Kitabı oku: «Eaux printanières», sayfa 9

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XXXI

Sanine se réveilla le lendemain de très bonne heure. Il avait atteint lacime du bonheur humain. Mais ce n'est pas ce sentiment de bonheur quil'empêchait de dormir, et troublait sa béatitude, mais une questiond'ordre matériel, une question fatale: comment faire pour vendre sapropriété le plus vite et le plus avantageusement possible.

Une foule de plans s'entrecroisaient dans son cerveau, mais il ne voyaitpas nettement sa voie. Il sortit de l'hôtel pour sentir l'air etréfléchir. Il voulait se présenter devant Gemma avec un plan arrêté.

Tout à coup son attention fut arrêtée sur un personnage qui venait ensens inverse, une forme épaisse, mais correctement habillée, qui sebalançait en vacillant légèrement sur de gros pieds.

Sanine se demanda où il avait vu cette nuque couverte de cheveux d'unblond blanchâtre, cette tête qui semblait chevillée directement sur lesépaules, ce dos replet, débordant de graisse, ces bras boursouflés quipendaient le long du torse. Sanine se demanda s'il se pouvait vraimentqu'il eût devant les yeux Polosov, son camarade de pension, qu'iln'avait pas revu depuis cinq ans.

Lorsque le nouveau venu l'eut dépassé, Sanine courut après lui, ledevança puis se retourna… Il vit un large visage jaunâtre, de petitsyeux de cochon avec des cils et des sourcils blancs, un nez court etplat, de grosses lèvres qui semblaient collées l'une à l'autre, unmenton rond et imberbe. À l'expression aigre, indolente, méfiante decette tête, il n'eut plus de doute, c'était bien Hippolyte Polosov!

«Encore une fois, ce doit être mon étoile qui me l'envoie!» se dit

Sanine.

– Polosov, Hippolyte Sidoritch, est-ce toi?

Le personnage s'arrêta, leva ses petits yeux, hésita un instant, puisdesserrant les lèvres dit d'une voix de fausset un peu enrouée:

– Dmitri Sanine?

– Oui, moi-même! répliqua Sanine.

Il secoua une des mains de Polosov couvertes de gants gris-cendre, unpeu étroits, et qui pendaient inertes sur ses cuisses rebondies.

– Y a-t-il longtemps que tu es ici? demanda Sanine, – d'où viens-tu? Àquel hôtel?

– Je suis arrivé hier de Wiesbaden pour faire des emplettes pour mafemme… et je retourne aujourd'hui à Wiesbaden.

– Ah! c'est vrai! l'on m'a dit que tu es marié… et que ta femme estd'une beauté remarquable.

Les yeux de Polosov vaguèrent de droite et de gauche.

– Oui, on le dit, répondit-il.

Sanine se mit à rire.

– Je vois que tu n'es pas changé… Tu as toujours le même flegme…comme dans le temps, au pensionnat.

– Pourquoi changerais-je?

– On dit encore, – Sanine appuya sur ce mot «on dit» – que ta femme esttrès riche.

– Oui, on le dit aussi!

– Et toi, tu ne le sais pas au juste, toi?

– Moi, mon ami, je ne me mêle pas des affaires de ma femme.

– Tu ne te mêles pas des affaires de ta femme, d'aucune?

De nouveau les yeux de Polosov vaguèrent en tous sens.

– D'aucune… Ma femme va de son côté – et moi, du mien…

– Où vas-tu maintenant? demanda Sanine.

– Dans ce moment je ne vais nulle part, je reste debout dans la rue àcauser avec toi; et quand notre conversation sera finie, je rentrerai àl'hôtel et je déjeunerai.

– M'acceptes-tu pour compagnon?

– C'est-à-dire que tu veux déjeuner avec moi?

– Oui!

– Avec plaisir. C'est toujours plus agréable de manger à deux… Tu n'espas bavard?

– Je ne crois pas…

– Cela me va…

Polosov se remit en marche. Sanine se plaça à côté de lui.

Les lèvres de Polosov se collèrent de nouveau, il ronflait et sebalançait silencieusement.

