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Kitabı oku: «Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868», sayfa 10

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XXXVI
A M. AUGUSTE MOREL

Londres, 31 novembre [1847]. Harley street, 76.

Mon cher Morel,

Jullien me charge de vous écrire confidentiellement pour savoir de vous la vérité sur le succès de l'opéra de Verdi77. Peu importe le mérite de l'œuvre, c'est une question de directeur que je vous transmets.

Nous n'ouvrirons pas avant huit jours; la Fiancée de Lammermoor par madame Gras et Reeves ne peut à mon sens manquer de bien marcher. Reeves a une jolie voix naturelle et il chante aussi bien que cette effroyable langue anglaise puisse permettre de chanter.

Le baryton Withworth est moins bien; nous attendons tous les jours Staudigl. On monte, en attendant, l'opéra de Balfe. L'orchestre est superbe, et, à part quelques imperfections de justesse dans les instruments à vent, on n'en trouverait guère de meilleur. Nous avons 120 choristes qui vont bien aussi. Tout ce monde m'a fait un accueil très chaleureux, le jour où Jullien a fait jouer dans un de ses concerts l'Invitation à la valse. L'orchestre m'a fait une ovation et le public a redemandé le morceau de… Weber! et puis nous avons bien des artistes français et allemands et italiens qui me connaissaient déjà et me sont tout dévoués. Tels sont Tolbecque, Rousselot, Sainton, Piatti, Eisenbaum, Beauman, etc., etc. Je ne commencerai mes concerts qu'au mois de janvier.

Maintenant seriez-vous assez bon pour aller chez Th. Gautier, villa Beaujon, avenue Byron, nº 14 (pardon de la course), lui demander une réponse à la lettre que je lui écrivis il y a plus de quinze jours; il s'agissait d'un ballet que Jullien lui demande immédiatement pour mademoiselle Fuoco et qui doit être mis en scène par Coralli père. Jullien a besoin de savoir tout de suite si Gautier consent à le faire, à quelles conditions, et s'il peut livrer le manuscrit avant le 15 décembre.

Je vous en prie, acceptez cette corvée; mille amitiés à Desmarest. Je m'ennuie terriblement dans le joli appartement que Jullien m'a donné. J'ai reçu pourtant force invitations depuis que je suis ici, et votre ami M. Grimblot a la bonté de me venir voir souvent. Il m'a fait recevoir de son club; mais Dieu sait le divertissement qu'on peut trouver dans un club anglais! Macready a donné en mon honneur un magnifique dîner, il y a huit jours; c'est un homme charmant et point du tout prétentieux dans son intérieur. Il est terrible aux répétitions, et il a raison de se montrer tel. Je l'ai vu, l'autre jour, dans une nouvelle tragédie, Philippe d'Artevelde; il y est superbe, et il a mis en scène la pièce d'une manière vraiment extraordinaire: personne ici n'entend comme lui l'art de grouper les masses populaires et de les faire agir. C'est admirable.

XXXVII
AU MÊME

Londres, 8 décembre [1847]

Mon cher Morel,

Toujours des commissions!.. Soyez assez bon pour aller au reçu de cette lettre chez mon graveur Parent, 43, rue Rochechouart, et lui dire qu'il m'envoie tout de suite par la diligence les parties d'instruments à vent, harpe et timbales, etc., d'Harold, en double, comme je lui ai indiqué dans une note qu'il a entre les mains; plus, la feuille volante des altos où se trouvait une faute qu'il doit avoir corrigée; plus les exemplaires fautifs que je lui ai renvoyés de Londres. J'en ai besoin pour vérifier les corrections. En outre, s'il ne peut m'envoyer une épreuve telle quelle de la partition, il m'en renverra le manuscrit. Je vous recommande de vous assurer de la voie par laquelle tout ceci me parviendra, car vous comprenez que je ne voudrais pas perdre votre partition.

Maintenant, je dois vous dire que l'ouverture de notre grand opéra a eu un succès immense; toute la presse anglaise s'accorde à nous louer. Madame Gras et Reeves, le ténor (dans Lucie), ont été rappelés quatre ou cinq fois avec frénésie. Et vraiment l'un et l'autre le méritaient. Reeves est une découverte sans prix pour Jullien; il a une voix charmante, d'un timbre essentiellement distingué et sympathique, il est très bon musicien, sa figure est très expressive et il joue avec son feu national d'Irlandais. A mon entrée à l'orchestre, la salle m'a fait une superbe réception. Nous avons joué pour commencer la belle ouverture d'Éléonore de Beethoven, nº 1, superbement. On a redemandé dans Lucie le grand sextuor en , qui commence le final du second acte, et ce soir, à la seconde représentation, on a en outre redemandé le chœur en mi du toisième acte.


