Kitabı oku: «Eaux printanières», sayfa 4

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XV

Soden est une petite ville dans les environs de Francfort, fort biensituée au pied d'une des ramifications du Taunus, endroit réputé enRussie pour ses eaux, qu'on dit salutaires pour les personnes dont lespoumons sont délicats.

Les habitants de Francfort vont à Soden pour se distraire. Le parc estfort beau et présente aux promeneurs plusieurs «Wirthschafte», où l'onpeut boire de la bière et du café, à l'ombre des hauts tilleuls et desérables.

La route de Francfort à Soden longe la rive droite du Mein; elle estdans toute sa longueur bordée d'arbres fruitiers.

Pendant que le landau roulait lentement sur la route unie, Sanineobservait à la dérobée la façon dont Gemma se comportait avec sonfiancé; il les voyait ensemble pour la première fois. L'attitude de lajeune fille était calme et naturelle, quoiqu'un peu plus réservée etplus sérieuse que d'habitude.

Kluber avait l'air d'un supérieur plein de condescendance, qui s'accordeainsi qu'à ses subordonnés un plaisir modéré et convenable.

Sanine ne remarqua pas chez le fiancé de Gemma de l'empressement. Ilétait évident que Herr Kluber considérait son mariage comme une affairearrêtée, dont il n'avait plus aucune raison de s'inquiéter!

Mais il ne perdait pas un instant le sentiment de sa condescendance!Pendant une longue promenade que les jeunes gens firent avant le dîner,à travers bois, dans la montagne et dans les vallées qui entourentSoden, Herr Kluber, tout en admirant les beautés de la nature, latraitait aussi avec une condescendance à travers laquelle perçait lesentiment de sa supériorité. Il fit la remarque que tel ruisseau avaittort de couler en ligne droite au lieu de décrire des méandrespittoresques; il critiqua aussi le chant d'un pinson qui ne variait pasassez ses thèmes.

Gemma ne paraissait pas s'ennuyer, même elle avait l'air de s'amuserplutôt, et cependant Sanine ne reconnaissait pas la Gemma de la veille; nulle ombre pourtant n'attristait son visage, jamais sa beauté n'avaiteu plus de rayonnement, mais son âme semblait repliée sur elle-même.

L'ombrelle ouverte, gantée, elle marchait légèrement, sans hâte, commese promènent les jeunes filles bien élevées, et elle parlait peu.

Emilio n'avait pas l'air non plus de se sentir tout à fait à son aise,et Sanine encore moins que lui. Le jeune Russe d'ailleurs était un peugêné par l'obligation de parler tout le temps allemand.

Seul Tartaglia se sentait libre de toute contrainte! Il poursuivait lesmerles avec des aboiements frénétiques, sautait par-dessus les fossés etles troncs renversés, se plongeait dans les ruisseaux, lapait l'eau àgrandes gorgées, se secouait, japait, puis partait comme une flèche, salangue rouge tirée jusqu'à l'épaule.

Herr Kluber faisait tout ce qu'il jugeait convenable pour égayer lacompagnie. Il invita tout le monde à s'asseoir sous l'ombre d'un grandchêne, et, tirant de sa poche un petit livre intitulé:Knallerbsen – oder du sollst und wirst lachen! – Les Pétards, – ou tu doisrire et tu riras certainement! il se mit à lire des anecdotes comiques.Il en lut une douzaine sans avoir fait rire qui que ce soit. Sanine, seul, par politesse, se croyait obligé, à la fin de chaque récit, dedécouvrir ses dents, et M. Kluber lui-même ponctuait régulièrement sesanecdotes d'un rire bref, mesuré et toujours empreint de condescendance.

Vers midi, M. Kluber et ses invités entrèrent dans le premier restaurantde Soden.

Il s'agissait de choisir le menu.

