Kitabı oku: «Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868», sayfa 16
XC
AU MÊME
Paris, 21 décembre 1857.
Je ne puis plus vous parler, vous me l'avez défendu, de toutes vos bontés pour Louis et de l'intérêt constant que vous prenez à tout ce qui le regarde. J'y suis de plus en plus sensible cependant. Mon oncle et ma sœur sont également bien touchés de vos soins et de votre affection pour lui. Grâce à vous et à cet excellent Lecourt, le voilà monté sur un magnifique navire et investi de fonctions qui doivent le forcer à devenir laborieux et raisonnable de plus en plus.
J'espère beaucoup du mode de traitement auquel votre médecin vient de vous soumettre96. En tout cas, s'il a raison ou non dans ses conjectures, vous ne tarderez pas à le savoir. Vous devez être tourmenté par la suspension du travail de votre partition. Je serais au supplice, en ce moment surtout, s'il m'arrivait d'être obligé d'abandonner la mienne. Et pourtant qu'y a-t-il de plus triste, de plus misérable que notre monde musical de Paris! quelle direction imprimée à tous nos théâtres lyriques!..
L'Opéra a toujours du monde; on ne peut pas empêcher le public d'y aller. Dès lors, une suffisance et une nonchalance dans l'administration qui dépassent tout ce que vous pouvez vous figurer. Pourvu qu'on puisse régulièrement, quatre ou cinq fois par mois, donner la Favorite, paroles de M. le directeur, et Lucie, paroles de M. le directeur, tout va bien. En ce moment, tout va mieux encore; on monte la Magicienne (paroles de M. le directeur attribuées à M. de Saint-Georges). Roqueplan fait parler de lui par ses excentricités de langage à l'Opéra-Comique. Il dit à Stockhausen qu'il ne sait pas chanter, il envoie tout le monde se faire f… Il dit à ce brave M***, qui s'était cru obligé, de lui faire une visite: «Qu'est-ce que vous f… ici? f… – moi le camp! l'Opéra-Comique n'est pas un lieu public.» Nous avons un haut fonctionnaire qui ne va pas mal non plus de son côté; il répond à un homme de lettres qui était allé le remercier de la part de nos associations pour une faveur que ce grand homme leur avait accordée: «Je me f… de la reconnaissance des artistes! je n'ai pas fait cela pour eux. Les arts m'embêtent.» Vous voyez que les idées poétiques ont à se manifester dans un joli petit monde… L'empereur et l'impératrice sont allés voir le Cheval de bronze, il y a trois jours. Ils sont sortis très mécontents, dit-on. Je voudrais que vous entendissiez la musique qu'on fait à la cour de temps en temps… D'un autre côté, voilà ce pauvre roi de Prusse qui perd la tête; je ne sais si son frère aura autant que lui le sentiment des arts. Les petites cours allemandes, où l'on aime la musique, ne sont pas riches, et la Russie (comme l'Angleterre) est tout acquise aux Italiens.
Reste la reine Pomaré; mais Taïti est bien loin. Encore assure-t-on que la gracieuse Aimata-Pomaré préfère à tout les jeux de cartes, les cigares et l'eau-de-vie. Le Brésil est à Verdi. Si nous allions en Chine!..
XCI
A M. HANS DE BULOW
Paris, 20 janvier 1858.
Je vous remercie de votre charmante lettre, charmante par son style, par la cordialité qui l'a dictée, par les bonnes nouvelles qu'elle m'apporte, charmante de tout point. Je l'ai lue avec bonheur, comme un chat boit du lait.
Aussi ne tarderai-je pas à vous répondre. Je m'étais levé avec l'intention de travailler exclusivement à ma partition aujourd'hui; mon feu était allumé, ma porte fermée; pas d'importuns, pas de crétins possibles, et voilà votre lettre qui vient renverser tous mes beaux projets de travail, et je cède au plaisir de causer avec vous et je dis comme le Romain (sic): «A demain les affaires sérieuses97!» Non pas que je croie vous intéresser en vous répondant, mais je vous réponds avec un plaisir extrême; c'est de l'égoïsme pur, concentré, sans alliage, un égoïsme élément (pour parler comme les chimistes).
