être de votre avis en cette circonstance. Dans une contrée si éloignée de notre pays, où, à paru don Emilio, nous ne connaissons personne, étrangères au milieu du peuple à demi sauvage qui nous entoure, quel ennemi pouvons-nous redouter?

La marquise sourit tristement.

– Votre mémoire est courte, dit-elle, ma chère Eva; insouciante comme tous les enfants de votre âge, le passé n'est plus pour vous qu'un rêve, et vos regards, sans se fixer sur le présent, se dirigent sur l'avenir seul. Avez-vous donc oublié déjà le chef de partisans qui, il y a deux mois, nous fit prisonnières et dont nous sauva le dévouement de don Emilio?

– Oh! Non, ma mère, s'écria-t-elle avec un tressaillement nerveux, non, je ne l'ai pas oublié, car cet homme semble être notre mauvais gente! Mais, Dieu soit loué ici, du moins, nous n'avons rien à redouter de lui.

– Vous vous trompez, ma fille, c'est lui, au contraire, qui aujourd'hui nous poursuit encore.

– Cela ne saurait être, ma mère; cet homme est, vous le savez, attaché au parti contraire à celui que soutient le bandit aux mains duquel nous nous trouvons.

– Pauvre enfant, les méchants se ligueront toujours lorsqu'il s'agira de faire le mal; je vous le répète, cet homme est ici.

– Ma mère, dit la jeune fille d'une voix que l'émotion faisait trembler, mais cependant avec un accent résolu, vous le connaissez depuis longtemps cet homme?

– Oui, répondit-elle sèchement.

– Puisqu'il en est ainsi, vous savez sans doute les motifs vrais ou faux de cette implacable haine?

– Je les sais, oui, ma fille.

– Et, dit-elle avec une certaine hésitation, pourriez-vous me les faire connaître?

– Non, cela m'est impossible.

– Me permettez-vous de vous adresser une question ma mère?

– Parlez, ma fille; si je puis vous répondre, je le ferai.

– Les motifs de cette haine vous touchent-ils personnellement?

– Non: je suis de toutes les manières innocente des faits qu'on nous reproche.

– Pourquoi nous, ma mère?

– Parce que, chère enfant, tous tes membres d'une famille sont solidaires les uns des autres; vous le savez, n'est-ce pas?

– Je le sais, oui.

– De là cette conséquence indiscutable qu'une action reprochée à un membre d'une famille doit être à tous, et que, si cette action est honteuse ou coupable, tous en subissent la honte et en doivent accepter la responsabilité.

– C'est juste; merci, ma mère, je vous comprends; maintenant, il reste seulement un point sur lequel je ne suis pas bien édifiée.

– A quoi faites-vous allusion?

– A ceci, lorsqu'à Santiago de Chile, et plus tard à Salto, le señor don Zéno Cabral… c'est ainsi qu'il se nomme? Je crois…

– En effet, tel est son nom; continuez.

– Donc, lorsqu'il se présenta dans notre maison, connaissiez-vous déjà cette haine qu'il nous portait?

– Je la connaissais, ma fille, répondit nettement la marquise.

– Vous la connaissiez, ma mère! s'écria doña Eva avec surprise.

– Oui, je la connaissais, je vous le répète.

– Mais alors, ma mère, s'il en était ainsi, pourquoi le receviez-vous donc sur le pied de l'intimité lorsqu'il vous aurait été si facile de lui fermer votre porte.

– Vous le croyez ainsi.

– Excusez-moi cette insistance, ma mère, mais je ne puis m'expliquer une telle conduite de votre part, à vous, douée, ainsi que vous l'êtes, d'un tact si exquis et d'une profonde connaissance du monde.

La marquise haussa légèrement les épaules tandis qu'un sourire d'une expression indéfinissable plissait les coins de sa bouche.

