Sadece LitRes`te okuyun

Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.

Kitabı oku: «Voyage musical en Allemagne et en Italie, II», sayfa 14

Yazı tipi:

LE TÉNOR AU ZÉNITH

Il a cent mille francs d'appointements et un mois de congé. Après son premier rôle, qui lui valut un éclatant succès, le Ténor en essaie quelques autres avec des fortunes diverses. Il en accepte même de nouveaux, qu'il abandonne après trois ou quatre représentations s'il n'y excelle pas autant que dans les rôles anciens. Il peut briser ainsi la carrière d'un compositeur, anéantir un chef-d'œuvre, ruiner un éditeur et faire un tort énorme au théâtre. Ces considérations n'existent pas pour lui. Il ne voit dans l'art que de l'or et des couronnes; et le moyen le plus propre à les obtenir promptement, est pour lui le seul qu'il faille employer.

Il a remarqué que certaines formules mélodiques, certaines vocalisations, certains ornements, certains éclats de voix, certaines terminaisons banales, certains rhythmes ignobles, avaient la propriété d'exciter instantanément des applaudissements tels quels, cette raison lui semble plus que suffisante pour en désirer l'emploi, pour l'exiger même dans ses rôles, en dépit de tout respect pour l'expression, la pensée et la dignité du style, et pour se montrer hostile, aux productions d'une nature plus indépendante et plus élevée. Il connait l'effet des vieux moyens qu'il emploie habituellement, il ignore celui des moyens nouveaux qu'on lui propose, et ne se considérant point comme un interprète désintéressé dans la question, dans le doute, il s'abstient autant qu'il est en lui. Déjà la faiblesse de quelques compositeurs en donnant satisfaction à ses exigences, lui fait rêver l'introduction dans nos théâtres, des mœurs musicales de l'Italie. Vainement on lui dit:

«Le maître, c'est le Maître; ce nom n'a pas injustement été donné au compositeur; c'est sa pensée qui doit agir entière et libre sur l'auditeur, par l'intermédiaire du chanteur; c'est lui qui dispense la lumière et projette les ombres; c'est lui qui est le roi et répond de ses actes; il propose et dispose; ses ministres ne doivent avoir d'autre but, ambitionner d'autres mérites que ceux de bien concevoir ses plans, et, en se plaçant exactement à son point de vue, d'en assurer la réalisation.»

Il n'écoute rien; il lui faut des vociférations en style de tambour-major traînant depuis dix ans sur tous les théâtres Ultramontains; des thêmes communs, entrecoupés de repos, pendant lesquels il peut s'écouter applaudir, s'essuyer le front, rajuster ses cheveux, tousser, avaler une pastille de sucre d'orge. Ou bien, il exige de folles vocalises, mêlées d'accents de menace, de fureur, de gaîté, de tendresse, de notes basses, de sons aigus, de gazouillements de colibri, de cris de pintade, de fusées, d'arpéges, de trilles. Quels que soient le sens des paroles, le caractère du personnage, la situation, il se permet de presser ou de ralentir le mouvement, d'ajouter des gammes dans tous les sens, des broderies de toutes les espèces; rien ne le choque, tout va; une absurdité de plus ou de moins serait-elle remarquée en si belle compagnie! L'orchestre ne dit rien ou ne dit que ce qu'il veut; le Ténor domine, écrase tout; il parcourt le théâtre d'un air triomphant; son panache étincelle de joie sur sa tête superbe; c'est un roi, c'est un héros, c'est un demi-dieu, c'est un dieu! Seulement on ne sait quel est son sexe: on ne peut découvrir s'il pleure ou s'il rit, s'il est amoureux ou furieux; il n'y a plus de musique, plus de drame, plus de mélodie, plus d'expression, plus de sens commun: il y a émission de voix, et c'est là l'important; voilà la grande affaire; il va au théâtre courre le public, comme on va au bois courre le cerf. Allons donc! ferme! donnons de la voix! Tayaut! tayaut! faisons curée de l'art.

Bientôt l'exemple de cette fortune vocale rend l'exploitation du théâtre impossible; il éveille et entretient chez toutes les médiocrités chantantes des espérances et des ambitions folles. «Le premier Ténor a cent mille francs, pourquoi, dit le second, n'en aurais-je pas quatre-vingt dix? – Et moi, cinquante, réplique le troisième?»