Votre foi, votre ardeur, vos haines même, me ravissent. J'ai, comme vous, encore des haines terribles et des ardeurs volcaniques; mais, quant à la foi, je crois fermement qu'il n'y a rien de vrai, rien de faux, rien de beau, rien de laid… N'en croyez pas un mot, je me calomnie… Non, non, j'adore plus que jamais ce que je trouve beau, et la mort n'a pas, à mon sens, de plus cruel inconvénient que celui-ci: ne plus aimer, ne plus admirer. Il est vrai qu'on ne s'aperçoit pas qu'on n'aime plus. Pas de philosophie, autrement dit, pas de bêtises.
Vous avez donc osé entreprendre une série de concerts, et à Berlin encore! une ville, non pas glaciale (un bloc de glace est beau, cela rayonne, cela a du caractère), mais une ville qui dégèle, froide, humide. Et puis des luthériens!.. des gens qui ne rient jamais, des blonds sans être doux… Voyez comme je divague, j'ai été blond et je ne suis pas doux… Riez, je vous le permets, tout m'est égal.
Votre programme était fort beau: vous m'avez fait l'injure de supposer que rien autre que le sort de mes deux morceaux ne pouvait m'intéresser dans le récit que vous m'avez fait des suites de ce concert. Vous ne m'avez parlé ni de votre Ouverture ni des morceaux de Liszt; vous m'avez calomnié. Mais je vous pardonne. Encore une fois, tout m'est égal, excepté que l'on m'attribue la musique des chefs de l'école parisienne. Ce n'est pas la première fois (comme vous le pensez) que les Berlinois ont subi mon ouverture de Cellini; je la leur fis avaler deux fois, il y a quinze ou seize ans, à mes concerts du théâtre. Je me rappelle même que notre ami Schlesinger, après la seconde audition, vint tout étonné me demander si cela était beau… Comme je ne voulais pas le tromper, je lui répondis que oui. Mais il ne me crut pas. Les critiques luthériens n'ont pas trop éreinté, dites-vous, le Pâtre breton. Ce sont des gens honnêtes, après tout, et en entendant l'accord de mi :

ils sont franchement convenus que cet accord, bien qu'écrit par moi, n'était pas devenu faux. Notre maniaque de la Revue des Deux Mondes n'est pas de cette probité-là98, et quand on lui fait entendre un accord de mi sorti de ma plume, il déclare l'accord intolérable.
Baisez la main, de ma part, je vous prie, à mademoiselle Milde quand vous la verrez, et remerciez-la de son courage à chanter l'accord de mi quand même.
Les parties d'orchestre et de chœur de l'Impériale sont à vos ordres, et je vous les enverrai quand vous le désirerez; seulement je n'ai pas la traduction allemande du texte de cette cantate, et je ne suppose pas qu'on puisse faire chanter du français par des choristes allemands. Comment tournerez-vous cette difficulté? Répondez-moi à ce sujet; après quoi, je ferai ce que vous voudrez et je vous donnerai quelques indications pour l'exécution du morceau.
Je fais des vœux pour la prospérité de votre pieuse entreprise; mais, entre nous, je tremble qu'elle ne vous coûte de l'argent; à moins que votre orchestre ne soit d'un bon marché extrême. Ici, une pareille crainte serait déraisonnable: il n'y a rien à craindre, on est sûr de ne pas faire les frais.
Il faut que je vous dise que Brandus vient de faire une espèce de nouvelle édition de Roméo et Juliette, grande partition et parties séparées, contenant une foule de corrections et quelques petits changements de détail assez importants. C'est d'après ces corrections qu'a été rédigée la partition de piano et chant, avec double texte allemand et français, qu'on va publier prochainement à Leipzig. Si jamais vous aviez envie d'exécuter quelque fragment de Roméo et Juliette à vos concerts, ne le faites pas sans me prévenir; je vous indiquerai les morceaux où il y a des changements.
