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Kitabı oku: «Correspondance inédite de Hector Berlioz, 1819-1868», sayfa 7

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XV
A M. FERDINAND HILLER

La Côte, ce 7 août 1832.

Qu'il a un drôle d'esprit, piquant, agaçant, coquet, cet Hiller! Si nous étions tous les deux femmes, avec la manière de sentir que nous avons, je la détesterais; si lui seulement était femme, je la haïrais avec crispation, tant j'abhorre les coquettes. La Providence a donc tout fait pour le mieux, comme disent les jobards, en nous jetant tous les deux sur le globe, armés du sexe masculin.

Non, mon cher mauvais plaisant, vous n'avez pas pu faire autrement que de me faire attendre deux mois votre réponse; mais je ne puis pas non plus faire autrement que de vous en vouloir, et d'avoir perdu radicalement la confiance dans vos promesses de ce genre. Comme je ne m'en fâche pas beaucoup ou, du moins, comme je n'y mets pas beaucoup d'amour-propre, je vous avais écrit une seconde lettre de Grenoble; mais, six heures après, réfléchissant à ce qu'elle contenait, je l'ai brûlée. «Il y a des choses, disait Napoléon, qu'il ne faut jamais dire; à plus forte raison, faut-il se garder de les écrire.» Oh! Napoléon! Napoléon!.. Allons, voilà la poche de l'enthousiasme qui va crever… Pour empêcher ce malheur, je vais, au lieu de vous parler de lui, de ses ouvrages en Lombardie, de ses traces sublimes que j'ai suivies jusqu'aux Alpes en revenant en France, je vais vous parler de trois grosses fautes de français que contient votre lettre!! Oh!!!.. Puisque vous apprenez le latin, je vais me faire pédagogue. 1º Il ne faut point d'accent sur negre; 2º vous dites que je trouve ici «des grands amusements»: il faut de grands amusements; 3º «Il est possible que Mendelssohn l'aura»: – que Mendelssohn l'ait.

Profitez de cette leçon.

Ouf!

Je suis, en effet, avec ma famille, mais je n'ai que ma sœur cadette qui m'adore, et je me laisse adorer d'une manière fort édifiante… Oh! quand je retournerai en Italie!!! – Voyez-vous, mon cher, il me faut de la liberté, de l'amour et de l'argent. Nous trouverons cela plus tard, en y ajoutant même un petit objet de luxe, de ces superflus qui sont nécessaires à certaines organisations, la Vengeance, générale et privée. On ne vit et ne meurt qu'une fois.

Pendant que je suis en province, isolé de mes agitations ordinaires, seul avec ma pensée, qui se retourne dans tous les sens comme un porc-épic en me blessant de ses dards aigus, mes idées se fixent, se consolident par l'étude des profonds ouvrages de Locke, Cabanis, Gall et autres; ce n'est pas qu'ils m'apprennent autre chose que des détails techniques, car je m'aperçois bien souvent que je suis plus avancé qu'eux, et qu'ils n'osent pas suivre leur marche dans les conséquences de leurs principes, par crainte de l'opinion. L'opinion, cette reine du monde!.. mais il n'y a plus de rois ni de reines, il y a eu un tremblement de trônes (dit Lamartine) qui les a tous renversés.

Je copie toute la journée les parties de mon Mélologue; depuis deux mois, je ne fais pas autre chose, et j'en ai encore pour soixante-deux jours; vous voyez que j'ai de la patience. Il en faut pour tout, non pas pour supporter chiennement les maux, mais pour agir. Le besoin de musique me rend souvent malade; il me donne des tremblements nerveux; puis nous avons aussi l'influence cholérique qui m'a retenu quelques jours au lit; j'en suis libre aujourd'hui, prêt à recommencer. Je vais aller voir F…; nous ne nous sommes pas vus depuis cinq ans. Les extrêmes se touchent, comme vous voyez. Il est plus religieux que jamais, il a épousé une femme qui l'adorait, et il adore ferme aussi, lui. Quelle drôle de chose que cette adoration, et elle est vive et sincère:

XVI
A M. L'INTENDANT GÉNÉRAL DE LA LISTE CIVILE

Paris, vendredi 9 novembre 1832.

