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Kitabı oku: «Voyage musical en Allemagne et en Italie, II», sayfa 7

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XIII
NAPLES

Naples!!! Ciel limpide et pur! soleil de fêtes! riche terre!

Tout le monde a décrit, et beaucoup mieux que je ne pourrais le faire, ce merveilleux jardin. Quel voyageur, en effet, n'a été frappé de la splendeur de son aspect général! Qui n'a admiré à midi la mer faisant la sieste, et les plis moëlleux de sa robe azurée et le bruit flatteur avec lequel elle l'agite doucement! Perdu à minuit dans le cratère du Vésuve, qui n'a senti un vague sentiment d'effroi aux sourds roulements de son tonnerre intérieur, aux cris de fureur qui s'échappent de sa bouche, à ces explosions, à ces myriades de roches fondantes, dirigées contre le ciel comme de brûlants blasphêmes, qui retombent ensuite, roulent sur le col de la montagne, et s'arrêtent pour former un ardent collier sur la vaste poitrine du volcan! Qui n'a parcouru tristement le squelette de cette désolée Pompéïa, et, spectateur unique, n'a attendu sur les gradins de l'amphithéâtre, la tragédie d'Euripide ou de Sophocle pour laquelle la scène semble encore préparée! Qui n'a accordé un peu d'indulgence aux mœurs des lazzaroni, ce charmant peuple d'enfants, si gai, si voleur, si spirituellement facétieux et si naïvement bon quelquefois!

Je me garderai donc d'aller sur les brisées de tant de descripteurs; mais je ne puis résister au plaisir de raconter ici une anecdote qui peint on ne peut mieux le caractère des pécheurs napolitains. Il s'agit d'un festin que des lazzaroni me donnèrent trois jours après mon arrivée, et d'un présent qu'ils me firent au dessert. C'était par un beau jour d'automne, avec une fraîche brise, une atmosphère claire, transparente, à faire croire qu'on pourrait de Naples, sans trop étendre le bras, cueillir des oranges à Caprée; je me promenais à la villa Reale; j'avais prié mes compagnons de voyage, nos camarades de l'Académie romaine, de me laisser errer seul ce jour-là. En passant près d'un petit pavillon que je ne remarquais point, un soldat en faction devant l'entrée me dit brusquement en français:

– Monsieur, levez votre chapeau!

– Pourquoi donc?

– Voyez!

Et me désignant du doigt une noble statue de marbre placée au centre du pavillon, je lus sur le socle ces deux mots qui me firent à l'instant faire le signe de respect que l'enthousiaste militaire me demandait: TORQUATO TASSO. Cela est bien! Cela est touchant!.. Mais j'en suis encore à me demander comment la sentinelle du poète avait deviné que j'étais Français et artiste, et que j'obéirais avec empressement à son injonction. Savant physionomiste! Je reviens à mes lazzaroni.

Je marchais donc nonchalamment au bord de la mer, en songeant, tout ému, au pauvre Tasso, dont j'avais, avec Mendelssohn, visité la modeste tombe à Rome, au couvent de Sant-Onofrio, quelques mois auparavant, philosophant à part moi sur le malheur des poètes qui sont poètes par le cœur, etc., etc. Tout d'un coup Tasso me fit penser à Cervantes, Cervantes à sa charmante pastorale Galathée, Galathée à une délicieuse figure qui brille à côté d'elle dans le roman et qui se nomme Nisida, Nisida à l'île de la baie de Pouzzoles qui porte ce joli nom; et je fus pris à l'improviste d'un désir irrésistible de visiter l'île de Nisida.

J'y cours; me voilà dans la grotte du Pausilippe; j'en sors toujours courant; j'arrive au rivage; je vois une barque, je veux la louer; je demande quatre rameurs, il en vient six; je leur offre un prix raisonnable, en leur faisant observer que je n'avais pas besoin de six hommes pour nager dans une coquille de noix jusqu'à Nisida. Ils insistent en souriant, et demandent à peu près trente francs pour une course qui en valait cinq tout au plus; j'étais de bonne humeur, deux jeunes garçons se tenaient à l'écart, sans rien dire, avec un air d'envie; j'éclatai de rire à l'insolente prétention de mes rameurs, et désignant les deux lazzaronetti:

– Eh bien! oui, allons, trente francs; mais venez tous les huit, et ramons vigoureusement.

