Kitabı oku: «Le Leurre Zéro», sayfa 5

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Une fois encore, elle faillit rire d’elle-même. Une âme si torturée. Si Maya était là, elle aurait pu suggérer que Sara utilisait le sarcasme d’autodérision comme mécanisme de défense. Toutefois, Maya n’était pas là, alors, faute de mieux, Sara peignait en rose des fruits en cire. Le soir, elle étudiait pour passer le GED, le diplôme de fin d’études secondaires. D’ordinaire, elle n’aurait pas été bien motivée, du moins pas autant qu’il aurait fallu, mais – et même si elle ne l’admettrait jamais ouvertement – son père avait tellement changé d’attitude dernièrement que cela avait quelque chose de motivant. Bien qu’elle se moquât gentiment de lui, les efforts qu’il faisait étaient les bienvenus.

C’était quand même très bizarre. Les gens ne changeaient pas comme cela. Il y avait toujours une raison, un événement déclencheur. Pour elle, c’était clairement de s’être sortie de sa dépendance à la drogue. Son père leur cachait ses motivations, de ça elle était certaine. Mais elle et Maya avaient leurs propres problèmes à gérer, donc, ni l’une ni l’autre n’irait chercher plus loin.

« J’ai bien peur que ce soit tout pour aujourd’hui », annonça Madame Guest. « Je dois aller donner mes cours de céramique. Vous pouvez laisser vos peintures ici pour qu’elles sèchent, mais, s’il vous plaît, nettoyez vos pinceaux avant de partir. Merci ! »

Sara soupira. Elle était en train de peindre sa pomme en orange et pensait la transformer en citrouille, mais cela devrait attendre. Elle nettoya consciencieusement son poste de travail, hissa son sac à dos sur son épaule et rejoignit le couloir à l’odeur de copeaux de cèdre.

Elle prit son temps, traînant les pieds, pas du tout pressée de rentrer chez elle à vélo par ce froid glacial. Maya lui avait proposé de venir la chercher une fois son cours terminé, mais Sara ne voulait pas l’embêter ou devoir compter sur quiconque, et puis, le vent froid qui lui fouettait le visage lui permettait de garder les idées claires.

En parcourant le couloir qui menait vers la sortie, elle jeta de rapides coups d’œil dans les différentes pièces du centre social. Une leçon de gymnastique était en cours, juste une bande de gamins qui roulaient sur des tapis ou essayaient de faire le poirier. Elle passa également devant une classe de poterie, une autre d’anglais langue étrangère, puis d’informatique…

La porte sur sa gauche était presque fermée, entrouverte d’à peine quelques centimètres, pas assez pour qu’elle puisse voir à l’intérieur mais, alors qu’elle passait devant, un fragment de conversation lui parvint.

« Je m’étais promise que jamais plus je ne toucherais à l’héroïne. »

Sara se figea presque littéralement sur place, son pied encore en l’air, puis essaya de jeter un œil par l’entrebâillement de la porte.

« Mais, comme vous pouvez l’imaginer, dit sombrement une jeune femme à l’intérieur, mon addiction, elle, avait d’autres plans en réserve. Et, après une très mauvaise après-midi, elle a eu raison de moi. Je connaissais un type, juste au coin de la rue, et je l’ai appelé. »

Il y avait une note sur la porte, une simple feuille de papier blanc avec quelques mots imprimés à l’encre noire, le tout maintenu par des morceaux de scotch.

Des liens communs
Partager les traumatismes, Partager l’espoir

« Ça n’a pris qu’une minute. » La femme baissa encore la voix, si bien que Sara n’arrivait presque plus à l’entendre. Elle poussa la porte d’à peine quelques centimètres. « J’ai laissé mon fils de deux ans tout seul dans l’appartement, mais seulement pour quelques minutes. » Dans la pièce, Sara apercevait des femmes assises en arc-de-cercle qui se faisaient face. Leurs mines étaient sombres, presque funèbres.

