Kitabı oku: «Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868», sayfa 6
IX
A FERDINAND HILLER
Rome, 17 septembre 1831
Mon cher ami,
J'ai reçu votre lettre dans les montagnes de Subiaco, longtemps après qu'elle était arrivée à Rome; encore l'aurais-je attendue bien davantage, si un sculpteur de l'Académie ne l'eût apportée. Je ne pouvais concevoir votre silence, je ne vous croyais pas paresseux. Bon, bon, assez! Êtes-vous toujours dans votre ermitage du bois de Boulogne? Je vais retourner dans le mien à Subiaco; rien ne me plaît tant que cette vie vagabonde dans les bois et les rochers, avec ces paysans pleins de bonhomie, dormant le jour au bord du torrent, et le soir dansant la saltarelle avec les hommes et les femmes habitués de notre cabaret. Je fais leur bonheur par ma guitare; ils ne dansaient avant moi qu'au son du tambour de basque, ils sont ravis de ce mélodieux instrument. J'y retourne pour échapper à l'ennui qui me tue ici. Pendant quelques jours, je suis venu à bout de le surmonter en allant à la chasse; je partais de Rome à minuit pour me trouver sur les lieux au point du jour; je m'éreintais, je mourais de soif et de faim, mais je ne m'ennuyais plus. La dernière fois, j'ai tué seize cailles, sept oiseaux aquatiques, un grand serpent et un porc-épic.
La campagne des environs de Rome est si sévère et si majestueuse, le soir surtout! Toutes les ruines de palais, de temples éclairés par le soleil couchant, sur un sol nu comme la main, sans arbres, creusé de profonds ravins, forment le tableau le plus pittoresque et le plus sombre. Le matin, j'ai déjeuné sur une vieille citerne ou tombeau étrusque; j'ai dormi à midi dans le temple de Bacchus, mais je n'avais que de l'eau pour lui faire des libations; j'espère que le vainqueur du Gange me pardonnera cette offrande indigne de lui!
Eh bien, vous avez donc eu la complaisance de vous nantir de ma médaille et de quelques brimborions d'or! Ainsi, comme tout cela vaut près de deux cents francs, si je meurs du choléra avant de retourner en France, ma petite dette d'argent sera payée. En a-t-on bien peur à Paris de ce fameux choléra?..
Mendelssohn est-il arrivé?.. C'est un talent énorme, extraordinaire, superbe, prodigieux. Je ne suis pas suspect de camaraderie en en parlant ainsi, car il m'a dit franchement qu'il ne comprenait rien à ma musique. Dites-lui mille choses de ma part; il a un caractère tout virginal, il a encore des croyances; il est un peu froid dans ses relations, mais, quoiqu'il ne s'en doute pas, je l'aime beaucoup.
X
AU MÊME
Rome, 8 décembre 1831.
Mon cher Hiller,
Quoique vous soyez un paresseux, un drôle, un vilain, comment n'avez-vous pas honte de me laisser sans signe de vie de votre part, sans réponse à ma dernière lettre? (Ma foi, j'ai oublié la conclusion de mon quoique!)
Enfin, n'importe, j'arrive de Naples il y a un mois; j'ai fait le voyage à pied à travers les montagnes, les bois, les rochers, sans guide, excepté le dernier jour pour arriver à Subiaco, mon village chéri. Il serait trop long de vous parler des torrents de sensations magiques que m'ont fait éprouver Naples, le Vésuve, Pompéi, la mer, les îles, nous parlerons de tout cela. Ce qui vaut beaucoup mieux, c'est que je serai à Paris peut-être plus tôt que vous ne pensez, mais certainement plus tôt que notre directeur ne pense.
