Kitabı oku: «La Cible Zéro», sayfa 6
“Est-ce que c’est vous, Khalil ?” avait-il demandé au saint homme. “Êtes-vous le Mahdi ?”
L’Imam Kahlil avait esquissé un large sourire à ces mots. Il avait pris la main d’Adrien dans la sienne et avait dit gentiment, “Non, mon fils. C’est toi. Tu es béni. Je peux le voir aussi clairement que je vois ton visage.”
Je suis béni. Dans la cuisine de leur appartement de Marseille, Adrien colla ses lèvres contre le front de Claudette. Elle avait raison : il avait fait une promesse à Khalil et il devait la tenir. Il récupéra la boîte en acier sur le comptoir et la rapporta aux deux arabes en train d’attendre. Il déclipsa le couvercle et souleva la moitié supérieure du cube en mousse pour leur montrer le minuscule flacon de verre hermétiquement scellé qui se trouvait à l’intérieur.
On aurait dit qu’il n’y avait rien dans le flacon… ce qui faisait partie de la nature même d’être l’une des substances les plus dangereuses du monde entier.
“Chérie,” dit Adrien en replaçant la mousse et en refermant soigneusement le couvercle. “J’ai besoin que tu leur dises dans des termes très clairs qu’ils ne doivent absolument en aucun cas toucher ce flacon. Il doit être manipulé avec la précaution la plus extrême.”
Claudette relaya le message en arabe. Soudain, le syrien qui tenait la boîte eut l’air bien moins à son aise que l’instant d’avant. L’autre homme fit un signe de tête pour remercier Adrien et murmura une phrase en arabe qu’Adrien comprit : “Allah est avec toi, que la paix t’accompagne.” Ensuite, sans prononcer un mot de plus, les deux hommes quittèrent l’appartement.
Une fois qu’ils furent partis, Claudette tourna le verrou et remit la chaîne, puis elle se tourna vers son amant avec une expression rêveuse et satisfaite sur les lèvres.
Adrien, cependant, restait enraciné sur place, le visage sombre.
“Mon amour ?” dit-elle avec prudence.
“Qu’est-ce que je viens de faire ?” murmura-t-il. Il connaissait déjà la réponse : il venait de remettre un virus mortel entre les mains de deux étrangers, non pas entre celles de l’Iman Khalil. “Et s’ils ne lui donnent pas ? Et s’ils le font tomber, qu’ils l’ouvrent ou…”
“Mon amour.” Claudette passa ses bras autour de sa taille et posa sa tête contre sa poitrine. “Ce sont des disciples de l’Imam. Ils vont faire très attention et l’emmener là où il doit aller. Aies confiance. Tu viens de faire le premier pas pour changer le monde en mieux. Tu es le Mahdi. Ne l’oublie pas.”
“Oui,” dit-il doucement. “Bien sûr. Tu as raison, comme toujours. Et je dois terminer.” Si cette mutation ne marchait pas comme elle le devrait, ou s’il ne produisait pas le lot complet, il n’avait aucun doute que ce serait considéré comme un échec, non seulement aux yeux de Khalil, mais aussi aux yeux de Claudette. Sans elle, il s’effondrerait. Il avait besoin d’elle comme on a besoin d’air, de nourriture ou des rayons du soleil.
Pourtant, il ne pouvait pas s’empêcher de se demander ce qu’ils allaient faire de l’échantillon : si l’Imam Khalil allait le tester de façon privée, dans un lieu reculé, ou s’il allait le relâcher publiquement.
Mais il le découvrirait bien vite de toute façon.
CHAPITRE SIX
“Papa, tu n’as pas besoin de m’accompagner à la porte à chaque fois,” Maya lui saisit le bras, alors qu’ils traversaient Dahlgren Quad vers Healy Hall sur le campus de Georgetown.
“Je sais que je n’ai pas besoin de le faire,” répondit Reid. “J’en ai envie. Quoi, tu as honte d’être vue en compagnie de ton père ?”