Le directeur, pour alimenter ces orgueils béants, pour combler ces abîmes, a beau rogner sur les masses, déconsidérer et détruire l'orchestre et les chœurs, en donnant aux artistes qui les composent des appointement de portiers; peines perdues, sacrifices inutiles; et un jour que voulant se rendre un compte exact de sa situation, il essaie de comparer l'énormité du salaire, avec la tâche du chanteur, il arrive en frémissant à ce curieux résultat:

Le premier Ténor, aux appointements de 100,000 fr., jouant à peu près sept fois par mois, figure en conséquence dans quatre-vingt-quatre représentations par an, et touche un peu plus de 1100 fr. par soirée. Maintenant, en supposant un rôle composé de onze cents notes ou syllabes, ce sera 1 fr. par syllabe.

Ainsi, dans Guillaume Tell:

Ma (1 f.) présence (3 f.) pour vous est peut-être un outrage (9 f.)
Mathilde (3 fr.) mes pas indiscrets (cent sous)
Ont osé jusqu'à vous se frayer un passage! (13 fr.)

Total, 34 fr. – Vous parlez d'or, monseigneur!

Étant donnée une prima donna aux misérables appointements de 40,000 fr., la réponse de Mathilde revient nécessairement à meilleur compte (style du commerce), chacune de ses syllabes n'allant que dans les prix de huit sous; mais c'est encore assez joli:

«On pardonne aisément (2 fr. 40 c.) des torts (16 s.) que l'on partage (2 fr.)
Arnold (16 s.) je (8 s.) vous attendais. (32 s.)

Total 8 fr.

Puis il paie, il paie encore, il paie toujours, il paie tant, qu'un beau jour il ne paie plus, et se voit forcé de fermer son théâtre. Comme ses confrères ne sont pas dans une situation beaucoup plus florissante, quelques-uns des immortels doivent alors se résigner à donner des leçons de solfége (ceux qui le savent), ou à chanter sur les places publiques avec une guitare, quatre bouts de chandelles et un tapis vert.

LE SOLEIL SE COUCHE

Ciel orageux

Le Ténor s'en va; sa voix ne peut plus ni monter ni descendre. Il doit décapiter toutes les phrases hautes et ne plus chanter que dans le médium. Il fait un ravage affreux dans les anciennes partitions, et impose une insupportable monotonie pour condition d'existence aux nouvelles. Il désole ses admirateurs.

Les compositeurs, les poètes, les peintres, qui ont perdu le sentiment du beau et du vrai, que le vulgarisme ne choque plus, qui n'ont plus même la force de pourchasser les idées qui les fuient, qui se complaisent seulement à tendre des piéges sous les pas de leurs rivaux dont la vie est active et florissante, ceux-là sont morts et bien morts. Pourtant ils croient, toujours vivre, une heureuse illusion les soutient, ils prennent l'épuisement pour de la fatigue, l'impuissance pour de la modération; mais la perte d'un organe! qui pourrait s'abuser sur un tel malheur? quand cette perte surtout détruit une voix merveilleuse par son étendue, sa force, la beauté de ses accents, les nuances infinies de son timbre, son expression dramatique et sa parfaite pureté? Ah! je me suis senti quelquefois ému d'une profonde pitié pour ces pauvres chanteurs, et plein d'une grande indulgence pour les caprices, les vanités, les exigences, les ambitions démesurées, les prétentions exorbitantes et les ridicules infinis de quelques-uns d'entre eux. Ils ne vivent qu'un jour et meurent tout entiers. C'est à peine si le nom des plus célèbres surnage, et encore c'est à l'illustration des maîtres dont ils furent les interprètes, trop souvent infidèles, qu'ils doivent, ceux-là, d'être sauvés de l'oubli. Nous connaissons Caffariello, parce qu'il chanta à Naples dans l'Antigono de Gluck; le souvenir de Mmes Saint-Huberti et Branchu s'est conservé en France, parce qu'elles ont créé les rôles de Didon, de la Vestale, d'Iphigénie en Tauride, etc.; qui de nous aurait entendu parler de la diva Faustina, sans Marcello qui fut son maître, et sans Hasse qui l'épousa? Pardonnons-leur donc, à ces dieux mortels, de faire leur Olympe aussi brillant que possible, d'imposer aux héros de l'art de longues et rudes épreuves, et de ne pouvoir être apaisés que par des sacrifices d'idées.