Monsieur l'intendant général,

Élève de l'École des beaux-arts française de Rome (section de musique), je ne pouvais mieux répondre au but de l'institution qu'en cherchant à multiplier les productions de mon art. Mais, moins heureux en cela que les peintres qui ont la ressource des expositions, nos partitions sont mortes s'il n'y a pas exécution. Je m'adresse, monsieur l'intendant général, à votre justice éclairée en vous priant de mettre à ma disposition la salle du Conservatoire de musique pour un concert que je me propose de donner le dimanche 2 décembre. L'accueil encourageant que quelques-uns de mes ouvrages ont reçu du public dans cette même enceinte m'enhardit à croire que ceux que je rapporte d'Italie m'attireront de nouveaux suffrages. J'ai surtout à cœur de me montrer digne de l'École à laquelle j'appartiens et de son illustre patronage.

J'ai l'honneur d'être, etc.

XVII
A JOSEPH D'ORTIGUE

Samedi, 19 janvier 1833.

Cher ami,

Field vous a réservé un billet pour son concert de dimanche (demain); il est chez Schlesinger; venez le prendre. Apportez-moi en même temps mes partitions; je n'ai pas besoin de vous dire qu'il ne faut pas songer à arranger le bas à quatre mains pour mademoiselle Perdreau; trouvez un prétexte; mais, l'ouvrage n'étant pas gravé, cela pourrait avoir des conséquences fort désagréables pour moi.

Je vous parle de chants, tandis que Rome brûle60; n'importe! Venez me voir demain dimanche dans la journée. Si je n'y suis pas, donnez-moi un rendez-vous.

Jamais plus intense douleur n'a rongé un cœur d'homme! Je suis au septième cercle de l'enfer. J'avais bien raison; il n'y a pas de justice au ciel.

A propos, je vais faire un opéra italien fort gai, sur la comédie de Shakspeare (Beaucoup de bruit pour rien)61.

A cette occasion, je vous prierai de me prêter le volume qui contient cette pièce.

Oui, oui, ronge, ronge, je m'en moque; je te défie de me faire sourciller; quand tu auras tout rongé, quand il n'y aura plus de cœur, il faudra bien que tu t'arrêtes.

Votre article sur les Armides sera fait demain tant bien que mal. Oh! oh! damnation, je broierais un fer rouge entre mes dents.

Charmant!

Adieu.

XVIII
AU MÊME

5 février 1833.

Cher et bon ami,

Je n'ai rien que du bonheur à vous annoncer. Le soleil luit en ce moment-ci du plus vif éclat. Je vous raconterai en détail tout cela. Henriette et moi avions été mutuellement calomniés vis-à-vis de l'autre d'une manière infâme. Tout est éclairci. Son amour se montre fort. Il y a une opposition formidable. J'ai écrit à mon père. Le dénoûment approche. Venez me voir, je vous en prie, et apprenez-moi ce que vous avez de nouveau. J'ai quelque chose à donner à Pichot qui peut suffire pour un premier article. Je vous le montrerai.

God bless you!

XIX
A M. FERDINAND HILLER

Paris, 18 juillet 1833.

Mon cher ami,

Vous devinez sans doute, au long et absurde silence que j'ai gardé avec vous, que l'état de liberté dans lequel vous m'avez laissé à votre départ n'a pas été long. Deux jours après que vous aviez quitté Paris, Henriette me fit prier instamment de venir la voir. Je fus froid et calme comme un marbre. Elle m'écrivit deux heures après; j'y retournai, et après mille protestations et explications qui, sans la justifier complétement, la disculpaient au moins sur le point principal, j'ai fini par lui pardonner, et depuis lors je ne l'ai pas quittée un seul jour. Quand votre lettre m'est parvenue, le jeune homme qui me l'a remise ne m'ayant pas laissé son adresse, je n'ai pu vous envoyer la musique que vous me demandiez. J'aurais pu toutefois vous écrire plus tôt, sans l'immense préoccupation où je vis depuis longtemps. Vous veniez de faire une perte, d'ailleurs, pour laquelle je n'aurais su vous offrir que de bien pâles et faibles consolations. Vous aviez en votre père un ami qui ne s'est jamais démenti un seul instant depuis votre enfance, un guide et non un maître, un protecteur et non un gouverneur; oh! c'est précieux et rare. Vous avez dû ressentir une douleur étrange, inconnue, à cette séparation.