«Mais comment cette bûche a-t-elle pu attraper une femme si belle et siriche? pensa Sanine. Personnellement il n'avait pas de fortune, il n'estpas de haute noblesse, il n'est pas même intelligent. Au pensionnat ilpassait pour un garçon obtus, dormeur et glouton; on l'avait surnommé le«baveux…» Mais, continua Sanine à part lui, puisque sa femme estriche, pourquoi ne m'achèterait-elle pas ma propriété? Polosov a beaudire qu'il ne se mêle pas des affaires de sa femme, je n'en crois rien!Puis je demanderai un prix avantageux pour lui? Pourquoi ne pas faireune tentative? C'est peut-être ma bonne étoile qui me l'a envoyé?..Oui, c'est décidé… je lui en parlerai.»

Polosov conduisit Sanine dans un des plus grands hôtels de Francfort oùil occupait, cela va sans dire, la plus belle chambre.

En entrant, Sanine trouva sur les chaises, sur les tables, des cartons, des boîtes, des paquets empilés…

– Voilà mes emplettes pour Marie Nicolaevna!.. dit Polosov en selaissant choir dans un fauteuil. Ouf! qu'il fait chaud, gémit-il endesserrant sa cravate.

Il sonna pour le maître d'hôtel et choisit soigneusement le menu d'uncopieux déjeuner.

– Puis, ajouta-il, à une heure la voiture… vous entendez… à uneheure précise…

Le maître d'hôtel se courba en deux dans un salut obséquieux etdisparut.

Polosov déboutonna son gilet. Rien qu'à le voir relever ses sourcils, souffler avec peine et retrousser son nez, il était facile de devinerque parler lui était un effort pénible, et qu'il se demandait, non sansinquiétude, si Sanine l'obligerait à donner de l'exercice à sa langue ousi son ami ferait les frais de la conversation. Sanine comprit l'étatd'esprit de son ancien camarade et ne l'importuna plus de questions, sebornant à lui demander ce qu'il lui était indispensable de savoir.

Il apprit que Polosov avait été pendant deux ans dans l'armée en qualitéde uhlan. – «Ce qu'il devait être gracieux dans la courte veste desuhlans!» pensa Sanine.

Polosov confia encore à son ami qu'il était marié depuis quatre ans etque depuis deux ans il voyageait à l'étranger avec sa femme, qu'ellefaisait une cure d'eau à Wiesbaden, et que de là elle irait à Paris.

De son côté Sanine ne fut pas bavard en parlant de son passé ni de sesplans, il aborda directement le sujet qui l'intéressait entretous – c'est-à-dire son désir de vendre ses terres.

Polosov l'écoutait sans dire un mot, jetant seulement un regard sur laporte par laquelle on devait apporter le déjeuner. Enfin le déjeuner futservi. Le maître d'hôtel accompagné de deux garçons parut, ils portaientplusieurs plats sous de lourds couvercles d'argent.

– Ta propriété se trouve dans le gouvernement de Toula? dit Polosov ens'asseyant à table et en passant le coin de sa serviette dans son col dechemise.

– Oui, dans le gouvernement de Toula!

– Dans le district d'Efremoff… Je connais!..

– Tu connais ma propriété d'Alexéevka? demanda Sanine en prenant place àtable.

– Je crois bien que je la connais.

Polosov porta à la bouche un morceau d'omelette aux truffes.

– Ma femme possède des terres dans le voisinage… Eh! garçon, débouchezcette bouteille!.. Ces terres sont bonnes… mais tes moujiks t'ontcoupé ton bois… À propos, pourquoi veux-tu vendre ton bien?..

– J'ai besoin de réaliser l'argent… oui… je vendrai bon marché, tuferas une bonne affaire en me l'achetant.

Polosov but d'un trait un verre de vin, s'essuya la bouche avec saserviette et se remit à mastiquer lentement et avec bruit.

– Oui… dit-il enfin… Moi je n'achète pas de propriétés… je n'aipas de capital… Passe-moi le beurre… Mais ma femme achèterapeut-être ton bien… Parle-lui de ton affaire… Si tu ne demandes pascher… elle ne craint pas d'acheter… Mais quels ânes que cesAllemands? Ils ne savent pas préparer le poisson! Qu'y a-t-il de plussimple!.. Et ils parlent de l'unification de leur Vaterland…Garçon, emportez cette saleté…

– Mais c'est donc vrai? Ta femme gère seule ses propriétés?.. demanda

Sanine.

