Kitabı oku: «Eaux printanières», sayfa 10

Yazı tipi:

XXXIV

– Ah, pardon! s'écria Maria Nicolaevna avec un sourire demi-confus, demi-moqueur.

Elle releva d'une main le bout d'une de ses nattes, et attacha sur

Sanine le regard de ses grands yeux gris et clairs.

– Je ne vous savais pas encore ici.

– Sanine Dmitri Pavlovitch, un ami d'enfance, dit Polosov, sans bougerde sa place et en montrant Sanine du doigt.

– Oui, je sais… Tu m'as déjà parlé de lui… Je suis enchantée defaire votre connaissance… Mais je suis venue pour te demander unservice, Hippolyte Sidorovitch… Ma femme de chambre est si maladroiteaujourd'hui.

– Tu veux que je donne un coup de main à ta coiffure…

– Oui, oui, je t'en prie. Excusez-moi, répéta Maria Nicolaevna avec lemême sourire.

– Elle fit un signe de tête à Sanine, pirouetta sur elle-même etdisparut dans l'autre chambre en laissant l'impression rapide maisharmonieuse d'un cou exquis, d'épaules splendides et d'une tailleadmirable.

Polosov se leva – et se balançant lourdement suivit sa femme dans l'autrechambre.

Sanine ne douta pas un instant que la jeune femme sût parfaitement qu'ilse trouvait dans le salon du «prince Polosov», et que cette petitecomédie avait été jouée à son intention, pour montrer des cheveux quivalaient d'ailleurs la peine d'être vus.

Sanine fut content de l'apparition de la jolie dame.

«Si elle a voulu m'éblouir par sa beauté, pensa-t-il, qui sait, peut-être se montrera-t-elle coulante pour l'achat de la propriété.»

Son âme était tellement remplie du souvenir de Gemma, que toutes lesautres femmes lui étaient indifférentes, c'est à peine s'il les voyait,et cette fois il se contenta de penser «Oui, on avait raison de me direque cette dame est fort belle!»

S'il ne s'était pas trouvé dans cet état exceptionnel, il se seraitcertainement exprimé autrement.

Maria Nicolaevna, née Kolychkine, était une femme qu'on ne pouvaits'empêcher de remarquer. Ce n'est pas qu'elle fût une beautéincontestée: on distinguait nettement en elle les traces de son origineplébéienne. Le front était bas, le nez un peu charnu et légèrementretroussé: elle ne pouvait pas se glorifier non plus de la finesse de sapeau, ni de l'élégance de ses mains et de ses pieds… mais quesignifiaient ces détails?

Celui qui la voyait ne restait pas en contemplation devant une «beautésacrée» comme disait le poète Pouchkine, mais devant le prestige d'unvigoureux et florissant corps de femme, russe et tzigane… et il n'yavait pas moyen de ne pas tomber en arrêt devant elle.

Mais l'image de Gemma protégeait Sanine, comme le triple bouclier quechante le poète.

Dix minutes plus tard Maria Nicolaevna apparut de nouveau avec son mari.

Elle s'approcha de Sanine… et sa démarche était si séduisante, quecertains originaux… hélas! que ces temps sont loin, – devenaientfollement épris de Maria Nicolaevna rien que pour sa démarche.

«Lorsque cette femme marche à ta rencontre, on dirait que le bonheur deta vie entre par la même porte! disait un de ses adorateurs.

Elle tendit la main à Sanine et lui dit de sa voix caressante etcontenue:

– Vous ne vous retirerez pas avant mon retour n'est-ce pas? Je rentreraide bonne heure…

Sanine s'inclina respectueusement, tandis que Maria Nicolaevnadisparaissait derrière la portière; sur le seuil elle tourna la tête enarrière et sourit, et de nouveau Sanine ressentit la même impressionharmonieuse qu'il avait éprouvée un moment auparavant.

Lorsque Maria Nicolaevna souriait on voyait se creuser sur chacune deses joues non pas une, mais trois petites fossettes – et ses yeuxsouriaient plus encore que ses lèvres, longues, empourprées etrayonnantes avec deux minuscules grains de beauté à gauche.

Polosov se traîna jusqu'à son fauteuil. Il ne disait mot, commeauparavant; mais un sourire moqueur, étrange, de temps en temps plissaitses joues bouffies, incolores et déjà ridées.

Il avait l'air vieillot, bien qu'il n'eût que trois ans de plus que

Sanine.