Cris de joie, gambades des petits et des grands! Nous sautons dans la barque, et en quelques minutes nous arrivons à Nisida. Laissant mon navire à la garde de l'équipage, je monte dans l'île, je la parcours dans tous les sens, je veux tout voir, jardins, villas, prison, bois d'oliviers; assis sur un tertre, je regarde le soleil descendre derrière le cap Misène, poétisé par l'auteur de l'Énéide, pendant que la mer, qui ne se souvient ni de Virgile, ni d'Énée, ni d'Ascagne, ni de Misène, ni de Palinure, chante gaîment dans le mode majeur mille accords scintillants… Je serais resté là jusqu'au lendemain, je crois, si un de mes matelots, délégué par le capitaine, ne fût venu me héler et m'avertir que le vent fraîchissait, et que nous aurions de la peine à regagner la terre ferme si nous tardions encore à lever l'ancre, à déraper. Je me rends à ce prudent avis. Je descends; chacun reprend sa place sur le navire; le capitaine, digne émule du héros troyen:

Eripit ensem

Fulmineum (ouvre son grand couteau) strictoque ferit retinacula ferro (et coupe vivement la ficelle);

Idem omnes simul ardor habet; rapiuntque, ruuntque;

Littora deseruêre; latet sub classibus æquor;

Adnixi torquent spumas, et coerula verrunt.

(Tous pleins d'ardeur et d'un peu de crainte, nous nous précipitons, nous fuyons le rivage; nos rames font voler des flocons d'écume, la mer disparaît sous notre… canot.)

Cependant il y avait vraiment du danger, la coquille de noix frétillait d'une singulière façon à travers les crêtes blanches de vagues disproportionnées; mes gaillards ne riaient plus et commençaient à chercher leurs chapelets. Tout cela me paraissait d'un ridicule atroce, et je me disais: «A propos de quoi vais-je me noyer? A propos d'un soldat lettré qui admire Tasso; pour moins encore, pour un chapeau; car, si j'eusse marché tête nue, le soldat ne m'eût pas interpellé; je n'aurais pas songé au chantre d'Armide, ni à l'auteur de Galathée, ni à Nisida: Je n'aurais pas fait cette sotte excursion insulaire, et je serais tranquillement assis à Saint-Charles en ce moment, à écouter la Brambilla et Tamburini!» Ces réflexions et les mouvements de la nef en perdition me faisaient grand mal au cœur, je l'avoue. Pourtant le dieu des mers, trouvant la plaisanterie suffisante comme cela, nous permit de gagner la terre, et les matelots, jusque-là muets comme des poissons, recommencèrent à crier comme des geais. Leur joie même fut si grande, qu'en recevant les trente francs que j'avais consenti à me laisser escroquer, ils eurent un remords et me prièrent avec une véritable bonhomie, de venir dîner avec eux. J'acceptai; ils me conduisirent assez loin de là, au milieu d'un bois de peupliers, sur la route de Pouzzoles, en un lieu fort solitaire, et je commençais à calomnier leur candide intention (pauvres lazzaroni!), quand nous arrivâmes vers une chaumière à eux bien connue, où mes amphitryons se hâtèrent de donner des ordres pour le festin.

Bientôt apparut un petit monticule de fumants macaroni; ils m'invitèrent à y plonger la main droite à leur exemple; un grand pot de vin de Pausilippe fut placé sur la table, et chacun de nous y buvait à son tour, après, toutefois, un vieillard édenté, le seul de la bande, qui devait boire le premier avant moi; le respect pour l'âge l'emportant chez ces braves enfants, même sur la courtoisie qu'ils reconnaissaient devoir à leur hôte. Le vieux, après avoir bu déraisonnablement, commença à parler politique et à s'attendrir beaucoup au souvenir du roi Joachim, qu'il portait dans son cœur; les jeunes lazzaroni, pour le distraire et me procurer un divertissement, lui demandèrent avec instances le récit d'un long et pénible voyage de mer qu'il avait fait autrefois et dont l'histoire était célèbre.

