Kitabı oku: «Eaux printanières», sayfa 5

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XVIII

Une heure plus tard, le garçon entra de nouveau chez Sanine et lui présenta une vieille carte de visite sur laquelle il lut: Pantaleone

Cippatola de Varèse, chanteur à la cour (cantante di camera) de son

Altesse royale, le duc de Modène.

À peine le garçon se fut-il retiré que Pantaleone fit son entrée. Ilavait changé de vêtements de la tête aux pieds. Il portait un habit noirdevenu roux et un gilet de piqué blanc, sur lequel serpentaitcapricieusement une chaîne de tombac; un petit cachet de cornalinetombait sur l'étroit pantalon noir orné d'une baguette. Il tenait de lamain droite son chapeau noir de poil de lièvre, et de la main gauchedeux gants épais de peau de chamois; il avait donné à sa cravate plusd'ampleur encore qu'à l'ordinaire, et piqué dans son jabot empesé uneépingle surmontée d'un œil-de-chat. Un anneau représentant deux mainsjointes sur un cœur embrasé ornait son index.

Toute la personne du vieillard répandait un parfum de camphre, de moisiet de musc mélangé; l'air d'importance de tout son être aurait frappé lespectateur le plus indifférent.

Sanine vint au devant de Pantaleone.

– Je vous servirai de témoin, dit l'Italien en français.

Il s'inclina devant Sanine, ployant tout son corps en deux et enécartant les pointes de ses bottes, à la manière des danseurs.

– Je suis venu pour recevoir vos instructions. Avez-vous l'intention devous battre jusqu'à la mort?

– Pourquoi jusqu'à la mort? mon cher monsieur Cippatola… Pour rien aumonde je ne reprendrai ma parole, mais je ne suis pas un buveur desang… Attendez d'ailleurs, le témoin de mon rival ne doit pas tarder àvenir… Je passerai dans une autre chambre et vous réglerez avec luiles conditions du combat. Croyez-moi, je n'oublierai jamais le serviceque vous me rendez, et je vous en remercie de tout mon cœur.

– L'honneur avant tout! répliqua Pantaleone; et il s'assit dans unfauteuil sans attendre l'invitation. Si ce feroflucto spitcheboubio,ajouta-t-il, mélangeant l'italien et le français, si ce marchandKluberio n'a pas compris son devoir, s'il a eu peur… tant pis pourlui… Il n'a pas de cœur pour un sou… basta!.. Quant aux conditionsdu duel, je suis votre témoin et vos intérêts me sont sacrés!! Lorsquej'habitai Padoue, il se trouvait en garnison un régiment de blancsdragons… et j'étais en très bons termes avec plusieurs officiers…Leur code d'honneur m'est connu d'un bout à l'autre… Puis j'ai souventdiscuté ce sujet avec votre principe Tarbusski… Est-ce que ce témoinsera bientôt là?

– Je l'attends d'un instant à l'autre… Le voici, ajouta Sanine enjetant un coup d'œil sur la rue.

Pantaleone se leva, regarda sa montre, ajusta son toupet et rentraprécipitamment dans son soulier un fil qui sortait du pantalon.

Le jeune second-lieutenant entra, toujours rouge et troublé.

Sanine présenta les témoins l'un à l'autre:

– Monsieur Richter, sous-lieutenant, monsieur Cippatola, artiste.

Le sous-lieutenant fut légèrement surpris à la vue du vieillard. Maisqu'eût-il dit s'il eût appris à cet instant que l'artiste dont il venaitde faire la connaissance cultivait aussi l'art culinaire!..

Pantaleone avait pris la contenance d'un homme qui toute sa vie n'a faitautre chose que d'arranger des duels. Les réminiscences de sa carrièrethéâtrale lui furent d'un grand secours. Il s'acquitta de son rôle detémoin comme s'il jouait un rôle.

Les deux témoins se regardèrent d'abord sans parler.

