Читайте только на Литрес

Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.

Kitabı oku: «Les nuits mexicaines», sayfa 16

Yazı tipi:

XXII
DON DIEGO

Don Melchior de la Cruz, résolu de s'emparer à tout prix de la fortune de son père, fortune que le mariage de sa sœur menaçait de lui faire perdre sans retour, s'était jeté à corps perdu dans la politique, espérant trouver au milieu des factions qui depuis si longtemps déchiraient son pays l'occasion de satisfaire son ambition et son insatiable avarice en pêchant à pleine main dans l'eau trouble des révolutions. Doué d'un caractère énergique, d'une grande intelligence, véritable condottière politique, passant sans hésitation comme sans remords d'un parti dans l'autre, selon les avantages qui lui étaient offerts, toujours prêt à servir celui qui le payait le plus cher, il était arrivé à se rendre maître de secrets importants qui le faisaient redouter de tous et lui avaient acquis un certain crédit auprès des chefs des partis qu'il avait servis tour à tour; espion du grand monde, il avait su entrer partout, s'affilier à toutes les confréries et les sociétés secrètes, possédant au plus haut degré le talent si envié des plus renommés diplomates, de feindre au naturel les sentiments et les opinions les plus opposés. C'est ainsi qu'il s'était fait recevoir membre de la mystérieuse société d'Union et Force, par laquelle il devait plus tard être condamné à mort, avec la résolution bien arrêtée d'avance de vendre les secrets de cette redoutable association, lorsqu'une occasion favorable se présenterait. Don Antonio de Cacerbar se fit peu de temps après recevoir membre de cette même association.

Ces deux hommes devaient se comprendre au premier mot, ce fut ce qui arriva. L'amitié la plus étroite les unit bientôt.

Lorsque dans le commencement de leur liaison par suite de révélations anonymes don Antonio de Cacerbar, convaincu de trahison, condamné par l'association mystérieuse, et obligé de défendre sa vie contre un des affiliés, tomba sous l'épée de son adversaire, et fut laissé pour mort sur la route, où le trouva Dominique ainsi que nous l'avons rapporté plus haut, don Melchior, qui de loin assistait masqué à cette sanglante exécution, résolut, si cela était possible, de sauver cet homme qui lui inspirait de si vives sympathies. Après le départ de ses compagnons, aussitôt que cela lui avait été possible, il était accouru dans l'intention de porter secours au blessé, mais il ne l'avait plus trouvé; le hasard, en amenant en ce lieu Dominique lui ravit, à son grand regret, cette occasion qu'il désirait de rendre don Antonio son débiteur.

Plus tard, lorsque don Antonio, à demi guéri, s'était échappé de la grotte où on le soignait, les deux hommes s'étaient rencontrés de nouveau; plus heureux cette fois, don Melchior avait rendu à don Antonio des services importants.

Celui-ci, à son tour, s'était, en plusieurs circonstances, trouvé à même de faire profiter le jeune homme du crédit occulte dont il disposait.

Seulement, si don Antonio connaissait à fond les affaires de son associé, le but qu'il se proposait et les moyens qu'il comptait employer pour l'atteindre, il n'en était pas de même de don Melchior à l'égard de don Antonio de Cacerbar; celui-ci demeurait pour lui à l'état d'énigme indéchiffrable. Cependant le jeune homme, bien que plusieurs fois déjà il eût essayé de faire parler son ami et de l'amener à des confidences qui lui auraient donné certaines prérogatives, sans jamais y parvenir, ne renonçait pas à réussir à découvrir un jour ce que l'autre paraissait avoir tant d'intérêt à cacher.

Le dernier service que don Antonio lui avait rendu en le faisant si à l'improviste échapper à l'implacable justice des affiliés de l'Union et Force avait placé, provisoirement du moins, don Melchior sous sa dépendance.

Don Antonio sembla mettre un certain point d'honneur à ne pas rappeler à don Melchior l'immense danger dont il l'avait sauvé; il continua à le servir ainsi qu'il l'avait fait jusque-là.