“Ce n’est pas ça,” murmura Maya. Le trajet s’était fait en silence, Maya regardant pensivement par la fenêtre, alors que Reid essayait de trouver un sujet de conversation sans y parvenir.
Maya approchait de la fin de sa première année au lycée, mais elle avait déjà testé un peu le programme AP et avait donc commencé à prendre quelques cours par semaine sur le campus de Georgetown. C’était une belle immersion dans le monde de l’université et ça aurait belle allure sur sa candidature, d’autant que Georgetown était pour l’instant son premier choix. Reid avait non seulement insisté pour conduire Maya à l’université, mais également pour l’accompagner jusqu’à sa salle de cours.
La veille au soir, quand Maria avait soudain été forcée de couper court à leur rencart, Reid s’était dépêché de rentrer chez lui retrouver ses filles. Il était extrêmement perturbé par la nouvelle de l’évasion de Rais. Sur le trajet du retour, ses doigts tremblaient sur le volant de sa voiture, mais il s’était efforcé de rester calme et avait tenté de réfléchir de manière logique. La CIA était déjà à sa poursuite, tout comme Interpol très certainement. Il connaissait le protocole : chaque aéroport serait surveillé et des blocages routiers seraient établis sur les voies principales de Sion. Et Rais n’avait plus d’alliés vers qui se tourner.
En outre, l’assassin s’était échappé en Suisse, à plus de six mille kilomètres de là. La moitié d’un continent et un océan entier le séparait de Kent Steele.
Pourtant, il savait qu’il se sentirait beaucoup mieux quand il saurait Rais de nouveau en détention. Il ne doutait pas des capacités de Maria, mais il regrettait de ne pas avoir eu la présence d’esprit de lui demander de le tenir au courant à chaque avancée.
Maya et lui atteignaient l’entrée de Healy Hall quand Reid s’arrêta. “Très bien, on se voit après tes cours ?”
Elle lui jeta un regard suspicieux. “Tu ne m’accompagne pas à l’intérieur ?”
“Pas aujourd’hui.” Il avait l’impression de savoir pourquoi Maya avait été si silencieuse ce matin. Il lui avait donné une once d’indépendance le soir d’avant mais, aujourd’hui, il reprenait de nouveau ses habitudes. Il fallait qu’il garde en tête que ce n’était plus une petite fille. “Écoute, je sais que je t’ai un peu étouffée ces derniers temps…”
“Un peu ?” ironisa Maya.
“…Et j’en suis désolée. Tu es une jeune femme capable, pleine de ressources et intelligente. Et tu veux juste un peu d’indépendance. Je le comprends. Ma nature surprotectrice est mon problème, pas le tien. Tu n’as rien fait pour que je me conduise ainsi.”
Maya essaya de cacher le sourire sur son visage. “Je rêve où tu viens de dire que ce n’est pas ma faute, mais la tienne ?”
Il acquiesça. “Oui, parce que c’est la vérité. Je ne pourrais jamais me le pardonner si quelque chose t’arrivait et que je n’étais pas là.”
“Mais tu ne seras pas toujours là,” répondit-elle, “malgré tous tes efforts. Et je dois être en mesure de pouvoir gérer mes problèmes toute seule.”
“Tu as raison. Je vais faire de mon mieux pour lâcher un peu de lest.”
Elle haussa un sourcil. “Tu me le promets ?”
“Je te le promets.”
“OK.” Elle se hissa sur la pointe des pieds et déposa un baiser sur sa joue. “On se voit après les cours.” Elle se dirigeait vers sa salle de classe, mais une pensée lui vint d’un coup. “Tu sais quoi ? Je devrais peut-être apprendre à tirer, juste au cas où…”
Il pointa un doigt vers elle en guise d’avertissement. “Ne pousse pas le bouchon non plus.”
Elle esquissa un sourire, puis s’évanouit dans le couloir. Reid s’attarda dehors pendant quelques minutes. Bon dieu, ses filles grandissaient trop vite. Dans deux petites années, Maya serait légalement une adulte. Bientôt il y aurait des voitures, des frais universitaires, et… Et, tôt ou tard, il y aurait des garçons. Heureusement, ça n’était pas encore arrivé.