« Malheureusement, pendant ce laps de temps, mon ancien compagnon – le père de mon bébé – a décidé de passer nous voir à l’improviste. » La femme qui s’exprimait gardait les yeux rivés au sol. Sa peau était pâle, elle ne portait pas de maquillage et ses cheveux châtains avaient été noués hâtivement en une queue de cheval. « Je suis revenue en tenant à la main mon petit sachet pour trouver mon fils dans ses bras. Ce jour-là, je l’ai perdu… »

Un visage apparut soudainement dans l’entrebâillement de la porte, faisant sursauter Sara qui fit un bond en arrière. La femme qui lui souriait avait un air de jeune matrone, un peu comme une mère de famille de banlieue qui inviterait les amis de ses enfants à dîner et n’accepterait aucun refus.

« Bonjour », murmura-t-elle afin de ne pas interrompre la réunion qui se déroulait derrière elle. « Es-tu là pour “Des liens communs” ?

– Je, Euh… Sara s’éclaircit la gorge et secoua rapidement la tête. Non. Pas du tout. Je jetais juste un coup d’œil. Désolée.

– Pas de soucis. » La femme fit un petit pas dans le couloir et referma doucement la porte derrière elle. « Nous sommes un groupe de soutien pour des femmes ayant vécu toutes sortes de traumatismes. Dépendance à la drogue, violence conjugale, syndrome de stress post-traumatique, dépression… Nous partageons nos expériences et, à travers ce partage…

– Vous créez des liens communs, marmonna Sara. Oui, je vois. »

La femme sourit. « Exactement. » Puis elle fit quelque chose d’étrange : elle regarda Sara droit dans les yeux et fronça les sourcils sans jamais se départir de son sourire.

Cela perturba Sara. C’était comme si la femme pouvait… lire en elle.

« Es-tu sûre de ne pas vouloir entrer ? Tu peux juste venir t’asseoir et écouter. Tu n’as pas besoin de parler.

– Non. Merci. Je… ça va. » Sara fit un pas en arrière. « En fait, j’étais sur le point de partir. » Elle avait réussi à s’en sortir sans l’aide d’un centre de désintoxication ; elle n’avait certainement pas besoin d’un « groupe de soutien ».

Elle se détourna, mais la femme continua de lui parler. « Au fait, je m’appelle Maddie.

– Sara, répondit-elle par-dessus son épaule.

– J’ai été ravie de te rencontrer. À très bientôt, Sara. »

Non, je ne pense pas. Sara pressa le pas le long du couloir. Soudain, le froid de février du Maryland lui sembla beaucoup plus accueillant.

CHAPITRE SIX

Maya regardait fixement le téléphone qui reposait au creux de sa main. L’historique des appels était affiché à l’écran, le numéro était juste là. Il lui suffirait de cliquer dessus.

Peut-être demain.

Elle était assise les jambes en tailleur sur son lit deux places, dans le coin de la chambre, à un mètre environ de celui de Sara, dans la chambre qu’elles partageaient. L’espace était parfois un peu exigu, mais ce n’était rien en comparaison des baraquements auxquels elle s’était habituée à West Point. Quant à Sara, elle avait eu quatre colocataires lorsqu’elle vivait à Jacksonville, donc, cet arrangement leur allait très bien à toutes les deux. Elles avaient refusé plus d’une fois la proposition de leur père d’occuper la plus grande des deux chambres de l’appartement.

Maya jeta le téléphone sur le couvre-lit, à côté d’un exemplaire à peine lu d’Ulysse (un « triomphe du masochisme », comme l’appelait son père) et d’une barre protéinée à moitié entamée. Elle voulait passer cet appel et elle le ferait, mais pas aujourd’hui.

Le numéro, si elle arrivait à trouver le courage de l’appeler, la mettrait en relation avec le bureau du doyen de West Point, le brigadier-général Joanne Hunt. Le bureau du doyen Hunt avait essayé de joindre Maya pas moins de quatre fois au cours des deux dernières semaines, sans toutefois laisser de messages ni aucune information sur la raison de ses appels.