– Toute seule!.. Les côtelettes sont bonnes… Je te les recommande!..Je t'ai déjà dit que je ne me mêle pas des affaires qui concernent mafemme, et je te le répète.

Polosov continua de faire claquer ses lèvres en mâchant.

– Hum!.. Mais comment ferai-je pour lui parler de cette affairemoi-même?

– Mais la plus simplement du monde… Va lui faire visite à Wiesbaden…Ce n'est pas loin d'ici… Garçon, de la moutarde anglaise?.. Vous n'enavez pas?.. Quels animaux!.. Mais ne perdons pas de temps! Nouspartons après-demain… Laisse-moi remplir ton petit verre. Tu verrasquel bouquet… Ce n'est pas du vinaigre.

Le visage de Polosov s'anima et se colora… Il s'animait uniquementlorsqu'il mangeait et buvait.

– Vraiment, je ne sais pas comment faire, dit Sanine.

– Mais es-tu si pressé de vendre?

– Certainement, je suis très pressé.

– Et il te faut beaucoup d'argent?

– Beaucoup… Vois-tu… je te dirai tout… je me marie!

Polosov posa sur la table le verre qu'il portait déjà à ses lèvres.

– Tu te maries! s'écria-t-il d'une voix enrouée par l'étonnement, et enjoignant ses mains grassouillettes sur son ventre. Tu te maries! etcomme cela, soudainement?

– Oui… soudainement.

– Ta fiancée est sans doute en Russie?

– Non, elle n'est pas en Russie!..

– Où est-elle?

– Ici, à Francfort!

– Et qui est-elle?

– Elle est Allemande… c'est-à-dire, non, Italienne… Elle est de

Francfort.

– Elle a de l'argent?

– Non, elle n'a pas d'argent.

– Donc, c'est une grande passion?

– Que tu es drôle!.. Oui, je l'aime beaucoup.

– Et c'est pour cela qu'il te faut de l'argent?

– Mais oui, oui, oui!..

Polosov vida son verre, se rinça la bouche, se lava les mains qu'ilessuya soigneusement dans sa serviette, sortit de sa poche un cigare etl'alluma.

Sanine le regardait sans rien dire.

– Je ne vois qu'un moyen, dit enfin Polosov, en rejetant la tête enarrière et en laissant échapper la fumée en fines spirales. Va voir mafemme! Si elle veut, elle peut te tirer de peine.

– Mais comment puis-je voir ta femme, puisque tu dis que vous partezaprès-demain?

Polosov ferma les yeux.

– Eh bien, voici mon conseil, dit-il enfin, en tournant le cigare avecses lèvres et en soupirant… Rentre chez toi, fais vite tes préparatifsde voyage, et reviens ici… À une heure, je pars… Ma voiture estgrande, je te prendrai avec moi… C'est ce qu'il y a de mieux àfaire… Et maintenant, je vais faire une petite sieste… Quand j'aimangé, j'ai envie de dormir un peu… Mon tempérament l'exige et jecède… Et toi, ne m'empêche pas non plus de dormir…

Sanine réfléchit, réfléchit… puis tout à coup leva la tête: il avaitpris une résolution.

– J'irai avec toi… Merci! À midi et demi je serai ici… et nous ironsensemble à Wiesbaden… J'espère que ta femme ne m'en voudra pas?

Mais Polosov ronflait déjà. Lorsqu'il avait dit: «Ne m'empêche pas…»il avait allongé un peu les jambes et il s'était endormi comme unenfant.

Sanine jeta encore une fois un regard sur ce gros visage, cette têtesans cou, ce menton en l'air et tout rond qui ressemblait à une pomme, puis courut à la confiserie Roselli pour prévenir Gemma de son absence.

XXXII

Il trouva la jeune fille avec sa mère dans la confiserie.

Frau Lénore, courbée en deux, mesurait la distance entre les fenêtres.

En apercevant Sanine, elle se redressa et l'accueillit joyeusement, maisavec un peu de confusion.

– Depuis notre conversation hier après midi, dit-elle, je ne songe plusqu'aux améliorations qu'on pourrait apporter à notre magasin… Ici, jevoudrais des étagères avec des tablettes de glace avec tain… c'est lamode maintenant… puis ici…

– Bon, bon, dit Sanine en l'interrompant… nous y penserons… Mais, pour le moment, venez avec moi; j'ai une nouvelle à vous communiquer.