Il se changea les idées en admirant l’architecture du campus, tandis qu’il se dirigeait vers Copley Hall. Il ne se lasserait jamais de se promener dans l’université, de profiter de ses structures des dix-huit et dix-neuvième siècles, beaucoup ayant été bâties dans le style Romanesque Flamand qui prospérait en Europe au Moyen-Âge. En outre, la mi-mars en Virginie était le moment où change la saison, avec un climat qui arrivait à dépasser les 10 ou 15 degrés les plus beaux jours.
Son rôle en tant que professeur adjoint consistait généralement à gérer des classes plus petites, de vingt-cinq à trente étudiants à la fois, dont la spécialité était principalement l’histoire. Ses cours étaient axés sur la guerre et il remplaçait souvent le Professeur Hildebrandt, un titulaire qui voyageait fréquemment pour un livre qu’il était en train d’écrire.
Ou peut-être est-ce un agent secret de la CIA, songea Reid avec amusement.
“Bonjour,” dit-il bruyamment en entrant dans la salle de classe. La plupart de ses étudiants était déjà là à son arrivée, donc il se hâta de rejoindre l’avant de la pièce, de poser sa sacoche sur le bureau et de retirer son manteau en tweed. “Étant donné que j’ai quelques minutes de retard, rentrons directement dans le vif du sujet.” Il était content de donner de nouveau des cours. Il se sentait dans son élément, du moins l’un d’entre eux. “Je suis sûr que l’un d’entre vous peut me dire quel a été l’événement le plus dévastateur, en termes de nombre de morts, de l’histoire de l’Europe ?”
“La Seconde Guerre Mondiale,” répondit immédiatement quelqu’un.
“L’un des pires au niveau mondial, c’est clair,” répondit Reid, “mais la Russie s’en est bien moins tirée que l’Europe au niveau des chiffres. Quoi d’autre ?”
“La conquête mongole,” proposa une brune à queue de cheval.
“Une autre bonne idée, mais vous réfléchissez en termes de conflits armés. Or, ce à quoi je pense est moins anthropogénique : c’est plus biologique.”
“La peste noire,” murmura un blond au premier rang.
“Oui, c’est exact, Monsieur… ?”
“Wright,” répondit le gamin.
Reid esquissa un sourire. “M. Wright, en êtes-vous sûr ?”
Le jeune sourit timidement et secoua la tête.
“Oui, M. Wright a raison : il s’agit de la peste noire. La pandémie de la peste bubonique débuta en Asie Centrale, voyagea le long de la route de la soir, fut transmise en Europe à cause des rats sur les navires marchands et, au quatorzième siècle, tua soixante-quinze à deux-cents millions de gens d’après les estimations.” Il marcha un moment pour ponctuer ses propos. “Cela fait une énorme différence, n’est-ce pas ? Comment ces chiffres peuvent-il être aussi larges ?”
La brune du troisième rang leva timidement la main. “Parce qu’ils n’avaient pas de bureau de recensement il y a sept-cents ans ?”
Reid et quelques autres se mirent à rire. “Eh bien, non, en effet. Mais c’est également à cause de la rapidité avec laquelle la peste s’est propagée. Je veux dire, nous sommes en train de parler de plus d’un tiers de la population de l’Europe tuée en l’espace de deux ans. Pour remettre ça en perspective, c’est comme si toute la côte Est et la Californie avaient été vidées de leurs habitants.” Il se pencha sur son bureau et croisa les bras. “Maintenant, je sais ce que vous êtes en train de vous dire. ‘Professeur Lawson, n’êtes-vous pas censé venir nous parler des guerres ?’ Si, et c’est ce que je vais faire tout de suite.”
“Quelqu’un a mentionné la conquête mongole. Pendant une brève période, Gengis Khan a eu le plus grand empire contigu de l’histoire et ses forces ont marché sur l’Europe de l’Est pendant les années de peste en Asie. Khan est considéré comme l’un des premiers à avoir utilisé ce que nous appelons maintenant la guerre biologique. Si une ville ne se rendait pas, son armée catapultait des corps infestés par la peste par-dessus leurs remparts. Et ensuite… elle n’avait plus qu’à attendre un peu.”