Le premier soin du jeune homme, en rentrant dans Puebla, avait été de se rendre en toute hâte au couvent où, après l'avoir enlevée, il avait relégué sa sœur; mais, ainsi qu'il en avait le pressentiment secret, il trouva la jeune fille disparue et le couvent vide.

Don Antonio ne lui avait dit à ce sujet qu'une phrase de dix mots, mais cette phrase avait une éloquence terrible.

– Il n'y a que les morts qui ne s'échappent pas, avait-il dit.

Don Melchior avait courbé la tête en reconnaissant la justesse de ces paroles.

Toutes les recherches du jeune homme dans Puebla furent vaines, nul ne put ou ne voulut lui rien dire; la supérieure du couvent fut muette.

– Allons à México, c'est là que nous la trouverons, si toutefois elle n'est pas morte, lui dit don Antonio.

Ils partirent.

Quels moyens employa don Antonio pour découvrir la retraite de doña Dolores, nous ne saurions le dire, mais ce qui est certain, c'est que, deux jours après son arrivée dans la ville, il connaissait la demeure de la jeune fille.

Laissons pour quelques instants ces deux hommes que trop tôt nous retrouverons, et disons comment doña Dolores avait été délivrée.

La jeune fille avait été placée, par l'ordre de don Melchior, dans un couvent de religieuses Carmélites.

La supérieure, que don Melchior avait réussi à mettre dans ses intérêts, grâce à une somme considérable qu'il avait versée entre ses mains et à la promesse d'autres plus fortes encore, si elle exécutait avec zèle et intelligence ses recommandations, ne laissait recevoir aucune autre visite à la jeune fille que celle de son frère, il lui était défendu d'écrire des lettres, et celles qui lui arrivaient étaient impitoyablement interceptées.

Dolores passait ainsi des jours tristes et décolorés, au fond d'une étroite cellule, privée de tous rapports avec le monde, et ne conservant plus même l'espoir d'être un jour rendue à la liberté; son frère, du reste, lui avait fait connaître sa volonté à cet égard: il exigeait qu'elle prît le voile.

Ce moyen était le seul que don Melchior avait trouvé pour contraindre sa sœur à lui faire l'abandon de sa fortune, en renonçant au monde.

Cependant don Melchior, bien qu'il se fût fait nommer tuteur de sa sœur, n'aurait pu la conduire dans un couvent sans une autorisation écrite du gouverneur, autorisation facilement obtenue qui avait été présentée par le secrétaire particulier de son excellence le gouverneur, don Diego Izaguirre, à la mère supérieure, lorsque la jeune fille avait été amenée au couvent.

Le soir du jour où don Melchior avait été si adroitement enlevé par don Adolfo qu'il croyait son prisonnier, vers neuf heures du soir, trois hommes enveloppés d'épais manteaux et montés sur de beaux et vigoureux genets d'Espagne, s'arrêtèrent à la porte du couvent, à laquelle ils frappèrent.

La tourière ouvrit un judas pratiqué dans cette porte, échangea quelques mots à voix basse avec un de ces cavaliers qui avait mis pied à terre, et satisfaite sans doute des réponses qu'elle avait reçues, elle avait entrebâillé la porte, de façon à livrer passage au visiteur attardé.

Celui-ci jeta alors la bride de son cheval à un de ses compagnons; pendant que ceux-ci l'attendaient au dehors, il entra, et la porte se referma derrière lui.

Après avoir traversé plusieurs corridors, la tourière ouvrit la cellule de l'abbesse et annonça don Diego Izaguirre, secrétaire particulier de son excellence le gouverneur.

Don Diego après avoir échangé quelques compliments, retira un pli cacheté de son dolman et le présenta à la supérieure qui l'ouvrit et le lut rapidement.

– Très bien, dit-elle, señor; je suis prête à vous obéir.