Vous me demandez ce que je fais. J'achève les Troyens. Depuis quinze jours, il m'a été impossible d'y travailler. J'en suis à la catastrophe finale; Énée est parti, Didon l'ignore encore, elle va l'apprendre, elle pressent le départ…
Quis fallere possit amantem?
Ces angoisses de cœur à exprimer, ces cris de douleur à noter, m'épouvantent… comment vais-je m'en tirer? Je suis surtout inquiet sur l'accentuation de ce passage dit par Anna et Narbal au milieu de la cérémonie religieuse de prêtres de Pluton:
S'il faut enfin qu'Énée aborde en Italie,
Qu'il y trouve un obscur trépas!
Que le peuple latin à l'Ombrien s'allie,
Pour arrêter ses pas!
Percé d'un trait vulgaire en la mêlée ardente,
Qu'il reste abandonné sur l'arène sanglante
Pour servir de pâture aux dévorants oiseaux!>
Entendez-vous, Hécate, Érèbe, et toi, Chaos?
Est-ce une imprécation violente? est-ce de la fureur concentrée, sourde?.. Si cette pauvre Rachel n'était pas morte, je serais allé le lui demander. Vous pensez, sans doute, que j'ai bien de la bonté de me préoccuper ainsi de la vérité d'expression, et que ce sera toujours assez vrai pour le public. Oui, mais pour nous?.. Enfin, je trouverai peut-être.
Vous ne sauriez, mon cher Bulow, vous faire une idée juste du flux et du reflux de sentiments contraires dont j'ai le cœur agité depuis que je travaille à cet ouvrage. Tantôt c'est une passion, une joie, une tendresse dignes d'un artiste de vingt ans. Puis c'est un dégoût, une froideur, une répulsion pour mon travail, qui m'épouvantent. Je ne doute jamais: je crois et je ne crois plus, puis je recrois… et, en dernière analyse, je continue à rouler mon rocher… Encore un grand effort, et nous arriverons au sommet de la montagne, l'un portant l'autre.
Ce qu'il y aurait de fatal en ce moment pour le Sysiphe, ce serait un accès de découragement venu du dehors; mais personne ne peut me décourager, personne n'entend rien de ma partition, aucun refroidissement ne me viendra par suite des impressions d'autrui. Vous même, vous seriez ici, que je ne vous montrerais rien. J'ai trop peur d'avoir peur.
J'ai ajouté une fin au drame, fin bien plus grandiose et plus concluante que celle dont je m'étais contenté jusqu'à présent. Le spectateur verra ainsi la tâche d'Énée accomplie, et Clio s'écrie à la dernière scène, pendant que le Capitole romain rayonne à l'horizon:
Fuit Troja!.. Stat Roma!
Il y a là, en outre, une grande pompe musicale, dont il serait trop long de vous expliquer le sujet.
Voyez avec quelle naïveté je me laisse aller à vous parler de tout cela. Voilà ce que c'est que de m'écrire des lettres comme celle que je viens de recevoir de vous. Il ne faut pas porter une vive lumière aux yeux d'un homme enrhumé, si l'on ne veut pas le faire éternuer pendant une demi-heure.
Mais voilà mes éternuements finis. Adieu; écrivez-moi souvent, je m'engage à vous répondre en style de notaire et fort laconiquement. Je ne suis pas féroce…
P. – S.– Gounod vient de faire un joli petit opéra-bouffe, le Médecin malgré lui. Voyez mon feuilleton qui paraîtra vendredi ou samedi prochain.
XCII
A LOUIS BERLIOZ
Paris, 24 janvier [1858].