– Eh bien!.. parlons des conditions? dit Pantaleone en rompant lepremier le silence et en jouant avec son cachet de cornaline.

– Parlons, répondit le sous-lieutenant, mais la présence d'un desintéressés…

– Je vous laisse seuls, messieurs, dit Sanine.

Il salua, entra dans sa chambre à coucher dont il ferma la porte à clef.

Il se jeta sur son lit et se mit à penser à Gemma… mais les parolesdes témoins pénétrèrent jusqu'à lui à travers la porte fermée.

Les témoins s'expliquaient en français, langue qu'ils écorchaientimpitoyablement, chacun à sa manière.

Pantaleone parla de nouveau des dragons de Padoue et du principe Tarbousski; le sous-lieutenant parla d'«exghises léchères» et de «coupsà l'amiaple».

Le vieil Italien ne voulut pas entendre parler d'«exghises». À laterreur de Sanine, il se mit tout à coup à parler d'une jeune demoiselleinnocente, dont le petit doigt vaut plus que tous les officiers dumonde… Oune zeune damigella qu'a ella sola dans soun peti doa valepiu que toutt le zouffissié del mondo. Il répéta plusieurs fois: C'estune honte, une honte!.. E ouna onta, ouna onta!

D'abord le sous-lieutenant ne répondit rien, mais bientôt sa voixtrembla de colère et il déclara qu'il n'était pas venu pour recevoir desleçons de morale.

– À votre âge, il est toujours utile d'entendre la vérité! riposta

Pantaleone.

À plusieurs reprises, la discussion entre les témoins devint orageuse; enfin, après une dispute qui dura une heure, ils arrêtèrent lesconditions suivantes:

«Le baron Von Daenhoff et M. de Sanine se battront demain à dix heuresdu matin, dans le petit bois près de Hanau. La distance entre lescombattants sera de vingt pas; chacun a le droit de tirer deux fois surle signal des témoins. Les armes choisies sont des pistolets sans doubledétente et non rayés…

M. von Richter se retira, et Pantaleone vint ouvrir triomphalement laporte de la chambre de Sanine, et après avoir communiqué au jeune hommele résultat de l'entretien, dit pour la seconde fois:

– Bravo, Russo! Bravo giovanotto! Tu seras vainqueur!

Quelques minutes plus tard ils entraient ensemble à la confiserie

Roselli.

En route, Sanine avait demandé à Pantaleone de tenir secrète l'affairedu duel. En réponse, le vieux chanteur avait levé les doigts au ciel et, fermant à demi les yeux, avait répété deux fois de suite: Segredezza!Segredezza!

Pantaleone avait l'air tout rajeuni et marchait allègrement. Cesévénements, bien que désagréables, le transportaient à cette époque desa vie où lui-même relevait le gant… il est vrai, sur la scène!.. Onsait que les barytons font toujours la roue devant la rampe.

XIX

Emilio guettait depuis plus d'une heure l'arrivée de Sanine, il courutau-devant du jeune Russe et lui dit furtivement à l'oreille que sa mèreignorait tout ce qui s'était passé la veille, et qu'il ne fallait faireaucune allusion. Emilio avait reçu comme de coutume l'ordre d'allertravailler sous la direction de M. Kluber, mais il était bien décidé àn'en rien faire… Il ferait semblant d'y aller.

Après avoir dit tout cela d'une haleine en quelques secondes, le jeunegarçon pencha la tête sur l'épaule de Sanine, l'embrassa avec effusionpuis s'élança dans la rue.

Dans la confiserie, Gemma vint au-devant de Sanine; elle voulut luiparler, mais les paroles ne vinrent pas, ses lèvres tremblaient et sesyeux allaient de droite et de gauche sous les paupières à demi-baissées.Sanine se hâta de rassurer la jeune fille en lui disant que l'affaireétait arrangée… et qu'il ne fallait plus y penser.