Ce que je vous dis là est peut-être mal, je rappellerai peut-être encore quelques larmes dans vos yeux, mais j'espère qu'elles seront du moins sans amertume.

Je vais partir dans deux jours pour Grenoble; il faut que je voie si décidément j'ai aussi perdu mon père, et si je suis pour toute ma famille un paria.

Ma pauvre Henriette commence à marcher; nous sommes allés déjà plusieurs fois ensemble nous promener aux Tuileries. Je suis les progrès de sa guérison avec l'anxiété d'une mère qui voit les premiers pas de son enfant. Mais quelle affreuse position est la nôtre! Mon père ne veut rien me donner, espérant par là empêcher mon mariage. Elle n'a rien, je ne puis rien ou fort peu pour elle; hier soir, nous avons passé deux heures noyés de larmes tous les deux. Sous quelque prétexte que ce soit, je ne puis lui faire accepter l'argent dont je puis disposer. Heureusement, j'ai obtenu de la Caisse d'encouragement des beaux-arts une gratification de mille francs pour elle, que je lui remettrai ces jours-ci. C'est l'attente de cette somme, que je veux lui remettre moi-même, qui retarde mon voyage. Aussitôt après, je pars pour obtenir, soit de mon père, soit de mon beau-frère, ou de mes amis, ou même des usuriers qui connaissent la fortune de mon père, quelques mille francs qui puissent me mettre dans le cas de la tirer, ainsi que moi, de l'atroce situation où nous nous trouvons.

Comme je ne sais pas trop comment tout cela finira, je vous prie de conserver cette lettre, afin que, si quelque malheur définitif m'arrive, vous puissiez réclamer toute ma musique manuscrite que je vous lègue et confie. Vous ne serez ici que dans deux mois; ainsi, écrivez-moi une fois au moins avant. Je suis toujours à la même adresse, rue Neuve-Saint-Marc, nº 1, et je ne demeurerai absent qu'une douzaine de jours.

XX
A JOSEPH D'ORTIGUE

Paris, 15 octobre 1833.

Non, sans doute, je n'ignore pas que tout ce qui me touche te touche; mais, cher bon ami, tu dois m'excuser de ne t'avoir pas écrit, d'autant plus facilement que je suis encore dans l'impossibilité de me rappeler ton ancienne adresse à Vaugirard; puis j'ai été, tous ces derniers temps, si préoccupé de mon bonheur, de mes inquiétudes, de mes projets pour elle, si accablé par la révolution immense que tout cela fait dans ma vie, qu'en vérité je ne songeais pas au monde, et tu me pardonneras de t'avoir un instant oublié, ainsi que tous mes autres amis.

Je monte une représentation avec concert pour le 12 du mois prochain à l'Odéon. Ma pauvre Ophélie y reparaîtra dans le quatrième acte d'Hamlet; madame Dorval jouera Antony; tu nous annonceras ça62.

Nous serons à Paris chez moi, rue Neuve-Saint-Marc, nº 1, dès demain. Ainsi, si tu veux venir prendre du thé avec nous le soir dans quelques jours, quand nous serons un peu casés, tu nous feras grand plaisir. Je t'écrirai un mot.

Adieu. Ton sincère et inaltérable ami.

XXI
A M. LE COMTE D'ORTIGUE, RÉDACTEUR DE LA QUOTIDIENNE, FORT CONNU DANS L'UNIVERS ET BEAUCOUP D'AUTRES LIEUX

31 mai 1834.

Mon pauvre ami, je suis bien désolé de te savoir malade. Je devais aller te voir avant-hier, mais j'ai été forcé de faire à Paris plusieurs courses imprévues qui m'ont dévoré mon temps. A la maison, je ne quitte pas la plume, soit pour ces gredins de journaux, soit pour finir ma symphonie, qui sera née et baptisée avant peu.

