Kitabı oku: «Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868», sayfa 11
XLIII
A M. AUGUSTE MOREL
Londres, lundi 24 avril 1848.
Mille remerciements, mon cher Morel, pour la peine que vous prenez à mon sujet et pour votre lettre si amicale. C'est une bonne fortune en ce temps-ci d'obtenir de Paris une réponse de ses amis… Il est vrai, comme dit le proverbe, qu'il y a fagots et fagots.
Ne m'écrivez pas avant d'avoir reçu une seconde lettre de moi; je ne sais pas encore où je vais loger. J'ai dû quitter la maison de Jullien il y a quatre jours, une nouvelle saisie y ayant été opérée, au nom de la reine, pour la queen's-tax qu'il n'avait pas payée.
Avant-hier, les journaux de Londres ont annoncé la banqueroute de Jullien, qui, dit-on, est, à cette heure, en prison. Je n'ai donc plus rien à espérer de lui.
Les journaux d'ici s'occupent toujours beaucoup de moi; mais la résistance du comité de la Société philharmonique est quelque chose de curieux: ce sont tous des compositeurs anglais, et Costa est à leur tête. Or, ils engagent M. Molique, ils jouent des symphonies nouvelles de M. Hesse et autres; mais je leur inspire, à ce qu'il paraît, une terreur incroyable. Beale, Davison, Rosemberg et quelques autres se sont mis en tête de les forcer à m'engager. Je laisse faire, nous verrons bien. C'est un vieux mur qu'il me faut renverser, et derrière lequel je trouve, tout à moi, le public et la presse.
Paris semble un peu se rasséréner. Dieu veuille que cela dure et que l'Assemblée soit une véritable représentation de la nation. Alors, en effet, on pourrait espérer quelque grande chose. Mais vous ne sauriez croire combien votre sort, à vous, Morel, et celui de quelques autres de nos amis, me préoccupe et m'inquiète. Comment pouvez-vous vous tirer d'affaire au milieu de cette triomphante débâcle?
XLIV
AU MÊME
Londres, 16 mai 1848.
Mon cher Morel,
Je ne puis vous dire combien je suis touché de votre sollicitude à mon sujet et de l'insistance que vous mettez à me faire retourner à Paris. Malheureusement, toute aigreur à part, je suis forcé de vous démontrer que la raison qui me fait rester est une raison d'argent. J'ai encore à recevoir de Beale79 le prix de deux morceaux qui ne sont pas terminés, et un concert s'organise à peu de frais pour le 29 juin. Si j'y gagne quelques sous, ce sera un grand bonheur, tandis qu'à Paris je suis sûr de n'avoir rien à gagner du tout et, en y allant en ce moment, de perdre le peu que je recevrai ici. Je fais très peu de dépenses à Londres, d'ailleurs; aussitôt que je serai sûr de n'y avoir plus rien à faire, je retournerai à Paris, en souhaitant, sans l'espérer, que vous ne vous abusiez pas sur les chances qui me restent d'y trouver un emploi musical. Peut-être à cette époque MM. Marie, Schœlcher, Pyat, ne seront plus rien; le terrain est mouvant comme du sable. D'ailleurs que peuvent-ils? Il s'agit d'argent, personne n'en a pour les nécessités de la vie; la République a bien à faire d'en dépenser pour le luxe des arts… Cela saute aux yeux. Et une fois que je serai au bout de ce qui me reste, il n'y aura plus pour moi qu'à aller m'asseoir au coin d'une borne et à y mourir de faim comme un chien perdu, ou à me faire sauter la cervelle. On n'a pas encore fait un acte ni dit un mot qui puisse fournir un argument contre mes prévisions. Mais enfin, comme il en serait de même ici, après l'époque où je n'aurai plus rien à y faire, autant vaut-il crever à Paris qu'ailleurs.
Adieu; quoi qu'il en soit de mon horrible position et de la certitude que j'ai d'être de trop dans le monde, croyez à toute ma reconnaissante amitié et à la confiance que j'ai dans la vôtre.
XLV
A M. GUILLAUME LENZ, A SAINT-PÉTERSBOURG
Paris, 22 décembre 1848.
Comment! si je m'en souviens… Il faudrait que j'eusse à la fois bien peu de cœur et bien peu de mémoire pour ne pas m'en souvenir!.. Et nos parties de billard, chez M. le comte Michel80, parties que nous faisions avec tant de calembours et force carambolages de mots! et tant de cigares fumés, tant de bière bue, tant d'opinions musicales débattues. Non, mon cher monsieur, je n'ai rien oublié, et je vous prie de n'avoir point à mon sujet de ces idées calomniatrices.