M. Wright, le blond du premier rang, fronça le nez de dégoût. “Impossible que ce soit vrai.”
C’est vrai, je vous l’assure. Siège de Kafa, où est à présent la Crimée, en 1346. Vous voyez, on se plaît à penser qu’une chose comme la guerre biologique est un nouveau concept, mais ce n’est pas le cas. Avant que nous ayons des tanks, des drones, des missiles ou même des armes à feu au sens moderne du terme, nous, euh… ils, euh…”
“Pourquoi est-ce que tu possèdes un truc pareil, Reid ?” demande-t-elle d’un ton accusateur. Ses yeux semblent plus apeurés qu’en colère.
À sa mention du mot “armes,” un souvenir venait de surgir dans sa tête, le même qu’avant, mais plus clair cette fois. Dans la cuisine de leur ancienne maison en Virginie. Kate a trouvé quelque chose en faisant la poussière dans l’un des conduits de la climatisation.
Un flingue sur la table, petit, un LC9 neuf millimètres argenté. Kate gesticule des mains en direction de l’arme, comme si c’était un objet maudit. “Pourquoi est-ce que tu possèdes un truc pareil, Reid ?”
“C’est… juste pour se protéger,” mens-tu.
“Se protéger ? Est-ce que tu sais au moins t’en servir ? Et si l’une des filles était tombée dessus ?”
“Elles ne feraient pas…”
“Tu sais à quel point Maya peut être curieuse. Bon sang, Je ne veux même pas savoir comment tu te l’es procuré. Je ne veux pas de ce truc chez nous. S’il te plaît, débarrasse-toi de ça.”
“Bien sûr. Je suis désolé, Katie.” Katie… le nom que tu lui réserve quand elle est en colère.
Tu prends délicatement le flingue sur la table, comme si tu ne savais pas comment le manipuler.
Une fois qu’elle sera partie au travail, tu devras récupérer les onze autres armes planquées dans toute la maison. Leur trouver de meilleures cachettes.
“Professeur ?” le jeune homme blond, Wright, regardait Reid d’un air inquiet. “Vous allez bien ?”
“Euh… ouais.” Reid se redressa et se râcla la gorge. Il avait mal aux doigts : il avait serré fort les bords du bureau quand le souvenir l’avait happé. “Ouais, désolé.”
Il n’avait plus aucun doute à présent. Il était sûr d’avoir perdu au moins un souvenir de Kate.
“Euh… désolé les jeunes, mais je ne me sens pas très bien tout à coup” dit-il à ses élèves. “C’est arrivé subitement. Disons, euh, qu’on va en rester là pour aujourd’hui. Je vais vous donner de la lecture et nous reprendrons tout ça lundi.”
Ses mains tremblèrent pendant qu’il leur donnait les numéros de pages à lire. De la sueur se mit à perler sur son front, alors que les étudiants quittaient la pièce. La brune du troisième rang s’arrêta devant son bureau. “Vous n’avez vraiment pas l’air bien, Professeur Lawson. Vous voulez que l’on prévienne quelqu’un ?”
Une migraine était en train de se former à l’avant de son crâne, mais il se força à esquisser un sourire qu’il espérait agréable. “Non, merci, ça va aller. J’ai juste besoin de me reposer.”
“OK. Bon rétablissement, Professeur.” Elle quitta également la salle de cours.
Dès qu’il se retrouva seul, il fouilla dans le tiroir de son bureau, trouva des cachets d’aspirine et les avala avec l’eau qu’il sortit d’une bouteille dans son sac.
Il s’enfonça dans sa chaise et attendit que son rythme cardiaque se calme. Les souvenirs n’avaient pas seulement eux un impact mental ou émotionnel sur lui, ils avaient également eu un effet réellement physique. L’idée de perdre les souvenirs qu’il avait de Kate, alors qu’il l’avait déjà perdue elle, lui donnait la nausée.