Je te croyais parti pour le pays des troundedious; d'autant plus parti que la domestique de Liszt m'avait dit que tu avais fait une visite, rue de Provence, annonçant ton départ pour le lendemain. Pourquoi ne voudrais-tu pas un jour dîner avec nous à la fortune du pot? (Je ne m'appelle pas De Chambre comme le fameux calembourgeois; ainsi sois tranquille.) Je tâcherai en tout cas de trouver un jour pour aller à Issy. Cependant Henriette me charge expressément de te dire qu'elle est encore au monde et que je ne pourrai ni dîner ni coucher chez toi.

Dieu t'ait en sa sainte et digne garde et te guérisse du mal d'yeux, sans être obligé de t'y faire une application de salive. Fais-tu quelque chose?

XXII
A M. HOFFMEISTER, ÉDITEUR DE MUSIQUE, A LEIPSIG

Paris, 8 mai 1836.

Monsieur,

Vous avez publié dernièrement une ouverture réduite, pour le piano à quatre mains, sous le titre d'Ouverture des Francs Juges, dont vous m'attribuez non-seulement la composition, mais aussi l'arrangement. Il est pénible pour moi, monsieur, d'être obligé de protester que je suis parfaitement étranger à cette publication, faite sans mon aveu et sans que j'en aie été seulement prévenu. L'arrangement de piano que vous venez de livrer à l'impression N'EST PAS DE MOI et je ne saurais davantage reconnaître mon ouvrage dans ce qui reste de l'ouverture. Votre arrangeur a coupé ma partition, l'a rognée, taillée et recousue de telle façon que je n'y vois plus en maint endroit qu'un monstre ridicule, dont je le prie de garder tout l'honneur pour lui seul. Si une semblable liberté avait été prise à mon égard par un Beethoven ou un Weber, je me serais soumis sans murmures à ce qui m'eût certes paru néanmoins une humiliation cruelle; mais ni Weber ni Beethoven ne me l'auraient jamais fait subir: si l'ouvrage est mauvais, ils ne se fussent pas donné la peine de le retoucher; s'il leur eût paru bon, ils en auraient respecté la forme, la pensée, les détails et jusqu'aux défauts. Et puis, les hommes de cette trempe n'étant pas plus communs en Allemagne qu'ailleurs, j'ai tout lieu de croire que mon ouverture n'est pas tombée entre les mains d'un musicien bien extraordinaire. La simple inspection de son travail en fournit une preuve évidente. Je ne parle pas du style de piano qu'il a substitué au style d'orchestre, et qu'on croirait souvent emprunté à des sonates faites pour des enfants de huit ans; je ne dirai rien non plus de l'inintelligence complète dont il fait preuve d'un bout à l'autre de l'ouvrage, soit en reproduisant de la façon la plus plate et la plus mesquine ce qui eût nécessité toutes les puissances du piano pour donner une idée approximative de l'effet d'orchestre, soit en prenant souvent l'idée accessoire pour l'idée principale, et vice versa; dans tout cela, il n'y a pas de la faute de l'arrangeur; je suis persuadé qu'il n'y a point mis de malice. Mais ce qui me paraît vraiment déplorable, c'est que vous ayez chargé un pareil chirurgien de me faire d'aussi graves amputations. On ne coupe pas un membre d'ordinaire sans en connaître l'importance générale, les fonctions spéciales, les rapports intimes et l'anatomie interne et externe. Il n'y a que le bourreau qui puisse couper le poing à un malheureux, sans tenir compte des articulations, des attaches musculaires, des filets nerveux et des vaisseaux sanguins; aussi le fait-il brutalement d'un coup de hache, et la tête du patient saute bientôt après. C'est le supplice des parricides. C'est celui, monsieur, que votre arrangeur m'a infligé. Il a fait disparaître non-seulement des passages entiers, mais des fragments de phrases dont la suppression rend l'ensemble incompréhensible ou absurde. Ainsi, dans la prière en ut mineur des flûtes et clarinettes, au milieu de l'allégro, l'arrangeur n'a pas vu que cette mélodie est un adagio écrit avec les signes de l'allégro dans lequel il est jeté; qu'une ronde y représente toujours une noire, trois rondes liées et soutenues une blanche pointée, et que par conséquent il faut quatre mesures du mouvement allégro pour former une seule mesure réelle du chant adagio. Trouvant donc cette prière trop longue, et sans tenir compte de l'action contrastante qui se passe en même temps dans le reste de l'orchestre, votre arrangeur l'a tronquée de telle sorte qu'il est impossible à présent d'y trouver aucune espèce de sens; il a enlevé des mesures isolées qui ne représentaient en réalité qu'un temps de la grande mesure du mouvement lent dans lequel la phrase se développe, et le rhythme, tombant à faux, amène nécessairement une conclusion aussi imprévue que stupide. C'est ce dont il ne s'est pas aperçu. Pour la coupure qui fait disparaître tout le grand crescendo de la péroraison, il est évident qu'elle détruit entièrement l'éclat de la rentrée du thème en fa majeur, qui ne reparaissait ni d'une façon aussi brusquement triviale, ni sans avoir passé par des transformations qui donnaient plus de force et de puissance au retour de l'idée primitive reproduite intégralement. Mais j'aurais trop à faire de suivre les traces des ciseaux ébréchés de mon censeur; je me bornerai à protester de nouveau que la seule ouverture des Francs Juges, arrangée à quatre mains, que je reconnaisse, est celle que viennent de publier M. Richault à Paris, et M. Schlesinger à Berlin; encore celle de M. Schlesinger, bien que gravée sur un manuscrit que je lui ai adressé moi-même, diffère-t-elle un peu de l'édition de Paris en quelques endroits, pour la manière dont les parties sont disposées dans les extrémités du clavier. Ces légères modifications m'ont été indiquées par plusieurs pianistes habiles, tels que MM. Chopin, Osborne, Schunke, Swinski, Benedict, Eberwein, qui ont bien voulu revoir les épreuves et me donner leurs conseils. Pour toute autre publication de la même nature sur cet ouvrage, qu'elle me soit attribuée ou non, je la désavoue formellement, et sur ce, je prie Dieu de pardonner aux arrangeurs comme je leur pardonne.