Je vous écrirais mille folies, si le ton de votre lettre n'eût été un peu triste: vous m'y parlez, à la façon d'un moribond, des éventualités cholériques… Cela m'a douloureusement ému. Sous l'empire d'une préoccupation semblable, peu de jours avant la réception de votre aimable lettre, j'avais écrit à M. le comte Michel Wielhorski pour lui demander de ses nouvelles. J'espère que tout va bien chez lui.
Notre choléra républicain nous laisse un peu de répit en ce moment; on ne clube plus beaucoup; les rouges rongent leur frein; le suffrage universel nous a donné une majorité foudroyante pour Louis-Napoléon; les paysans comptent ne plus payer d'impôts de longtemps, et fondent de grandes espérances sur les bons conseils que l'empereur donnera à son neveu. Car on sait à quoi s'en tenir sur cette bourde de la mort de l'empereur… Ah bien, oui, il s'est seulement retiré des affaires… On va aussi s'occuper bientôt de la répartition des milliards que Napoléon (le Grand) a rapportés de sa campagne d'Égypte, trésor inépuisable déterré sous la grande Pyramide. Nous allons filer des jours d'or et tout ira de soie.
Pardon de cet indigne calembour! Comme vous devez rire là-bas et vous moquer de nous; de nous, qui nous intitulons les peuples avancés! Savez-vous comment on appelle les bécasses trop faites, les bécasses pourries? Ce sont aussi des bécasses avancées. Enfin, que la volonté de Dieu soit faite! J'ai bien de la bonté, n'est-ce pas? Il est très sûr qu'elle se fera toujours.
Et vous pensez encore à la musique! Barbares que vous êtes! Quelle pitié! au lieu de travailler au grand œuvre, à l'abolition radicale de la famille, de la propriété, de l'intelligence, de la civilisation, de la vie, de l'humanité, vous vous occupez des œuvres de Beethoven!!.. Vous rêvez de sonates! vous écrivez un livre d'art81!
Ironie à part, je vous en remercie. Nous sommes donc encore quelques vivants adorateurs du beau. Rari… Mais comment faire connaître votre travail dans notre gurgite?
Nous n'avons plus qu'un seul journal musical, la Gazette musicale. J'ai fait part de ce que vous m'avez écrit à M. Brandus, directeur de ce journal, et il paraît fort disposé à insérer des fragments de votre ouvrage, mais il voudrait le connaître.
De mon côté, j'en parlerais avec bien du plaisir dans l'un de mes feuilletons des Débats, quand une partie au moins du livre aurait paru d'une façon ou d'une autre. Je ne sais quel moyen vous indiquer pour me faire parvenir votre manuscrit. Cela me paraît fort délicat. La perte d'un imprimé n'est rien; mais un manuscrit qui s'égare, c'est irréparable. Je crois que le plus sûr serait de le confier à quelqu'un qui aurait le malheur de venir en France, en lui recommandant de me le remettre sans intermédiaire. Cherchez cette occasion, et ne doutez pas de mon empressement à entrer dans vos vues.
Mille amitiés respectueuses à nos excellents amis de la place Michel. Je vous serre la main. Dieu vous garde de la république, et surtout des républicains!

XLVI
A M. ALEXIS LWOFF
Paris, 23 février 1849.
Mon cher monsieur Lwoff,
J'ai été très sensible au reproche bienveillant que vous m'adressez au commencement de votre lettre; j'ai vu par là que vous ne saviez pas toute la reconnaissante amitié que j'ai pour vous, amitié bien vive, bien sincère et que le temps et l'absence n'altéreront pas. J'ignorais quelles étaient vos relations avec M. Lenz, et c'est la cause du silence que vous me reprochez. L'indifférence ni l'oubli n'y sont pour rien, soyez-en tout à fait persuadé.
Je me suis occupé des deux choses dont vous m'avez fait le plaisir de me parler. Meyerbeer s'était déjà, de son côté, acquitté de la commission relative à un poème nouveau.
Sans nous être donné le mot, nous sommes allés tous les deux frapper à la même porte, celle de Saint-Georges. Dès les premiers mots, Saint-Georges m'a appris que Meyerbeer vous avait répondu et envoyé en même temps le consentement du librettiste à vous livrer un opéra nouveau qu'il vient de finir. Vous devez donc être instruit de tout ce qui a trait à votre question.