– Souvenez-vous bien, madame, de la teneur de l'ordre que je vous ai communiqué et que je suis forcé de vous reprendre. Tout le monde, vous entendez, madame, fit-il en soulignant ces mots avec intention, doit ignorer comment doña Dolores a quitté le couvent; cette recommandation est de la plus haute importance.

– Je ne l'oublierai pas, señor.

– Libre à vous de dire qu'elle s'est échappée, maintenant veuillez, je vous prie, faire prévenir doña Dolores.

La supérieure laissa don Diego dans sa cellule et alla elle-même chercher doña Dolores.

Dès qu'il fut seul, le jeune homme déchira en parcelles impalpables l'ordre qu'il avait montré à la supérieure et jeta ces parcelles dans le brasero où le feu les consuma en un instant.

– Je ne me soucie pas, dit don Diego en les regardant brûler, que le gouverneur s'aperçoive un jour ou l'autre de la perfection avec laquelle j'imite sa signature, cela pourrait lui causer de la jalousie; et il sourit d'un air moqueur.

La supérieure fut à peine absente un quart d'heure.

– Voici doña Dolores de la Cruz, dit l'abbesse; j'ai l'honneur de la remettre entre vos mains.

– Fort bien, madame, j'espère vous prouver bientôt que son Excellence sait, lorsque l'occasion s'en présente, récompenser dignement les personnes qui lui obéissent sans hésitation comme sans intérêt.

La supérieure salua humblement en levant les yeux au ciel.

– Êtes-vous prête, señorita, demanda don Diego à la jeune fille.

– Oui, répondit-elle laconiquement.

– Alors veuillez me suivre, je vous prie.

– Marchons, dit-elle en s'enveloppant dans sa mante sans prendre autrement congé de l'abbesse.

Ils quittèrent alors la cellule et conduits par la supérieure ils arrivèrent à la porte du couvent; sous un léger prétexte, l'abbesse avait eu la précaution d'éloigner la tourière, elle ouvrit donc elle-même la porte, puis, lorsque don Diego et la jeune fille furent sortis, elle fit un dernier salut au secrétaire du gouverneur et referma la porte comme si elle avait hâte d'être délivrée du souci que sa présence lui causait.

– Señorita, dit respectueusement don Diego à la jeune fille, veuillez être assez bonne pour monter sur ce cheval.

– Señor, dit-elle d'une voix triste mais ferme, je ne suis qu'une pauvre orpheline sans défense; je vous obéis, car toute résistance de ma part serait une folie, mais…

– Doña Dolores, dit un des cavaliers, nous sommes envoyés par don Jaime.

– Oh! s'écria-elle avec joie, c'est la voix de don Carlos.

– Oui señorita; rassurez-vous donc, et veuillez sans plus tarder vous mettre en selle; le temps nous presse.

La jeune fille monta légèrement sur le cheval de don Diego.

– Maintenant, señores, dit le jeune homme, vous n'avez plus besoin de moi, adieu, à franc étrier et bon voyage!

Ils s'élancèrent comme un tourbillon et bientôt ils disparurent dans la nuit.

– Comme ils courent, fit en riant le jeune homme; je crois que don Melchior aurait quelque peine à les rejoindre.

Et s'enveloppant dans son manteau il regagna pédestrement le palais du gouvernement où il habitait.

Les deux hommes qui accompagnaient la jeune fille étaient Dominique et Leo Carral. Ils galopèrent toute la nuit.

Au lever du soleil, ils atteignirent un rancho abandonné où plusieurs personnes les attendaient.

Doña Dolores reconnut avec joie parmi elles don Adolfo et le comte.

Maintenant entourée de ces amis dévoués elle n'avait plus rien à craindre, elle était sauvée.

Le voyage fut un enivrement continuel, mais sa joie fut immense lorsqu'elle arriva à México et que sous l'escorte de ses braves amis elle entra dans la petite maison où tout avait été préparé à l'avance pour la recevoir; elle tomba en pleurant dans les bras de doña Maria et de Carmen.

Don Adolfo et ses amis se retirèrent discrètement, laissant les dames se faire leurs confidences.