Il prit Frau Lénore et Gemma par le bras et les entraîna dans la piècevoisine. Frau Lénore, inquiète, laissa échapper la mesure qu'elle tenaità la main…

Gemma, sur le point de ressentir quelque appréhension, leva les yeux surSanine et se rassura. Le visage du jeune homme marquait lapréoccupation, mais en même temps un courage inébranlable et de ladécision…

Il invita les deux femmes à s'asseoir et resta debout devant elles, gesticulant à tour de bras, s'ébouriffant les cheveux pendant qu'il leurracontait sa rencontre inopinée avec Polosov, le voyage proposé àWiesbaden, et la perspective de pouvoir peut-être vendre ses terres.

– Comprenez-vous mon bonheur? cria-t-il. Si mes démarches aboutissent,je ne serai pas obligé d'aller en Russie!.. Nous pourrons célébrer lemariage beaucoup plus tôt que je n'avais pensé!..

– Quand devez-vous partir? demanda Gemma.

– Aujourd'hui même, dans une heure; mon ami a loué une chaise de posteet m'emmène avec lui.

– Vous nous écrirez?

– En arrivant. Dès que j'aurai parlé avec cette dame, je vous feraisavoir où nous en sommes…

– Cette dame, à ce que vous dites, est très riche? demanda Frau Lénore.

– Immensément riche. Son père était archi-millionnaire, et lui a laissétoute sa fortune en mourant.

– Pour elle toute seule? Vraiment, vous avez de la chance!.. Maistâchez de ne pas vendre trop bon marché… Soyez prudent et ferme! Nevous emballez pas! Je comprends votre désir de vous marier le plus tôtpossible… mais la prudence avant tout! N'oubliez pas que plus le prixque vous obtiendrez pour votre propriété sera élevé, plus vous aurezpour vous deux – et pour vos enfants.

Gemma se détourna. Sanine recommença à gesticuler:

– Vous pouvez compter sur ma sagesse, Frau Lénore… Je ne permettraipas qu'on marchande. Je dirai à cette dame le prix raisonnable; si ellele donne – tant mieux!.. si elle ne le donne pas – tant pis!..

– Vous avez déjà vu cette dame? demanda Gemma.

– Je ne l'ai jamais vue.

– Et quand reviendrez-vous?

– Si l'affaire ne s'emboîte pas, je reviendrai demain; si je vois qu'ilpeut en sortir quelque chose, je resterai encore un ou deux jours… Entout cas, je ne prolongerai pas mon séjour un moment de plus qu'il nefaudra… Je laisse ici mon âme!.. Mais je dois encore passer chez moiavant mon départ. Frau Lénore, donnez-moi votre main pour me porterbonheur!.. Cela se fait toujours en Russie.

– La main droite ou la gauche?

– La main gauche, parce qu'elle est plus près du cœur… Je reviendraidemain, «avec le bouclier ou sur le bouclier!..» J'ai le pressentimentque je reviendrai vainqueur. Au revoir, mes bonnes, mes chères amies…

Il embrassa Frau Lénore, et pria Gemma de lui permettre d'entrer dans sachambre pour un instant, pour une communication importante.

Il voulait tout simplement rester un instant seul avec elle.

Frau Lénore le comprit ainsi et n'eut pas la curiosité de demanderquelle pouvait être cette communication importante.

Sanine entrait pour la première fois dans la chambre de la jeune fille.

Tout l'enchantement de l'amour, son ardeur, son extase et sa douceterreur s'emparèrent de lui, pénétrèrent avec impétuosité dans son âmedès qu'il eut franchi ce seuil sacré.

Il jeta tout autour de lui un regard attendri, tomba aux pieds de lajeune fille et pressa son visage contre sa robe.

– Tu es à moi? dit-elle. – Tu reviendras bientôt?

– Je suis à toi… Je reviendrai, répéta-t-il d'une voix étouffée.

– Je t'attendrai…

Quelques minutes plus tard, Sanine était dans la rue et courait dans ladirection de son hôtel. Il n'avait pas remarqué que, derrière lui,Pantaleone, tout ébouriffé, était sorti par la porte de la confiserie etprononçait des paroles que Sanine n'entendit pas, brandissant sa mainlevée, comme dans un geste de menace.