Le dîner que Polosov servit à Sanine aurait pu satisfaire le gourmet leplus consommé, mais Sanine le trouva sans fin et insupportable!

Polosov mangeait lentement «avec sentiment, conviction et lenteur», sepenchant avec attention sur son assiette, et flairant presque chaquemorceau.

D'abord il se rinçait la bouche avec du vin, et après seulement ill'avalait en faisant claquer ses lèvres…

Quand on servit le rôti, sa langue se délia subitement… mais sur quelsujet?.. Sur des moutons dont il voulait faire venir tout un troupeaudans sa propriété… et il en parlait avec amour, accumulant lesdétails, et n'employant que les diminutifs affectueux…

Après avoir bu une tasse de café noir en ébullition, – il avait àplusieurs reprises pendant le dîner rappelé au garçon d'une voixcourroucée et larmoyante que la veille on lui avait servi du café froid, froid comme la glace – Polosov, tout en mordillant entre ses dents jauneset tordues un havane, s'endormit, selon son habitude et à la grande joiede Sanine. Le jeune homme se mit à arpenter le salon sur le tapis épais,rêvant à sa vie future avec Gemma, et aux nouvelles qu'il pourrait luiporter le lendemain.

Mais Polosov se réveilla plus tôt qu'à l'ordinaire – son sommeil n'avaitduré qu'une heure et demie – et après avoir bu un verre d'eau de Seltzavec de la glace, et avalé au moins huit cuillerées de confiture, de lavéritable confiture russe de Kieff que son valet lui présenta dans unbocal vert foncé, et sans laquelle Polosov déclarait ne pouvoir vivre,il leva ses yeux un peu boursouflés sur Sanine et lui demanda s'ilserait disposé à faire avec lui une partie de douratchki.

Sanine consentit; il craignait de voir Polosov reprendre sesexplications sur les moutons et entrer dans des détails fastidieux…

Le garçon apporta les cartes et la partie commença; il va sans direqu'ils ne jouaient pas pour de l'argent mais uniquement pour passer letemps. Lorsque Maria Nicolaevna revint de son dîner chez la comtesseLasounski elle trouva les deux hommes à cette innocente occupation.

En entrant dans le salon elle aperçut les cartes et la table de jeu, etpartit d'un éclat de rire.

Sanine ce leva, mais elle lui dit:

– Non, continuez votre jeu… Je vais changer de robe, et je reviens…

Elle disparut de nouveau au milieu d'un froufrou de jupes et retira sesgants tout en marchant…

Elle revint effectivement au bout d'un moment. Elle avait remplacé satoilette de bal par une large blouse de soie lilas, avec des manchesouvertes et flottantes; une lourde cordelière entourait sa taille.

Elle s'assit à côté de son mari, et attendit le moment de la partie oùil devint dourak (imbécile), alors elle lui dit:

– Maintenant, petite crêpe, c'est assez!

À ce mot de petite crêpe Sanine la regarda tout étonné et elle luisourit gaîment, répondant au regard du jeune homme en le regardant enface, et creusant toutes les fossettes de ses joues.

– Assez, dit-elle de nouveau à son mari, je vois que tu as envie dedormir, baise la main et va dormir, et moi je resterai avec M. Saninepour causer un peu…

– Je n'ai pas sommeil répondit Polosov en se levant lourdement de sonfauteuil, mais j'irai quand même me coucher et je baiserai la main…

Elle lui tendit la main sans cesser de sourire et de regarder Sanine.

Polosov regarda aussi son ami et partit sans prendre congé.

– Maintenant racontez-moi votre histoire, dit vivement Maria Nicolaevnaen posant ses deux coudes nus sur la table, et en tapotant avecimpatience ses ongles l'un contre l'autre. – On m'a dit que vous allezvous marier? Est-ce vrai?

Quand elle eut posé cette question Maria Nicolaevna inclina légèrementla tête de côté pour regarder plus fixement et plus profondément dansles yeux du jeune homme.

XXXV

Bien que Sanine ne fût pas un novice et qu'il eût déjà quelqueexpérience des hommes, la manière d'être délurée de madame Polosov l'eûttout de même troublé, s'il n'avait pas vu dans cette familiarité et cesans-façon un heureux augure pour son entreprise. «Flattons les capricesde cette riche dame», se dit-il; et il répondit d'un ton aussi dégagéque l'était la question posée:

– Oui, je me marie.