Quant à l'autre travail dont Saint-Georges se chargera également, il le trouve beaucoup plus difficile et plus long que d'écrire un opéra nouveau, à cause de la nécessité de conserver la musique.
Pour refaire Ondine en trois actes, Saint-Georges demande… que vous lui procuriez une partition des voix, sans laquelle il ne peut appliquer ses nouvelles paroles à la musique. Je ne sais ce que vous penserez de la proposition; la partition me paraît indispensable et toutes les imitations ou traductions de paroles, si fidèles qu'elles soient, ne sauraient la remplacer82.
Saint-Georges demeure rue de Trévise, numéro 6. C'est un homme habile pour ces sortes de choses, et l'énorme succès du Val d'Andorre donne en ce moment plus d'autorité encore à son nom.
Si vous lisez la Gazette musicale et les Débats, vous devez être au courant de tout ce qui se fait chez nous en musique, cet hiver. Je ne vous en parlerai donc pas. Dimanche dernier, soit dit seulement en passant, Spontini, avec son second acte de la Vestale, a tellement enthousiasmé et bouleversé le public du Conservatoire que nous ressemblions à une assemblée de fous. J'en pleure encore en vous en parlant. Je viens de faire deux feuilletons là-dessus; peut-être vous tomberont-ils sous les yeux: ils paraîtront ces jours-ci dans la Gazette musicale et les Débats.
Je travaille en ce moment à un grand Te Deum à deux chœurs avec orchestre et orgue obligés. Cela prend une certaine tournure. J'en ai encore pour deux mois à travailler; il y aura sept grands morceaux.
Adieu, mon cher général; ne m'oubliez pas plus que je ne vous oublie: je ne vous en demande pas davantage.
XLVII
A M. LECOURT, AVOCAT, A MARSEILLE
Paris, jeudi 3 avril 1851.
Mon cher Lecourt,
Allez trouver M. Morel et dites-lui de ma part que nous venons de répéter pour la première fois son ouverture et que tous nous la trouvons admirable. Elle sera exécutée à notre concert83 du 29 de ce mois. Nous l'avons dite trois fois ce matin; l'orchestre était à peu près complet, et déjà elle marche assez bien. Nous aurons encore quatre répétitions.
Je jure que c'est un meurtre de voir éloigné du centre musical un artiste de la valeur de Morel. Son ouverture le prouverait seule. Il y a là une habileté harmonique, une science d'instrumentation et de modulations, un sentiment du rhythme et une distinction mélodique qui, selon moi, sont du premier ordre. Et je puis vous dire, à vous Lecourt, que mon amitié pour l'auteur ne m'influence pas le moins du monde en sa faveur. Ce serait de Carafa ou d'Adam que je dirais la même chose. Seulement je serais mille fois plus surpris. Je ne retrouve pas la dernière lettre de Morel, et j'ai encore oublié son adresse, voilà pourquoi je ne lui écris pas directement.
Adieu; je vais changer de tout (il s'agit de vêtements, et non de sentiments); cette sacrée ouverture m'a fait suer à torrents et je suis tout trempé.
P. – S.– Dites-lui que Louis est arrivé bien fort, bien portant, bien épris de sa carrière; qu'il repart pour les Antilles dans quinze jours, et qu'il serre la main de son ami Morel.
XLVIII
A M. AUGUSTE MOREL
Paris, vendredi 9 mai 1851.
Mon cher Morel,
J'ai été si occupé tous ces derniers jours, que je n'ai pas eu l'esprit de trouver dix minutes pour vous écrire. Après le concert où votre ouverture a si brillamment figuré, nous en avons eu deux autres coup sur coup, au Jardin d'hiver, pour lesquels l'orchestre était payé, et qu'il n'y avait, en conséquence, pas moyen de refuser.
Maintenant je pars pour Londres, le ministre du commerce ayant eu l'idée (singulière pour un Français) de me prendre pour juge du mérite des divers fabricants d'instruments de musique, exposant leurs travaux dans le Cristal-Palace. Je ne reviens pas de mon étonnement… Nous avons eu, hier et avant-hier, des réunions de jurés, et je prends ce soir le chemin de fer. J'aurai beaucoup à faire, étant le seul musicien de la commission. Votre ouverture a été fort bien exécutée et médiocrement applaudie, mais admirée de tous les artistes et des vrais amateurs. Vos billets ont été remis d'après vos indications. Je me réserve de vous la faire entendre quelque jour avec un orchestre immense, car c'est une œuvre de grandes masses; Bourges en a bien parlé dans la Gazette musicale. J'y viendrai, à mon tour, je ne sais quand, dans le Journal des Débats.