Ce n’était pas nécessaire ; elle savait de quoi il s’agissait. Victime d’une traumatisante agression par trois garçons dans le vestiaire des filles, Maya en avait brutalisé deux et presque tué le troisième. À la suite de cela, le doyen Hunt lui avait gracieusement proposé de rentrer chez elle jusqu’à la fin du semestre et de ne revenir qu’en janvier après les vacances d’hiver.

Cependant, Maya n’y était pas retournée et il était à présent trop tard pour le faire. Elle avait manqué beaucoup de cours et ainsi prolongé inutilement sa formation d’au moins six mois, un sacré coup dur pour son objectif de devenir le plus jeune agent de l’histoire de la CIA.

Elle avait seulement besoin d’un peu de temps. C’est ce qu’elle avait dit à son père et sa sœur. Un peu plus de temps en leur compagnie et pour elle-même. Ensuite, elle y retournerait. Mais elle savait pertinemment que chaque jour qui s’écoulait sans qu’elle passe cet appel et promette de revenir au semestre suivant était un jour de plus durant lequel elle envisageait de ne jamais y retourner.

La porte d’entrée de l’appartement s’ouvrit et Maya se figea pendant un bref moment, une réaction naturelle considérant le nombre de fois où quelqu’un avait pénétré dans leur appartement par effraction avec l’intention de tuer ou kidnapper sa famille, mais elle s’était habituée à reconnaître les pas de son père et son soupir agacé lorsque la porte dilatée par le froid coinçait légèrement. Elle laissa échapper un soupir de soulagement.

« Chérie, je suis rentré ! dit-il d’une voix forte.

– Et qui est “chérie” ? lui répondit Maya avec un sourire.

– Quiconque répond à “chérie”, je suppose.

– Il n’y a que moi ici. »

Il apparut dans l’encadrement de la porte, un sourire malicieux aux lèvres. « Dans ce cas, bonsoir, chérie. Où est ta sœur ?

– À son cours d’art au centre social.

– Oui, c’est vrai. J’avais oublié qu’elle faisait ça, mais je suis content qu’elle y soit. Est-ce qu’elle a besoin qu’on aille la chercher ?

– Elle est à vélo.

Son père cligna des yeux. « En février ?

– Elle a dit qu’elle aimait bien le froid, que ça lui permettait de garder les idées claires.

– Mmm. Et elle me trouve bizarre. »

Maya glissa du lit et le suivit dans la cuisine, où il fouilla dans le frigo pour en sortir une bière légère. Après l’avoir décapsulée, il passa une main dans ses cheveux et soupira avant d’en prendre une gorgée.

« Tu es agacé, observa Maya.

– Nan, ça va. Je suis heureux comme un poisson dans l’eau. Il essaya de tourner cela en dérision avec un sourire, mais elle voyait clair dans son jeu. Tu sais que cette expression, dans sa forme actuelle, date de la fin du XVIIe siècle ? Avant on disait sain comme un poisson… »

Il s’interrompit lorsqu’elle croisa les bras et haussa un sourcil. « Tu es agacé ou contrarié par quelque chose. Peut-être même les deux. Tu n’as pas enlevé tes chaussures quand tu es rentré, tu es allé directement chercher une bière et tu as fait ton truc de « je passe-ma-main-dans-les-cheveux-en-soupirant »…

– Ce n’est pas un “truc”, argumenta-t-il.

– Et à présent tu changes de sujet, finit-elle. Je te parie ce que tu veux que, dans moins d’une minute, tu vas suggérer que l’on commande une pizza ce soir. » La pizza était son repas de prédilection quand il avait trop de soucis en tête.

« Oui, bon, d’accord, tu as raison, ajouta-t-il dans un murmure, parfois j’aurais aimé avoir des enfants un peu plus stupides ou un peu moins observateurs.

– Tu ne voudrais pas me dire comment s’est passé ton “rendez-vous médical” ? demanda Maya. »

Il y réfléchit un instant, puis lui dit : « Enfile une veste ».