– Vous raisonnez comme une folle, ma chère Eva, lui répondit-elle, en appuyant légèrement ses lèvres pâles sur le front de la jeune fille; je ne connaissais pas personnellement don Zéno Cabral, il ignorait et probablement il ignore encore aujourd'hui que j'étais maîtresse du secret de sa haine, secret dont, en effet, avec un caractère moins franchement loyal que celui de votre père, je n'aurais pas dû, à cause de certaines particularités blessantes pour mon caractère de femme, je n'aurais pas dû, dis-je, partager le lourd fardeau; mon but, en attirant chez-moi notre ennemi, et en l'introduisant même dans notre intimité la plus privée, était de lui donner le change, de le convaincre que j'étais dans une ignorance complète, par conséquent, d'éveiller sa confiance et de parvenir, sinon à le faire renoncer à ses projets contre nous, du moins, à les lui faire modifier, ou à en obtenir l'aveu de sa bouche. La faiblesse apparente de don Zéno, ses manières efféminées, sa feinte douceur, son visage imberbe, qui le fait paraître beaucoup plus jeune qu'il ne doit l'être en réalité, tout me portait à supposer que j'aurais bon marché de lui, et que je réussirais facilement. Il n'en a malheureusement pas été ainsi. Cet homme est de granit; rien ne l'émeut, rien ne le touche; se faisant de l'ironie une arme, d'autant plus dangereuse qu'elle est plus difficile à combattre de sang-froid, toujours il a su déjouer mes ruses et repousser mes attaques. De guerre lasse, froissée un jour par le ton de mordante raillerie dont il ne se départait pas dans nos entretiens particuliers, je me laissât emporter par la colère, et je le blessai grièvement par un mot sanglant que je lui jetai au visage et que, à peine prononcé, j'aurais voulu retenir; mais il était trop tard: l'imprudence commise par moi était irréparable. En voulant démasquer mon adversaire, j'avais laissé dire dans mon cœur. De ce moment tout fut fini entre nous, ou plutôt tout commença. Après m'avoir froidement saluée, il se retira en m'avertissant ironiquement de mieux me tenir sur mes gardes dorénavant, et je ne le revis plus jusqu'au moment où il nous fit tomber dans l'embuscade qui nous mit en son pouvoir.

– Pendant que la marquise parlait, le visage de doña Eva exprimait tour à tour les sentiments les plus divers. La jeune fille, en proie à une vive émotion qu'elle essayait vainement de maîtriser, comprimait sa poitrine haletante et essuyait furtivement ses yeux qui d'instants en instants se remplissaient de larmes; enfin cette émotion se fit tellement visible, que force fut à la marquise de s'en apercevoir. Elle s'arrêta brusquement, et fixant sur sa fille un regard dur et impérieux tandis que ses sourcils se fronçaient à se joindre et que sa voix prenait une sourde intonation de menace:

– Qu'avez-vous donc, niña? lui demanda-t-elle et pourquoi ces larmes que je vous vois répandre?

La jeune fille rougit et baissa la tête avec embarras.

– Répondez, reprit sévèrement la marquise, répondez, je le veux.

– Ma mère, balbutia-t-elle d'une voix faible et tremblante, les choses que vous me dites ne suffisent-elles donc pas pour me causer la douleur à laquelle vous me voyez en proie? Je ne mérite en aucune sorte l'injuste colère que vous me témoignez.

La marquise hocha la tête à plusieurs reprises, et continuant à fixer son regard sur sa fille qui, rougissant et pâlissant tour à tour, perdait de plus en plus contenance.

– Soit, dit-elle, je veux bien feindre d'ajouter foi à ce qu'il vous plaît de me répondre, mais prenez garde qu'un jour je m'aperçoive que vous m'avez menti, et qu'un sentiment dont vous ignorez sinon, l'existence, du moins la force, et que vous essaieriez en vain de me cacher, a germé dans votre cœur.

– Que voulez-vous dire, ma mère? Au nom du ciel, je ne vous comprends pas.

– Veuille le ciel que je me sois trompée, reprit-elle sourdement; mais, brisons-là, nous ne nous sommes que trop appesanties sur ce sujet, je vous ai avertie, et je veille; l'avenir décidera.

– Ma mère, quand nous sommes si malheureuses déjà, pourquoi augmenter ma douleur par d'injustes reproches?

Elle lui lança un regard dans lequel brilla un fulgurant éclair de colère, mais se remettant aussitôt:

– Vous m'avez donc comprise! s'écria-t-elle avec une froideur calculée.

– La jeune fille frissonna et tomba palpitante sur le sein de sa mère, en balbutiant une réponse entrecoupée par la douleur et s'évanouit.

La marquise la souleva légèrement dans ses bras et l'étendit sur un hamac; longtemps elle la contempla avec une expression de colère, d'amour et de tristesse impossible à rendre.

– Pauvre, pauvre enfant! murmura-t-elle, et, tombant à deux genoux auprès du hamac, elle joignit les mains et adressa au ciel une fervente prière.

Elle pria longtemps ainsi; soudain elle sentit une larme brûlante tomber sur son front, elle releva vivement la tête.

Sa fille, à demi levée hors du hamac, penchée sur elle, la regardait prier.

– Ma mère! Ma mère! s'écria-t-elle en l'attirant doucement vers elle.