Au bout de quelques minutes, la sensation de malaise dans son estomac commença à s’estomper, contrairement aux pensaient qui affluaient dans son esprit. Il ne pouvait plus se chercher d’excuses : il devait prendre une décision. Il allait devoir déterminer quoi faire ensuite. Chez lui, dans une boîte sur son bureau, se trouvait la lettre lui indiquant vers qui se tourner pour obtenir de l’aide : un médecin suisse du nom de Guyer, le neurochirurgien qui lui avait installé le suppresseur de mémoire dans la tête. Si quelqu’un pouvait l’aider à retrouver la mémoire, c’était bien lui. Reid venait de passer ce dernier mois à changer sans cesse d’avis, à savoir s’il devait ou non tenter de retrouver totalement ses souvenirs.
Mais des souvenirs concernant sa femme étaient partis et il n’avait aucun autre moyen de savoir si d’autres choses avaient été effacées avec le suppresseur.
À présent, il était prêt.
CHAPITRE SEPT
“Regarde-moi,” dit l’Imam Khalil en arabe. “S’il te plaît.”
Il posa les mains sur les épaules du garçon dans un geste paternel et s’agenouilla légèrement pour se retrouver face à face avec lui. “Regarde-moi,” dit-il à nouveau. Ce n’était pas une demande, mais un ordre énoncé gentiment.
Omar avait du mal à regarder Khalil dans les yeux. Au lieu de ça, il regardait son menton et la barbe noire impeccable, parfaitement rasée au niveau du cou. Il regardait les revers de son costume marron foncé, largement plus cher et plus raffiné que n’importe lequel des vêtements qu’Omar avait portés dans sa vie. Cet homme plus âgé sentait bon, et il parlait au garçon comme s’ils étaient égaux, avec un respect que personne d’autre ne lui avait témoigné avant. Pour toutes ces raisons, Omar ne pouvait pas regarder Khalil dans les yeux.
“Omar, sais-tu ce qu’est un martyr ?” demanda-t-il. Sa voix était claire, mais pas forte. Le garçon n’avait d’ailleurs jamais entendu l’Imam crier.
Omar secoua la tête. “Non, Imam Khalil.”
“Un martyr est une sorte de héros. Mais il est plus que ça : c’est un héros qui se donne pleinement à une cause. On se souvient d’un martyr. On célèbre un martyr. Toi, Omar, tu seras célébré. On se souviendra de toi. Tu seras aimé pour toujours. Et tu sais pourquoi ?”
Omar acquiesça faiblement, mais ne répondit pas. Il croyait aux enseignements de l’Imam, s’était accroché à eux comme à un gilet de sauvetage, encore plus depuis la bombe qui avait tué sa famille. Même après avoir été forcé de quitter sa patrie, la Syrie, par des dissidents. Il avait du mal, toutefois, à croire ce que l’Imam Khalil lui avait dit il y a quelques jours à peine.
“Tu es béni,” dit Khalil. “Regarde-moi, Omar.” Avec beaucoup de difficulté, Omar leva les yeux pour rencontrer ceux de Khalil, bruns, doux, amicaux et intenses à la fois. “Tu es le Mahdi, le dernier des Imams. Le Rédempteur qui débarrassera le monde de ses pêcheurs. Tu es un sauveur, Omar. Tu comprends ?”
“Oui, Imam.”
“Et tu y crois, Omar ?”
Le garçon n’en était pas sûr. Il ne se sentait pas spécial, ni important ou béni par Allah, mais il répondit quand même, “Oui, Imam. J’y crois.”
“Allah m’a parlé,” dit doucement Khalil, “et il m’a dit ce que nous devons faire. Tu te souviens de ce que tu dois faire ?”
Omar acquiesça. Sa mission était assez simple, bien que Khalil se soit assuré que le garçon n’ait aucun doute sur ce qu’elle signifiait pour lui.
“Bien, bien.” Khalil esquissa un grand sourire. Ses dents parfaitement blanches brillaient sous le soleil. “Avant de nous séparer, Omar, me ferais-tu l’honneur de prier avec moi un moment ?”