M. Kluber avait proposé de dîner dans le gartensalon, un pavillonfermé. Cette fois, Gemma se révolta et déclara qu'elle voulait dînerdans le jardin, au grand air, à une des petites tables disposées devantle restaurant. «Elle en avait assez, ajouta-t-elle, d'être tout le tempsavec les mêmes personnes, elle voulait voir de nouveaux visages.»

Plusieurs tables étaient déjà occupées par des groupes de visiteurs.

M. Kluber céda avec condescendance au «caprice» de sa fiancée. Pendantqu'il s'entretenait à part avec l'oberkelner (le maître d'hôtel),Gemma resta immobile, les yeux baissés, les lèvres serrées: elle sentaitque Sanine l'observait sans cesse, et elle semblait mécontente de cetteinsistance.

Enfin, M. Kluber revint pour annoncer que le dîner serait prêt dans unedemi-heure, et proposa de faire en attendant une partie de quilles. Ilajouta que ce jeu est excellent pour éveiller l'appétit: «Hé! hé! hé!»

Il jouait en virtuose, il prenait, pour jeter la boule, des attitudesd'Hercule, mettant tous les muscles en jeu et en même temps relevantlégèrement la jambe. M. Kluber était un athlète en son genre, et fortbien tourné! Impossible d'avoir des mains plus blanches ni plusdélicates, et c'était un plaisir de le voir les essuyer dans un mouchoirde soie imitation d'indienne, rouge et or, et des plus cossus!..

Enfin, le dîner fut servi, et toute la société put prendre place autourd'une petite table.

XVI

Qui ne connaît pas le classique dîner allemand? Une soupe aqueuse avecde grosses boulettes de pâte et de la cannelle; un bouilli archi-cuit, sec comme un bouchon, nageant dans de la graisse blanche gluante etflanqué de pommes de terre devenues poisseuses, et de raifort râpé.Ensuite, un plat d'anguille tournée au bleu, arrosée de vinaigre etsemée de câpres, auquel succède le rôti servi avec de la confiture, etl'inévitable Mehlspeise, une sorte de pouding qu'accompagne une saucerouge et aigre.

Il est vrai qu'en revanche, le vin et la bière étaient de premier choix!

Tel est le menu du dîner que le premier restaurateur de Soden servit àses hôtes.

En somme, tout se passa très correctement. Peu d'animation, par exemple,même quand M. Kluber porta un toast à «ce que nous aimons!» (was wirlieben!) L'entrain manqua. C'était trop comme il faut, trop convenablepour être gai.

Après le dîner, on servit du café clair, roussâtre, un vrai caféallemand.

M. Kluber, en parfait gentleman, demanda à Gemma la permission de fumerun cigare.

C'est alors qu'il se passa quelque chose d'imprévu, de très désagréableet même de très inconvenant.

À une table voisine se trouvaient quelques officiers de la garnison deMayence. Il était facile de voir, d'après la direction de leurs regardset leurs chuchotements, que la beauté de Gemma les avait frappés. Un deces officiers, qui avait été à Francfort, ne détachait pas ses yeux dela jeune fille, comme s'il la connaissait très bien. Il savaitcertainement qui elle était.

Messieurs les officiers avaient déjà beaucoup bu; leur table étaitcouverte de bouteilles. Subitement, l'officier qui regardait sans cesseGemma se leva, et, le verre à la main, s'approcha de la table où setrouvait la jeune Italienne.

C'était un tout jeune homme, très blond, dont les traits étaient assezagréables, même sympathiques; mais la boisson avait altéré son visage; ses joues se contractaient, les yeux enflammés vaguaient avec un airimpertinent.

Ses camarades avaient d'abord tenté de le retenir, puis avaient fini parle laisser aller en disant: «Arrive que pourra!»

L'officier, avec un léger balancement des jambes, s'arrêta devant Gemma,et, d'une voix criarde et forcée, dont l'accent laissait percer pourtantune lutte intérieure, s'écria:

– Je bois à la santé de la plus belle demoiselle de café de Francfort etdu monde entier!