Elle récupéra son manteau et le suivit sur leur petit balcon, à peine assez large pour deux chaises et une petite table en verre de chaque côté, mais ils ne s’assirent pas ; son père referma la porte vitrée derrière eux et s’appuya à la balustrade.

Maya boutonna sa veste jusqu’au cou pour se protéger de l’air froid hivernal et croisa les bras sur la poitrine. « Vas-y, je t’écoute.

– Je recherche quelqu’un, lui dit-il d’une voix si basse qu’elle eut du mal à l’entendre. Un agent ou quelqu’un qui l’était jusqu’à il y a environ cinq ans. Appelé Connor.

– Prénom ou nom ? » demanda Maya.

Il haussa les épaules. « Aucune idée. Il pourrait très bien être mort et, si ce n’est pas le cas, il est drôlement bien caché. »

Elle fronça les sourcils en se demandant pourquoi son père était à la recherche d’un agent possiblement décédé. « Pourquoi es-tu à sa recherche ? »

Son père prit une gorgée de bière péniblement longue puis marmonna quelque chose dans sa barbe. Maya n’avait pas bien entendu, mais il lui semblait qu’il avait prononcé le mot « paperasse ».

« Quoi ?

– Rien, répondit-il. Je ne peux pas vraiment t’en parler. C’est lié… à mon travail.

– Je comprends. » Cependant, étant donné son comportement et le fait qu’il n’était pas parti pour une chasse à l’homme avec toutes les ressources que la CIA allouait lors de ces missions de grande ampleur, elle supposa que cela n’avait rien à voir avec son travail. « Et tu me dis tout ça dehors sur le balcon, dans le froid glacial, parce que…? »

Il ne répondit rien mais lui lança un regard dénué de toute émotion. Il lui fallut un moment pour l’interpréter mais, quand elle y arriva, son estomac se noua.

« Oh mon Dieu, tu ne penses tout de même pas…? » Elle s’arrêta avant de le dire tout haut. Il pensait que leur appartement pouvait, d’une manière ou d’une autre, être sur écoute.

« Je ne suis pas complètement sûr. Alan a fait quelques ratissages, mais ces gens-là ont tendance à se montrer créatifs. »

Maya secoua la tête de dégoût à l’idée que tout ce qu’elle avait dit, et probablement ce qu’elle avait fait – ainsi que sa petite sœur – avait été enregistré quelque part dans une des bases de données de la CIA. On lui avait une fois implanté sous la peau une puce de traçage numérique et l’idée que ses moindres déplacements soient connus en permanence avait été suffisamment dérangeante.

Cependant, de là à être observée… cela lui rappelait l’incident à West Point, avec les trois jeunes hommes qui s’étaient cachés dans les vestiaires, attendant qu’elle sorte de la douche afin de l’attaquer. Combien de temps avaient-ils pu passer là et qu’avaient-ils vu…?

Elle s’obligea à ne pas y penser. Son père ne connaissait que le strict minimum de ce qu’il s’était passé et elle n’avait pour le moment pas l’intention de lui en dire plus. C’était à elle de gérer le problème, tout comme lui devait gérer le sien.

« Que vas-tu faire, alors ? » lui demanda-t-elle.

Il agita la main en signe d’impuissance. « Il y a un docteur, ou il pourrait y en avoir un, qui le connaît. Ou le connaissait. Je ne sais pas encore. J’attends plus d’infos de la part de Reidigger. » Il lui sourit en la regardant par-dessus son épaule. « Allez, viens, rentrons.

– Attends une minute. Si tu es supposé ne pas m’en parler, pourquoi me dis-tu tout cela ? Il la fixa si longtemps qu’elle s’imagina que lui non plus n’était pas sûr de la réponse.

– Parce que, dit-il enfin, quand je suis agacé, te parler m’aide à me sentir moins agacé. »

Il lui serra l’épaule puis ils retournèrent à l’intérieur, juste à temps pour trouver Sara qui fermait la porte derrière elle et ôtait son bonnet de laine. Son nez et ses joues étaient rougis et gercés par l’air hivernal.