XXIII
A ROBERT SCHUMANN

Paris, 19 février 1837.

Je vous dois beaucoup, monsieur, pour l'intérêt que vous avez bien voulu prendre jusqu'ici à quelques-unes de mes compositions. J'apprends que l'ouverture des Francs Juges vient d'être par vos soins entendue à Leipzig, et que la supériorité de l'exécution n'a pas peu contribué au bienveillant accueil qu'elle a reçu du public. Veuillez être l'interprète de ma reconnaissance auprès de MM. les artistes. Leur patience à étudier ce morceau difficile a d'autant plus de prix à mes yeux, que je n'ai pas eu beaucoup à me louer jusqu'à présent de celle de plusieurs sociétés musicales qui ont voulu faire la même tentative. A part celles de Douai et de Dijon, les autres se sont découragées après une première répétition, et l'ouvrage, après avoir été lacéré de mille façons, a dû rentrer dans l'ombre des bibliothèques, comme digne de figurer tout au plus dans la collection des monstruosités. Il paraît même qu'une épreuve de ce genre a beaucoup diverti la Société philharmonique de Londres; quelques artistes parisiens que les virtuoses anglais n'avaient pas dédaigné de s'adjoindre à cette occasion, et qui connaissaient parfaitement mon ouvrage pour l'avoir exécuté à Paris, m'ont dit avoir franchement partagé l'hilarité britannique; seulement le sujet en était tout différent. Figurez-vous en effet les mouvements pressés du double dans l'adagio, et ralentis d'autant dans l'allégro, de manière à produire cet aplatissant mezzo termine insupportable à tout ce qui possède le moindre sentiment musical; imaginez des violons déchiffrant à première vue des traits encore assez difficiles, malgré le tempo confortabile qu'on avait donné à l'allégro, les trombones partant dix ou douze mesures trop tôt, le timbalier perdant la tête, dans le rhythme à trois temps, et vous aurez une idée de l'aimable charivari qui devait en résulter. Je ne conteste point l'habileté de MM. les philharmoniques d'Argyle-Room, Dieu m'en garde! je signale seulement l'étrange système d'après lequel on les dirige dans les répétitions. Certes, il nous est arrivé souvent ici de faire aussi de bien mauvaise musique au premier essai d'un nouveau morceau; mais, comme, à notre avis, personne n'a la science infuse, pas même les artistes anglais, et qu'il n'y a point de honte à étudier avec attention et courage ce qu'on n'est pas tenu de comprendre du premier coup, nous recommencions trois fois, quatre fois, dix fois s'il le fallait, et plusieurs jours de suite. De la sorte, nous arrivions à une exécution presque toujours correcte et quelquefois foudroyante. Ainsi avez-vous fait sans doute à Leipzig, et, je le répète, en l'absence de l'auteur intéressé à soutenir son ouvrage, une telle persévérance honore autant les exécutants qu'elle flatte le compositeur en le pénétrant de reconnaissance. Elle est si rare, cependant, que je me suis mille fois repenti d'avoir si étourdiment laissé publier l'ouverture dont il est ici question. Et, à ce sujet, je dois vous faire ma profession de foi en