Cher ami,
La poste des Indes part le 10 et le 26 de chaque mois; je t'écris donc un peu plus tôt ma seconde lettre pour qu'elle puisse te parvenir en même temps que ma première. Il s'est passé de terribles choses depuis le 10 de ce mois. Tu le sais peut-être déjà, une troupe d'effroyables bandits est venue entourer la voiture de l'empereur au moment où il se rendait avec l'impératrice à la représentation au bénéfice de Massol à l'Opéra. Ces monstres ont jeté des bombes fulminantes dont l'explosion a tué un grand nombre de personnes et de chevaux, criblé la voiture de l'empereur, etc., etc. Par le plus grand des bonheurs, l'empereur n'a pas été atteint; la charmante impératrice n'a pas même perdu un instant son sang-froid. Ils ont été admirables de courage et de présence d'esprit tous les deux, au milieu de cette scène de carnage à la porte de l'Opéra. Toute l'Europe, tu le penses, est en émoi d'un pareil événement.
J'ai vu madame Lawsson en lui portant une loge pour l'Opéra-Comique. Morel m'a écrit que M. Lecourt était à Paris; mais ce dernier n'est pas venu me voir, et j'en suis à me demander pourquoi. Cet excellent Morel n'a voulu accepter que la moitié de ce que je lui avais envoyé pour tes frais de séjour chez lui et m'a renvoyé le reste.
J'ai été encore bien malade et au lit ce mois-ci; me voilà de nouveau sur pied et je reprends le travail interrompu de ma partition. Avant-hier, j'ai fait une lecture de mon poème des Troyens chez notre confrère de l'Institut M. Hittorf. Il y avait une grande réunion de peintres, statuaires, architectes de l'Institut; M. Blanche, secrétaire du ministre d'État; M. de Mercey, directeur des beaux-arts, etc., etc. J'ai eu un véritable succès; on a trouvé cela grand et beau, on m'a interrompu plusieurs fois par des applaudissements. Enfin, cela m'a rendu un peu de courage pour achever mon immense partition.
Voilà à peu près toutes mes nouvelles, cher Louis; ma sœur m'écrit de temps en temps de charmantes lettres; mon oncle est à Cannes dans le Midi, où il se chauffe au soleil pendant que nous grelottons à Paris. J'ai reçu, il y a quelques jours, une longue lettre de M. de Bulow, l'un des gendres de Liszt, celui qui a épousé mademoiselle Cosima. Il m'apprend qu'il a donné sous sa direction un concert à Berlin et qu'il y a fait exécuter avec grand succès mon ouverture de Cellini et le petit morceau de chant: le Jeune Pâtre breton. Ce jeune homme est l'un des plus fervents disciples de cette école insensée qu'on appelle en Allemagne l'école de l'avenir. Ils n'en démordent pas et veulent absolument que je sois leur chef et leur porte-drapeau. Je ne dis rien, je n'écris rien, je ne puis que les laisser faire; les gens de bon sens sauront voir ce qu'il y a de vrai.
XCIII
AU MÊME
Paris, 9 février 1858.
Cher Louis,
Le courrier des Indes part demain et j'ai tout juste aujourd'hui quelques instants pour causer un peu avec toi. Je suis bien impatient de recevoir de tes nouvelles! Comment auras-tu fait cette longue traversée? comment te portes-tu? comment te trouves-tu à bord? n'oublie aucun de ces détails. Ici, on ne va pas bien. Je suis, moi, assez passablement remis en ce moment; mais ma femme est presque toujours au lit et fort souffrante, et se tourmentant beaucoup.
J'ai aussi une triste nouvelle à t'annoncer; le pauvre M. Lawsson est mort ces jours-ci. Il s'est éteint sans agonie, sans souffrance, comme une lampe qui n'a plus d'huile. Mon oncle est toujours à Cannes en Provence.
Je travaille tant que je peux pour finir ma partition et j'avance peu à peu. J'en suis à cette heure au dernier monologue de Didon: «Je vais mourir dans ma douleur immense submergée.»
Je suis plus content de ce que je viens d'écrire que de tout ce que j'ai fait auparavant. Je crois que ces terribles scènes du cinquième acte seront en musique d'une vérité déchirante.