Il vida d'un trait son verre et ajouta:

– En retour, je prends cette fleur que ses doigts divins ont cueillie.

Il s'empara d'une rose qui se trouvait sur la table, devant le couvertde Gemma.

Au premier abord Gemma fut saisie, effrayée, et devint très pâle…Puis, l'effroi fit place à l'indignation; elle rougit jusqu'à la racinedes cheveux, ses yeux foudroyèrent l'insulteur, ses prunelles devinrentà la fois sombres et fulminantes, s'emplirent d'obscurité etflamboyèrent d'une fureur sans bornes.

L'officier fut évidemment troublé par ce regard, il murmura quelquesparoles inintelligibles, salua et retourna auprès de ses camarades, quil'accueillirent par des éclats de rire et des bravos en sourdine.

M. Kluber se leva de sa chaise, se redressa de toute la hauteur de sataille, et posant son chapeau sur sa tête, dit avec dignité, mais pasassez haut:

– C'est d'une impertinence inouïe, inouïe!

D'une voix sévère il appela le garçon et réclama sur le champl'addition. Mais ce n'était pas assez, il donna l'ordre d'atteler lelandau, ajoutant que des gens comme il faut ne devaient pas se risquerdans cette maison, où ils étaient exposés à des insultes!

À ces mots Gemma qui était restée assise sans faire un mouvement, lapoitrine haletante et oppressée, leva les yeux et darda sur M. Kluber unregard pareil à celui qu'elle avait lancé à l'officier.

Emilio tremblait de rage.

– Levez-vous, mein Fraülein, dit Kluber toujours sur le même tonsévère, votre place n'est pas ici… Nous allons entrer au restaurantpour attendre la voiture.

Gemma se leva sans mot dire. M. Kluber lui offrit le bras, ellel'accepta, et il se dirigea avec elle vers le restaurant, d'une démarchemajestueuse, qui devenait, ainsi que toute sa personne, plus majestueuseet plus fière à mesure qu'il s'éloignait de l'endroit où il avait dîné.

Le pauvre Emilio les suivit.

Pendant que M. Kluber réglait la note avec le garçon et supprimait lepourboire en guise d'amende, Sanine s'approcha en toute hâte de la tabledes officiers.

S'adressant à l'insulteur, qui était en train de faire respirer à sescamarades le parfum de la rose dérobée à Gemma, Sanine lui ditdistinctement en français:

– Ce que vous venez de faire, monsieur, est indigne d'un honnête homme, indigne de l'uniforme que vous portez, et je viens pour vous dire quevous êtes un homme mal élevé et un insolent!

Le jeune officier se leva d'un bond, mais un de ses camarades plus âgéle retint et l'obligea à se rasseoir, puis se tournant vers Sanine luidit en français:

– Êtes-vous le parent, le frère ou le fiancé de cette demoiselle?

– Je suis un étranger, répondit Sanine, je suis Russe, mais je ne peuxvoir avec indifférence une pareille insolence. Au reste voici ma carteet mon adresse… Monsieur l'officier me trouvera à sa disposition quandil voudra.

Et Sanine jeta sur la table sa carte de visite, s'emparant du même coupde la rose qu'un des officiers avait laissé tomber dans son assiette.

Le jeune insulteur voulut de nouveau se lever, mais son camarade leretint en disant:

– Calme-toi, Dœnhoff, calme-toi!..

Puis lui-même se leva, et portant la main à la hauteur de la visière, dit à Sanine, avec un ton et des manières qui n'étaient pas exempts derespect, que le lendemain un des officiers de son régiment auraitl'honneur de se présenter chez lui.

Sanine répondit par un salut sec et se hâta de rejoindre ses amis.

M. Kluber feignit de ne pas s'être aperçu de l'absence de Sanine et den'avoir pas remarqué son colloque avec les officiers. Il pressait lecocher d'atteler et le gourmandait pour sa lenteur. Gemma n'adressa pasnon plus la parole à Sanine, elle ne le regarda même pas, mais à sessourcils contractés, à ses lèvres pâlies et serrées, à son immobilité onpouvait voir qu'elle souffrait cruellement.