À une heure moins un quart, exactement, Sanine entra chez Polosov.

Devant l'hôtel attendait une voiture attelée de quatre chevaux.

Lorsque Polosov vit venir Sanine, il dit simplement: «Ah! tu t'esdécidé!» puis il mit son manteau, des galoches, se boucha les oreillesavec des tampons d'ouate, bien que ce fût l'été, et descendit sur leperron.

Les garçons, sur ses ordres, avaient déjà placé dans la voiture lesnombreuses emplettes, avaient capitonné sa place de coussins de soie etdisposé tout autour des petits sacs et des paquets, à ses pieds ilsavaient posé un panier de provisions et assujetti la malle au siège ducocher.

Polosov paya tout le monde largement, et respectueusement soutenu sousles bras par le concierge il entra en geignant dans la voiture, s'assitaprès avoir palpé les objets tout autour de lui, choisit un cigare,l'alluma, et alors seulement, avec le doigt, fit signe à Sanine d'entreraussi dans la voiture. Sanine prit place à côté de lui.

Polosov dit au concierge de recommander au postillon d'aller vite s'iltenait à un bon pourboire.

Le marchepied de la chaise de poste fut refermé avec fracas, lesportières claquèrent et la voiture s'ébranla.

XXXIII

Actuellement le chemin de fer parcourt en moins d'une heure la distancede Francfort à Wiesbaden, mais à cette époque il fallait trois heures envoiture-express: on changeait cinq fois de chevaux.

Polosov sommeillait, puis dodelinait en tenant son cigare entre lesdents, et parlait très peu. Il ne regarda pas une fois par la portière; les points de vue ne l'intéressaient pas; il déclara même que «lanature, c'est ma mort!»

Sanine, de son côté, se taisait et restait indifférent à la beauté dupaysage: il était entièrement absorbé par ses pensées et ses souvenirs.

Aux relais, Polosov payait sans marchander les distances parcourues, regardait l'heure à sa montre, et distribuait aux postillons despourboires proportionnés à leur zèle.

À mi-chemin il sortit du panier deux oranges, choisit la meilleure, lagarda pour lui et offrit l'autre à Sanine.

Celui-ci, qui observait son compagnon de route, partit tout à coup d'unéclat de rire.

– De quoi ris-tu? demanda Polosov en détachant soigneusement la peau del'orange avec ses ongles courts et blancs.

– De quoi je ris? s'écria Sanine: mais de notre voyage!..

– Et pourquoi? demanda Polosov en faisant disparaître dans sa bouchetout un quartier d'orange…

– Mais c'est ce voyage qui me paraît singulier!.. Hier je pensais à metrouver ici avec toi comme à me rencontrer avec l'empereur de laChine… et aujourd'hui je suis en route avec toi, pour vendre mapropriété à ta femme, que je n'ai jamais vue!

– Tout est possible! répondit Polosov. En avançant en âge tu en verrasbien d'autres… Par exemple, est-ce que tu te représentes ton amiPolosov sur un cheval d'ordonnance?.. Eh bien! cela m'est arrivé… Eten me voyant le grand duc Mikhail Pavlovitch a commandé: «Au trot, faites aller au trot ce gros cornette!»

Sanine se gratta l'oreille.

– Je t'en prie, parle-moi un peu de ta femme! Quel est son caractère?

J'ai besoin de le savoir…

– Le grand-duc pouvait à son aise commander «Au trot», continua Polosovavec ressentiment, mais moi, comment devais-je me tenir à cheval? Aussileur ai-je dit: Vous pouvez garder vos grades, vos épaulettes… moi, jen'en veux plus!.. Ah! tu veux que je te parle de ma femme?.. Eh bien!ma femme est un être humain comme tous les autres… seulement «ne luimets pas le doigt dans la bouche», elle n'aime pas cela!.. Mais avanttout parle beaucoup avec elle de choses qui font rire… Raconte-lui tesamours… mais d'une façon amusante… tu me comprends?

– Comment, d'une façon amusante?

– Mais oui, tu m'as dit… que tu es amoureux… que tu as l'intentionde te marier… Eh bien! raconte-lui toute l'affaire…

Sanine se sentit blessé.

– Mais que peux tu trouver d'amusant dans mon mariage?

Polosov se contenta de regarder Sanine dans les yeux pendant que le jusde l'orange coulait sur son menton.