Le comte, afin de veiller de plus près sur la jeune fille, fit louer par son valet de chambre une maison, située dans la même rue que celle qu'elle habitait et offrit à Dominique, qui accepta avec empressement, de partager sa demeure.

Il fut convenu, afin de ne pas éveiller les soupçons et de ne pas attirer l'attention sur la maison des trois dames, que les jeunes gens n'y feraient que de courtes visites à des intervalles assez éloignés. Quant à don Adolfo, à peine la jeune fille avait-elle été installée chez lui qu'il avait recommencé sa vie errante et était devenu de nouveau invisible; quelquefois, lorsque la nuit était close, on le voyait tout à coup apparaître dans la maison des jeunes gens dont Leo Carral avait pris la direction, prétendant que, puisque le comte devait épouser sa jeune maîtresse, il était son maître et se considérait comme son majordome; le comte pour ne pas chagriner le brave serviteur lui avait laissé carte blanche; dans ses rares apparitions, l'aventurier causait pendant quelque temps de choses indifférentes avec les deux amis, puis il les quittait en leurs recommandant la vigilance.

Les choses allèrent bien pendant plusieurs jours. Doña Dolores, sous l'impression bienfaisante du bonheur, avais repris toute sa gaité et son insouciance de jeune fille; elle et Carmen gazouillaient comme des colibris du matin au soir dans tous les coins de la maison; doña Maria elle-même, subissant l'influence de cette joie si franchement naïve, semblait toute rajeunie et parfois éclaircissant ses traits sévères, on la surprenait à se laisser aller à sourire.

Le comte et son ami, par leurs visites qui malgré les recommandations de don Jaime se faisaient de plus en plus fréquentes et surtout plus longues, jetaient de la variété dans la monotonie calme de l'existence des trois dames recluses volontaires, qui jamais ne mettaient le pied dans la rue et vivaient dans l'ignorance la plus complète de ce qui se passait autour d'elles.

Un soir que le comte faisait pour tuer le temps une partie d'échecs avec Dominique, et que les deux jeunes gens qui se souciaient aussi peu de leur jeu l'un que l'autre demeuraient silencieusement accoudés face-à-face sous prétexte de combiner des coups savants mais en réalité pour penser à autre chose, on frappa fortement à la porte de la rue.

– Qui diable peut venir à cette heure? s'écrièrent-ils à la fois en tressaillant.

– Il est plus de minuit, dit Dominique.

– A moins que ce soit Olivier, dit le comte, je ne vois pas trop qui ce pourrait être.

– C'est lui sans aucun doute, reprit Dominique.

En ce moment, la porte de la chambre s'ouvrit et don Jaime entra.

– Bonsoir, messieurs, dit-il; vous ne m'attendiez pas à cette heure, hein!

– Nous vous attendons toujours, mon ami.

– Merci! Vous permettez, ajouta-t-il et se tournant vers le valet de chambre qui l'éclairait: Dressez-moi à souper, s'il vous plaît, monsieur Raimbaut.

Celui-ci s'inclina et sortit.

Don Jaime jeta son chapeau sur un meuble et se laissa aller sur une chaise en s'éventant avec son mouchoir.

– Ouf! dit il, je meurs de faim, mes amis!

XXIII
LE SOUPER

Les jeunes gens examinaient l'aventurier avec une surprise qu'ils essayaient vainement de dissimuler et qui malgré eux se reflétait sur leur visage.

Raimbaut apporta, aidé par Lanca Ibarru, une table toute garnie qu'il plaça devant don Adolfo.

– Pardieu, messieurs, dit gaiment l'aventurier, monsieur Raimbaut a eu la charmante attention de mettre trois couverts, prévoyant sans doute que vous ne refuseriez pas de me tenir compagnie; faites donc, je vous prie, trêve pour un instant à vos pensées, et venez vous mettre à table.

– De grand cœur, répondirent-ils en prenant place à ses côtés.