Emilio aurait voulu parler à Sanine et le questionner. Il avait vuSanine s'approcher des officiers, et avait remarqué qu'il leur avaitremis un bout de carton… sa carte de visite, sans doute… Le cœur del'enfant battait, ses joues étaient en feu; il aurait voulu se jeter aucou du jeune homme, pleurer, aller tout de suite avec lui pourfendretous ces vilains officiers allemands. Mais il sut se contenir et seborna à suivre attentivement les mouvements de son noble ami russe.

Le cocher finit enfin par atteler et tout le monde remonta dans lelandau. Emilio suivit Tartaglia sur le siège; il s'y sentait plus à sonaise; il n'avait pas devant lui M. Kluber qu'il ne pouvait plus voirsans colère.

M. Kluber parla tout le long de la route sans interruption… mais ilparlait seul; personne ne le contredisait et personne n'était de sonavis.

Il insista beaucoup sur le fait qu'on avait eu tort de ne pas suivre sonconseil, quand il avait proposé de dîner dans le pavillon. On auraitévité tout désagrément.

Ensuite il émit quelques opinions avancées et libérales sur legouvernement, qui permettait aux officiers de ne pas observer assezstrictement la discipline, et de manquer de respect à l'élément civil dela société – «car c'est comme cela, ajouta M. Kluber, qu'avec le tempssurgit le mécontentement, d'où il n'y a qu'un pas pour arriver à larévolution – nous en avons un triste exemple dans la France.» M. Kluberpoussa un soupir sympathique mais sévère. Il se hâta d'expliquer quepersonnellement il nourrissait le plus profond respect pour lesautorités et que jamais au grand jamais, il ne serait révolutionnaire.Mais cela ne l'empêchait pas de blâmer ouvertement une pareilleimmoralité.

M. Kluber se livra encore à beaucoup de réflexions sur ce qui est moralet immoral, convenable et inconvenant…

Pendant ce monologue de M. Kluber, Gemma déjà mécontente de lui depuisleur promenade avant le dîner, et qui pour cette raison se tenait sur laréserve avec Sanine, commença à avoir positivement honte de son fiancé!À la fin de la promenade, il était facile de voir qu'elle souffraitréellement, et sans adresser la parole à Sanine, elle lui jeta un regardsuppliant.

Sanine de son côté ressentait beaucoup plus de pitié pour Gemma qued'indignation contre M. Kluber. Au fond de son cœur, sans s'en rendretout à fait compte il était heureux de ce qui venait de se passer, bienqu'il eût en perspective un duel pour le lendemain.

Enfin cette pénible partie de plaisir prit fin.

En aidant Gemma à descendre de voiture, Sanine, sans parler, lui glissadans la main la rose. La jeune fille devint très rouge, serra la main dujeune homme et dissimula aussitôt la fleur.

Sanine n'avait pas l'intention d'entrer dans la confiserie bien qu'ilfût tôt dans la soirée. Gemma d'ailleurs ne l'invita même pas.Pantaleone, du reste, qui était venu au devant des promeneurs sur leperron, déclara que Frau Lénore dormait.

Emilio prit timidement congé de Sanine; il avait l'air d'avoir peur deson ami, tant son admiration pour lui était grande.

M. Kluber reconduisit Sanine chez lui et le salua froidement. Cet

Allemand, malgré son flegme et son assurance, se sentait mal à l'aise.

Tout le monde d'ailleurs se sentait mal à l'aise ce jour-là.

Ce sentiment ne tarda pas à s'effacer chez Sanine et à faire place à unedisposition d'esprit indéfinissable, mais agréable et exaltée.

Sanine arpenta longtemps sa chambre sans vouloir penser à quoi que cesoit et en sifflotant un air; il était très content de lui-même.