– Vous épousez une étrangère?

– Une étrangère!

– Vous venez de faire sa connaissance à Francfort?

– Oui, madame, à Francfort.

– Et peut-on savoir qui est cette jeune fille?

– Certainement. Elle est la fille d'un confiseur.

Maria Nicolaevna ouvrit les yeux tout grands et arqua ses sourcils.

– Mais c'est charmant! dit-elle d'une voix posée; c'est délicieux!.. Etmoi qui croyais qu'on ne peut plus trouver en ce monde des hommes commevous… La fille d'un confiseur!

– Je vois que cela vous étonne? dit Sanine, non sans dignité… mais,d'abord, je n'ai point de préjugés…

– D'abord cela ne m'étonne nullement, s'écria Maria Nicolaevna enl'interrompant – des préjugés, je n'en ai pas non plus… Je suismoi-même la fille d'un moujik!.. Eh bien! non, vous ne m'avez pasépatée! Ce qui m'étonne et me réjouit, c'est de voir un homme qui n'apas peur d'aimer… Vous l'aimez?..

– Oui, madame.

– Elle est très belle?

Cette dernière question agaça quelque peu Sanine, mais il n'y avait plusmoyen de reculer.

– Vous comprenez vous-même, Maria Nicolaevna, dit-il, que tout hommetrouve le visage de l'aimée plus beau que tous les autres, mais mafiancée est une véritable beauté!..

– Vraiment? De quel genre? Du genre italien, classique?

– Oui, elle a des traits parfaitement réguliers.

– Vous n'avez pas son portrait?

– Non.

À cette époque la photographie n'était pas connue, et les daguerréotypescommençaient seulement à se répandre.

– Quel est son nom?

– Gemma!

– Et le vôtre?

– Dmitri…

– Et votre nom patronymique?

– Pavlovitch.

– Savez-vous, dit Maria Nicolaevna, toujours de la même voixtraînante… Vous me plaisez beaucoup, Dmitri Pavlovitch… Vous devezêtre un brave garçon… Donnez-moi votre main… Soyons amis…

Elle serra fortement la main du jeune homme de ses beaux et vigoureuxdoigts blancs…

Elle avait la main un peu plus petite que celle de Sanine, et pluschaude, plus douce, plus souple et vivante.

– Mais savez-vous quelle idée me vient?

– Voyons cette idée?

– Vous ne vous fâcherez pas? Non?.. Vous dites que vous êtes fiancés…

Il n'y avait pas moyen de faire autrement?

Sanine fronça les sourcils.

– Je ne vous comprends pas, Maria Nicolaevna?

Maria Nicolaevna eut un petit rire, et secouant la tête, elle rejeta enarrière les cheveux qui tombaient sur ses joues.

– Vraiment, il est délicieux, dit-elle, rêveuse, distraite… Unchevalier! Allez après cela croire ceux qui affirment qu'il n'y a plusd'idéalistes!

Maria Nicolaevna parlait tout le temps en russe, avec un accent trèspur, l'accent du peuple de Moscou et non celui de la noblesse.

– Vous avez sans doute été élevé à la maison, dans une famille del'ancien type, où l'on craint Dieu? demanda-t-elle.

Et elle ajouta aussitôt:

– Vous êtes de quel gouvernement?

– Du gouvernement de Toula.

– Nous sommes vous et moi de la même auge! Mon père… Mais savez-vousqui était mon père?

– Oui, je le sais.

– Il est né à Toula… Assez là-dessus… maintenant passons auxaffaires.

– Comment aux affaires?.. Que voulez-vous dire?

Maria Nicolaevna cligna des yeux.

Quand elle clignait des yeux son regard prenait une expressioncaressante et légèrement moqueuse; quand elle les ouvrait tout grands, leur lueur claire, presque froide, n'annonçait rien de bon… presqueune menace. Ses yeux étaient embellis surtout par ses sourcils bienfournis, un peu proéminents, de vrais sourcils de martre.

– Mais dans quelle intention êtes-vous venu ici? Vous désirez me vendrevotre propriété? Vous avez besoin d'argent pour votre mariage, n'est-cepas?

– Oui, j'ai besoin d'argent.

– De beaucoup d'argent?

– Pour le moment, je me contenterais de quelques milliers de francs…Hippolyte Sidorovitch connaît ma propriété… vous pouvez leconsulter… Je ne demande pas un prix élevé.