Les Anglais sont dans la stupéfaction d'entendre dans un théâtre anglais cette masse de cent vingt choristes et ce bel orchestre, et d'avoir un pareil ténor et une telle prima donna. Il n'y a que le ballet qui est misérable, mais nous aurons mieux dans quelque temps.

Je vais commencer à répéter mes symphonies un mois et demi d'avance, dès que les parties d'orchestre et la partition d'Harold me seront parvenues.

Mille pardons de vous faire ainsi courir pour cette affaire, mais je n'ose me fier qu'à vous.

XXXVIII
AU MÊME

Londres, 14 janvier 1848.

Mon cher Morel,

Votre lettre m'a fait bien plaisir; je vous en remercie. Si je ne me trompe, elle s'est croisée avec la dernière que je vous ai écrite; car vous ne me dites rien dans la vôtre des journaux que je vous demandais, ni des informations que je vous priais de prendre au sujet d'une commission donnée à Brandus, dont je n'avais point de nouvelles. Je fais ici un métier de cheval de moulin, répétant tous les jours de midi à quatre heures et conduisant tous les soirs l'opéra de sept heures à dix heures. Depuis avant-hier seulement, nous n'avons pas de répétitions et je commence à me remettre d'une grippe qui m'inquiétait, ainsi traitée par la fatigue et les vents froids du théâtre. Vous avez eu sans doute déjà connaissance de l'horrible position où Jullien s'est mis et nous a entraînés tous avec lui. Cependant, comme il faut ruiner son crédit à Paris le moins possible, ne parlez à personne de ce que je vais vous dire. Ce n'est pas l'entreprise de Drury-Lane qui a renversé sa fortune; elle était déjà détruite avant l'ouverture, et il avait sans douta compté sur de fortes recettes pour la relever. Jullien est toujours le même fou que vous avez connu; il n'a pas la moindre idée des nécessités d'un théâtre lyrique, ni des nécessités même les plus évidentes pour une bonne exécution musicale. Il a ouvert son théâtre sans avoir une seule partition à lui, et à l'exception de l'opéra de Balfe qu'il a bien fallu faire copier, nous ne vivons jusqu'à présent que sur le bon vouloir des agents de Lumley, qui nous prêtent les parties d'orchestre des opéras italiens que nous montons. Jullien est en ce moment à faire sa tournée de province, gagnant beaucoup d'argent avec ses concerts-promenades; le théâtre fait ici chaque soir des recettes fort respectables, et, en résumé, après nous avoir fait consentir à la réduction d'un tiers de nos appointements, nous ne sommes pas payés du tout. On paye seulement chaque semaine les choristes, l'orchestre et les ouvriers, afin que le théâtre puisse marcher. Cependant Jullien a vendu il y a quinze jours son magasin de musique de Regent's street près de deux cent mille francs… et je ne puis me faire payer, et les acteurs principaux, le peintre décorateur, les maîtres de chant et de ballet et de mise en scène, tout ce monde est dans le même cas que moi… Concevez-vous rien à cela?

Cependant, il proteste que nous ne perdrons rien, et nous allons toujours, et le public ne demande qu'à venir. Mais le crédit de Jullien à Londres est perdu entièrement… Mon concert est toujours annoncé pour le 7 février. Je n'ai pas voulu ces jours-ci faire de nouvelles répétitions. Je vais les reprendre toutefois jeudi prochain. Nous avons maintenant l'espérance que le théâtre ne fermera pas, grâce à un emprunt qu'un éditeur de musique a procuré à M. Gye, le délégué de Jullien en son absence.