Allons donc, voilà un succès! Robert le Diable a fait merveilles. Allez, je vous prie, de ma part, chez M. Meyerbeer lui faire mon sincère compliment, ou du moins l'assurer de la joie vive que m'a fait éprouver la réussite brillante de son grand ouvrage. J'en ai passé une nuit blanche après la lecture des journaux. Le sang me bout dans les veines. Cinq cent mille malédictions! faut-il que je sois ici claquemuré, dans ce pays morne et antimusical, pendant qu'à Paris on joue la Symphonie avec chœurs, Euryanthe et Robert, et pendant que les ouvriers de Lyon s'amusent comme des diables! Je me serais peut-être trouvé à Lyon aussi, et j'en aurais pris ma part. Cependant il paraît que les Anglais de Bristol se sont encore mieux amusés; du moins leur ouvrage a fait bien plus d'impression: cela avait plus de caractère.
Seriez-vous capable de marcher contre ces pauvres diables, dont le tour de jouir de la vie vient seulement d'arriver? Ce serait bien mal à vous, de toutes manières. Parlons d'affaires. Veuillez aller trouver M. Réty au Conservatoire et lui demander de prendre dans ma musique la Cantate de la Mort d'Orphée. Je la lui avais demandée, mais Prévost, qui devait l'apporter, paraît ne pas devoir venir. Vous la prendrez donc et vous me ferez copier sur papier à lettre la dernière page de la partition, l'adagio con tremulandi, qui succède à la Bacchanale; puis vous le mettrez sous enveloppe à la poste. J'en ai besoin absolument.
Adieu! si vous me faites attendre une réponse, je vous voue à la Providence.
XI
AU MÊME
Rome, 1er janvier 1832.
Ah! vous ne m'aviez pas écrit parce que vous vous êtes mis dans vos meubles! voilà une exquise raison! Il valait mieux me dire: «parce que je suis à Paris, et qu'à Paris on oublie le reste du monde». – Enfin, n'en parlons plus; je pense que vous aurez reçu la petite lettre que j'ai envoyée pour vous à Schlesinger, ne sachant pas votre adresse, et que vous ne me ferez pas attendre le petit morceau que je vous prie de me faire parvenir. J'avais vu un compte rendu dans le Globe, qui vous a fait un assez bon article, mezzo philanthropico-mystique, et qui prétend que vous sortez du Conservatoire de Paris. Je n'ai rien vu dans les autres journaux; M… était sans doute trop occupé à décrire quelque nouvelle roulade ou trille de madame Malibran, ou à expliquer l'accord d'un second et d'un troisième cor dans Robert le Diable, pour s'amuser à une vétille comme votre concert.
Nous aurions été bien flattés de voir le jugement que ce gigot fondant aurait laissé tomber du haut de sa succulence sur vos nouvelles productions. Il comprend si bien la poésie de l'art, ce Falstaff!.. Patience, je lui ai taillé des croupières (comme on dit en Dauphiné) dans un certain ouvrage dont je vous prie de ne pas parler et dans lequel j'ai lâché l'écluse à quelques-uns des torrents d'amertume que mon cœur contenait à grande peine. Cela fera, au jour de l'exécution, l'effet d'un pétard dans un salon diplomatique. Je ne vous en avais rien dit, parce que vous savez que je n'aime pas à vous parler de ce que je fais, jusqu'au moment de la mise au monde de l'ouvrage. Ce n'est pas, comme vous me faites l'amitié de le supposer, parce que j'ai peur que vous ne me fassiez un vol intellectuel (gros scélérat!!), mais bien parce que je veux suivre tout droit le chemin de mon caprice, de ma fantaisie, dût-il me conduire dans quelque bourbier obscur, et que l'impression bonne ou mauvaise, produite sur vous par des épreuves anticipées de l'ouvrage, se reflétant sur moi, me distrairait en mal de ma première direction, ou ralentirait l'élan de ma course. Voilà!