Le repas commença; don Adolfo mangeait de bon appétit tout en causant avec une verve et un entrain que jamais jusqu'alors ses amis ne lui avaient vue, il ne tarissait pas, c'était un feu roulant de saillies, de mots spirituels, d'anecdotes finement racontées qui jaillissaient de ses lèvres en gerbes flamboyantes.

Les jeunes gens se regardaient, ils ne comprenaient rien à cette humeur singulière; car, malgré la gaîté de ses propos et le laisser-aller de ses manières, le front de l'aventurier demeurait soucieux et son visage gardait le masque froidement railleur qui lui était habituel.

Cependant, excités malgré eux par cette gaîté communicative au suprême degré, ils n'avaient pas tardé à oublier toutes leurs préoccupations et à se laisser gagner par cette joie si franche en apparence; bientôt ce fut une lutte de rires et de mots joyeux qui se mêlaient au choc des verres et aux cliquetis des couteaux et des fourchettes.

Les domestiques avaient été renvoyés et les trois amis laissés seuls.

– Ma foi, messieurs, dit don Adolfo en débouchant une bouteille de champagne, de tous les repas, à mon avis, le meilleur est le souper; nos pères le chérissaient et ils avaient raison; entre autres bonnes coutumes qui s'en vont, celle-ci se perd et bientôt elle sera complètement oubliée, je la regretterai sincèrement.

Il remplit les verres de ses compagnons.

– Laissez-moi, reprit-il, boire à votre santé avec ce vin, l'un des plus charmants produits de votre pays.

Et après avoir trinqué, il vida son verre d'un trait.

Les bouteilles se succédaient rapidement les unes aux autres, les verres étaient aussitôt vidés que remplis.

Les têtes ne tardèrent pas à s'échauffer. Alors on alluma les cigares et on attaqua les liqueurs, le rhum de la Jamaïque, le refino de Cataluña, l'eau de vie de France.

Puis, les coudes sur la table, enveloppés d'un épais nuage de fumée odorante, les convives causèrent avec un peu plus de suite et insensiblement, sans qu'ils s'en aperçussent eux-mêmes, leur entretien prit tout doucement un tour plus sérieux et plus confidentiel.

– Bah! fit tout à coup Dominique en se renversant avec béatitude sur le dossier de sa chaise, la vie est une bonne chose et surtout une belle chose!

A cette boutade qui tombait ex-abrupto comme un aérolithe au milieu de la conversation, l'aventurier éclata d'un rire nerveux et saccadé.

– Bravo! dit-il, voilà de la philosophie au premier chef. Cet homme qui est né, il ne sait de qui, il ne sait où, qui a poussé comme un vigoureux champignon, sans s'être jamais connu d'autre ami que moi, qui ne possède pas un réal vaillant au soleil, trouve la vie une belle chose et se félicite d'en jouir, pardieu je serais curieux de le voir développer un peu cette belle théorie.

– Rien de plus facile, répondit le jeune homme sans s'émouvoir, je suis né je ne sais où, cela est vrai, mais c'est un bonheur pour moi cela: la terre entière est ma patrie! A quelque nation qu'ils appartiennent, les hommes sont mes compatriotes; je ne connais pas mes parents. Qui sait? Peut-être est-ce un bonheur pour moi encore? Ils m'ont, par leur abandon, dispensé du respect et de la reconnaissance pour les soins qu'ils m'auraient donnés, et m'ont laissé libre d'agir à ma guise, sans avoir à redouter leur contrôle; je n'ai jamais eu qu'un ami; combien d'hommes peuvent se flatter d'en avoir autant? Le mien est bon, sincère et dévoué, toujours je l'ai senti près de moi, quand j'en ai en besoin pour se réjouir de ma joie, s'attrister de ma douleur, me soutenir et me rattacher par son amitié à la grande famille humaine dont sans lui je serais exilé; je ne possède pas un réal au soleil, ceci est encore vrai; mais que me fait la richesse? Je suis fort, brave et intelligent; l'homme ne doit-il pas travailler? J'accomplis ma tâche comme les autres, peut-être mieux, car je n'envie personne et je suis heureux de mon sort. Vous voyez bien, mon cher Adolfo, que la vie est pour moi du moins, ainsi que je le disais tout à l'heure, une belle et bonne chose; je vous défie, vous le sceptique et le désabusé, de me prouver le contraire.