C'est si cruel pour eux de voir l'astre de la gloire et de la fortune descendre incessamment à l'horizon. Quelle douloureuse fête que celle d'une dernière représentation! Comme le grand artiste doit avoir le cœur navré en parcourant et la scène et les secrets réduits de ce théâtre, dont il fut longtemps le génie tutélaire, le roi, le souverain absolu! En s'habillant dans sa loge, il se dit: «Je n'y rentrerai plus; ce casque, ombragé d'un brillant panache, n'ornera plus ma tête; cette mystérieuse cassette ne s'ouvrira plus pour recevoir les billets parfumés des belles enthousiastes.» On frappe, c'est l'avertisseur qui vient lui annoncer le commencement de la pièce. «Eh bien! mon pauvre garçon, te voilà donc pour toujours à l'abri de ma mauvaise humeur! Plus d'injures, plus de bourrades à craindre. Tu ne viendras plus me dire: «Monsieur, l'ouverture commence! Monsieur, la toile est levée! Monsieur, la première scène est finie! Monsieur, voilà votre entrée! Monsieur, on vous attend!» Hélas! non; c'est moi qui te dirai maintenant: «Santiquet, efface mon nom qui est encore sur cette porte; Santiquet, vas porter ces fleurs à Fanny; va-s-y tout de suite, elle n'en voudrait plus demain; Santiquet, bois ce verre de Madère et emporte la bouteille, tu n'auras plus besoin de faire la chasse aux enfants de chœur pour la défendre; Santiquet, fais-moi un paquet de ces vieilles couronnes, enlève mon petit piano, éteins ma lampe et ferme ma loge, tout est fini.»

Le virtuose entre dans les coulisses sous le poids de ces tristes pensées; il rencontre le second Ténor, son ennemi intime, sa doublure, qui pleure aux éclats en dehors et rit aux larmes en dedans.

– «Eh bien! mon vieux, lui dit le demi-dieu d'une voix dolente, tu vas donc nous quitter? Mais quel triomphe t'attend ce soir! C'est une belle soirée!»

– «Oui, pour toi,» répond le chef d'emploi d'un air sombre. Et lui tournant le dos:

– «Delphine, dit-il à une jolie petite danseuse, à qui il permettait de l'adorer, donne-moi donc ma bonbonnière?

– Oh! ma bonbonnière est vide, répond la folâtre en pirouettant; j'ai donné tout à Victor.

Et cependant il faut étouffer son chagrin, son désespoir, sa rage: il faut sourire, il faut chanter. Le virtuose paraît en scène; il joue pour la dernière fois ce drame dont il fit le succès, ce rôle qu'il a créé; il jette un dernier coup-d'œil sur ces décors qui réfléchirent sa gloire, qui retentirent tant de fois de ses accents de tendresse, de ses élans de passion, sur ce lac aux bords duquel il attendit Mathilde, sur ce Grutly, d'où il cria: Liberté! sur ce pâle soleil, que depuis tant d'années, il voyait se lever à neuf heures du soir. Et il voudrait pleurer, pleurer à sanglots; mais la réplique est donnée, il ne faut pas que la voix tremble, ni que les muscles du visage expriment d'autre émotion que celle du rôle; le public est là; des milliers de mains sont disposées à t'applaudir, mon pauvre dieu, et si elles restaient immobiles, oh! alors, tu reconnaîtrais que les douleurs intimes que tu viens de sentir et d'étouffer ne sont rien auprès de l'affreux déchirement causé par la froideur du public en pareille circonstance; le public, autrefois ton esclave, aujourd'hui ton maître, ton empereur! Allons, incline-toi, il t'applaudit. Te moriturum salutat!

Et il chante, et par un effort surhumain, retrouvant sa voix et sa verve juvéniles, il excite des transports jusqu'alors inconnus. On couvre la scène de fleurs comme une tombe à demi fermée. Palpitant de mille sensations contraires, il se retire à pas lents. On veut le voir encore, on l'appelle à grands cris. Quelle angoisse douce et cruelle pour lui, dans cette dernière clameur de l'enthousiasme! et qu'on doit bien lui pardonner s'il en prolonge un peu la durée! C'est sa dernière joie, c'est sa gloire, son amour, son génie, sa vie, qui frémissent en s'éteignant à la fois. Viens donc, pauvre grand artiste, météore brillant, au terme de ta course, viens entendre l'expression suprême de nos affections admiratives et de notre reconnaissance, pour les jouissances que nous t'avons dues si longtemps; viens et savoure-les, et sois heureux et fier; tu te souviendras de cette heure toujours, et nous l'aurons oubliée demain. Il s'avance haletant, le cœur gonflé de larmes; une vaste acclamation éclate à son aspect; le peuple bat des mains, l'appelle des noms les plus beaux et les plus chers; César le couronne. Mais la toile s'abaisse enfin, comme le froid et le lourd couteau des supplices; un abîme sépare le triomphateur de son char de triomphe, abîme infranchissable et creusé par le temps. Tout est consommé! Le Dieu n'est plus!

Nuit profonde
Nuit éternelle
FIN