Khalil tendit la main, et Omar la saisit. Elle était chaude et douce dans la sienne. L’Imam ferma les yeux et ses lèvres se mirent à bouger à ses paroles muettes.
“Imam ?” dit Omar presque dans un soupir. “Est-ce qu’on ne devrait pas se mettre face à La Mecque ?”
De nouveau, Khalil eut un large sourire. “Pas aujourd’hui, Omar. Le seul véritable Dieu m’a accordé une faveur : aujourd’hui, c’est à toi que je fais face.”
Ils restèrent un long moment tous les deux, priant en silence en se faisant face. Omar sentait le soleil chaud sur son visage et, pendant la minute de silence qui suivit, il crut ressentir quelque chose, comme si les doigts invisibles de Dieu lui caressaient la joue.
Khalil resta agenouillé un instant devant lui, alors qu’ils se trouvaient maintenant dans l’ombre d’un petit avion blanc. Celui-ci ne pouvait accueillir que quatre personnes et avait des hélices sur les ailes. Omar n’avait jamais été aussi proche d’un avion, sauf celui qui l’avait conduit de la Grèce à l’Espagne, la seule fois de sa vie où il avait pris l’avion.
“Merci pour tout.” Khalil lâcha la main du garçon. “Je dois y aller maintenant, et toi aussi. Allah est avec toi, Omar, que la paix soit sur lui et que la paix soit sur toi.” L’homme mûr lui sourit une dernière fois, puis tourna les talons et grimpa la courte rampe menant à l’intérieur de l’avion.
Les moteurs démarrèrent, se mirent à ronronner, puis à rugir. Omar recula de plusieurs pas alors que l’avion avançait maintenant sur la petite piste de décollage. Il le regarda prendre de la vitesse, aller de plus en plus vite, jusqu’au moment où il s’éleva dans les airs, puis finit par disparaître.
Une fois seul, Omar regarda en l’air, profitant du soleil sur son visage. C’était une chaude journée, plus chaude que d’habitude en cette période de l’année. Puis, il se mit en route pour rejoindre Barcelone. En marchant, il mit la main dans sa poche, ses doigts caressants entourant doucement, de manière protectrice, le minuscule flacon de verre qui s’y trouvait.
Omar ne pouvait s’empêcher de se demander pourquoi Allah n’était pas venu directement à lui. Au lieu de ça, son message lui avait été transmis par l’Imam. Est-ce que j’y aurais cru ? pensa Omar. Où aurais-je pensé qu’il ne s’agissait que d’un rêve ? L’Imam Khalil était saint et sage, il savait reconnaître les signes quand ils se présentaient. Omar était un jeune homme naïf de seize ans seulement qui ne connaissait pas grand-chose au monde, en particulier à l’Occident. Peut-être qu’il n’était pas apte à entendre la voix de Dieu.
Khalil lui avait donné une poignée pleine d’euros à emporter avec lui à Barcelone. “Prends ton temps,” avait-il dit. “Profite d’un bon repas. Tu le mérites bien.”
Omar ne parlait pas espagnol, seulement quelques phrases dans un anglais rudimentaire. De plus, il n’avait pas faim. Aussi, au lieu de manger en arrivant en ville, il s’assit sur un banc pour regarder la ville. Il se demanda pourquoi ici, plutôt que n’importe où ailleurs.
Aies la foi, lui aurait dit l’Imam Khalil. Omar décida qu’il avait raison.
À sa gauche, se trouvait l’hôtel Barceló Raval, un étrange bâtiment rond orné de lumières rouges et violettes, avec de jeunes gens bien habillés qui entraient et sortaient par ses portes. Il ne le connaissait pas par son nom. Il savait seulement qu’il ressemblait à un phare qui attirait des pécheurs opulents comme une flamme attire les papillons de nuit. Et ça lui donnait la force de s’asseoir devant, renforçant sa croyance afin qu’il soit capable de faire ce qui était prévu ensuite.