– C'est ta femme qui t'a demandé d'aller à Francfort pour faire cesemplettes? demanda Sanine après quelques moments de silence.

– Oui, c'est elle-même!

– Quelles emplettes?

– Mais… des joujoux!

– Des joujoux!.. Tu as des enfants?

À cette question, Polosov s'éloigna de Sanine.

– Qu'est-ce que tu dis là? Pourquoi aurais-je des enfants?.. Lesjoujoux, ce sont des colifichets… des articles de toilette…

– Tu t'y entends?

– Je m'y entends…

– Mais tu m'as dit que tu ne te mêles jamais des affaires qui concernentta femme!

– Je ne me mêle pas d'autre chose… rien que de sa toilette… cela medésennuie… Ma femme a bonne opinion de mon goût… Puis je saismarchander.

Polosov commençait à égrener ses phrases… Il était déjà fatigué.

– Et elle est très riche, ta femme?

– Oui, elle est assez riche… mais tout pour elle.

– Il me semble pourtant que tu n'as pas à te plaindre?

– Mais aussi, je suis son mari! Il ne manquerait plus que cela, que jen'en profite pas! Je lui suis utile… Elle y trouve son profit… Jesuis commode!..

Polosov s'essuya le visage avec son foulard et se mit à soufflerpéniblement, comme pour dire: «Épargne-moi donc; ne me fais plus dire unmot; tu vois comme cela me fatigue de parler.»

Sanine le laissa tranquille et s'enfonça de nouveau dans ses réflexions.

À Wiesbaden, l'hôtel devant lequel s'arrêta la voiture ressemblaitplutôt à un palais. Aussitôt des sonnettes tintèrent dans les couloirset il y eut tout un remue-ménage parmi le personnel.

Des valets en habit apparurent à l'entrée; le portier brodé d'or surtoutes les coutures d'un coup de main ouvrit la portière.

Polosov descendit de voiture en triomphateur et commença l'ascension del'escalier embaumé et couvert de tapis.

Un homme très correctement vêtu de noir, à la physionomie russe, courutau-devant de lui; c'était son valet de chambre.

Polosov lui annonça que dorénavant il le prendrait partout avec lui, parce que la veille à Francfort on l'avait laissé passer la nuit sanseau chaude!

Le visage du valet exprima l'horreur, puis il se baissa lestement etretira les galoches du barine.

– Est-ce que Maria Nicolaevna est chez elle? demanda Polosov.

– Madame est chez elle… Madame s'habille… Madame dîne chez lacomtesse Lassounski.

– Ah! chez la comtesse!.. Écoute! il y a dans la voiture des effets…prends-les toi-même et apporte-les ici… Et toi, Dmitri Pavlovitch, dit-il à Sanine, choisis-toi une chambre et viens me rejoindra danstrois quarts d'heure… Nous dînerons ensemble..

Polosov s'éloigna, et Sanine demanda une chambre parmi les plusmodestes. Quand il eut rajusté sa toilette et se fut un peu reposé, ilentra dans le vaste appartement occupé par «Son Altesse le princePolosov.»

Il trouva «Son Altesse» assis dans un fauteuil de velours écarlate aumilieu d'un salon resplendissant.

Le flegmatique ami de Sanine avait trouvé le temps de prendre un bain etde se revêtir d'une très riche robe de chambre de satin; sa tête étaitornée d'un fez couleur de fraise.

Sanine s'approcha de lui et le contempla quelque temps.

Polosov restait assis, immobile, comme une idole dans sa niche; il netourna pas la tête du côté de Sanine, ne remua pas les paupières, neproféra pas un son.

C'était un spectacle vraiment majestueux.

Après l'avoir admiré quelques instants, Sanine se disposait à parlerpour rompre ce silence auguste, lorsque tout à coup la porte de lachambre voisine s'ouvrit, et sur le seuil apparut une jeune et joliefemme, vêtue d'une robe de soie blanche ornée de dentelles noires, avecdes diamants aux poignets et autour du cou.

C'était Maria Nicolaevna Polosov.

Les cheveux roux, touffus, tombaient des deux côtés de la tête en nattestoutes prêtes à être relevées.

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12+
Litres'teki yayın tarihi:
19 mart 2017
Hacim:
190 s. 1 illüstrasyon
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