Mais j'ai encore modifié cet acte. J'y ai fait une large coupure et j'y ai ajouté un morceau de caractère, destiné à contraster avec le style épique et passionné du reste. C'est une chanson de matelot; je pensais à toi, cher Louis, en l'écrivant et je t'en envoie les paroles. Il fait nuit, on voit les vaisseaux troyens dans le port: Hylas, jeune matelot phrygien, chante, en se balançant au haut du mât d'un navire.
Vallon sonore
Où, dès l'aurore,
Je m'en allais chantant, hélas!
Sous tes grands bois chantera-t-il encore
Le pauvre Hylas?
Berce mollement sur ton sein sublime,
O puissante mer, l'enfant de Dindyme!
Fraîche ramée
Retraite aimée,
Contre les feux du jour, hélas!
Quand rendras-tu ton ombre parfumée
Au pauvre Hylas?
Berce mollement sur ton sein sublime,
O puissante mer, l'enfant de Dindyme!
Humble chaumière,
Où de ma mère,
Je reçus les adieux, hélas!
Reverra-t-il ton heureuse misère
Le pauvre Hylas?
Berce mollement sur ton sein sublime,
O puissante mer, l'enfant… (Il s'endort).
Voilà à peu près toutes mes nouvelles, cher ami. Je suis allé au bal des Tuileries mercredi dernier; mais il y avait une telle foule, qu'il n'y avait pas moyen même d'apercevoir l'empereur ni l'impératrice, et je suis revenu à onze heures, trop heureux de n'avoir pas été étouffé et d'avoir retrouvé mon paletot. Je ne puis te donner des nouvelles d'Alexis99, je ne l'ai pas vu depuis longtemps. Adieu, cher enfant; j'ai un long et filandreux article à faire, il faut que je me résigne à y travailler.
Jules B*** est revenu avant-hier d'une tournée dans les provinces. Il est maintenant fixé à Paris avec une pauvre petite position, qui le fait terriblement travailler et lui donne à peine de quoi vivre. Un garçon d'une pareille intelligence et de tant d'esprit!.. voilà la vie.
Adieu. Je t'embrasse de tout mon cœur, cher Indien, reviens-moi vite bien portant, bien savant, bien en argent, et tout ira merveilleusement.
XCIV
AU MÊME
Paris, 5 mai 1858.
Cher Louis,
Enfin, voilà une lettre de toi! je commençais à être inquiet. Voilà de bien bonnes nouvelles; tu es bien portant, content de toi et de ton entourage… Mais tu me fais craindre une plus longue absence… Si vous allez en Chine, ma lettre te parviendra-t-elle? je t'écris à tout hasard. J'ai été et je suis encore malade; j'ai eu la grippe et d'autres maux encore. Dimanche dernier, j'avais à diriger au Conservatoire le concert de Litolff, un de mes amis d'Allemagne. Nous avions un orchestre modèle, le premier peut-être qu'on puisse entendre en Europe. Litolff m'avait demandé deux morceaux de ma composition: la Captive et la Fête de Roméo et Juliette. J'ai eu un succès prodigieux, fracassant; que n'étais-tu là! C'était un véritable tremblement de salle.
Le lendemain, lundi, je suis allé à la réception des Tuileries. L'empereur m'a vu, m'a abordé et m'a demandé des nouvelles de mon opéra; je n'ai pas manqué de le prier de prendre connaissance du poème, et il m'a répondu que cela l'intéresserait beaucoup, que je devrais lui demander une audience pour cela. Elle sera pour la semaine prochaine. J'ai bien des choses à dire à l'empereur; Dieu veuille que je n'oublie pas les plus essentielles!
Les chances paraissent peu favorables pour faire monter mes Troyens à l'Opéra. Il est question d'y donner l'an prochain un grand ouvrage d'un amateur, le prince Poniatowski!!!!!