XVII

Le lendemain matin, en s'habillant, Sanine se dit à lui-même:«J'attendrai l'officier jusqu'à dix heures, et après il pourra mechercher dans la ville.»

Mais les Allemands se lèvent de bonne heure, et l'horloge n'avait pasencore sonné neuf heures, lorsque le garçon vint annoncer à Sanine queM. le second lieutenant von Richter demandait à lui parler.

Sanine se hâta de passer sa redingote et donna l'ordre de faire entrerl'officier.

Contrairement à l'attente de Sanine, M. von Richter était un tout jeunehomme, presque un gamin. Il s'efforçait de donner de la gravité àl'expression de son visage imberbe, mais sans y parvenir. Il ne réussitpas davantage à dissimuler son trouble et, en s'asseyant sur une chaise,il accrocha son sabre et faillit tomber.

Avec beaucoup d'hésitation et en bégayant, il dit en mauvais français àSanine qu'il venait au nom de son camarade, le baron von Daenhoff, demander à M. von Zanine de présenter des excuses pour les parolesinjurieuses qu'il avait prononcées la veille à l'adresse du baron vonDaenhoff, et que si M. von Zanine refusait de s'excuser, le baron vonDaenhoff demanderait satisfaction.

Sanine répondit qu'il n'avait nullement l'intention de s'excuser, maisqu'il était prêt à donner satisfaction.

Alors le second lieutenant, toujours en hésitant, demanda avec qui, àquelle heure, et où les pourparlers pourraient avoir lieu.

Sanine répondit que M. von Richter pouvait passer dans deux heures, etque pendant ce temps il se procurerait un témoin, tout en se disant, inpetto. «Où diable irai-je le chercher?»

M. Richter se leva, salua, mais sur le seuil de la porte s'arrêta commepris d'un remords de conscience, et se tournant vers le jeune Russe, ildéclara que son camarade, le baron von Daenhoff, reconnaissait qu'ilavait eu des torts dans les événements de la veille, et qu'il secontenterait des exghises léchères.

Sanine répondit qu'il n'admettait pas la possibilité d'excuses, nilégères ni lourdes, parce qu'il ne se considérait pas comme coupable.

– Dans ce cas, répondit M. von Richter, devenu encore plus rouge —ilfaudra échanger des goups de bisdolet à l'amiaple.

– Comment, demanda Sanine, vous voulez que nous tirions en l'air?

– Oh! non, je n'ai pas voulu dire cela, balbutia le second-lieutenanttout à fait confus; je me suis dit que du moment que nous sommes entregentilshommes… Je règlerai ces détails avec votre témoin, ajouta-t-ilvivement, et il sortit brusquement de la chambre.

Dès que l'officier fut parti, Sanine se laissa choir sur une chaise etse mit à considérer le plancher. – «Que signifie tout cela? Quel cours savie a-t-elle pris tout à coup?» Le passé, l'avenir, s'effacèrent… etil ne se rendit plus compte que d'une chose, c'est qu'il était àFrancfort et qu'il allait se battre.

Il se souvint subitement d'une tante, devenue folle, qui chantait envalsant une chanson où elle appelait un officier, son «chéri» pour qu'ilvînt danser avec elle.

Sanine partit d'un éclat de rire et répéta la chanson de sa tante:«Officier, mon chéri, viens danser avec moi…»

«Pourtant il faut agir, je n'ai pas de temps à perdre!»

Il tressaillit en voyant devant lui Pantaleone un billet à la main.

– J'ai frappé plusieurs fois à votre porte; expliqua l'Italien, maisvous ne m'avez pas répondu. J'ai cru que vous étiez absent…

Il présenta à Sanine le pli.

– C'est de la signorina Gemma.

Sanine prit machinalement le billet, le décacheta et le lut.

Gemma écrivait que depuis la veille elle était très inquiète, et qu'ellele priait de venir la voir le plus tôt possible.