Vous voulez savoir ce que j'ai fait depuis mon arrivée en Italie; 1º ouverture du Roi Lear (à Nice); 2º ouverture de Rob-Roy, Mac Gregor (esquissée à Nice, et que j'ai eu la bêtise de montrer à Mendelssohn, à mon corps défendant, avant qu'il y en eût la dixième partie de fixée). Je l'ai finie et instrumentée aux montagnes de Subiaco; 3º Mélologue en six parties, paroles et musique; composé par monts et par vaux en revenant de Nice, et achevé à Rome. Puis, quelques morceaux vocaux, détachés, avec et sans accompagnement: 1º un chœur d'anges pour les fêtes de Noël; 2º un chœur de toutes les voix, improvisé (comme on improvise) au milieu des brouillards, en allant à Naples, sur quatre vers que je fis pour prier le soleil de se montrer; 3º un autre chœur sur quelques mots de Moore avec accompagnement de sept instruments à vent; composé à Rome, un jour que je mourais du spleen, et intitulé: «Psalmodie pour ceux qui ont beaucoup souffert et dont l'âme est triste jusqu'à la mort.»
Voilà tout.
A présent, je ne fais que copier des parties et écrire un grand article sur l'état actuel de la musique en Italie, qui m'a été demandé de Paris pour la Revue européenne; si vous le lisez, vous le verrez sans doute d'ici à deux mois; le journal n'étant que mensuel, cela ne paraîtra pas plus tôt… Eh bien, oui, je suis allé à Naples, c'est superbe; j'en suis revenu à pied, ce que vous savez déjà, en traversant jusqu'à Subiaco les montagnes des frontières, couchant dans des repaires ou capitales de bandits, dévoré de puces, et mangeant des raisins volés ou achetés le long de la route pendant le jour, et, le soir, des œufs, du pain et des raisins; après deux jours de repos à Subiaco, où j'ai trouvé un de mes camarades de l'Académie qui m'a prêté une chemise dont j'avais grand besoin, je suis parti, toujours à pied, pour Tivoli, et de là à Rome.
Voilà encore.
Mille choses à Mendelssohn, dont nous parlons bien souvent chez M. Horace. Madame Fould m'a fait entendre dernièrement, chez elle, la symphonie qu'il fit exécuter à Londres, et qu'il a dérangée pour violon, basse et piano à quatre mains. Le premier morceau est superbe, l'adagio ne m'est pas resté bien net dans la tête, l'intermezzo est frais et piquant; le final, entremêlé de fugue, je l'abomine. Je ne puis pas comprendre qu'un pareil talent puisse se faire tisserand de notes dans certains cas comme il l'a fait, mais lui le comprend. C'est toujours la même histoire; il n'y a pas de beau absolu, et je trouve que vous avez bien de la bonté d'établir des discussions à mon sujet avec Mendelssohn.
Voulez-vous prouver à quelqu'un qu'il a tort d'être impressionné de telle manière plutôt que de telle autre?.. Il n'y a pas plus de tort réel qu'il n'y a de crime, de vice ou de vertu: tout n'est que relation ou convention. Je suis sot de vous dire cela, je pense bien que vous n'en êtes plus à avoir encore les idées contraires: ce sont de vieux lambeaux de langes que vous devez avoir secoués à présent pour jamais.
Vous avez (toujours suivant moi) bien fait de conserver votre adagio et de le mettre en ut; ce morceau-là est plein de délicatesse. Il paraît que vous n'avez pas écrit de menuet, j'en suis charmé; il n'en faut plus, on a usé cela.
Je relis votre lettre: Comment! si j'irai en Allemagne? – Êtes-vous fou? Certainement; je passerai à Wesserling voir Th. Schlösser, puis à Francfort si vous y êtes, puis enfin à Berlin. Mais auparavant je passerai à Paris lâcher deux ou trois bordées musicales à la fin de l'année. Je partirai de Rome dans trois mois et m'arrangerai de manière à passer en France le reste de mon temps d'Italie, ce qui m'économisera un peu d'argent. Mais je ne dis pas cela à M. Horace, auquel je serai obligé de faire un conte, un mensonge bien serré pour pouvoir m'évader.