Sara regarda son père puis hocha la tête. « Pizza ce soir, alors ? »

Il leva les deux mains en l’air. « Je suis vraiment si prévisible ? »

Maya sourit, puis elle remarqua qu’il y avait quelque chose d’étrange dans le comportement de Sara. Ses mouvements étaient raides, comme figés et pas uniquement à cause du froid, semblait-il. Même après avoir retiré son anorak, sa petite sœur gardait les coudes serrés, presque sur la défensive.

« Ça va ? » demanda Maya.

Sara renifla. « Ouais. C’est juste… mes conneries habituelles.

– Doucement, les gros mots ! s’écria leur père depuis la cuisine. Puis : Oui, je voudrais deux grandes pizzas…

– T’en fais pas, ça va », lui assura Sara en se dirigeant vers la chambre qu’elles partageaient.

Maya ne la crut pas, mais elle savait qu’il était inutile d’insister. Ils avaient tous leurs problèmes et chacun essayait de les gérer à sa façon. Pour les membres d’une famille qui s’étaient promis d’être honnêtes les uns envers les autres, il semblait qu’ils gardaient tous beaucoup de secrets, mais ce n’était pas par malhonnêteté, il s’agissait d’indépendance, d’être capable de s’assumer.

Même si parfois, il fallait bien l’admettre, cela les faisait se sentir bien seuls. Pourtant, il n’était peut-être pas nécessaire qu’il en soit ainsi. Elle pensa à ce fameux Connor qui avait disparu. Il devait bien y avoir un moyen de retrouver ce type… peut-être même qu’une personne aussi intelligente qu’elle, pourrait y arriver. Peut-être pourrait-elle faire quelque chose pour son père qui lui prouverait, au lieu de seulement le lui dire, qu’il n’était pas obligé de garder ses problèmes pour lui seul.

Si seulement elle pouvait apprendre à appliquer ses propres conseils.

CHAPITRE SEPT

Le président Jonathan Rutledge s’installa confortablement sur un canapé rayé du Bureau Ovale, retira les pieds de ses mocassins et posa ses talons sur la table basse cirée devant lui. Il était presque certain que le canapé, un des deux qui étaient perpendiculaires au bureau présidentiel, n’était pas là hier, mais il ne pouvait en être sûr. D’ordinaire, la pièce était toujours bourdonnante d’activité ; les conseillers, chefs d’état-major et administrateurs se pressaient ici et là, tant et si bien que le mobilier devenait plus une toile de fond qu’un décor. À l’origine de cet agencement se trouvait sa femme Deidre, qui s’était attribuée la mission « d’aider » l’équipe de décorateurs de la Maison-Blanche et de réaménager toutes les pièces une fois par semaine ou, du moins, c’était l’impression qu’il en avait.

C’était un canapé agréable. Il espérait qu’il demeurerait dans le bureau un certain temps.

En novembre dernier, Rutledge avait presque suivi le même chemin que le mobilier. À peine quelques mois auparavant, se jugeant inapte à assurer ses fonctions, il avait sérieusement envisagé de démissionner de son mandat de président. Il avait été promu de son ancien poste de Président de la Chambre des Représentants directement au sommet de l’échelle en raison de l’implication de ses prédécesseurs dans l’immense scandale avec la Russie. Il lui avait fallu un certain temps pour s’habituer à son nouveau rôle, au pouvoir qu’il lui conférait et aux responsabilités qui en découlaient.

Mais tout cela était derrière lui. Il avait pris la décision de continuer son mandat et avait ensuite nommé la sénatrice de Californie, Joanna Barkley, vice-présidente. Elle avait fait un travail remarquable jusqu’à présent. Leur cote de popularité était particulièrement élevée ; Rutledge était même perçu positivement par les conservateurs. Il y avait eu une petite baisse des sondages pendant quelques jours à la mi-décembre, lorsqu’il avait fait la grave erreur de teindre ses cheveux pour retrouver leur châtain d’origine. Il ne l’avait fait que parce que les stries grises parsemant sa chevelure le dérangeaient, ni par vanité ni par désir de paraître plus jeune, mais simplement pour préserver sa confiance en lui. Malgré tout, cela n’avait pas empêché les experts des médias de spéculer pendant deux bons jours et demi sur ce que Rutledge essayait de prouver. Apparemment, se teindre les cheveux n’avait pas encore été intégré au grand livre présidentiel des lois non-écrites. Comme ceux qui l’avaient précédé, il était supposé vieillir soit de façon distinguée soit de façon épouvantable.