Maria Nicolaevna agita la tête de droite à gauche…

– Premièrement, dit-elle on scandant chaque mot et en frappant du boutdes doigts le parement du surtout de Sanine, – je n'ai pas l'habitude deconsulter mon mari, si ce n'est en ce qui concerne ma toilette… sur cechapitre il est fort… —Secondement, pourquoi ne voulez-vous pasdemander un prix élevé? Je ne veux pas profiter de ce que vous êtesamoureux et prêt à tous les sacrifices?.. Je n'accepterai pas de vousun rabais… Comment? Au lieu de stimuler, – comment dirai-jecela… – d'encourager de mon mieux de nobles sentiments, je vousexploiterais? Ce n'est pas dans mes habitudes bien que souvent jen'épargne pas les gens… mais ce n'est pas ainsi que je m'y prends.

Sanine se demandait si son interlocutrice plaisantait ou si elle parlaitsérieusement.

Il se dit en lui-même: «Oh! avec toi, il faut être bien sur ses gardes!»

Un valet apporta un samovar, des tasses à thé, de la crème et desbiscuits sur un grand plateau. Il posa ces choses sur la table entreSanine et madame Polosov, et se retira.

La jeune femme servit à Sanine une tasse de thé.

– Vous ne m'en voudrez pas? demanda-t-elle en mettant du bout des doigtsle sucre dans la tasse du jeune homme, bien que les pinces fussent dansle sucrier.

Sanine se récria: – Madame! d'une si belle main!..

Il n'acheva pas sa phrase et faillit s'étouffer en avalant la premièregorgée de thé.

Madame Polosov le regardait attentivement de son regard clair.

– J'ai dit, reprit Sanine, que je ne demanderais pas un prix élevé pourma propriété, parce que vous sachant à l'étranger, je ne suis pas endroit de supposer que vous ayez avec vous beaucoup d'argentdisponible… Puis je sais que ces conditions de vente ne sont pasnormales… Je dois tenir compte de toutes ces considérations…

Sanine hésitait, s'embrouillait dans ses phrases, tandis que MariaNicolaevna, tranquillement renversée contre le dossier de son fauteuil,le regardait toujours du même regard clair et attentif.

Il se tut enfin.

– Continuez, continuez, dit-elle, d'un ton encourageant… je vousécoute; j'ai du plaisir à vous écouter; parlez.

Sanine se mit alors à décrire sa propriété, dit combien elle mesurait dedessiatines, comment elle était située et quels profits on en pouvaittirer… Il ne manqua pas de mentionner le fait que la maison setrouvait dans un site pittoresque. Maria Nicolaevna ne détachait pas delui son regard toujours plus clair et plus fixe, et ses lèvres remuaientimperceptiblement sans sourire; elle les mordillait.

Sanine se sentit mal à l'aise; il se tut de nouveau.

– Dmitri Pavlovitch, commença Maria Nicolaevna, puis elle s'interrompit.

– Dmitri Pavlovitch, reprit-elle au bout d'un instant… savez-vous…je suis sûre que l'acquisition de votre propriété sera pour moi uneaffaire avantageuse, et que nous nous entendrons sur le prix… Mais ilfaut me donner un peu de temps… deux jours, pour prendre unedécision… Vous pouvez supporter de rester deux jours séparé de votrefiancée?.. Je ne vous retiendrai pas un moment de plus… contre votregré… je vous en donne ma parole… Mais si vous avez besoinimmédiatement de cinq ou six mille francs… je vous les avancerai avecplaisir…

Sanine se leva.

– Je vous remercie d'abord pour votre aimable proposition de me rendreservice, à moi, qui suis presque un inconnu pour vous… Mais puisquevous y tenez absolument, je préfère attendre votre décision au sujet dema propriété… Je peux rester ici encore deux jours.

– Oui, Dmitri Pavlovitch, je le désire… Et cela vous sera pénible,très pénible? Avouez-le-moi?..

– Mais j'aime ma fiancée… et il ne m'est pas indifférent d'être séparéd'elle.

– Ah! vous êtes vraiment un homme d'or, s'écria Maria Nicolaevna avec unsoupir… Je vous promets de ne pas traîner l'affaire en longueur…Vous vous retirez déjà?

– Il est très tard, remarqua Sanine.