Dieu vous soit en aide!
Mes amitiés à Gounet, mais sans impiétés, parce que cela l'oppresse, ce qui est contre ma volonté bien nette. Je lui souhaite, pour son nouvel an, une augmentation d'appointements, de grade, d'argent, d'honneurs, et une indifférence radicale pour la politique. – Pour tous les autres, comme ils ne m'ont pas donné signe de vie, je leur souhaite une plume bien taillée et un peu moins de paresse à s'en servir.
XII
AU MÊME
Rome, 16 mars 1832.
Eh! oui, damnation, il y a de quoi être en colère!
Qui diable vous empêche de mettre la main à la plume? Vous voilà bien avancé! Par un retard inouï de la poste, je reçois à l'instant votre lettre datée du 17 février; elle a mis un mois pour m'arriver. Je suis malade, toujours du gracieux mal de gorge qui me tuera si je lui en laisse le temps; je me précipite hors de mon lit, après avoir lu votre lettre, pour y répondre. Je ne sais si ma réponse sera assez tôt à Paris; dans tous les cas, je vous adresse un mot chez votre père, à Francfort.
En fait d'argent, je puis, je le crois, vous payer cet été, à moins que M. Horace ne s'oppose à ce que je touche ma pension en bloc en quittant Rome; mais voilà qui vaut mieux: vous avez le paquet qu'on vous a adressé, ouvrez-le, je vous y autorise. Seul et discret, prenez ma médaille qui doit y être et vendez-la chez le changeur du passage des Panoramas; elle vaut deux cents francs, peut-être plus. Dépêchez-vous et écrivez-moi tout de suite à Florence, poste restante; je pars le 1er mai de Rome.
Vous quittez donc Paris! Mendelssohn aussi! Quand j'arriverai, je n'y trouverai personne; je m'étais accoutumé à l'idée de cette réunion; j'y retomberai dans une solitude musicale que mes autres amis ne pourront combler! Quand je dis mes autres, je devrais dire mon autre; car, excepté le bon Gounet, il n'y a rien. Cela me fait mal dans le cœur; notre fleur s'effeuille, je suis disposé plus que jamais aux affections tristes, et j'ai la bêtise d'en pleurer. Où voulez-vous que je vous retrouve!.. je n'entrerai en Allemagne qu'en 1833. Je ne peux pas me mettre à votre poursuite, car ce serait une raison pour ne pas vous atteindre. Et puisque votre plume est si lourde pour vous, je ne dois guère compter sur des nouvelles de vos voyages. Eh bien, allez, ce n'est qu'une continuation de la même charge; voyons comment nous la supporterons!
Je remercie Mendelssohn de son souvenir et de ses quelques lignes; les sentiments que je voudrais lui exprimer sont trop tumultueusement confus en moi aujourd'hui pour que je l'essaie. Je reviens encore des montagnes où j'ai passé dix jours de vagabondage dans la neige et la glace, mon fusil à la main. Sans ma damnée gorge, j'y serais déjà retourné. J'en ai rapporté entre autres choses une petite orientale de Hugo59, pour une voix et piano. Ce petit morceau a un succès incroyable; on en prend des copies partout, chez M. Horace, chez madame Fould, chez l'ambassadeur, chez des Français de leur connaissance, etc.; tous les pensionnaires de l'Académie me cornent ce malheureux morceau, à table, dans les corridors, au jardin; ils commencent à me le faire suer; il n'y a pas jusqu'à M. Horace qui ne le chante. Ah! pour le paquet en question, j'oubliais, remettez-le à Gounet.
En quittant Rome, j'irai visiter l'île d'Elbe et la Corse, pour me gorger de souvenirs napoléoniens; j'espère ne pas trouver de belle occasion pour l'autre île, car je serais capable de succomber à la tentation.