Il est question d'une gigantesque entreprise musicale dont on me confierait la direction à Londres, et où figurerait le Te Deum. Si les fonds se font, je vous écrirai pour que vous veniez m'aider, soit aux études de Paris, soit à celles de Londres, car il faudra bien du monde et bien de l'intelligence pour mener à bien ce projet.
XLIX
A JOSEPH D'ORTIGUE
Londres, 21 juin 1851. 27, Queen Anne street, Cavendish square.
Mon cher d'Ortigue,
J'ai déjà fait un rapport en faveur de M. Ducroquet; ainsi il a tout lieu d'être content de moi. Je n'en puis dire autant du jeune homme qui touche son orgue, car je maudis ce malheureux. Il nous régale chaque jour de deux ou trois douzaines de polkas, sans compter les cavatines d'opéras bouffons; il prend sans doute les Anglais pour des imbéciles!..
Je réponds à tes paragraphes:
1º Je ne me rappelle pas la date de l'article où il est question de la chapelle de Saint-Pétersbourg; il a paru il y a quatre mois au moins. Va de ma part au bureau du journal; on te le trouvera.
2º Ce n'est, je crois, que dans mon voyage d'Italie, à l'article du concours de l'Institut, que j'ai parlé de la marche de Cherubini. J'ignorais que tu eusses un livre sur le chantier. En tout cas, je serai à Paris bien avant le 31 juillet, et nous en causerons.
Tâche de lire mon second article dans les Débats; s'il n'a pas paru à Paris aujourd'hui, il faut le guetter chaque jour. J'y raconte l'impression sans égale que j'ai reçue dernièrement dans la cathédrale de Saint-Paul, en entendant le chœur des six mille cinq cents enfants des écoles de charité, qui s'y réunissent une fois l'an. C'est, sans comparaison, la cérémonie la plus imposante, la plus babylonienne à laquelle il m'ait, jusqu'à présent, été donné d'assister. Je me sens encore ému en t'en parlant. Voilà la réalisation d'une partie de mes rêves et la preuve que la puissance des masses musicales est encore absolument inconnue. Sur le continent, du moins, on ne s'en doute pas plus que les Chinois ne se doutent de notre musique.
A ce propos, vois aussi mon article du 31 mai; tu y trouveras une relation de ma visite à la chanteuse chinoise et à son maître de musique. Tu verras ce qu'il faut penser de ces folles inventions de quelques théoriciens savants sur une prétendue musique par quarts de ton. Il n'y a rien de bête comme un savant.
Dis à M. Arnaud que je serai bien heureux de mettre en musique une série de ses poèmes sur Jeanne d'Arc, si, pour moi aussi, une voix d'en haut se fait entendre. Qu'il tâche de faire de petites strophes; les longs couplets et les grands vers sont mortels à la mélodie. Il faudrait pouvoir faire de cela une légende populaire, toute simple mais digne, en une foule de parties ou chansons.
Adieu; je suis obsédé d'instruments de musique et plus encore de facteurs.
C'est la France qui l'emporte, sans comparaison possible, sur toute l'Europe. Érard, Sax et Vuillaume. Tout le reste tient plus ou moins du genre chaudron, mirliton et pochette.
L
A M. ALEXIS LWOFF
Paris, 21 janvier 1852.
C'est à moi de m'excuser, au contraire, d'avoir écrit aussi tard un article aussi insuffisant; mais vous ne pouvez savoir comment ces affaires de feuilletons s'arrangent et de combien de niaiseries nous sommes forcés de parler avant de pouvoir étudier les choses importantes.
Enfin, bon ou mauvais, l'article a paru, et, s'il vous satisfait à peu près, je suis plus que content.
Il faut que je vous remercie maintenant de la proposition que vous me faites au sujet de votre Stabat. Malheureusement, vous êtes à mille lieues de vous douter de l'état musical au milieu duquel nous avons la honte de vivre à Paris. Notre Société philharmonique n'a pas encore essayé de reprendre ses séances et je ne sais si elle les recommencera. Les recettes étaient si faibles, que les artistes n'y gagnaient presque rien. De là leur inexactitude désespérante aux répétitions, de là l'impossibilité de leur faire apprendre un important ouvrage nouveau.