– Parfaitement répondu sur ma foi, dit l'aventurier; toutes ces raisons, bien que spécieuses et faciles à réfuter, n'en paraissent pas moins fort logiques, je ne me donnerai pas la peine de les discuter; seulement je vous ferai observer, mon ami, que, lorsque vous me traitez de sceptique, vous vous trompez: désabusé, peut-être le suis-je; sceptique, je ne le serai jamais.

– Oh, oh! s'écrièrent à la fois les deux jeunes gens; ceci demande une explication, don Adolfo.

– Cette explication, je vous la donnerai si vous l'exigez absolument; mais à quoi bon? Tenez, j'ai une proposition à vous faire, proposition qui, je le crois, vous sourira.

– Voyons, parlez.

– Nous voici presqu'au matin, dans quelques heures à peine il fera jour, nul de nous n'a sommeil, restons là comme nous sommes et continuons à causer.

– Certes, je ne demande pas mieux pour ma part, dit le comte.

– Et moi de même, mais de quoi causerons-nous? fit observer Dominique.

– Tenez, si vous le voulez je vous conterai une aventure, ou une histoire: donnez-lui le nom que vous voudrez, que j'ai entendu aujourd'hui même et dont je vous garantis l'exactitude, car celui qui me l'a rapportée, homme que je connais depuis fort longtemps y a joué un rôle.

– Pourquoi ne pas nous conter votre propre histoire, don Adolfo? Elle doit être remplie de péripéties émouvantes et d'incidents fort curieux, dit le comte avec intention.

– Eh bien, voilà ce qui vous trompe, mon cher comte, répondit Olivier avec bonhomie, rien de plus terre à terre et de moins émouvant au contraire que ce qu'il vous plaît de nommer mon histoire; c'est à peu près celle de tous les contrebandiers; car vous savez, n'est-ce pas, dit-il d'un ton de confidence, que je ne suis pas autre chose? Notre existence est à tous la même: nous rusons pour passer les marchandises qu'on nous confie et la douane ruse pour nous en empêcher et les saisir, de la des conflits qui parfois mais rarement, grâce à Dieu, deviennent sanglants; voici en substance l'histoire que vous me demandiez, mon cher comte; vous voyez qu'elle n'a rien en soi d'essentiellement intéressant.

– Je n'insiste pas, cher don Adolfo, répondit le comte avec un sourire; passons outre, s'il vous plaît.

– Alors, dit Dominique à l'aventurier, vous êtes libre de commencer votre histoire lorsque cela vous plaira.

Olivier remplit un verre à champagne de refino de Cataluña, le vida d'un trait et frappant sur la table avec le manche d'un couteau.

– Attention, messieurs, dit-il; je commence: Je dois avant tout, reprit-il, réclamer votre indulgence, pour certaines lacunes et surtout pour quelques points obscurs qui se trouveront dans ce récit; je vous répète que je ne fais que redire ce qui m'a été conté à moi-même, que par conséquent il y a beaucoup de choses que j'ignore et que je ne puis être rendu responsable des réticences faites probablement avec intention par le premier narrateur qui avait sans doute des motifs connus de lui seul pour laisser dans l'ombre certains incidents de cette histoire, fort curieuse, du reste, je vous l'affirme.

– Commencez, commencez, lui dirent-ils.