Là-dessus le vieux lazzarone raconta, au grand ébahissement de son auditoire, comment embarqué à vingt ans sur un speronare, il avait demeuré en mer trois jours et deux nuits, et comme quoi, toujours poussé vers de nouveaux rivages, il avait enfin été jeté dans une île lointaine, où l'on prétend que Napoléon depuis lors a été exilé, et que les indigènes appellent Isola d'Elba. Je manifestai une grande émotion à cet incroyable récit, en félicitant de tout mon cœur le brave marin d'avoir échappé à des dangers aussi formidables. De là profonde sympathie des lazzaroni pour Mon Excellence; la reconnaissance les exalte, on se parle à l'oreille, on va, on vient dans la chaumière avec un air de mystère; je vois qu'il s'agit des préparatifs de quelque surprise flatteuse qui m'est destinée. En effet, au moment où je me levais pour prendre congé de la société, le plus grand des jeunes lazzaroni m'aborde d'un air embarrassé, et me prie, au nom de ses camarades et pour l'amour d'eux, d'accepter un souvenir, un présent, le plus magnifique qu'ils pouvaient m'offrir, et capable de faire pleurer l'homme le moins sensible. C'était un oignon monstrueux, une énorme ciboule, que je reçus avec une modestie et un sérieux dignes de la circonstance, et que j'emportai jusqu'au sommet du Pausilippe, après mille adieux, serremens de mains et protestations d'une amitié inaltérable.

Je venais de quitter ces bonnes gens et cheminais péniblement, à cause d'un coup que je m'étais donné au pied droit en descendant de Nisida; il faisait presque nuit. Une belle calèche passe sur la route de Naples. L'idée peu fashionable me vient de sauter sur la banquette de derrière, libre par l'absence du valet de pied, et de parvenir ainsi sans fatigue jusqu'à la ville. Mais j'avais compté sans la jolie petite parisienne emmousselinée qui trônait à l'intérieur et qui, de sa voix aigre-douce appelant vivement le cocher: «Louis, il y a quelqu'un derrière!» me fit administrer à travers la figure un ample coup de fouet. Ce fut le présent de ma gracieuse compatriote. J'aime mieux la ciboule. O poupée française! si Crispino seulement s'était trouvé là, nous t'aurions fait passer un singulier quart-d'heure!

Je revins donc clopin-clopant, en songeant aux charmes de la vie de brigand, qui malgré ses fatigues, serait vraiment aujourd'hui la seule digne d'un honnête homme, si dans la moindre bande ne se trouvaient toujours tant de misérables stupides et puants!

J'allai oublier mon chagrin et me reposer à Saint-Charles. Et là, pour la première fois depuis mon arrivée en Italie, j'entendis de la musique. L'orchestre comparé à ceux que j'avais observés jusqu'alors, me parut excellent. Les instruments à vent peuvent être écoutés en sécurité, on n'a rien à craindre de leur part; les violons sont assez habiles, et les violoncelles chantent bien, mais ils sont en trop petit nombre. Le système généralement adopté en Italie, de mettre toujours moins de violoncelles que de contre-basses, ne peut être justifié que par le genre de musique, sans basses dessinées, que les orchestres italiens exécutent habituellement. Je reprocherais bien aussi au maestro di capella le bruit souverainement désagréable de son archet dont il frappe un peu rudement son pupitre; mais on m'a assuré que sans cela, les musiciens qu'il dirige, seraient quelquefois embarrassés pour suivre la mesure… A cela il n'y a rien à répondre; car enfin, dans un pays où la musique instrumentale est à peu près inconnue, on ne doit pas exiger des orchestres comme ceux de Berlin, de Brunswick ou de Paris. Les choristes sont d'une faiblesse extrême; je tiens d'un compositeur qui a écrit pour le théâtre Saint-Charles, qu'il est fort difficile, pour ne pas dire impossible, d'obtenir une bonne exécution des chœurs écrits à quatre parties. Les soprani ont beaucoup de peine à marcher isolés des ténors, et on est pour ainsi dire obligé de les leur faire continuellement doubler à l'octave.