Qu'il est grand là surtout! quand, puissance brisée,
Des porte-clefs anglais misérable risée,
Au sacre du malheur il retrempe ses droits,
Tient au bruit de ses pas deux mondes en haleine
Et, mourant de l'exil, gêné dans Sainte-Hélène,
Manque d'air dans la cage où l'exposent les rois!
Oh!!!!!!!!
Enfin! après tout, je serai à Paris au mois de novembre et de décembre, nous pourrons encore nous y voir; mais Mendelssohn n'y sera pas. Alors je le reverrai à Berlin, ou je ne le reverrai pas. Comme toujours, j'ai su par une lettre plus jeune que la vôtre, qu'on avait donné au Conservatoire la ravissante ouverture du Songe d'une nuit d'été. On en parle avec admiration, il n'y a pas de fugue là dedans.
Adieu… adieu… adieu…
Souviens-toi de moi!
(Shakspeare, Hamlet.)
Je vais me recoucher, je meurs de froid.
XIII
AU MÊME
Florence, 13 mai 1832.
Je suis arrivé hier. Je viens de la poste, où je n'ai trouvé que votre lettre seule, au lieu de trois ou quatre que je comptais y avoir. Aussi votre exactitude ressort-elle cette fois avec avantage. Mais, étourneau que vous êtes! pourquoi oublier tant de choses?.. Vous ne me dites pas même si le prix de l'illustre médaille a suffi pour faire les deux cents francs que je vous devais; vous oubliez aussi de me dire un mot de ce bon Gounet, et si c'est à lui que vous avez remis le paquet de l'hippopotame.
J'ai laissé Rome sans regret; la vie casernée de l'Académie m'était de plus en plus insupportable. Je passais toutes mes soirées chez M. Horace, dont la famille me plaît beaucoup, et qui, à mon départ, m'a donné tout entières des marques d'attachement et d'affection, auxquelles j'ai été d'autant plus sensible que je m'y attendais moins. Mademoiselle Vernet est toujours plus jolie que jamais, et son père toujours plus jeune homme. J'ai revu Florence avec émotion. C'est une ville que j'aime d'amour. Tout m'en plaît, son nom, son ciel, son fleuve, ses environs, tout, je l'aime, je l'aime… J'y ai renouvelé connaissance avec un ancien élève de Choron, Duprez, qui est ici le chanteur à la mode, qui gagne quinze mille francs au théâtre de la Pergola, et qui, par-dessus le marché, a un grand et un vrai talent, une voix délicieuse et juste, et sait la musique. Il n'est pas acteur comme Nourrit, mais chante mieux, et sa voix a quelque chose de plus naïf et de plus original dans le timbre. Il fera fureur à Paris dans quelques années, j'en suis sûr. Il avait chanté à mon premier concert, avant que vous fussiez à Paris. Hier soir, dans un entr'acte, nous nous sommes remémoré cette époque de notre connaissance avec un certain plaisir. Nous avons depuis lors avancé tous les deux; avancé de quelques pas, moi de six ou sept, et lui de trente ou quarante.
Je ne vais pas à l'île d'Elbe ni en Corse; il y a actuellement des règlements sanitaires, des quarantaines qui me vexeraient. Dans trois jours, je pars pour Milan; j'y resterai au plus une semaine; de là, j'irai droit chez ma sœur à Grenoble, puis à la Côte Saint-André (Isère), où vous m'adresserez vos lettres. Je retrouverai à Milan un de vos compatriotes, homme de talent, M. de Sauër, que j'ai connu à Rome. Il m'a dit vous avoir vu enfant à Vienne. Il connaît beaucoup Mendelssohn et Bellini. Il veut absolument me lier avec Bellini, ce que je refuse de toutes mes forces; la Sonnambula, que j'ai vue hier, redouble mon aversion pour une pareille connaissance. Quelle partition!! Quelle pitié!!! Les Florentins mêmes l'ont chutée et sifflée. C'est cependant bien bon pour eux. Oh! mon cher, il vous faut voir l'Italie pour vous douter de ce qu'ils osent nommer musique dans ce pays-là!..