– Personne ne s'est présenté chez vous aujourd'hui? demanda Gemma.

– Si, un monsieur est venu me voir… nous nous sommes expliqués… etnous avons clos l'incident à la satisfaction de tout le monde…

Gemma reprit sa place derrière le comptoir.

«Elle ne me croit pas», pensa Sanine…

Il entra dans la chambre de Frau Lénore.

La migraine de madame Roselli avait passé, mais la malade restait trèsabattue. La mère de Gemma accueillit très gracieusement Sanine tout enle prévenant que ce jour-là il s'ennuierait auprès d'elle, parce qu'ellene se sentait pas capable de le distraire.

Sanine s'assit à côté de Frau Lénore et remarqua qu'elle avait lespaupières rouges et enflées.

– Qu'avez-vous, Frau Lénore? Vous avez pleuré?

– Chut!.. dit-elle en indiquant d'un mouvement de tête le magasin où setrouvait sa fille… Ne parlez pas si haut…

– Mais pourquoi avez-vous pleuré?

– Ah! monsieur Sanine, je ne sais pas pourquoi!

– Personne ne vous a fait du chagrin?

– Oh non! Je me suis sentie tout à coup très accablée… J'ai pensé à

Giovanna Battista… à ma jeunesse… Comme tout cela a vite passé!..

Je deviens vieille, mon ami, et je ne peux pas en prendre mon parti…

Je me sens toujours la même qu'autrefois… mais la vieillesse est là…

elle est là…

Sanine vit poindre des larmes dans les yeux de Frau Lénore.

– Cet aveu vous surprend?.. Mais vous aussi vous deviendrez vieux, monami, et vous apprendrez combien c'est amer.

Sanine voulut consoler madame Roselli en lui parlant de ses deux enfantsdans lesquels renaissait sa jeunesse; il essaya même de tourner la choseen plaisanterie, en prétendant que c'était une manière de demander descompliments… mais elle le pria très sérieusement de ne pas badiner surce sujet, et pour la première fois de sa vie Sanine découvrit qu'ilexiste une tristesse qu'il n'est pas possible de consoler ni dedissiper, la tristesse de la vieillesse qui a conscience d'elle-même. Ilfaut laisser cette impression s'effacer peu à peu.

Sanine proposa à Frau Lénore une partie de «tressette» et c'était toutce qu'il pouvait trouver de mieux. Madame Roselli accepta cette offre etparut se rasséréner.

La partie dura jusqu'au dîner, et après le repas recommença avecPantaleone pour troisième partenaire. Jamais le toupet de l'ex-barytonn'était tombé si bas sur le front, jamais son menton ne s'était enfoncési profondément dans sa cravate! Chacun de ses mouvements respirait unenoble gravité concentrée, et il était impossible de le regarder sans sedemander aussitôt: mais quel secret cet homme garde-t-il avec tant derésolution?

Segredezza! Segredezza!

Durant toute la journée il multiplia les occasions de témoigner à Saninel'estime particulière dans laquelle il le tenait. À table il lui passaitles plats avant d'avoir servi les dames; pendant les parties de cartesil lui cédait l'achat, ne se permettait pas de le remiser et à toutpropos déclarait que les Russes sont de tous les peuples le plus brave,le plus magnanime, le plus héroïque.

– Vieux comédien, va! pensait Sanine.

Le jeune homme fut surtout frappé par l'attitude que Gemma garda toutela journée avec lui. Elle ne l'évitait pas… loin de là, elle venait àtout instant s'asseoir à une petite distance de lui, écoutant ce qu'ildisait, le regardant mais évitant d'entrer en conversation avec lui. Dèsqu'il lui adressait la parole, elle se levait et entrait pour quelquesinstants dans la pièce voisine. Elle revenait peu de temps après,s'asseyait dans un coin et restait immobile, préoccupée et surtoutperplexe, très perplexe.