Au Fondo on joue l'opéra buffa avec une verve, un feu, un brio, qui lui assurent une supériorité incontestable sur la plupart des théâtres d'opéra-comique. On y représentait pendant mon séjour une farce très-amusante de Donizetti, les Convenances et les Inconvenances du théâtre.

On pense bien néanmoins que l'attrait musical des théâtres de Naples ne pouvait lutter avec avantage contre celui que m'offrait l'exploration des environs de la ville, et que je me trouvais plus souvent dehors que dedans.

Déjeunant un matin à Castellamare avec Munier, le peintre de marine que nous avions surnommé Neptune: «Que faisons-nous? me dit-il en jetant sa serviette, Naples m'ennuie, n'y retournons pas.

– «Allons en Sicile.

– «C'est cela, allons en Sicile; laissez-moi seulement finir une étude que j'ai commencée, et à cinq heures nous irons retenir notre place sur le bateau à vapeur.

– «Volontiers, quelle est notre fortune?»

Notre bourse visitée, il se trouva que nous avions bien assez pour aller jusqu'à Palerme, mais que, pour en revenir, il eût fallu, comme disent les moines, compter sur la Providence; et, en Français totalement dépourvus de la vertu qui transporte des montagnes, jugeant qu'il ne fallait pas tenter Dieu, nous nous séparâmes, lui pour aller portraire la mer, moi pour retourner pédestrement à Rome.

Ce projet était arrêté dans ma tête depuis quelques jours. Rentré à Naples le même soir, après avoir dit adieu à Dufeu et à Dantan, le hasard me fit rencontrer deux officiers suédois de ma connaissance, qui me firent part de leur intention de se rendre à Rome à pied.

– «Parbleu, leur dis-je, je pars demain pour Subiaco; je veux y aller en droite ligne, à travers les montagnes, franchissant rocs et torrents comme le chasseur de chamois; nous devrions faire le trajet ensemble.»

Malgré l'extravagance d'une pareille idée, ces messieurs l'adoptèrent. Nos effets furent aussitôt expédiés par un vetturino; nous convînmes de nous diriger sur Subiaco à vol d'oiseau, et, après nous y être reposés un jour, de retourner à Rome par la grande route. Ainsi fut fait. Nous avions endossé tous les trois le costume obligé de toile grise; M. B*** portait son album et ses crayons; deux cannes étaient toutes nos armes.

On vendangeait alors. D'excellens raisins (qui n'approchent pourtant pas de ceux du Vésuve) firent à peu près toute notre nourriture pendant la première journée; les paysans n'acceptaient pas toujours notre argent, et nous nous abstenions quelquefois de nous enquérir des propriétaires. L'un d'eux cependant nous entendit abattant des poires à coups de pierres dans son champ. J'avais franchi la haie pour les ramasser, et j'étais fort tranquillement occupé à en remplir mon chapeau, quand je vis accourir mon homme criant au voleur. Impossible de refranchir la clôture, chargé de butin comme je l'étais; un excès d'effronterie me tira d'affaire. Au moment où le maître des poires s'apprêtait à me traiter selon mes mérites:

«Comment, s… canaille! lui dis-je d'un air furieux, il y a une demi-heure que nous vous appelons pour vous acheter des fruits, et vous ne répondez pas?.. Croyez-vous donc que nous ayons le temps de vous attendre? Tenez, voilà six grains20 pour vos poires qui ne valent pas le diable, et tachez une autre fois de ne pas vous moquer ainsi des voyageurs, ou pardieu il vous arrivera malheur.»

Là-dessus un de mes compagnons de maraude étouffant de rire me tend la main pour m'aider à sortir du champ, et nous laissons notre homme immobile d'étonnement, la bouche ouverte, regardant d'un air stupide la monnaie de cuivre que je lui laissais, et se consultant pour savoir s'il nous ferait des excuses… Le soir, à Capoue, nous trouvâmes bon souper, bon gîte et… un improvisateur.