J'ai fini l'an dernier trois partitions nouvelles, et, à l'heure qu'il est, je n'ai pas pu trouver l'occasion d'en entendre une note, et pas un éditeur n'a osé les publier. Je crois en outre que l'exécution et la vente d'un Stabat sont encore plus difficiles que celles de tout autre ouvrage, à cause de l'impossibilité d'obtenir des Parisiens l'attention nécessaire à une composition grave et triste.
Voilà l'exacte vérité.
Rien n'est plus possible à Paris, et je crois que, le mois prochain, je vais retourner en Angleterre où le désir d'aimer la musique est au moins réel et persistant. Ici toute place est prise; les médiocrités se mangent entre elles et l'on assiste au combat et aux repas de ces chiens avec presque autant de colère que de dégoût.
Les jugements de la presse et du public sont d'une sottise et d'une frivolité dont rien ne peut offrir d'exemple chez les autres nations. Chez nous, le beau, ce n'est pas le laid, c'est le plat; on n'aime pas plus le mauvais que le bon, on préfère le médiocre; le sentiment du vrai dans l'art est aussi éteint que celui du juste en morale, et, sans l'énergie du président de la République, nous en serions à cette heure à nous voir assassiner dans nos maisons. Grâce à lui et à l'armée, nous vivons tranquilles en ce moment; mais nous, artistes, nous vivons morts (pardonnez-moi l'antithèse).
Si vous trouvez que je puisse vous être utile de quelque façon par mon feuilleton, ne manquez pas, je vous prie, de m'en informer, ce sera toujours un bonheur pour moi d'entretenir le petit nombre de lecteurs sérieux que nous avons en France des choses grandes et sérieuses qui se font en Russie. D'ailleurs, c'est une dette que je voudrais pouvoir acquitter. Je n'oublierai jamais, croyez-le bien, l'accueil que j'ai reçu de la société russe en général, de vous en particulier, et la bienveillance que m'ont témoignée et l'impératrice et toute la famille de votre grand empereur. Quel malheur qu'il n'aime pas la musique!
Adieu, cher maître; rappelez-moi au souvenir de votre merveilleuse Chapelle, et dites aux artistes qui la composent que j'aurais bien besoin de les entendre, pour me faire verser toutes les larmes que je sens brûler en moi et qui me retombent sur le cœur.
LI
A M. AUGUSTE MOREL
Paris, 10 février 1852.
Mon cher Morel,
Je ne vous ai pas écrit depuis trop longtemps, c'est mal, très mal de ma part, et je vous prie de me pardonner cette négligence apparente. Vous savez par les journaux toutes les nouvelles musicales de Paris. Je ne vous en dirai donc rien. J'allais partir demain pour Weimar, la première représentation de Benvenuto devant avoir lieu le 16 de ce mois, jour de la fête de la grande-duchesse. Et voilà que Liszt m'écrit pour m'annoncer la maladie de deux des principaux chanteurs, le ténor (Cellini) et l'Ascanio (mezzo soprano). Cela retardera donc la chose de quinze ou vingt jours. Or, comme je dois être rendu à Londres le 1er mars, je ne ferai pas le voyage d'Allemagne très probablement.
Notre philarmonique de Paris étant à vau-l'eau, j'ai fait porter votre Ouverture (très belle) dans ma chambre de la bibliothèque du Conservatoire, où se trouve exclusivement la musique qui m'appartient; si vous en aviez besoin, Rocquemont (qui demeure rue Saint-Marc, 27) irait la prendre avec un mot de moi et vous la ferait parvenir.
Je suis au fond assez vexé de ne pas aller entendre Benvenuto. Liszt dit que cela va à merveille; voilà quatre mois qu'on y travaille. J'avais bien nettoyé, reficelé, restauré la partition avant de l'envoyer. Je ne l'avais pas regardée depuis treize ans; c'est diablement vivace, je ne trouverai jamais une telle averse de jeunes idées. Quels ravages ces gens de l'Opéra m'avaient fait faire là dedans!.. J'ai tout remis en ordre. Et votre nouveau quatuor, quand le grave-t-on? quand l'entendrons-nous? Ah! scélérat! si vous vous mettez à faire aussi modestement des chefs-d'œuvre!.. Il était temps; personne ne pouvait plus faire de quatuors.
P. – S.– Tout l'Opéra est en émoi à cause de mon dernier feuilleton, que Bertin a fait passer malgré la censure (par mégarde!!!). Je reçois des lettres de félicitations, des visites, des congratulations, et les autres m'ont en abomination.