Omar sortit doucement le flacon en verre de sa poche. On aurait dit qu’il n’y avait rien dedans, ou alors quelque chose d’invisible, comme de l’air ou du gaz. Peu importait. Il savait très bien ce qu’il était censé faire avec. La première étape était achevée : entrer dans la ville. Il était en train de procéder à la deuxième étape sur ce banc, à l’ombre du Raval.
Il pinça le bout en verre conique du flacon entre deux doigts et, d’un petit mouvement sec, le cassa.
Un minuscule morceau de verre resta coincé dans son doigt. Il observa la goutte de sang se former, mais résista à l’envie de mettre son doigt dans sa bouche. Au lieu de ça, il fit ce qu’on lui avait demandé, à savoir porter le flacon à ses narines et inhaler profondément.
Dès que ce fut fait, une boule de panique s’empara de son ventre. Khalil ne lui avait rien dit de précis sur ce à quoi s’attendre ensuite. On lui avait seulement dit de patienter un peu, donc il attendit en faisant de son mieux pour rester calme. Il continua de regarder les gens entrer et sortir de l’hôtel, tous habillés de vêtements somptueux et ostentatoires. Il avait totalement conscience de son humble accoutrement : son pull usé, ses joues mal rasées, ses cheveux trop longs et mal coiffés. Il se rappela alors que la vanité était un péché.
Omar resta assis à attendre que quelque chose se passe, de sentir quelque chose se produire en lui, peu importe ce dont “il” s’agissait.
Il ne sentit rien. Il n’y avait aucune différence.
Une heure entière s’écoula sur le banc, puis il finit par se lever et marcher vers le nord-ouest d’un pas tranquille, loin de l’hôtel cylindrique violet, s’enfonçant un peu plus dans la ville. Il descendit les marches vers la première station de métro qu’il rencontra sur son chemin. Il ne pouvait pas lire l’espagnol, mais il n’avait pas besoin de savoir où il allait.
Il acheta un ticket en utilisant les euros que Khalil lui avait donnés et resta immobile sur la plateforme du quai jusqu’à l’arrivée d’une rame. Il ne se sentait toujours pas différent. Peut-être avait-il mal jugé la nature de la libération. Toutefois, il lui restait encore une chose à faire.
Les portes s’ouvrirent, et il pénétra à l’intérieur, avançant presque au coude-à-coude dans la foule qui embarquait. Il y avait beaucoup de monde dans la rame et tous les sièges étaient pris, donc Omar resta debout à se tenir aux barres métalliques parallèles à la longueur du train, juste au-dessus de sa tête.
Les instructions finales étaient les plus simples de toutes, même si c’étaient les plus perturbantes. Khalil lui avait dit de monter dans le métro et avait ajouté “Reste dedans jusqu’à ce que tu n’en puisses plus.” C’était tout.
À ce moment-là, Omar n’était pas sûr d’avoir bien compris ce que ça voulait dire. Mais à mesure que la sueur commençait à perler sur son front, que la température de son corps montait et que la nausée se formait dans son estomac, il commença à avoir une idée.
Alors que les minutes défilaient et que le métro avançait et se balançait sur les rails, ses symptômes empiraient. Il avait l’impression qu’il allait vomir. Le métro s’arrêta à la prochaine station et, alors que des gens montaient et descendaient, Omar eut un violent haut-le-cœur. De dégoût, les autres passagers s’écartèrent de lui.
Il avait l’impression que son estomac s’était serré en un nœud douloureux. À mi-chemin de la station suivante, il toussa dans sa main. En retirant sa main, il constata que ses doigts tremblants étaient maculés de sang foncé et poisseux.
Une femme qui était debout à côté de lui le remarqua aussi. Elle dit brusquement quelque chose en espagnol, parlant rapidement avec les yeux écarquillés sous le choc. Elle désigna du doigt les portes en continuant à parler. Sa voix devint distante, tandis qu’un sifflement aigu montait aux oreilles d’Omar. Toutefois, il comprit qu’elle lui demandait de descendre de la rame.
Au moment où les portes du métro s’ouvrirent à nouveau, Omar trébucha, tombant presque en avant sur le quai.
De l’air. Il avait besoin d’air frais.