Frau Lénore finit par remarquer la manière d'être inusitée de sa fille,et deux fois lui demanda ce qu'elle avait.

– Je n'ai rien, répondit Gemma; tu sais que je suis quelquefois ainsi.

– C'est vrai! approuva la mère.

Ainsi passa cette journée, longue sans être animée ni languissante, gaieni ennuyeuse.

Si Gemma s'était conduite autrement, qui sait si Sanine aurait purésister à la tentation de poser pour le héros? – Ou encore il se seraitlaissé aller à la tristesse à la veille d'une séparation peut-êtreéternelle? N'ayant pas une seule fois l'occasion de parler avec Gemma,il dut se contenter de jouer au piano, avant le café du soir, desaccords en mineur, pendant un quart d'heure.

Emilio rentra tard, et pour échapper à toute question au sujet de M.

Kluber, se retira de très bonne heure.

Enfin le moment vint pour Sanine de prendre congé de ses hôtesses.Lorsqu'il dit adieu à Gemma, il songea à la séparation de Lenski etd'Olga dans l'Onéguine de Pouchkine. Il pressa fortement la main de lajeune fille et voulut la regarder en face, mais elle détourna légèrementla tête et retira ses doigts.

XX

Quand il descendit le perron, le ciel était déjà couvert d'étoiles.Combien pouvait-il y en avoir de ces étoiles grandes, petites, jaunes, rouges, bleues et blanches? Elles brillaient toutes en essaim serré,ayant l'air de jouer à qui lancerait le plus de rais. Il n'y avait pasde lune, et chaque objet se distinguait nettement dans cette obscuritédemi-lumineuse et sans ombre.

Sanine suivit la rue jusqu'à son extrémité… Il n'avait pas envie derentrer chez lui; il éprouvait le besoin d'errer au grand air.

Il revint sur ses pas; lorsqu'il se trouva en face de la confiserieRoselli, à une certaine distance, une des fenêtres s'ouvrit brusquement;la chambre n'était pas éclairée, et le jeune Russe distingua dans labaie noire de la croisée une forme féminine. Une voix appela:

– Monsieur Dmitri!

Il courut sous la fenêtre.

C'était Gemma!

Elle s'appuya sur l'allège et se penchant en dehors, dit d'une voixcirconspecte:

– Monsieur Dmitri, toute la journée j'ai désiré vous remettre quelquechose… et je n'ai pas osé… Mais, en vous voyant à l'improviste commecela, j'ai pensé… que c'est la destinée…

Elle s'interrompit. Elle ne pouvait plus parler…

Tout à coup, au milieu du silence absolu, sous un ciel sans nuages, unebourrasque de vent s'était abattue, si violente que le sol trembla; lapure clarté des étoiles oscilla et s'effaça; l'air tourna sur place…Le souffle chaud, presque torride de la rafale courba les cimes desarbres, ébranla le toit de la maison, les murs, secoua toute la rue.

Le vent emporta le chapeau de Sanine, souleva et défit les bouclesnoires de Gemma.

La tête du jeune homme se trouvait au niveau de la fenêtre, il s'ycramponna involontairement, et Gemma, saisissant de ses deux mainsl'épaule de Sanine, effleura la tête du jeune Russe du haut de son busteincliné…

Un bruit de cloches, un formidable fracas gronda pendant une minuteenviron. Puis le coup de vent s'envola inopinément comme une banded'énormes oiseaux, et un calme intense régna de nouveau.

Sanine leva la tête et le visage de la jeune fille lui apparut si beau, bien qu'effaré et troublé, les yeux semblaient si grands, si terriblesmais d'une telle splendeur, – la femme qu'il avait devant lui était sibelle, que le cœur du jeune homme défaillit, il colla ses lèvres à lafine boucle de cheveux, que le vent avait jetée sur sa poitrine, et neput que balbutier: «Oh Gemma!»