vous priant de la transmettre à l'éditeur, M. Hoffmeister; ce sera ma réponse aux offres qu'il a la bonté de me faire relativement à la publication de mes symphonies. L'an dernier, on m'écrivit à peu près en même temps de Vienne et de Milan, pour avoir un exemplaire manuscrit de ces deux ouvrages; non point dans le but de les graver, mais seulement de les faire entendre. Il y a quelques mois, une lettre semblable me fut adressée de la Nouvelle-Orléans. Les offres très-avantageuses qui accompagnaient ces demandes ne me séduisirent point; j'ai toujours refusé et toujours pour la même raison, la crainte d'être traduit à contre-sens par une exécution infidèle ou incomplète. Si le bonheur a voulu que l'ouverture des Francs Juges ait trouvé à Leipzig des interprètes aussi consciencieux qu'habiles et un patron tel que vous pour réchauffer leur zèle, vous venez de voir que, loin d'éprouver partout le même sort, celui qu'elle a subi en Angleterre a été assez brutal; et je dois ajouter que, cette ouverture étant le premier morceau de musique instrumentale que j'aie écrit de ma vie, les compositions qui lui ont succédé ont tout naturellement tendu à revêtir des formes plus larges, à s'assimiler plus de substance musicale, à s'étayer d'un plus grand nombre de points d'appui. Or, ce sont autant de chances de plus contre la facilité de l'exécution. Il faut un génie bien rare pour créer de ces choses que les artistes et le public saisissent de prime abord, et dont la simplicité est en raison directe de la masse, comme les pyramides de Djizeh. Malheureusement, je ne suis point de ceux-là; j'ai besoin de beaucoup de moyens pour produire quelque effet, et je craindrais de perdre à tout jamais l'estime des amis de l'art musical, si, par une publication prématurée, j'exposais mes symphonies, trop jeunes pour voyager sans moi, à être mutilées plus cruellement encore que ma vieille ouverture. Ce qui, à part deux ou trois villes hospitalières et artistes comme la vôtre, leur arriverait partout, n'en doutez pas.

Et puis, vous le dirai-je, je les aime, ces pauvres enfants, d'un amour paternel qui n'a rien de spartiate, et je préfère mille fois les savoir obscures, mais intactes, à les envoyer au loin chercher la gloire ou d'affreuses blessures et la mort.

Je n'ai jamais compris, je l'avoue, au risque de paraître ridicule, comment les peintres riches pouvaient, sans un déchirement d'entrailles, se séparer de leurs plus beaux ouvrages pour quelques écus, et les disséminer aux quatre coins du monde, ainsi que cela se pratique journellement. Cela m'a paru toujours ressembler beaucoup à la cupidité du célèbre anatomiste Ruisch, qui, à la mort de sa fille, jeune personne de seize ans, ayant trouvé le moyen, grâce aux ingénieux procédés d'injection dont il est l'inventeur, de rendre pour toujours à ce cadavre chéri l'aspect de la vie et de la santé, ne sut pas résister aux séductions de l'or d'un souverain, et lui abandonna, avec ce chef-d'œuvre d'un art alors nouveau, le corps de sa propre fille.