J'irai à Paris au mois de novembre ou de décembre; jusque-là, je ne sortirai guère du midi de la France. Je vous remercie de votre invitation pour Francfort, je ne sais quand j'en profiterai, mais ce sera tôt ou tard.
Adieu, mon bon et très-cher ami. Je vous embrasse tendrement.
P. – S.– Si je savais l'adresse de Richard, je lui écrirais; il est trop paresseux pour que je compte sur la lettre de lui que vous m'annoncez.
P. – S.– Voilà une sotte et froide lettre, je suis tout triste. Chaque fois que j'ai revu Florence, j'ai ressenti un trouble intérieur, un bouillonnement confus que je puis à peine m'expliquer. Je n'y connais personne… Il ne m'y est jamais arrivé d'aventure… J'y suis seul comme j'étais à Nice… C'est peut-être pour cela qu'elle m'affecte d'une façon si étrange. C'est tout à fait bizarre. Il me semble que, quand je suis à Florence, ce n'est plus moi, mais quelque individu étranger, quelque Russe ou quelque Anglais qui se promène sur ce beau quai de l'Arno. Il me semble que Berlioz est autre part et que je suis une de ses connaissances. Je fais le dandy, je dépense de l'argent, je me pose sur la hanche comme un fat. Je n'y comprends rien
What is it?..
XIV
A MADAME HORACE VERNET, A ROME
La Côte Saint-André, 25 juillet 1832.
C'est une situation aussi neuve qu'agréable, madame, que celle où vous avez bien voulu me placer. Une femme d'esprit m'autorise à lui adresser mes divagations et veut bien perdre son temps à les lire, sans trop en voir le côté ridicule. Il est peu généreux à moi d'en profiter, je le sens, mais qui n'a pas son grain d'égoïsme?.. je n'en suis pas exempt; aussi, toutes les fois qu'une tentation de ce genre viendra m'assaillir, je m'empresserai d'y succomber. – Je l'eusse fait plus tôt, impatient comme je le suis de recevoir de vos nouvelles, si, en descendant les Alpes, je n'avais été pris au bond et renvoyé comme un ballon de villa en villa dans tous les environs de Grenoble. Les parents, les amis à revoir, les curiosités à satisfaire, les récits de Rome, de Naples, du Vésuve, à varier tant bien que mal, m'ont occupé continuellement, tantôt d'une façon bien douce, tantôt de la manière la plus cruellement fastidieuse.
Je craignais, en arrivant en France, d'avoir à retourner le vers de Voltaire en m'avouant que «plus je vis l'étranger moins j'aimai ma patrie»; mais il n'en a rien été, et les souvenirs du royaume de Naples sont demeurés impuissants contre l'aspect riant, varié, frais, riche, pittoresque, beau de masses, beau de détails, de notre admirable vallée de l'Isère. Je l'ai revue dans son meilleur moment; la coquette semblait s'être mise en frais d'atours extraordinaires pour me prouver, à mon retour, qu'elle n'avait rien à envier aux beautés étrangères.
Il n'en a pas été de même dans la comparaison que je n'ai pu m'empêcher d'établir entre la société que je voyais le plus habituellement à Rome et celle que je retrouvais après ma longue absence. Cette fois, l'avantage est resté tout entier aux beautés éloignées, sinon étrangères, et le proverbe «les absents ont tort», m'a paru complétement faux.