– La signorina n'est pas tranquille, ajouta Pantaleone qui connaissaitla teneur du billet: elle m'a dit de passer pour voir où vous en êtes,et de vous ramener à la maison avec moi.

Sanine examina le vieil Italien et se mit à réfléchir. Une idée luitraversa la tête. Au premier abord cette idée semblait saugrenue, impossible… «Mais après tout, pourquoi pas?» se demanda-t-il àlui-même.

– Monsieur Pantaleone? dit-il à haute voix.

Le vieillard tressaillit, enfonça le menton dans sa cravate et regarda

Sanine.

– Vous avez entendu parler de ce qui s'est passé hier?

Pantaleone se mordilla les lèvres et secoua son énorme toupet.

– Je sais tout.

Emilio à son retour n'avait rien eu de plus pressé que de lui raconterl'affaire.

– Ah! vous êtes au courant?.. Eh bien!.. je viens de recevoir lavisite d'un officier. L'insolent d'hier me provoque… J'ai accepté leduel, mais je n'ai pas de témoin… Voulez-vous me servir de témoin?

Pantaleone eut un tressaillement nerveux et releva les sourcils si haut,qu'ils disparurent sous ses cheveux pendants.

– Faut-il absolument que vous vous battiez? demanda-t-il enfin enitalien.

– Absolument. Il m'est impossible de revenir en arrière, je flétriraismon nom pour la vie.

– Hum!.. Donc si je refusais de vous servir de témoin, vous enchercheriez un autre?

– Naturellement, je ne peux m'en passer… Pantaleone inclina la têtevers le sol.

– Mais permettez-moi de vous demander, signore de Tsaninio, est-ce quece duel ne risque pas de jeter une ombre sur la réputation d'une jeunefille?

– Je ne le pense pas: d'ailleurs il n'y a plus moyen de l'empêcher.

– Hum!..

La figure de Pantaleone disparut tout entière dans sa cravate.

– Mais ce ferroflucto Kluberio… Que fait-il? s'écria-t-il subitementen relevant la tête.

– Lui? Il ne fait rien.

– Che! (exclamation italienne intraduisible.)

Pantaleone haussa les épaules en signe de mépris.

– En tout cas, je dois vous remercier, dit-il d'une voix mal assurée, dece que dans mon humble situation actuelle vous avez reconnu en moi ungalant'uomo… En agissant ainsi vous avez prouvé que vous êtesvous-même un galant'uomo… Maintenant je vais réfléchir à votreproposition.

– Nous n'avons pas beaucoup de temps, devant nous, cher monsieur Ci…

Cippa…

– tola… ajouta le vieillard. Je ne demande qu'une heure deréflexion… Il y va de l'avenir de la fille de mes bienfaiteurs…C'est pourquoi il est de mon devoir de réfléchir… Dans une heure, danstrois quarts d'heure je vous apporterai ma réponse.

– Bon, je vous attendrai.

– Et maintenant quelle réponse dois-je porter à la signorina Gemma?

Sanine prit une feuille de papier et écrivit:

«Soyez tranquille, dans trois heures je viendrai vous voir et je vousraconterai tout. Merci de toute mon âme pour votre sympathie.»

Il plia le billet et le remit à Pantaleone.

Le vieillard le serra soigneusement dans sa poche en répétant: «Dansmoins d'une heure!» Arrivé à la porte, Pantaleone se retournabrusquement, revint sur ses pas, courut vers Sanine, saisit la main dujeune homme et la pressant contre son jabot, cria en levant les yeux auciel:

– Noble jeune homme! Grand cœur! (Nobil giovanotto! Grancuore!) – Permettez à un faible vieillard de serrer votre valeureusemain droite (la vostra valorosa destra).

Pantaleone fit un bond en arrière, battit l'air de ses deux mains etsortit de la chambre.

Sanine le suivit des yeux, puis prit un journal et se mit à lire. Maisses yeux suivaient en vain les lignes, il ne comprenait pas le texte.

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Litres'teki yayın tarihi:
19 mart 2017
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