Si Jullien à son retour ne me paye pas, je tâcherai de m'arranger avec Lumley et de donner des concerts au théâtre de la Reine. Car il y a maintenant ici une belle place à prendre pour moi, place laissée vacante par la mort de ce pauvre Mendelssohn. Tout le monde me le répète du matin au soir, la presse et les artistes sont très bien disposés pour moi. Déjà les deux répétitions que j'ai faites d'Harold et du Carnaval romain, et de deux parties de Faust, leur ont fait ouvrir de grands yeux et d'immenses oreilles: j'ai lieu de croire que c'est ici que je dois me faire une belle position. Quant à la France, je n'y pense plus, et Dieu me préserve de céder à des tentations comme celle que vous me donniez dans votre dernière lettre, de venir donner un concert à Paris au mois d'avril. Si jamais j'ai assez d'argent pour DONNER des concerts à mes amis de Paris, je le ferai; mais ne me croyez plus assez simple pour compter sur le public pour en faire les frais. Je ne ferai pas de nouveaux appels à son attention pour ne recueillir que l'indifférence, et perdre l'argent que je gagne avec tant de peines dans mes voyages. Ce sera un grand chagrin pour moi, car les sympathies de mes amis de France me sont toujours les plus chères. Mais l'évidence est là: comparaison faite des impressions que ma musique a produites sur tous les publics de l'Europe qui l'ont entendue, je suis forcé de conclure que c'est le public de Paris qui la comprend le moins. Ai-je jamais vu à Paris, dans mes concerts, des gens du monde, hommes et femmes, émus comme j'en ai vu en Allemagne et en Russie? Ai-je vu des princes du sang s'intéresser à mes compositions au point de se lever à huit heures du matin, pour venir, dans une salle froide et obscure, les entendre répéter, comme faisait à Berlin la princesse de Prusse? Ai-je jamais été invité à prendre la moindre part aux concerts de la cour? La société du Conservatoire, ou du moins ceux qui la dirigent, ne me sont-ils pas hostiles? N'est-il pas grotesque qu'on joue dans ces concerts les œuvres de tout ce qui a un nom quelconque en musique, excepté les miennes?.. N'est-il pas blessant pour moi de voir l'Opéra avoir toujours recours à des ravaudeurs musicaux, et ses directeurs toujours armés contre moi de préventions que je rougirais d'avoir à combattre, si la main leur était forcée? La presse ne devient-elle pas ignoble de jour en jour? y voyons-nous autre chose maintenant (à de rares exceptions près) que de l'intrigue, de basses transactions et du crétinisme?

Les gens mêmes que j'ai tant de fois obligés et soutenus par mes feuilletons en ont-ils montré jamais la moindre reconnaissance réelle? Et croyez-vous que je sois la dupe d'une foule de gens au sourire empressé, et qui ne cachent leurs ongles et leurs dents que parce qu'ils savent que j'ai des griffes et des défenses?.. Ne voir partout qu'imbécillité, indifférence, ingratitude ou terreur… voilà mon lot à Paris. Encore si mes amis y étaient heureux! Mais, loin de là, vous êtes presque tous esclaves, dans des positions gênantes et gênées; je ne puis rien pour vous et vos efforts pour moi sont impuissants.

La France donc est effacée de ma carte musicale, et j'ai pris mon parti d'en détourner le plus possible mes yeux et ma pensée. Je ne suis pas aujourd'hui dans la moindre disposition mélancolique, je n'ai pas de spleen; je vous parle avec le plus grand sang-froid, la plus entière lucidité d'esprit. Je vois ce qui est.

Un vif regret pour moi, dans mes absences de plus en plus fréquentes de Paris, c'est de ne pas vous voir; et vous n'en doutez pas, j'espère. Vous savez combien j'apprécie la rectitude de jugement, la bonté d'âme et l'amour de l'art dont vous m'avez donné tant de preuves. Pardonnez-moi donc de vous faire aussi franchement ma profession de foi nationale.

XXXIX
A M. ALEXIS LWOFF 78

Londres, 29 janvier 1848.

Mon cher général,

C'est un malade qui vous écrit; en conséquence, ne le grondez pas trop d'avoir tant tardé à vous répondre. Je suis fâché que vous ayez pu me croire contrarié de la publication de ma lettre sur Ondine. Elle ne contenait rien que je tinsse fort à garder secret: mes sentiments d'amitié pour vous d'abord, ma haute estime pour vos rares talents ensuite, et enfin mes observations sur l'insalubrité des ténors auxquels nous sommes généralement exposés, nous tous qui avons le malheur de chercher des intelligences servies par une voix. Mes plaisanteries sur eux m'auront valu quelques douzaines d'ennemis intimes de plus; mais je m'en moque comme d'un opéra comique sur lequel je n'ai pas de feuilleton à faire. Mieux que cela, j'en suis fort aise: j'aime à être détesté des crétins, ils m'autorisent ainsi à leur rendre la pareille.