Le moment présent était l’un des rares durant lesquels il était seul et il en profitait pour se mettre en bras de chemise et pour poser ses pieds en chaussettes noires sur la table basse. Bien sûr, il n’était jamais véritablement seul ; il y avait constamment des caméras rivées sur lui et au minimum deux agents des services secrets postés à l’extérieur, derrière les portes de son bureau. Mais c’était suffisant, et il était décidé à profiter de chacun de ces petits moments dès qu’il le pourrait, car ils étaient très rares, s’insinuant entre de nombreux événements de l’agenda présidentiel bien plus important, comme du mortier entre des briques.

À présent, les relations américano-russes étaient sur la corde raide depuis plusieurs années, bien avant que Rutledge n’endosse les fonctions suprêmes. À présent, c’était aussi avec la Chine que les choses ne se présentaient pas sous leurs meilleurs jours. La guerre commerciale était terminée et le gouvernement chinois jouait franc-jeu, mais seulement parce que Rutledge lui-même avait menacé les Chinois de révéler tous les détails concernant la terrible affaire de l’arme à ultra-sons et l’identité des commandos qui étaient impliqués. Actuellement, il y avait une trêve, mais elle était fragile comme du verre et menaçait de se briser en morceaux dès que les Chinois en auraient l’opportunité.

Malgré tout, il fallait bien faire des concessions. Rutledge le savait et avait même une petite idée derrière la tête, mais c’était Barkley qui l’avait convaincu qu’elle était réalisable. Elle avait cette manière d’aborder des problèmes immenses qui semblaient de prime abord insolubles pour les transformer en petites étapes réalisables. Elle aurait été une grande mathématicienne, se dit-il ; pour elle, chaque problème pouvait être divisé en ses éléments les plus simples.

L’objectif, pour simplifier, était la paix au Moyen-Orient. Pas uniquement entre les États-Unis et chacun des pays du Moyen-Orient, mais également entre tous les pays. C’était certainement ambitieux, mais chaque étape franchie était un pas de plus dans la bonne direction. Et après deux mois à organiser des réunions, à planifier, à écouter les opposants et à tenter de les rallier à la cause, à élaborer des stratégies, des discours, à faire des cauchemars, c’était finalement en train de se réaliser.

« Demain, l’Ayatollah d’Iran vient à Washington. »

Il prononça cette phrase à voix haute, pour son propre bénéfice, lui qui était seul dans le grand Bureau Ovale, comme s’il défiait quiconque d’entrer à la volée pour le contredire. Pourtant, c’était une réalité ; le chef suprême de l’Iran, l’homme qui avait un jour prêté serment publiquement de ne jamais capituler devant les États-Unis, cet homme qui avait diabolisé le pays tout entier, devait arriver le jour suivant pour, dans un premier temps, visiter le siège des Nations Unies à New-York, où un traité était en cours de finalisation. Ensuite, l’Ayatollah rejoindrait Washington, DC pour rencontrer Rutledge et signer le traité qui bénéficierait aux deux nations : non seulement il assurerait la paix mais il apporterait également une aide au peuple de l’Ayatollah et (dans un monde parfait) aiderait à atténuer la xénophobie anti-islamique aux États-Unis.

Rutledge était tendu mais faisait preuve d’un optimisme prudent. Si l’Ayatollah acceptait les termes du traité, non seulement ce serait une étape historique, mais cela montrerait la voie à suivre aux autres états islamiques.