Ce brave homme, après quelques préludes brillants sur sa grande mandoline, s'informa de quelle nation nous étions.

– «Français répondit M. Kl…rn.»

J'avais entendu un mois auparavant les improvisations du Tyrtée campanien; il avait fait la même question à mes compagnons de voyage, qui répondirent:

– «Polonais.»

A quoi, plein d'enthousiasme, il avait répliqué:

– «J'ai parcouru le monde entier, l'Italie, l'Espagne, la France, l'Allemagne, l'Angleterre, la Pologne, la Russie; mais les plus braves, sont les Polonais, sont les Polonais.»

Voici la cantate qu'il adressa, en musique également improvisée, et sans la moindre hésitation, aux trois prétendus Français:


[Ho gi-ra-to per tutto il mun-do, Ho gi-ra-to per tutto il mun-do, Per l'I-ta-lia, per l'His-pa-nia, Per la Francia, per la Ger-ma-nia, Per l'Inghil-ter-ra; Ma gli più bra-vi, Ma gli piùbel-li, Sono i Fran-ce-si, Sono i Fran-ce-si.]


On conçoit combien je dus être flatté, et quelle fut la mortification des deux Suédois.

Avant de nous engager tout-à-fait dans les Abbruzzes, nous nous arrêtâmes une journée à San-Germano pour visiter le fameux couvent du Monte-Cassino.

Ce monastère de bénédictins, situé comme celui de Subiaco, sur une montagne, est loin de lui ressembler sous aucun rapport. Au lieu de cette simplicité naïve et originale qui charme à San-Benedetto, vous trouvez ici le luxe et les proportions d'un palais. L'imagination recule devant l'énormité des sommes qu'ont coûtées tous les objets précieux rassemblés dans la seule église. Il y a un orgue avec de petits anges fort ridicules, jouant de la trompette et des cymbales quand l'instrument est mis en action. Le parvis est des marbres les plus rares, et les amateurs peuvent admirer dans le chœur des stalles en bois, sculptées avec un art infini, représentant différentes scènes de la vie monacale.

Une marche forcée nous fit parvenir en un jour de San-Germano à Isola di Sora, village situé sur la frontière du royaume de Naples et remarquable par une petite rivière qui forme une assez belle cascade après avoir mis en jeu plusieurs établissements industriels. Une mystification d'un singulier genre nous y attendait. M. Kl…rn et moi avions les pieds en sang, et tous les trois furieux de soif, harassés, couverts d'une poussière brûlante, notre premier mot, en entrant dans la ville fut pour demander la locanda (auberge).

«E locanda… non ce n'è.», nous répondaient les paysans avec un air de pitié railleuse. «Ma peró per la notte dove si va?

– E… chi lo sa?..»

Nous demandons à passer la nuit dans une mauvaise remise; il n'y avait pas un brin de paille, et d'ailleurs le propriétaire s'y refusait. On n'a pas d'idée de notre impatience, augmentée encore par le sang-froid et les ricanements de ces manants. Se trouver dans un petit bourg commerçant comme celui-là, obligés de coucher dans la rue, faute d'une auberge ou d'une maison hospitalière… c'eût été fort, mais c'est pourtant ce qui nous serait arrivé indubitablement, sans un souvenir qui me frappa très à propos.

J'avais déjà passé, de jour, une fois à Isola di Sora; je me rappelai heureusement le nom de M. Courrier, Français, propriétaire d'une papeterie. On nous montre son frère dans un groupe; je lui expose notre embarras, et après un instant de réflexion, il me répond tranquillement en français, je pourrais même dire en dauphinois, car l'accent en fait presque un idiome:

«Pardi! on vous couchera ben.

Ah! nous sommes sauvés!