A propos de crétins, si vous saviez dans quelle crétinière je suis tombé ici!.. Mais Dieu sait qui dirige le directeur de ce malheureux théâtre!.. Figurez-vous que cela s'appelle Académie royale de musique, Grand-Opéra anglais, et que, depuis que l'ouverture s'en est faite, c'est-à-dire depuis deux mois, je n'ai à conduire que du Donizetti et du Balfe, Lucia, Linda di Chamounix, the Maid of honour. Nous avions un orchestre superbe; le directeur en a emmené la fleur avec lui dans sa tournée de province où il donne des concerts populaires; et nous devons nous contenter de ce qu'il n'a pas voulu, et marcher quand même.

J'entends des raisonnements sur la musique, sur le public, sur les artistes, qui feraient les quatre cordes de votre violon se rompre de colère, si elles pouvaient les entendre; je subis des chanteuses anglaises qui feraient se briser et se tordre les crins de votre archet…

On m'a engagé aussi pour quatre concerts; je donnerai le premier dans huit jours, le 7 février. Nous n'avons pas encore pu avoir une seule fois l'orchestre complet pour les études. Ces messieurs viennent quand il leur plaît et s'en vont à leurs affaires, les uns au milieu, les autres au quart des répétitions. Le premier jour, je n'ai point eu de cors du tout; le second, j'en ai eu trois; le troisième, j'en ai eu deux qui sont partis après le quatrième morceau. Voilà comment on entend la subordination dans ce pays-ci. Les choristes seuls me sont dévoués presque autant que ceux de Saint-Pétersbourg… Oh! la Russie! et sa cordiale hospitalité, et ses mœurs littéraires et artistiques, et l'organisation de ses théâtres et de sa chapelle, organisation précise, nette, inflexible, sans laquelle, en musique comme en beaucoup d'autres choses, on ne fait rien de bon ni de beau, qui me les rendra? Pourquoi êtes-vous si loin?..

Tenez, général, je suis depuis cinq jours malade, au lit, d'une bronchite violente; c'est la colère, le dégoût et le chagrin qui me l'ont donnée. Pourtant il y a beaucoup à faire ici, à cause du public, qui est attentif, intelligent et vraiment amateur d'œuvres sérieuses.

J'ai entendu le dernier oratorio de ce pauvre Mendelssohn (Elie). C'est magnifiquement grand et d'une somptuosité harmonique indescriptible. J'espère que les inquiétudes dont vous me parlez et qui vous agitent sont dissipées maintenant et que madame Lwoff est rétablie. Veuillez lui présenter mes respectueux hommages. Vous me demandez où je compte passer l'été; je n'en sais rien. Pourtant il est à croire que j'irai visiter encore Nice, comme je fais toujours quand j'ai passé un rude hiver. En tout cas, on vous dira à Paris où je serai; je vous en prie, ne manquez pas de me trouver et de faire que je vous trouve: je serai si heureux de vous voir!..

Vous êtes mille fois bon d'avoir parlé de moi à Sa Majesté et de me laisser encore l'espoir de me fixer près de vous quelque jour. Je ne me berce pas beaucoup de cette idée: tout dépend de l'empereur. S'il voulait, nous ferions de Pétersbourg en six ans le centre du monde musical.

Je n'ai pas eu la moindre nouvelle des comtes Wielhorski; j'ai écrit au comte Michel, il ne m'a pas répondu. La crainte qu'il ne voie dans mes lettres un but intéressé m'empêche de lui écrire de nouveau: j'ai tellement peur d'avoir l'air d'un solliciteur!.. Et, pourtant, Dieu sait combien j'ai conservé de vive reconnaissance pour toute les bontés qu'ils ont eues l'un et l'autre pour moi, l'an dernier!

On joue, ce soir, à Drury-Lane, Linda di Chamounix; j'ai le bonheur d'être malade, je ne conduis pas. Je vais tâcher de dormir comme on dort dans une chambre bien close quand on entend pleuvoir à verse au dehors.

XL
A M. AUGUSTE MOREL

Londres, samedi, 12 février 1848.