Qu’Allah me vienne en aide, pensa-t-il désespérément alors qu’il titubait vers les escaliers pour remonter au niveau de la rue. Sa vision s’embua de larmes et elles se mirent à couler sans qu’il puisse l’empêcher.
Ses entrailles hurlant de douleur et avec le sang poisseux sur les doigts, Omar finit par comprendre son rôle en tant que Mahdi. Il devait délivrer ce monde de sa pestilence… à commencer par l’élimination de ses propres péchés.
*
“¡Perdón!”
Marta Medellín s’était mise à râler quand l’homme l’avait heurtée brusquement. On aurait dit qu’il ne faisait attention à personne dans la rue. Alors qu’il approchait, les yeux mornes et confus, son épaule gauche dévia et fonça dans la sienne. C’est à ce moment-là qu’elle cria d’un ton bourru, “Excusez-moi !” en espagnol. Pourtant, il ne fit aucunement attention à elle et poursuivit son chemin.
Ayant élevé seule deux garçons, Marta n’était pas étrangère à des comportements insolents. La façon dont ce garçon titubait laissait penser qu’il était bourré. Pourtant, il avait l’air d’être à peine adulte ! Une honte, pensa-t-elle.
D’ordinaire, elle n’aurait pas jeté un deuxième coup d’œil à ce gamin impoli. Il ne méritait pas son attention à foncer sur elle comme ça et à ne pas s’excuser. Mais c’est alors qu’elle l’entendit tousser : une toux profonde qui venait de la poitrine et qui le secouait littéralement. Pour quelqu’un comme elle, cette toux attira immédiatement l’attention et mit ses instincts en alerte.
En entendant le bruit, Marta se tourna juste à temps pour voir ses jambes céder. Il s’écroula sur le trottoir, alors que des passants criaient de surprise ou sursautaient. Pour sa part, elle accourut et s’agenouilla à côté du garçon.
“Señor, ¿puedes escucharme?” Monsieur, est-ce que vous m’entendez ? Son souffle était court, sortant rapidement par sa bouche ouverte. Son visage était cendreux et ses yeux à moitié clos. Elle vérifia ses pupilles : totalement dilatées. Son front était brûlant. Sa température était d’au moins de trente-neuf degrés, peut-être plus.
Plusieurs personnes s’étaient arrêtées, se rassemblant en demi-cercle pour regarder ce qui se passait. “Que quelqu’un appelle une ambulance !” demanda Marta en espagnol. L’hôpital de l’Esperanca était tout proche. Elle savait que le SAMU serait certainement là en moins de deux minutes. Elle retira sa fine veste en daim, la roula en boue et la plaça sous les pieds du garçon pour favoriser la circulation et faire remonter la tension.
“Monsieur,” dit-elle à nouveau, “est-ce que vous m’entendez ?” Il ne répondit rien. Il était plus jeune qu’elle ne l’aurait cru au départ, un adolescent trop maigre, flottant dans son pull trop large. Mais il ne semblait pas assez faible pour être frappé à ce point par une maladie ordinaire. C’est peut-être une grippe, se dit-elle. Elle affecte plus durement certaines personnes que d’autres, même chez les hommes et femmes en bonne santé par ailleurs.
Elle prit sa main dans la sienne. Elle était humide et moite au toucher. “Veuillez serrer ma main si vous comprenez ce que je dis.” En guise de réponse, le garçon tourna la tête sur le côté et partit d’une nouvelle crise de toux violente et déchirante.
“Monsieur, j’ai besoin de connaître vos antécédents médicaux et de savoir si vous prenez des médicaments actuellement,” dit-elle aussi clairement que possible. En même temps, elle regarda ses poignets et son cou à la recherche d’un bracelet ou collier médical, mais ne trouva rien.
Il murmura doucement quelque chose que Marta ne put entendre. Elle se pencha tout près de sa bouche, alors qu’il répétait sa phrase.
“Imam…” prononça le garçon dans un soupir. “Imam Mahdi…”
“Je suis désolée, je ne comprends pas,” répondit-elle. “C’est votre nom ? Parlez-vous Espagnol ?”
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