M. Courrier est Dauphinois, je suis Dauphinois, et entre Dauphinois, comme dit Charlet, l'affaire peut s'arranger. En effet, le papetier qui me reconnut, exerça à notre égard la plus franche hospitalité. Après un souper très confortable, un lit monstre, comme je n'en ai vu qu'en Italie, nous reçut tous les trois; nous y reposâmes fort à l'aise, en réfléchissant qu'il serait bon pour le reste de notre voyage de connaître les villages qui ne sont pas sans locanda, pour ne pas courir une seconde fois le danger auquel nous venions d'échapper. Notre hôte nous tranquillisa un peu le lendemain, par l'assurance qu'en deux jours de marche nous pourrions arriver à Subiaco; il n'y avait donc plus qu'une nuit chanceuse à passer. Un petit garçon nous guida à travers les vignes et les bois pendant une heure, après quoi, sur quelques indications assez vagues qu'il nous donna, nous poursuivîmes seuls notre route.

Veroli est un grand village qui de loin a l'air d'une ville et couvre le sommet d'une montagne. Nous y trouvâmes un mauvais dîner de pain et de jambon cru, à l'aide duquel nous parvînmes avant la nuit à un autre rocher habité, plus âpre et plus sauvage: c'était Alatri. A peine parvenus à l'entrée de la rue principale, un groupe de femmes et d'enfants se forma derrière nous et nous suivit jusqu'à la place avec toutes les marques de la plus vive curiosité. On nous indiqua une maison, ou plutôt un chenil, qu'un vieil écriteau désignait comme la locanda; malgré tout notre dégoût ce fut là qu'il fallut passer la nuit. Dieu! quelle nuit! elle ne fut pas employée à dormir, je puis l'assurer; les insectes de toute espèce, qui foisonnaient dans nos draps rendirent tout repos impossible. Pour mon compte ces myriades me tourmentèrent si cruellement que je fus pris au matin d'un violent accès de fièvre.

Que faire?.. Ces messieurs ne voulaient pas me laisser à Alatri… Il fallait arriver au plus tôt à Subiaco… Séjourner dans cette bicoque était une triste perspective… Cependant, je tremblais tellement qu'on ne savait comment me réchauffer et que je ne me croyais guère capable de faire un pas. Mes compagnons d'infortune, pendant que je grelottais, se consultaient en langue suédoise, mais leur physionomie exprimait trop bien l'embarras extrême que je leur causais pour qu'il fût possible de s'y méprendre. Un effort de ma part était indispensable; je le fis, et après deux heures de marche au pas de course, la fièvre avait disparu.

Avant de quitter Alatri, un conseil des géographes du pays fut tenu sur la place pour nous indiquer notre route. Bien des opinions émises et débattues, celle qui nous dirigeait sur Subiaco par Arcino et Anticoli ayant prévalu nous l'adoptâmes. Cette journée fut la plus pénible que nous eussions encore faite depuis le commencement du voyage. Il n'y avait plus de chemins frayés; nous suivions des lits de torrens, enjambant à grand'peine les quartiers de rochers dont ils sont à chaque instant encombrés.

Plusieurs fois nous nous sommes égarés dans ce labyrinthe, il fallait alors gravir de nouveau la colline que nous venions de descendre, ou, du fond d'un ravin, crier à quelque paysan:

«Ohé!!! la strada d'Anticoli?..»

A quoi il répondait pour l'ordinaire par un éclat de rire ou par:

«Via! Via!» ce qui nous rassurait beaucoup, comme on peut le penser. Nous y parvînmes cependant; je me rappelle même avoir trouvé à Anticoli, grande abondance d'œufs, de jambon et d'épis de maïs, que nous fîmes rôtir à l'exemple des pauvres habitans de ces terres stériles et dont la saveur sauvage n'est pas désagréable. Le chirurgien d'Anticoli, gros homme rouge qui avait l'air d'un boucher, vint nous honorer de ses questions sur la garde nationale de Paris et nous offrir de lui acheter un livre imprimé

D'immenses pâturages restaient à traverser avant la nuit: un guide fut indispensable. Celui que nous prîmes ne paraissait pas très sûr de la route, il hésitait souvent; un vieux berger, assis au bord d'un étang, et qui n'avait peut-être pas entendu de voix humaine depuis un mois, n'étant point prévenu de notre approche par le bruit de nos pas, que le gazon touffu rendait imperceptible, faillit tomber à l'eau quand nous lui demandâmes brusquement la direction d'Arcinasso, joli village (au dire de notre guide) où nous devions trouver toutes sortes de rafraîchissements.