Les écrivains, poëtes et prosateurs, sont seuls dans le cas de pouvoir vendre leurs ouvrages sans courir trop de risques de les voir défigurer, comme les musiciens, ou sans les perdre à jamais de vue, comme les peintres ou statuaires. Encore les poëtes dramatiques sont-ils exposés, en imprimant leurs pièces, à les voir, malgré eux, représentées plus ou moins mal, devant un public plus ou moins incapable de les comprendre, coupées, rognées et sifflées. Byron, avec son Marino Faliero, en a fait la triste expérience. Non, il y a une joie intense pour le compositeur, à couver, pour ainsi dire, son œuvre, à la garantir le plus longtemps possible des orages que les mauvais orchestres, les mauvais chanteurs, les mauvais directeurs et les marchands de contredanses, font gronder autour d'elle; il y a pour lui un indicible bonheur à ne la montrer au grand jour qu'à de longs intervalles, lorsque des soins assidus ont donné à sa beauté tout son éclat, que l'air est pur, le temps doux et serein, et la société choisie.

Le nombre des compositions qu'on peut, sans les condamner à une obscurité absolue, arracher ainsi pendant longtemps aux dents de la presse, ce lion quaerens quem devoret, est malheureusement bien peu considérable; ne le restreignons pas encore.

Croyez-vous que Weber, quelque amoureux de la célébrité qu'on le suppose, sachant de quelle manière son Freyschütz allait être écartelé à Paris, n'eût pas rejeté avec indignation la gloire même qu'il lui était réservé d'acquérir parmi nous à ce prix? C'est faire injure à sa mémoire que d'en douter.

Mais il était hors de son pouvoir de s'y opposer: sans laisser graver sa partition, il en avait vendu des copies, et c'était assez pour que la tutelle lui en échappât pour jamais. – Je mets un terme à toutes mes comparaisons, que vous allez sans doute, monsieur, trouver bien ambitieuses, et j'ajoute simplement que le suffrage de l'Allemagne, cette patrie de la musique, est d'un trop haut prix à mes yeux et me sera, je le crains, trop difficile à obtenir si toutefois je l'obtiens, pour ne pas attendre le moment où je pourrai, moi-même, aller en pèlerin déposer à ses pieds ma modeste offrande. Alors, encore, aurai-je grand besoin du secours de votre amitié, comme aussi de votre talent si noble et si élevé, pour le faire accueillir.

Jusque-là, j'ose espérer qu'on ne verra dans ma réserve qu'une méfiance très-naturelle et déjà trop bien justifiée. Je me contenterai donc pour le présent, en prudent navigateur, de louvoyer sur nos côtes, sans courir au naufrage dans un voyage au long cours.

Tels sont mes motifs, et vous les apprécierez, je l'espère.

Je ne veux pas finir ma lettre sans vous dire quelles heures délicieuses j'ai passées dernièrement à lire vos admirables œuvres de piano; il m'a semblé qu'on n'avait rien exagéré en m'assurant qu'elles étaient la continuation logique de celles de Weber, Beethoven et Schubert. Liszt, qui me les avait ainsi désignées, m'en donnera incessamment une idée plus complète, me les fera connaître plus intimement, par son exécution incomparable. Il a le projet de faire entendre votre sonate intitulée Clara à l'une des magnifiques soirées où il rassemble autour de lui l'élite de notre public musical. Je pourrai alors vous parler avec plus d'assurance de l'ensemble et des détails de ces compositions essentiellement neuves et progressives.

60.Tout ce qui suit est relatif au mariage de Berlioz avec mademoiselle Henriette Smithson, qu'il épousa dans le courant de l'année 1833.
61.Ce projet n'a été exécuté que vingt-neuf ans plus tard Béatrice et Bénédict, opéra joué à Bade en 1862, est écrit sur la comédie de Shakspeare Much ado about nothing.
62.Cette représentation fut désastreuse: madame Dorval eut tout le succès, et l'infortunée Harriett Smithson put se convaincre que le public parisien ne s'intéressait plus à elle.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
25 haziran 2017
Hacim:
358 s. 14 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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