– Et vous avez besoin de repos après le voyage… et après votre partiede douratchki avec mon mari?.. Dites-moi, vous êtes un grand ami demon mari?

– Nous avons été élevés dans le même pensionnat.

– Et déjà alors il était comme cela?

– Comment «comme cela?» demanda Sanine.

Maria Nicolaevna partit d'un grand éclat de rire, elle rit jusqu'à endevenir toute rouge, puis elle porta son mouchoir à ses lèvres, se leva,et se balançant comme si elle était fatiguée, elle s'approcha de Sanineet lui tendit la main.

Il salua et se dirigea vers la porte.

– Tâchez demain de vous présenter de très bonne heure… Vousm'entendez? lui cria-t-elle, comme il sortait du salon.

Il se retourna et vit que Maria Nicolaevna s'était renversée de nouveaudans le fauteuil, les deux mains jointes derrière sa tête.

Les larges manches de sa blouse s'étaient ouvertes jusqu'aux épaules – etil était impossible de ne pas reconnaître que cette pose et que toute lapersonne étaient d'une beauté ensorcelante…

XXXVI

Minuit avait sonné depuis longtemps, et la lampe brûlait encore dans lachambre de Sanine. Il était assis devant sa table et écrivait à «saGemma».

Il lui raconta tout ce qui s'était passé, décrivit les Polosov – le mariet la femme – mais en somme parla davantage de ses sentiments et finitpar donner rendez-vous à sa fiancée dans trois jours!!! accompagnés detrois points d'exclamation.

Le lendemain matin de bonne heure il porta la lettre à la poste et allafaire un tour dans le jardin du Kurhause où il y avait déjà de lamusique.

Il n'y avait encore que peu de monde; Sanine resta un moment devant lepavillon où se trouvait l'orchestre, écouta un pot-pourri de Robert leDiable et après avoir pris du café, suivit une allée écartée et s'assitsur un banc tout à ses pensées.

Le manche d'une ombrelle le frappa tout à coup assez fort sur l'épaule.

Il tressaillit…

Vêtue d'une robe légère gris-vert avec un chapeau de tulle blanc et desgants de Suède, fraîche et rose comme une matinée d'été, mais ayantencore la langueur d'un sommeil paisible dans ses mouvements et dans sesregards, Maria Nicolaevna se tenait devant lui.

– Bonjour, dit-elle. J'ai envoyé à votre recherche, mais vous étiez déjàparti: – Je viens de boire mon second verre. – Vous savez, on me force icide boire de l'eau. – Dieu sait pourquoi… Est-ce que je suis malade, moi?.. Et après avoir bu de l'eau, je dois me promener pendant uneheure entière! Voulez-vous être mon cavalier?.. Et ensuite nousprendrons le café…

– J'ai déjà pris le café, dit-il en se levant, mais je serai heureux deme promener avec vous.

– Alors donnez-moi le bras… Ne craignez rien… Votre fiancée n'estpas ici… elle ne vous verra pas.

Sanine eut un sourire forcé.

Chaque fois que madame Polosov parlait de Gemma, il éprouvait unesensation pénible. Mais il obéit et s'inclina avec empressement… Lebras de Maria Nicolaevna entoura lentement et mollement le bras du jeunehomme, glissa contre lui et l'enlaça presque.

– Allons par ici, lui dit-elle, en rejetant sur son épaule l'ombrelleouverte. Je suis dans ce parc comme chez moi, je vais vous montrer lesplus jolis endroits… Et savez-vous – elle employait fréquemment cetteexpression – pour le moment nous ne parlerons pas de votre propriété…Après le déjeuner nous examinerons l'affaire à loisir… Maintenant vousdevez me parler de vous… afin que je sache à qui j'ai affaire…Après, si cela vous intéresse, je vous raconterai mon histoire…voulez-vous?

– Mais, Maria Nicolaevna, il n'y a rien à raconter dans ma vie…

– Permettez, permettez, vous ne m'avez pas bien comprise… Je n'ai pasl'intention de faire la coquette avec vous.

Elle haussa les épaules.

– Il a une fiancée belle comme une statue antique, et je perdrais montemps à faire la coquette avec lui?.. Mais vous détenez la marchandiseet je suis acquéreur… Je veux savoir à quoi ressemble cettemarchandise?.. C'est à vous de me la faire voir… Je veux savoir nonseulement ce que j'achète mais à qui je l'achète… En affaires c'étaitune règle pour mon père… Eh bien! commencez, vous pouvez passerl'enfance… commencez votre récit du jour où vous êtes débarqué àl'étranger. Où avez-vous été avant de venir en Allemagne?.. Maisralentissez donc le pas, rien ne nous presse…

– Je suis venu ici d'Italie où j'ai passé plusieurs mois.