– Une autre difficulté se rencontre encore dans ce récit, continua-t-il imperturbablement; c'est que j'ignore complètement dans quel pays il s'est passé; mais ceci n'est que d'une importance relative, les hommes étant à peu près les mêmes partout, c'est-à dire, agités et gouvernés par des vices et des passions identiques; tout ce dont je crois être certain, c'est que le fait appartient au vieux monde, du reste vous en jugerez. Donc, il y avait en Allemagne, supposons si vous voulez que c'est en Allemagne que se passa cette véridique histoire, il y avait, disais-je, une famille riche et puissante dont la noblesse remontait aux temps les plus reculés; vous savez sans doute que la noblesse allemande est une des plus vieilles de l'Europe et que les traditions d'honneur se sont conservées chez elle presqu'intactes jusqu'à ce jour. Or, le prince de Oppenheim-Schlewig, nous le nommerons ainsi, le chef de cette famille était prince, avait deux fils, à peu près du même âge, il n'y avait que deux ou trois ans de différence entre eux; tous deux étaient beaux et doués d'une vive intelligence; ces deux jeunes gentilshommes avaient été élevés avec le plus grand soin, sous les yeux de leur père qui surveillait attentivement leur éducation. En Allemagne, ce n'est point comme en Amérique, le pouvoir du chef de la famille est fort étendu et surtout fort respecté; il y a quelque chose de réellement patriarcal dans la façon dont la discipline intérieure de la maison est maintenue; les jeunes gens profitaient des leçons qu'ils recevaient, mais avec l'âge, leurs caractères se dessinaient peu à peu plus nettement et bientôt il fut facile de reconnaître une différence bien tranchée entre eux, bien que tous deux fussent des gentilshommes accomplis dans la vulgaire acception du mot. Cependant leurs qualités morales, s'il m'est permis de me servir de cette expression différaient complètement: le premier était doux, affable, serviable, sérieux, attaché à ses devoirs et surtout pénétré à un point extrême de l'honneur de son nom; le second montrait des goûts tout différents, bien que fort orgueilleux et fort entiché de sa noblesse; cependant il ne craignait pas de compromettre le respect qu'il devait à son nom dans les tripots du plus bas étage et dans les sociétés les moins honorables, menant enfin la vie la plus dissipée et la plus orageuse. Le prince gémissait en secret des débordements de son fils cadet; plusieurs fois il l'avait appelé en sa présence et lui avait adressé de sévères remontrances; le jeune homme avait respectueusement écouté son père, lui avait promis de s'amender et avait continué de plus belle.

La France déclara la guerre à l'Allemagne. Le prince de Oppenheim-Schlewig fut un des premiers à obéir aux ordres de l'empereur et à se ranger sous ses drapeaux; ses fils l'accompagnaient en qualité d'aides de camp, ils faisaient leurs premières armes à ses côtés; quelques jours après son arrivée au camp le prince fut chargé d'une reconnaissance par le général en chef; il y eût une chaude escarmouche avec les fourrageurs ennemis, au plus fort de la mêlée, le prince tomba de cheval, on s'empressa autour de lui, il était mort; mais particularité étrange et qui ne fut jamais expliquée, la balle qui avait causé sa mort lui était entrée entre les deux épaules, il avait été frappé par derrière.

Don Adolfo s'arrêta.

– A boire, dit-il à Dominique.

Celui-ci lui versa un verre de punch; l'aventurier l'avala presque brûlant, et après avoir passé sa main sur son front pâle et moite de sueur, il reprit avec une feinte négligence:

– Les deux fils du prince étaient assez loin de lui lorsque cette catastrophe arriva, ils accoururent en toute hâte, mais ils ne trouvèrent plus que le cadavre sanglant et défiguré de leur père. La douleur des jeunes gens fut immense; celle de l'aîné sombre et renfermée pour ainsi dire, celle du cadet, au contraire, bruyante; malgré les plus minutieuses recherches, il fut impossible de découvrir comment le prince, se trouvant à la tète de ses troupes, dont il était adoré, avait pu être frappé par derrière, ceci demeura toujours un mystère. Les jeunes gens quittèrent l'armée et rentrèrent dans leurs foyers; l'aîné avait pris le titre de prince et était devenu le chef de la famille; en Allemagne, le droit d'aînesse existe dans toute sa rigueur, le cadet dépendait donc complètement de son frère; mais celui-ci ne voulut pas laisser son cadet dans cette situation inférieure et honteuse, il lui abandonna la fortune de sa mère, fortune assez considérable, elle montait je crois à près de deux millions, le laissa complètement libre de ses actions et l'autorisa à prendre le titre de marquis.