– Mais que s'est-il passé? Un orage? demanda-t-elle en regardant toutautour d'elle, sans retirer ses bras nus de l'épaule de Sanine.

– Gemma! répéta le jeune Russe.

Elle soupira, jeta un coup d'œil dans la chambre, et d'un vif mouvementsortant de son corsage la rose déjà fanée, la jeta à Sanine.

– J'ai voulu vous donner cette fleur.

Il reconnut la rose qu'il avait la veille reprise aux officiersallemands.

Aussitôt la fenêtre se referma et derrière la glace sombre Sanine nedistingua plus rien.

Il rentra chez lui sans chapeau et sans s'être aperçu que le vent le luiavait pris.

XXI

Il ne s'endormit que tard, sur le matin.

Sous le coup de cette soudaine bourrasque d'été, Sanine ressentit avecla même soudaineté, non que Gemma était la plus belle des femmes, niqu'elle lui plaisait, il savait tout cela depuis longtemps; mais il crutsentir qu'il l'aimait!

L'amour entra dans son cœur en coup de vent.

Et avant de penser à son amour, il faut qu'il se batte. Despressentiments lugubres l'assaillirent. S'il était tué?.. À quoi peutconduire son amour pour cette jeune fille, la fiancée d'un autre?

Oh! ce fiancé n'est pas dangereux!.. Il pressentait que Gemmal'aimerait si elle ne l'aimait déjà… Mais comment tout celafinirait-il?..

Il arpentait sa chambre, s'asseyait, prenait une feuille de papier,écrivait quelques lignes et les effaçait aussitôt.

Il voyait toujours l'admirable silhouette de Gemma dans la sombre baiede la fenêtre, sous la clarté des étoiles, dans le désordre où la jetala chaude bourrasque. Il revit ces bras marmoréens, ces bras de déessede l'Olympe; il sentit sur ses épaules leur pression animée…

Puis il prit la rose qu'elle lui avait donnée, et il lui parut que cespétales à demi fanés répandaient un parfum plus subtil, tout différentde celui des autres roses.

Et c'est à cette heure qu'il doit s'exposer à la mort, revenir peut-êtredéfiguré?..

Sanine ne se coucha pas dans son lit, il s'endormit, tout habillé, surle divan…

Une main toucha son épaule.

Il ouvrit les yeux et vit Pantaleone.

– Il dort comme Alexandre-le-Grand à la veille de la bataille de

Babylone, s'écria le vieil Italien.

– Quelle heure est-il? demanda Sanine.

– Sept heures moins un quart; il faut compter deux heures de route d'icià Hanau, et nous devons être les premiers sur le terrain. Les Russespréviennent toujours leurs adversaires. J'ai choisi la meilleure voiturede Francfort.

Sanine fit à la hâte sa toilette.

– Et où sont les pistolets?

– Le ferroflucto Tedesco apportera les pistolets… et c'est lui quis'est chargé d'amener un médecin.

Pantaleone cherchait à se maintenir au diapason de courage de la veille.Mais quand il fut dans la voiture avec Sanine, quand le cocher fitclaquer son fouet et que les chevaux partirent au galop, l'ex-chanteur,l'ex-ami des dragons blancs de Padoue changea de contenance. Il setroubla, il eut même un peu peur… Quelque chose en lui s'effondraitcomme un mur mal bâti.

– Pourtant que faisons-nous là, mon Dieu! Santissima Madonna! cria-t-il d'une voix lamentable, en se prenant les cheveux! – Qu'est-ceque je fais là, vieil imbécile! Fou frénético?

Sanine fut d'abord un peu surpris et se mit à rire en passant légèrementle bras autour du vieillard.

– Le vin est tiré, dit-il, maintenant il faut le boire!

– Oui, oui, reprit Pantaleone, nous viderons ce calice… Mais celan'empêche pas que je suis un fou, un fou, un fou! Tout était si calme, tout allait si bien!.. et tout à coup… ta-ta-ta, tra-ta-ta!..