La marquise se leva sans répondre, s'approcha de sa fille, et les deux femmes tombèrent dans les bras l'une de l'autre, confondant leurs larmes dans une étreinte passionnée.

La journée s'écoula tout entière sans nouvel incident. Grâce à la présence des étrangers dans le camp, nul ne vint troubler la solitude des captives qui eurent au moins cette satisfaction d'échapper, pendant cette dernière journée, au milieu des Pincheyras, aux obsessions intéressées de la sœur de leur chef.

Vers le soir, on les avertit par un message assez laconique de faire tous leurs préparatifs, de façon à être prêtes à se mettre en route au premier signal.

Les bagages des deux dames avaient été, chose étrange, scrupuleusement respectés par les partisans; aussi étaient-ils assez importants et nécessitaient quatre mules pour leur transport; on leur promit que des bêtes de somme seraient mises à leur disposition.

La nuit fut sombre; une chaleur lourde pesait sur la nature; la lune, cachée par d'épais nuages bordés de reflets grisâtres, ne répandait aucune lumière; le ciel était noir; de sourdes rumeurs, emportées sur l'aile du vent, traversaient l'espace comme des plaintes sinistres; par intervalles, des mugissements lugubres s'échappaient des quebradas, et, répercutés par les échos, allaient éveiller les fauves au fond de leurs repaires, ignorés.

Un silence funèbre planait sur le camp, où tous les feux étaient éteints; les sentinelles elles-mêmes étaient muettes, et leurs longues silhouettes immobiles, semblables à des spectres, se détachaient en gris sur la teinte plus sombre des mornes environnants.

Vers quatre heures du matin, au moment où l'horizon commençait à s'iriser de bandes grisâtres, un bruit de chevaux se fit entendre dans la partie du camp habitée par les captives et se rapprocha rapidement de leur hatto.

Elles comprirent que le moment de leur départ était arrivé, et elles se mirent en mesure de recevoir les gens que sans doute don Pablo leur envoyait pour charger leurs bagages.

Elles avaient passé la nuit en prière, sans que pendant une seule minute le sommeil fût venu clore leurs paupières.

Au premier coup frappé à leur porte, elles quittèrent leur siège et ouvrirent.

Un homme entra, cet homme était don Pablo; un épais manteau l'enveloppait, un chapeau à larges bords était rabattu sur ses yeux.

Il salua poliment les dames.

– Êtes-vous prêtes? leur demanda-t-il.

– Nous attendons répondit laconiquement la marquise, voici nos bagages.

– C'est bien! répondit-il, et s'adressant à plusieurs hommes entrés à sa suite dans le hatto: allons, vous autres, leur dit-il d'un ton bref, chargez cela rondement, nous n'avons pas de temps à perdre.

Les ballots étaient au nombre de six, et formaient ainsi la charge de trois mules: en quelques minutes, ils furent solidement fixés sur les flancs des dociles et patientes bêtes.

– Señoras, reprit don Pablo, veuillez me suivre, s'il vous plaît.

Les dames s'inclinèrent sans répondre et sortirent du hatto.

Plusieurs cavaliers étaient arrêtés devant la porte. Deux chevaux étaient tenus en bride par un peon.

Voici vos montures, señoras, dit le Pincheyra; mettez-vous en selle.

– Est-ce que nous partons tout de suite? hasarda la marquise.

– Il le faut, madame, répondit don Pablo avec une respectueuse politesse, nous sommes menacés d'un temporal; tout retard pourrait nous causer de graves préjudices, au lieu qu'en faisant diligence, nous aurons atteint un refuge sûr avant qu'il éclate.

– Ne vaudrait-il pas mieux différer de quelques heures notre voyage? demanda encore la marquise.

– Vous ne connaissez pas encore nos cordillières, señora? répondu en souriant Pincheyra. Un temporal de deux heures seulement occasionne ordinairement de tels désastres que les communications se trouvent coupées pendant des semaines et souvent des mois entiers: du reste, je suis complètement à vos ordres, et, si vous le désirez, nous attendrons.

La marquise réfléchit un instant; ce ton et ces formes polies auxquelles cet homme ne l'avait nullement habitué depuis leur rencontre, lui causèrent une impression singulière et lui rendirent, sinon l'espoir, du moins le courage; il se tenait immobile devant elle, prêt, en apparence, à satisfaire le désir qu'elle manifesterait.

– Partons donc, puisqu'il en est ainsi, lui dit-elle.

Don Pablo s'inclina et lui offrit la main pour se mettre en selle.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 mayıs 2017
Hacim:
330 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain

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