– De duc, vous voulez dire, interrompit le comte.

– C'est juste, reprit don Adolfo, en se mordant les lèvres, puisque lui était prince, mais vous le savez, nous autres républicains, ajouta-t-il avec un sourire amer, nous sommes peu au fait de ces titres pompeux pour lesquels nous professons le plus profond mépris.

– Passons, dit nonchalamment Dominique.

Don Adolfo continua:

– Le duc réalisa sa fortune, fit ses adieux à son frère et partit pour Vienne; le prince, demeuré dans ses terres au milieu de ses vassaux, n'entendit plus qu'à de longs intervalles parler de son frère; les nouvelles qu'il en recevait alors n'étaient aucunement de nature à le réjouir. Le duc ne mettait plus de bornes à ses débordements, les choses en arrivèrent à un tel point que le prince fut enfin contraint de prendre un parti sévère et d'intimer à son cadet l'ordre de quitter immédiatement le royaume, je veux dire l'empire; celui-ci obéit sans murmurer; plusieurs années s'écoulèrent pendant lesquelles le duc parcourut toute l'Europe. N'écrivant que rarement à son aîné, mais protestant chaque fois des changements qui s'étaient opérés en lui et de la réforme radicale de sa conduite. Qu'il crût ou non à ces protestations, le prince ne jugea pas devoir se dispenser d'annoncer à son frère qu'il était sur le point de se marier avec une noble héritière, jeune, belle et riche, que le mariage devait incessamment se conclure; et peut-être dans la persuasion que, à cause de la distance, le duc ne pourrait venir, il l'invita à assister à la bénédiction nuptiale. Si telle fut sa pensée, il se trompa; le duc arriva la veille même du mariage. Son frère l'accueillit fort bien, lui assigna un appartement dans son palais; le lendemain l'union projetée s'accomplit.

La conduite du duc fut irréprochable; demeuré près de son frère, il semblait s'appliquer à lui complaire en tout et à prouver à chaque occasion que sa conversion était sincère. Bref, il joua si bien son rôle que tout le monde y fut trompé, le prince le premier qui non seulement lui rendit son amitié, mais encore ne tarda pas à lui accorder sa confiance entière.

Depuis plusieurs mois déjà le duc était revenu de ses voyages, il semblait avoir pris la vie au sérieux et n'avoir qu'un désir: celui de réparer les fautes de sa jeunesse. Accueilli dans toutes les familles, avec un peu de froideur d'abord, mais bientôt avec distinction, il était presque parvenu à faire oublier les erreurs de sa vie passée, lorsque je ne sais à propos de quelle fête ou de quel anniversaire, eurent lieu dans le pays des réjouissances extraordinaires; naturellement le prince, comme c'était son devoir, prit l'initiative des divertissements et même à l'instigation de son frère il résolut pour leur donner plus d'éclat d'y jouer lui-même un rôle important. Il s'agissait de représenter une espèce de tournois: la première noblesse des pays environnants avait avec empressement offert son concours à l'exemple du prince; enfin le jour des joutes arriva. La jeune épouse du prince assez avancée dans une grossesse laborieuse, poussée par un de ces pressentiments qui viennent du cœur et qui ne trompent jamais, essaya vainement d'empêcher son mari de descendre dans la lice, lui avouant au milieu des larmes qu'elle redoutait un malheur; le duc se joignit à sa belle-sœur pour engager son frère à s'abstenir de paraître dans le tournoi autrement que comme spectateur, mais le prince qui croyait son honneur engagé, fut inébranlable dans sa résolution, plaisanta, traita leurs craintes de chimériques, et monta à cheval pour se rendre au lieu du tournoi.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 mayıs 2017
Hacim:
450 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок
Metin
Средний рейтинг 0 на основе 0 оценок