Mon cher Morel,

Ce n'est qu'aujourd'hui seulement que j'ai le temps de vous écrire. Mon concert a eu lieu lundi dernier avec un éclatant succès; l'exécution a été magnifique de verve, de puissance et de précision. Nous avions fait cinq répétitions d'orchestre et dix-huit pour le chœur. Ma musique a pris sur le public anglais comme le feu sur une traînée de poudre; j'ai été rappelé après le concert. On a encore redemandé (comme ailleurs) la marche Hongroise et la scène des Sylphes. Tout ce qui a quelque importance musicale dans Londres était à Drury-Lane ce soir-là, et la plupart des artistes de quelque valeur sont venus après le concert me féliciter. Ils ne s'attendaient à rien de pareil; ils croyaient à une musique diabolique, incompréhensible, dure, sans charme… – Il faut voir comment ils arrangent maintenant nos critiques de Paris. Davison lui-même a fait un article dans le Times dont on lui a, faute de place, ôté la moitié; ce qui en est resté a produit son effet néanmoins. Mais je ne sais ce qu'il pense au fond: avec des opinions comme les siennes, il faut s'attendre à tout. Le vieux Hogarth du Daily News était dans une agitation des plus comiques: «J'ai tout mon sang en feu, m'a-t-il dit; jamais de ma vie je n'ai été excité de la sorte par la musique.» Maintenant je cherche comment je pourrai donner mon second concert. Jullien ne payant plus ses musiciens ni ses choristes, je n'ose m'exposer au danger de les voir me manquer au dernier moment. Hier soir, après Figaro, la défection a commencé. Les cors m'ont averti qu'ils ne viendraient plus. Et mes appointements courent les champs… Dieu sait si je les attraperai jamais.

XLI
AU MÊME

Londres, 6 mars [1848].

Mon cher Morel,

Que devenez-vous? Pourquoi ne m'écrivez-vous pas un mot? Où en sont vraiment les affaires musicales? Je l'ai demandé à Desmarest il y a huit jours et, comme de raison, il ne m'a pas répondu. Il faut convenir que Paris est un aimable séjour, et que c'est là, surtout, qu'on peut s'écrier comme je ne sais quel ancien: «O mes amis! il n'y a plus d'amis!» Que le feu du ciel et celui de l'enfer se réunissent pour brûler cette damnée ville… Quand serai-je donc arrivé à ne plus songer à ce qu'on y fricotte!.. J'espère que nous allons au moins être débarrassés du droit des hospices sur les concerts; j'espère qu'il n'y aura plus de subventions pour nos stupides théâtres lyriques; j'espère que les directeurs de ces lieux s'en iront comme ils sont venus, et au plus vite; j'espère qu'il n'y aura plus de censure pour les morceaux de chant; j'espère enfin que nous serons libres d'être libres, sinon nous avons une nouvelle mystification à subir.

Que devient M. Bertin? On dit ici qu'il se cache… Que deviennent tous nos précieux ennemis (precious villains), comme dit Shakspeare?

XLII
A JOSEPH D'ORTIGUE

76, Harley street, London, 15 mars 1848.

Mon cher d'Ortigue,

Il y a longtemps que je veux t'écrire et, c'est aujourd'hui seulement que j'en trouve le temps. La vie de Londres est encore plus absorbante que celle de Paris; tout est en proportion de l'immensité de la ville.

Je me lève à midi; à une heure, viennent les visiteurs, les amis, les nouvelles connaissances, les artistes qui se font présenter. Bon gré, mal gré, je perds ainsi trois bonnes heures. De quatre à six, je travaille; si je n'ai pas d'invitation, je sors alors pour aller dîner assez loin de chez moi; je lis les journaux; après quoi vient l'heure des théâtres et des concerts: je reste à écouter de la musique telle quelle jusqu'à onze heures et demie. Nous allons enfin trois ou quatre artistes ensemble souper dans quelque taverne et fumer jusqu'à deux heures du matin. Voilà ma vie extérieure… Tu sais, plus ou moins bien, le succès brusque et violent de mon concert de Drury-Lane. Il a déconcerté en quelques heures toutes les prévisions favorables ou hostiles et renversé l'édifice de théories que chacun s'était faites ici sur ma musique d'après les critiques tricornues du continent. Dieu merci! la presse anglaise tout entière s'est prononcée avec une chaleur extraordinaire, et, à part Davison et Gruneisen, je ne connaissais pas un des rédacteurs.

C'est différent maintenant; les principaux d'entre eux sont venus me voir, m'ont écrit et nous avons ensemble de fréquentes et cordiales relations. Il y avait bien longtemps que je n'avais éprouvé une satisfaction aussi vive qu'en lisant l'article de l'Atlas que j'ai envoyé à Brandus et qu'il n'a pas fait traduire. Il est de M. Holmes, l'auteur d'une Vie de Mozart extrêmement admirée ici.