Il se remit pourtant un peu de sa terreur, grâce à quelques baïochi qui lui prouvèrent nos dispositions amicales; mais il fut presque impossible de comprendre sa réponse, qu'une voix gutturale plus semblable à un gloussement qu'à un langage humain, rendait inintelligible.

Le joli village d'Arcinasso n'est qu'une osteria (cabaret) au milieu de ces vastes et silencieuses steppes; une vieille femme y vendait du vin et de l'eau fraîche dont nous avions grand besoin. L'album de M. B…t ayant excité son attention, nous lui dîmes que c'était une bible; là-dessus, se levant pleine de joie, elle examina chaque dessin l'un après l'autre, et, après avoir embrassé cordialement M. B…t, nous donna à tous les trois sa bénédiction.

Rien ne peut donner une idée du silence qui règne dans ces interminables prairies. Nous n'y trouvâmes d'autres habitants que le vieux berger avec son troupeau et un corbeau qui se promenait plein d'une gravité triste… A notre approche il prit son vol vers le Nord… Je le suivis longtemps des yeux… puis… des rêves sans fin… Mais il s'agissait bien de rêver et de bailler aux corbeaux, il fallait absolument arriver cette nuit même à Subiaco. Le guide d'Anticoli était reparti, l'obscurité approchait rapidement; nous marchions depuis trois heures, silencieux comme des spectres, quand un buisson, sur lequel j'avais tué une grive sept mois auparavant, me fit reconnaître notre position.

«Allons, Messieurs, dis-je aux deux Suédois, encore un effort! je me retrouve en pays de connaissance, dans deux heures nous serons arrivés.»

Effectivement, quarante minutes étaient à peine écoulées quand nous aperçumes, à une grande profondeur sous nos pieds, briller des lumières: c'était Subiaco. J'y trouvai Gibert… éveillé!! il me prêta du linge dont j'avais grand besoin. Je comptais aller me reposer, mais bientôt les cris: Oh! Signor Sidoro!21 ecco questo signore Francese che suona la chitarra22!» Et Flacheron d'accourir, avec la belle Mariucia23 le tambour de basque à la main, et bon gré mal gré, il fallut danser le saltarello jusqu'à minuit.

C'est en quittant Subiaco, deux jours après que j'eus la spirituelle idée de l'expérience qu'on va lire.

MM. Bennet et Klinksporn, mes deux compagnons suédois, marchaient très vite, et leur allure me fatiguait beaucoup. Ne pouvant obtenir d'eux de s'arrêter de temps en temps ni de ralentir le pas, je pris le parti de les laisser prendre les devants et de m'étendre tranquillement à l'ombre, quitte à faire ensuite comme le lièvre de la fable, pour les rattraper. Ils étaient déjà fort loin quand je me demandai en me relevant: serais-je capable de courir, sans m'arrêter, d'ici à Tivoli? (c'était bien un trajet de huit lieues) Essayons! Et me voilà courant comme s'il se fût agi d'atteindre une maîtresse enlevée. Je revois les Suédois, je les dépasse; je traverse un village, deux villages, poursuivi par les aboiements de tous les chiens, faisant fuir en grognant les porcs pleins d'épouvante, mais suivi du regard bienveillant des habitants persuadés que je venais de faire un malheur24.

Bientôt une douleur vive dans l'articulation du genou vint me rendre impossible la flexion de la jambe droite. Il fallut la laisser pendre et la traîner en sautant sur la gauche. C'était diabolique, mais je tins bon, et je parvins à Tivoli sans avoir interrompu un instant cette course absurde. J'aurais mérité de mourir en arrivant d'une rupture du cœur. Il n'en résulta rien. Il faut croire que j'ai le cœur dur.