– Vous avez donc un faible pour tout ce qui est italien? La seule chosequi m'étonne c'est que vous n'ayez pas trouvé votre fiancée là-bas…Vous aimez les arts? les tableaux? Ou peut-être préférez-vous lamusique?

– J'aime les arts… J'aime tout ce qui est beau.

– La musique aussi?

– La musique aussi.

– Et moi je ne l'aime pas du tout. Je n'aime que les chansons russes…et encore au village, au printemps, avec des danses… Vous savez ce quej'entends! Les moujiks en chemises rouges… dans les prairies d'herbetendre… délicieux!.. Parlez donc…

Tout en marchant, Maria Nicolaevna regardait Sanine avec persistance.

Elle était de taille élevée, et son visage se trouvait presque au niveaude celui du jeune homme.

Il se mit à raconter ses faits et gestes d'abord par devoir, gauchement – mais peu à peu il s'anima et parla avec volubilité. MariaNicolaevna savait écouter, puis elle paraissait si sincère qu'elleobligeait involontairement les autres à la même sincérité.

Elle possédait ce «terrible don de la familiarité» dont parle lecardinal de Retz.

Sanine raconta ses voyages, sa vie à Saint-Pétersbourg et sa jeunesse.Si Maria Nicolaevna eût été une grande dame avec des manières raffinées,il ne se serait pas laissé aller à tant d'intimité, mais elle s'appelaitelle-même «un bon garçon qui n'aime pas les manières» et marchait à côtédu jeune homme d'une allure féline, s'appuyant un peu sur le bras de soncompagnon, et le regardant dans les yeux… Ce «bon garçon» marchait àcôté de Sanine sous la forme d'un jeune être féminin, qui respiraitcette séduction enivrante et alanguissante, calme et dévorante,qu'exercent sur les faibles hommes certaines natures slaves qui ne sontpas de race pure, mais qui ont subi un fort croisement.

Cette promenade dans le parc et cette conversation durèrent une bonneheure. Le couple ne s'arrêta pas une seule fois, marchant toujours enavant, en avant… dans les avenues sans fond du parc; ils gravissaientla colline et admiraient la vue, ils descendaient dans les vallons, disparaissaient dans l'ombre impénétrable en restant toujours brasdessus, bras dessous.

Par moment Sanine s'en voulait: il ne s'était jamais promené silonguement avec sa chère Gemma, et décidément cette dame l'accaparait.

– N'êtes-vous pas fatiguée? lui avait-il demandé plusieurs fois.

– Je ne suis jamais fatiguée! avait-elle répondu.

Il leur arrivait de rencontrer des promeneurs, presque tous saluaientmadame Polosov; les uns respectueusement et d'autres presqueservilement. À l'un de ces derniers, un très beau brun, mis en vraidandy, elle cria de loin avec le plus pur accent parisien:

– Comte, vous savez, il ne faut pas venir me voir ni aujourd'hui nidemain.

Le comte, sans mot dire, leva son chapeau et s'inclina profondément.

– Qui est-ce ce jeune homme? demanda Sanine, possédé comme tous les

Russes du démon de la curiosité.

– Qui c'est? Un petit Français! Il n'en manque pas ici… Il me faitaussi la cour… Mais il est temps de prendre le café. Rentrons. Je suissûre que vous avez déjà faim? Mon époux a sans doute décollé ses yeux.

«Époux! décollé ses yeux!» se dit Sanine à lui-même… Et avec cela ellea le plus pur accent parisien! Quelle étrange créature!»

Maria Nicolaevna ne s'était pas trompée. Quand ils rentrèrent à l'hôtel, ils trouvèrent son «époux» ou sa «petite crêpe» assis, son fez sur latête, devant la table mise.

– Je suis déjà las d'attendre, dit-il avec aigreur… J'étais sur lepoint de prendre le café sans toi.

– Bon, bon!.. s'écria gaîment Maria Nicolaevna, tu t'es fâché? Cela tefera du bien. Sans cela tu serais complètement figé… Je t'amène unconvive! Sonne vite pour le café. Et maintenant prenons du café – lemeilleur café qu'il y ait en ce monde, dans des tasses de Saxe, sur unenappe blanche comme la neige.