M. Holmes était venu dans la persuasion qu'il allait entendre des duretés, des folies, des non-sens, etc.

Je t'assure que tu eusses été bien heureux de cette grande victoire. Il faut maintenant poursuivre l'ennemi et ne pas s'endormir à Capoue. Jullien ne m'a pas payé, tu le sais. Son théâtre est maintenant un cirque équestre. Les deux théâtres italiens se disputent à qui exécutera le mieux les chefs-d'œuvre italiens. On a joué hier soir l'Attila de Verdi au théâtre de la Reine… Après l'Attila, holà! Les directeurs de Covent-Garden désirent monter un concert shakspearien, composé de Roméo, le Roi Lear, la Ballade sur la mort d'Ophélie et la Tempête. Nous avons eu ensemble une conférence avant-hier, à ce sujet, et je leur ai déclaré qu'à aucun prix, je ne consentirais à organiser cette exécution, s'ils ne m'assuraient quinze jours d'étude pour les voix et quatre répétitions pour l'orchestre. Ils se concertent maintenant à ce sujet.

La Société philharmonique a commencé ses séances avant-hier. On y a exécuté une symphonie de Hesse (l'organiste de Breslau) bien faite, bien froide, bien inutile; une autre en la de Mendelssohn, admirable, magnifique, bien supérieure, selon moi, à celle également en la qu'on joue à Paris. L'orchestre est très bon; à l'exception de quelques instruments à vent, il n'y a rien à lui reprocher, et Costa le dirige à merveille. Personne ne voulait croire, ce soir-là, que la Société ne m'eût encore rien demandé pour ses concerts; c'est pourtant vrai. On dit qu'ils y seront forcés par les journaux et par leur comité. Mais je ne me livrerai qu'avec de grandes précautions aux pattes de velours de tous les vieillards entêtés qui dirigent l'institution. C'est la répétition des manières du Conservatoire de Paris.

J'aurais trop à te dire sur ces petites vanités fiévreuses et goutteuses; et tu les devines sans peine. En résumé, je resterai ici tant que je pourrai, car il faut du temps pour s'y faire place et s'y créer une position. Heureusement, les circonstances sont favorables. Tôt ou tard, cette position arrivera et sera, me dit-on, solide. Je n'ai plus à songer, pour ma carrière musicale, qu'à l'Angleterre ou à la Russie. J'avais, depuis longtemps, fait mon deuil de la France; la dernière révolution rend ma détermination plus ferme et plus indispensable. J'avais à lutter, sous l'ancien gouvernement, contre des haines semées par un feuilleton, contre l'ineptie de ceux qui gouvernent nos théâtres et l'indifférence du public; j'aurais, de plus, la foule des grands compositeurs que la République vient de faire éclore, la musique populaire, philanthropique, nationale et économique. Les arts, en France, sont morts maintenant, et la musique, en particulier, commence déjà à se putréfier; qu'on l'enterre vite! Je sens, d'ici, les miasmes qu'elle exhale…

Je sens, il est vrai, toujours un certain mouvement machinal qui me fait me tourner vers la France quand quelque heureux événement survient dans ma carrière; mais c'est une vieille habitude dont je me déferai avec le temps, un véritable préjugé.

La France, au point de vue musical, n'est qu'un pays de crétins et de gredins: il faudrait être diablement chauvin pour ne pas le reconnaître. Est-il vrai que Perrot ait perdu sa place? Je ne sais si on a daigné me conserver celle de la bibliothèque du Conservatoire qui me rapportait 118 francs par mois. J'ai écrit à ce sujet au ministre de l'intérieur qui, bien entendu, ne m'a pas répondu.

77.Jérusalem, opéra représenté en novembre 1847 à l'Académie royale de musique de Paris.
78.Auteur de l'hymne national russe, directeur pendant vingt-cinq ans de la chapelle impériale des chantres de la cour à Saint-Pétersbourg, violoniste distingué, auteur de l'opéra d'Ondine dont il est parlé dans la lettre. Cet opéra fut représenté pour la première fois à Vienne en 1846 en langue allemande et en langue russe à Saint Pétersbourg en 1848. Nous devons la lettre à M. Lwoff et en général toutes les lettres adressées à des personnages russes à l'obligeante bonté de M. Wladimir Stassoff, qui occupe une haute position à la Bibliothèque impériale publique de Saint-Pétersbourg.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
25 haziran 2017
Hacim:
358 s. 14 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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