Malgré tous mes efforts pour détourner la conversation de pareils sujets, on s'obstine à me parler art, musique, haute poésie; et Dieu sait comme on en parle en province!.. des idées si étranges, des jugements faits pour déconcerter un artiste et lui figer le sang dans les veines, et par-dessus tout le plus horrible sang-froid. On dirait, à les entendre causer de Byron, de Gœthe, de Beethoven, qu'il s'agit de quelque tailleur ou bottier, dont le talent s'écarte un peu de la ligne ordinaire; rien n'est assez bon pour eux; jamais de respect ni d'enthousiasme; ces gens-là feraient volontiers de feuilles de rose la litière de leurs chevaux. De sorte que, vivant au milieu du monde, je demeure dans le plus profond et le plus cruel isolement. Puis j'étouffe par défaut de musique; je n'ai plus à espérer le soir le piano de mademoiselle Louise, ni les sublimes adagios qu'elle avait la bonté de me jouer, sans que mon obstination à les lui faire répéter pût altérer sa patience ou nuire à l'expression de son jeu. Je vous vois rire, madame; vous dites, sans doute, que je ne sais ni ce que je veux ni où je voudrais être, que je suis à demi fou. A cela je vous répondrai que je sais parfaitement bien ce que je veux, mais que, pour ma mezza pazzia, comme on s'accorde assez généralement à m'en gratifier et que dans beaucoup de circonstances il y a un grand avantage à passer pour fou, j'en prends facilement mon parti. Mon père avait imaginé ces jours-ci un singulier moyen de me rendre sage. Il voulait me marier. Présumant, à tort ou à raison, sur des données à lui connues, que ma recherche serait bien accueillie d'une personne fort riche, il m'engageait très-fortement à me présenter, par la raison péremptoire qu'un jeune homme qui n'aura jamais qu'un patrimoine d'une centaine de mille francs ne doit pas négliger l'occasion d'en épouser trois cent mille comptant, et autant en expectative. J'en ai ri pendant quelque temps, comme d'une plaisanterie; mais, les instances de mon père devenant plus vives, j'ai été obligé de déclarer fort catégoriquement que je me sentais incapable d'aimer jamais la personne dont il s'agissait et que je n'étais à vendre à aucun prix. La discussion s'est terminée là; mais j'en ai été désagréablement affecté, je me croyais mieux connu de mon père. Au fond, madame, ne me donnez-vous pas raison?..
Après une maladie de Marie-Louise, l'empereur dit à M. Dubois, qui l'avait soignée: «Que vous faut-il, Dubois? de l'argent ou des honneurs. – Sire, de l'argent et des honneurs.» Si pareille question m'était adressée: «Voulez-vous de l'argent, de l'amour ou de la liberté…?», je dirais bien aussi: «De la liberté, de l'amour et de l'argent.» Mais, comme ce ne sera jamais à un Napoléon que je ferai semblable réponse, je renoncerai toujours à l'argent pour garder ou obtenir l'un des deux autres, quelque Vanloo que cela soit. J'aurais bien voulu envoyer à mademoiselle Louise quelque petite composition dans le genre de celles qu'elle aime; mais ce que j'avais écrit ne me paraissant pas digne d'exciter le sourire d'approbation du gracieux Ariel, j'ai suivi le conseil de mon amour-propre et je l'ai brûlé. Je crains de ne pas être plus heureux de longtemps, car, au lieu de composer, je suis forcé de copier moi-même les parties d'un nouvel ouvrage que je donnerai à Paris au mois de décembre, si l'émeute et le choléra veulent bien le permettre. Vous avez eu la bonté, madame, de me faire espérer pour cette occasion des lettres d'introduction auprès de mademoiselle Allard et de madame Duchambge, et ce que vous m'avez dit de ces deux dames me fait attacher beaucoup de prix à faire leur connaissance. Mon passage à Paris n'aura lieu qu'à la fin de l'année, ainsi que je m'y suis engagé envers M. Horace, et, immédiatement après avoir lâché ma bordée vocale et instrumentale, je partirai pour Berlin à pleines voiles. Mais je m'aperçois que j'ai étrangement abusé de la liberté de vous ennuyer, et, tout honteux, je m'empresse de finir en vous priant de me pardonner ma loquacité.