Elle enleva son chapeau, ses gants, et se mit à battre des mains.

Polosov la regarda sous les sourcils:

– Qu'est-ce qui vous met en gaîté aujourd'hui, Maria Nicolaevna?demanda-t-il à demi-voix.

– Cela ne vous regarde pas, Hippolyte Sidorovitch. Sonne! Asseyez-vous, monsieur Sanine, et prenez du café pour la seconde fois ce matin! Ah!que j'aime à commander, c'est mon plus grand plaisir!

– Quand on vous obéit, marmotta de nouveau Polosov.

– Naturellement, quand on m'obéit. C'est pourquoi je suis si heureuseavec toi… N'est-ce pas, ma petite crêpe?.. Et voici le café.

Sur le vaste plateau qu'apporta le garçon se trouvait le programme duspectacle du soir. Maria Nicolaevna s'en empara aussitôt.

– Un drame! dit-elle avec colère, un drame allemand. En tout cas celavaut encore mieux qu'une comédie allemande!.. Retenez pour moi uneloge… une baignoire… Non… Je préfère la Fremden-loge (la logedes étrangers)… Vous entendez, garçon, la Fremden-loge.

– Mais si la Fremden-Loge est déjà, retenue par Son Excellence leStadt-Director

– Vous donnerez à Son Excellence dix thalers et la loge m'appartiendra!

Vous entendez!

Le garçon baissa tristement la tête d'un air soumis.

– Dmitri Pavlovitch, vous m'accompagnerez au théâtre? Les acteursallemands sont détestables! – Mais vous m'accompagnerez? Oui? Oui? Quevous êtes aimable!.. Et toi, ma petite crêpe, tu ne viendras pas?

– Comme tu voudras, répondit Polosov du fond de sa tasse qu'il tenaitentre ses lèvres.

– Sais-tu… reste à la maison. Tu dors toujours au théâtre… Et tucomprends mal l'allemand… Voici ce que tu feras: Tu écriras au gérantpour lui donner une réponse au sujet du moulin… Puis au sujet de lafarine des moujiks… Écris-lui que je ne veux pas, je ne veux pas, jene veux pas!.. Voilà de quoi t'occuper toute la soirée…

– Bon, ce sera fait! répondit Polosov.

– Tu es un brave garçon… Et maintenant, puisque j'ai parlé derégisseurs, abordons la question principale… Oui, dis au garçond'emporter tout cela… Maintenant exposez-nous votre affaire, continua-t-elle s'adressant à Sanine. Vous nous direz quel prix vousdemandez, et quels arrhes vous désirez.

«Enfin, pensa Sanine, nous allons aborder la question.»

– Vous m'avez déjà parlé, reprit madame Polosov, vous m'avezadmirablement décrit votre jardin, mais «petite crêpe» n'était pas là…Il faut qu'il entende aussi quelque chose… Je suis heureuse de penserqu'il est en mon pouvoir de faciliter votre mariage. Puis je vous aipromis de m'occuper de votre affaire après le déjeuner, et je tienstoujours mes promesses? N'est-ce pas, mon ami?

Polosov, de la paume de ses mains, se frotta le visage…

– C'est la vérité même!.. Vous ne trompez jamais personne.

– Jamais! Et je ne tromperai jamais personne… Eh bien! monsieur

Sanine, «défendez votre cause», comme on dit devant les tribunaux…

Türler ve etiketler

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
19 mart 2017
Hacim:
190 s. 1 illüstrasyon
Tercüman:
Telif hakkı:
Public Domain
İndirme biçimi:
Metin
Ortalama puan 5, 2 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 5, 3 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 4,3, 4 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 4,5, 2 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 5, 1 oylamaya göre
Metin, ses formatı mevcut
Ortalama puan 4,6, 16 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 0, 0 oylamaya göre
Metin PDF
Ortalama puan 5, 2 oylamaya göre
Ses
Ortalama puan 5, 1 oylamaya göre
Ses
Ortalama puan 5, 1 oylamaya göre
Ses
Ortalama puan 5, 1 oylamaya göre
Ses
Ortalama puan 5, 1 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 5, 3 oylamaya göre
Metin
Ortalama puan 3,8, 4 oylamaya göre
Metin PDF
Ortalama puan 5, 1 oylamaya göre