Ou à la plupart d’entre eux, pensa-t-il avec amertume. Barkley ne lui avait épargné aucun détail du récent déplacement qu’elle avait fait en Arabie Saoudite pour les funérailles du défunt roi et sur les exigences formulées à cette occasion par le prince, ou plutôt, le nouveau roi. Déjà, les troupes américaines quittaient les postes de commandement et se retiraient vers les nations voisines. Les ambassades se vidaient. Rutledge avait des troupes armées sur le terrain qui tentaient de cacher autant que possible la situation au peuple américain, mais c’était une tâche insurmontable ; déjà, des rumeurs se propageaient et des informations en provenance d’Arabie Saoudite avaient fuité par le biais d’autres sources.

Un jour ou l’autre, il faudrait remédier à la fragilité actuelle des relations entre l’Iran, l’Arabie Saoudite et les États-Unis. Tôt ou tard, des actions seraient mises en place et on tiendrait des conférences de presse.

Un jour ou l’autre, mais il faudrait que cela attende après la visite du dirigeant iranien. Il avait passé trop de temps à rendre cette visite possible.

Un brusque coup à la porte le sortit non seulement de ses pensées, mais le surprit suffisamment pour qu’il retire promptement ses deux pieds de la table basse et se redresse sur son siège comme si sa propre mère allait le surprendre les pieds sur le mobilier.

« Monsieur le Président ? »

Il s’éclaircit la gorge. « Oui, entrez, Tabby. »

Le battant gauche de la double porte crème s’ouvrit juste assez pour que Tabitha Halpern puisse passer sa tête aux cheveux auburn coupés au carré, dans l’entrebâillement de la porte. « Je suis désolée, Monsieur, on vous demande de toute urgence dans…

– Laissez-moi deviner. Rutledge se frotta le front. La Salle de Crise.

La cheffe de cabinet de la Maison-Blanche fronça les sourcils. « Quelqu’un a-t-il appelé ?

– Non, Tabby. Une simple supposition. Il attrapa ses chaussures. Une semaine. J’aimerais juste une semaine sans situation de crise. Ce serait quelque chose, n’est-ce pas ? »

*

La salle de conférence John F. Kennedy était située au sous-sol de l’aile ouest, une pièce centrale de quatre cent cinquante mètres carré, plus communément appelée la Salle de Crise, et à juste titre, car les seuls moments durant lesquels le président Rutledge y mettait les pieds étaient lors d’une situation de crise.

Et il y avait constamment une crise, semblait-il.

Deux agents des services secrets lui ouvraient le chemin et deux autres le fermaient derrière lui, tandis que Tabby Halpern accélérait le pas du haut de son mètre soixante-quatre pour tenter de suivre la cadence tout en lui lisant le briefing d’une page qu’elle venait de recevoir quelques instants auparavant. Cela concernait la Corée du Sud et un bateau volé ; Rutledge était encore assez perdu dans ses propres pensées.

Je vous en prie, faites que ce ne soit pas une catastrophe. Pas à l’aube d’une visite qui fera date dans l’histoire.

Déjà présents autour de la table de conférence cirée se trouvaient la bande habituelle et les visages familiers – du moins, pour la plupart d’entre eux. Le secrétaire d’État à la Défense Colin Kressley se tenait debout devant son siège, à côté du directeur du Renseignement National, David Barren. En face d’eux se trouvait le directeur de la CIA Edward Shaw, un homme qui se mouvait de telle façon que l’on aurait facilement pu s’imaginer que sa colonne vertébrale était en acier et que sa bouche ne servait qu’à grimacer. Les deux hommes encadrant Shaw lui étaient inconnus.

La vice-présidente Barkley n’était pas présente, remarqua-t-il, même si le protocole n’exigeait pas sa présence étant donné la nature de la situation et l’objet du travail qui l’occupait sur le moment.

« Messieurs, dit Rutledge, pour saluer l’assemblée tandis que lui et Tabby faisaient leur entrée dans la pièce. Je vous en prie, asseyez-vous. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de rappeler à quiconque parmi vous l’événement de demain ni l’importance de cette visite. Je vous en prie, dites-moi que c’est un briefing sur la sécurité ou une fête surprise. »

Personne n’esquissa le moindre sourire ; le froncement de sourcils du directeur Shaw s’était même accentué. Rutledge se rappela qu’il devait brider son comportement désinvolte lorsqu’il se trouvait dans une pièce qui avait été conçue pour la gestion des catastrophes.