Quand les deux officiers suédois parvinrent à Tivoli, une heure après moi, ils me trouvèrent endormi; me voyant ensuite, au réveil, parfaitement sain de corps et d'esprit (et je leur pardonne bien sincèrement d'avoir eu des doutes à cet égard), ils me prièrent d'être leur cicerone dans l'examen qu'ils avaient à faire des curiosités locales. En conséquence nous allâmes visiter le joli petit temple de Vesta, qui a plutôt l'air d'un temple de l'Amour; la grande cascade, les Cascatelles, la grotte de Neptune; il fallut admirer l'immense stalactite de cent pieds de haut, sous laquelle gît enfouie la maison d'Horace, sa célèbre villa de Tibur; je laissai ces messieurs se reposer une heure sous les oliviers qui croissent au-dessus de la demeure du poète, pour gravir seul la montagne voisine et couper à son sommet un jeune myrthe. A cet égard, je suis comme les chèvres; impossible de résister à mon humeur grimpante, auprès d'un monticule verdoyant. Puis, comme nous descendions dans la plaine, on voulut bien nous ouvrir la villa Mecena; nous parcourûmes son grand salon voûté, que traverse maintenant un bras de l'Anio, donnant la vie à un atelier de forgerons, où retentit, sur d'énormes enclumes, le bruit cadencé de marteaux monstrueux. Cette même salle résonna jadis des strophes épicuriennes d'Horace, entendit s'élever dans sa douce gravité, la voix mélancolique de Virgile, récitant, après les festins présidés par le ministre d'Auguste, quelque fragment magnifique de ses poèmes des champs:

 
Hactenus arvorum cultus et sidera cæli:
Nunc te, Bacche, canam, nec non silvestria tecum
Virgulta, et prolem tarde crescentis olivæ.
 

Plus bas, nous examinâmes en passant la villa d'Este, dont le nom rappelle celui de la princesse Eleonora, célèbre par Tasso et l'amour douloureux qu'elle lui inspira.

Au-dessous, à l'entrée de la plaine, je guidai ces messieurs dans le labyrinthe de la villa Adriana; nous visitâmes ce qui reste de ses vastes jardins; le vallon dont une fantaisie toute puissante voulut créer une copie en miniature de la fameuse vallée de Tempé; la salle des gardes, où veillent à cette heure des essaims d'oiseaux de proie; et enfin l'emplacement où s'éleva le théâtre privé de l'empereur, et qu'une plantation de choux, le plus ignoble des légumes, occupe maintenant.

Comme le temps et la mort doivent rire de ces bizarres transformations!

Me voilà rentré à la caserne académique! Recrudescence d'ennui. Une sorte d'influenza plus ou moins contagieuse désole la ville; on meurt très bien, par centaine, par milliers. Couvert, au grand divertissement des polissons romains, d'une sorte de manteau à capuchon dans le genre de celui que les peintres donnent à Pétrarque, j'accompagne les charretées de morts à l'église Transteverine dont le large caveau les reçoit béant. On lève une pierre de la cour intérieure, et les cadavres suspendus à un crochet de fer sont mollement déposés sur les dalles de ce palais de la putréfaction. Quelques crânes seulement ayant été ouverts par les médecins curieux de savoir pourquoi les malades n'avaient pas voulu guérir, et les cerveaux s'étant répandus dans le char funèbre, l'homme qui remplace à Rome le fossoyeur des autres nations, prend alors avec une truelle ces débris de l'organe pensant et les lance fort dextrement au fond du gouffre. Le Gravedigger de Shakespeare, ce maçon de l'éternité qui prétendait bâtir si solidement, n'avait pourtant pas songé à se servir de la truelle ni à mettre en œuvre ce mortier humain.

20.Grani, monnaie napolitaine.
21.Isidore Flacheron.
22.Faute de pouvoir prononcer mon nom, les Subiacois me désignaient toujours de la sorte.
23.Aujourd'hui madame Flacheron.
24.Assassiner quelqu'un.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
25 haziran 2017
Hacim:
244 s. 7 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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