Nous avons eu ici dernièrement des craintes très vives sur une guerre entre la France et l'Angleterre. Heureusement ces craintes sont tout à fait dissipées.
J'avais envoyé un billet à Alexis pour le concert de dimanche dernier; je sais qu'il y était, mais je n'ai pas pu le voir.
Adieu, cher enfant, cher Louis, cher lieutenant! continue à marcher sérieusement à ton but et tu l'atteindras. Je t'embrasse avec une affection qui semble s'accroître de jour en jour. Je te réembrasse.
XCV
A M. AUGUSTE MOREL
Paris, 13 février 1859.
Mon cher Morel,
Ou en êtes-vous de vos répétitions? donnez-moi donc de vos nouvelles. J'ai vu deux fois dernièrement M. de Rémusat, qui ne m'a rien appris de précis au sujet de votre opéra. Ici, rien de nouveau; à l'heure qu'il est, on refait encore certaines scènes de l'Herculanum de David. On nous annonce pour la fin du mois le Faust de Gounod, dont je crois qu'il faut bien augurer. On en dit beaucoup de bien.
Louis va arriver dans un mois, j'espère; soyez assez bon pour lui remettre la lettre ci-jointe. Je compte le retrouver tout à fait sérieux, et décidé à travailler vaillamment pour son examen. J'ai été bien malade il y a six semaines; je commence à me remettre, grâce aux soins du fameux docteur Noir, le sauveur de notre ami Sax. Vous savez que Sax avait un cancer mélanique à la lèvre supérieure; il était condamné par toute la faculté de Paris. Et le voilà radicalement guéri; son affreux bubon de la lèvre est tombé, il n'y paraît plus. Jeudi prochain, les amis de Sax, en très grand nombre, donneront au docteur Vriès (c'est son nom) un dîner à l'hôtel du Louvre, qui promet d'être fort gai et même musical.
Les Troyens sont toujours là, attendant que le théâtre de l'Opéra devienne praticable. Après David, nous aurons le prince Poniatowski; après le prince, nous aurons le duc de Gotha, et, en attendant le duc, on traduira la Sémiramide de Rossini.
XCVI
AU MÊME
Paris, 18 mars 1859.
Je n'ose vous engager à faire le voyage de Paris pour faire soigner vos yeux; les cures du docteur Vriès dans cette spécialité ne me sont pas connues; il est en outre en ce moment et il sera de plus en plus inabordable; il faut faire queue chez lui pendant quatre ou cinq heures sans être sûr de pouvoir lui parler, et il vous demandera plusieurs mois pour suivre son traitement. Quant à moi, je suis depuis plus de dix jours repris de mes infernales coliques qui ne me quittent pas une heure sur vingt-quatre. Rien n'y fait.
Je me force pourtant à vaincre ma faiblesse, pour organiser un concert spirituel à l'Opéra-Comique le samedi saint. Il faut gagner de l'argent, et, ce jour-là, je suis à peu près sûr de remplir la salle. Ce pauvre Louis, qui n'a jamais rien entendu de moi, sera cette fois au moins à Paris. Je commence à m'étonner du retard de l'arrivée de son navire. Mille amitiés à Lecourt. J'ai un nouveau patron pour mon opéra, un prôneur très chaud; c'est M. Véron, qui a voulu entendre dernièrement une lecture du poème et qui en dit partout de magnifiques choses. Il déclare le cinquième acte un chef-d'œuvre, en ajoutant que, s'il était directeur, il dépenserait cent cinquante mille francs pour monter cela.
Il est vrai que les paroles ne l'engagent à rien; mais elles font sensation parmi les gens de l'Opéra. Peu à peu, seront-ils forcés de venir vers la montagne?.. en tout cas la montagne s'obstine à ne pas aller à eux. Je n'ai jamais parlé de mon ouvrage à Royer et je ne lui en parlerai jamais.
Pauvre ami, je vous plains d'être ainsi harcelé par vos chanteurs. Adieu.
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.
Embrassez Louis pour moi trente ou quarante fois.