« Monsieur le Président, dit le général Kressley de sa voix bourrue de baryton. Il y a deux jours, à approximativement 1700 Roméo1, un satellite au-dessus de l’océan Pacifique Nord a détecté un très bref, très puissant pic d’énergie, à un peu plus de trois cents miles au Sud-Est du Japon. »

Le président fronça un peu plus les sourcils. Il n’avait écouté que d’une oreille distraite ce que Tabby lui disait lorsqu’ils se dirigeaient vers la Salle de Crise, mais elle avait mentionné la disparition d’un bateau.

« Sur le moment, cette poussée d’énergie a été rapportée comme un puissant déferlement de foudre ou potentiellement une explosion provenant d’une poche géothermique, continua Kressley. Toutefois, à présent, nous avons des raisons de croire qu’il s’agissait de tout autre chose…

– Excusez-moi Général, l’interrompit Rutledge en levant la main. Le briefing indiquait la disparition d’un bateau sud-coréen. Concernant cette poussée d’énergie, pouvons-nous aller directement aux faits ? »

Kressley se raidit un moment puis adressa un signe de tête au directeur Shaw.

« Monsieur le Président. » Shaw croisa les mains sur la table, une étrange habitude que Rutledge ne manquait pas de remarquer chaque fois que l’ancien directeur de la NSA parlait. « Il y a moins de trente minutes, le gouvernement de Corée du Sud a partagé un dossier classé secret défense avec la CIA. Si ce que les Sud-Coréens disent est vrai, ils ont développé une arme très puissante et l’ont installée sur un petit navire furtif. Durant le test initial de l’arme sur l’océan Pacifique – la fameuse poussée d’énergie que vient de décrire le secrétaire d’État à la Défense – le navire a été attaqué. Tout l’équipage a été tué. Le navire et l’arme ont été volés. »

Un sifflement s’échappa de la gorge de Rutledge, accompagnant la sensation d’abattement qu'il ressentait soudain. Il y avait beaucoup d'informations à digérer en très peu de temps.

« Cette arme. » La voix de Rutledge était basse mais tout à fait audible dans la pièce autrement silencieuse. « Cette arme a été développée dans le plus grand secret ?

– Oui, Monsieur le Président.

– Et testée dans le plus grand secret.

– C’est exact, Monsieur le Président.

– Et la Corée du Sud a attendu deux jours entiers pour nous dire qu’elle avait été volée. » Rutledge voulait juste avoir confirmation que ce qu’il venait d’entendre au sujet de ses soi-disant alliés de la péninsule coréenne était correct.

« Affirmatif, Monsieur le Président. Shaw fit une pause avant d’ajouter : Il semblerait qu’ils aient été un petit peu trop optimistes sur leur capacité à récupérer l’arme mais, à présent, ils nous demandent notre aide pour régler ce problème. »

Rutledge serra les dents. C’était pire que ce qu’il avait pu imaginer. Non seulement, quelqu’un, quelque part, détenait cette arme de nature inconnue, mais il était désastreux que des alliances se brisent au moment même où l’on essayait d’en créer une nouvelle.

« Quelle est cette arme ? demanda-t-il.

– Pour cela, répondit Shaw, je laisse la parole au Docteur Michael Rodrigo. Il désigna l’homme à sa gauche, de loin le plus jeune de la pièce, atteignant à peine la quarantaine. Il est notre expert en technologie d’armes de pointe et responsable du département Recherche et Développement pour l’US Navy.

1.N.d.T. Format militaire pour exprimer l’heure – correspond à 17h00.

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Yaş sınırı:
18+
Litres'teki yayın tarihi:
04 ocak 2021
Hacim:
391 s. 3 illüstrasyon
ISBN:
9781094306407
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Serideki Sekizinci kitap "Un Thriller d’Espionnage de L'Agent Zéro"
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