– Comme le tutti dans l'orchestre, dit Sanine avec un sourire forcé…

Puis ce n'est pas votre faute!..

– Je sais bien que ce n'est pas ma faute!.. Je crois bien… Mais toutde même j'ai agi comme un insensé!.. Diavolo! diavolo! répétaPantaleone en secouant son toupet et avec force soupirs.

La voiture roulait, roulait toujours.

La matinée était très belle. Les rues de Francfort qui commençaient àpeine à se peupler semblaient particulièrement propres et confortables,et les vitres des maisons brillaient chatoyantes comme du paillon. Dèsque la voiture eut franchi la barrière, tout un chœur d'alouettesretentit haut dans le ciel bleu mais pas encore lumineux.

Tout à coup, au contour de la route derrière un haut peuplier, apparutune silhouette bien connue; elle fit quelques pas et s'arrêta.

Sanine regarda plus attentivement.

– Mon Dieu! c'est Emilio! Mais sait-il quelque chose? demanda-t-il à

Pantaleone.

– Quand je vous dis que je suis fou! cria désespérément l'Italien: – detoute la nuit ce malheureux garçon ne m'a pas laissé un instant derepos, et ce matin je lui ai tout avoué.

«Voilà la segredezza!» pensa Sanine.

La voiture eut bientôt rejoint Emilio. Sanine donna l'ordre d'arrêter etappela le «malheureux garçon».

Emilio s'approcha en vacillant, aussi pâle que le jour de son accès…

Il ne tenait pas sur ses pieds.

– Que faites-vous ici? lui demanda Sanine. Pourquoi n'êtes-vous pasresté chez vous?

– Permettez, permettez-moi de vous accompagner, demanda Emilio d'unevoix qui tremblait et les mains suppliantes.

Les dents de l'enfant claquaient comme dans la fièvre.

– Je ne vous gênerai pas, prenez-moi avec vous…

– Si vous avez un peu de sympathie et de respect pour moi, dit Sanine, vous retournerez sur-le-champ chez vous, ou vous entrerez dans lemagasin de M. Kluber. Vous ne soufflerez mot à personne… et vousattendrez mon retour.

– Votre retour! gémit Emilio.

Sa voix devint larmoyante, il se tut et reprit:

– Mais si vous?..

– Emilio, interrompit Sanine en indiquant le cocher… Emilio, songez àce que vous faites… Écoutez-moi, mon ami… je vous en prie, retournezchez vous… Vous dites que vous m'aimez… Eh bien, je vous le demande?

Il tendit la main à l'enfant, qui s'élança en avant, et pressa ensanglotant la main de Sanine contre ses lèvres, puis il s'enfuit àtravers champs dans la direction de Francfort.

– C'est aussi un noble cœur! dit Pantaleone.

Mais Sanine lui jeta un regard de mécontentement.

Le vieillard se rencogna au fond de la voiture. Il se sentait coupable.Son étonnement allait toujours croissant. C'est donc vrai, se disait-il,je suis témoin? C'est moi, Pantaleone, qui ai fait tous les préparatifs, trouvé les chevaux, et déserté mon paisible logis à six heures du matin?

Au milieu de son agitation il commençait à ressentir des douleurs auxjambes.

Sanine jugea nécessaire de remonter son vieux compagnon et trouva le bonmoyen.

– Où est votre courage d'antan? cher Signor Cipatola? demanda-t-il. Oùest votre antico valor?

Signor Cipatola se redressa.

– Il antico valor, répéta-t-il de sa voix de basse… n'est pas encoretout dépensé!

Il retrouva son port de galant uomo, et se mit à parler de sacarrière, de l'opéra, du grand ténor Garcia, – il arriva à Hanaucomplètement ragaillardi.

Il n'est rien en ce monde de plus fort ni de plus faible que la parole!

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19 mart 2017
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