Lutter Contre Tout Ennemi

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CHAPITRE TROIS

19 octobre

13h15 – Heure d’été de l’Est

Comté de Fairfax, Virginie – Banlieue de Washington DC

Luke avait payé un hélico pour les sortir, lui et Gunner, du canyon. Il s’était débrouillé pour leur trouver un nouveau vol et il avait roulé comme un dingue pour arriver à temps à l’aéroport de Phoenix. Pendant tout ce temps, il avait fait de son mieux pour esquiver les questions de Gunner, qui se demandait pourquoi ils avaient interrompu leurs vacances de manière aussi soudaine.

« Ta mère a juste envie que tu rentres. Tu lui manques et elle n’aime pas que tu rates autant de jours d’école. »

Assis sur le siège passager, Gunner n’avait pas du tout l’air de croire ce que son père lui disait. C’était un enfant intelligent. Il savait quand on lui mentait. Luke détestait vraiment l’idée que son fils sache pertinemment qu’il lui racontait des histoires.

« Je pensais que toi et maman, vous vous étiez mis d’accord avant qu’on parte. »

« Oui, c’est vrai, » dit Luke, en haussant les épaules. « Mais il y a eu du changement. Écoute, on en parlera dès qu’on arrive, OK ? »

« OK. »

Mais Luke voyait bien que ce n’était pas OK. Et ce serait bientôt encore pire.

Et maintenant, deux jours plus tard, il était assis là, sur le divan confortable du salon de son ancienne maison. Gunner était à l’école.

Luke regarda autour de lui. À une époque, lui et Becca avaient eu une vie agréable ici. C’était une maison magnifique, moderne, qui semblait tout droit sortie d’un magazine d’architecture. Le salon, avec ses grandes baies vitrées, ressemblait à une grande cage en verre. Il se rappela l’époque de Noël – assis dans ce magnifique salon, avec un sapin de Noël dans un coin, un feu dans la cheminée et la neige qui tombait autour d’eux. Il en avait vraiment un souvenir chaleureux.

Mais cette époque était révolue.

Becca s’affairait dans la maison. Elle rangeait, faisait les poussières et nettoyait un peu. À un moment donné, elle sortit l’aspirateur de l’armoire mais il lui échappa des mains. Elle n’allait vraiment pas bien, psychologiquement. Il avait essayé de la prendre dans ses bras quand il était arrivé, mais elle était restée de glace, les bras ballants.

« J’étais vraiment passée à autre chose, tu sais ? » dit-elle. « J’étais prête à tourner la page de notre relation et à avancer. J’ai même eu quelques rencards cet été, quand Gunner était avec toi. Pourquoi pas, après tout ? Je suis encore jeune, non ? »

Elle secoua la tête d’un air triste. Luke resta silencieux. Qu’est-ce qu’il aurait pu dire, de toute façon ?

« Tu veux savoir quelque chose, Luke ? Le premier rencard que j’ai eu, c’était avec un professeur, un type sympa qui m’a demandé ce que tu faisais dans la vie. Je lui ai dit la vérité. Oh, mon ex-mari se consacre à tuer des gens pour le gouvernement. Il était dans la Force Delta. Et tu sais ce qui est arrivé après ça ? Je vais te le dire. Il ne s’est rien passé. Ça a été la dernière fois que j’ai entendu parler de lui. Il a entendu le mot Force Delta et il a disparu. Tu fais peur aux gens, Luke. »

Luke haussa les épaules. « Pourquoi tu ne leur dis pas autre chose ? Ce n’est pas comme si… »

« C’est ce que je fais maintenant. Je dis aux gens que tu es avocat. »

Pendant une fraction de seconde, Luke se demanda ce que le mot ‘gens’ englobait. Est-ce qu’elle avait des rencards tous les jours ? Deux fois par jour ? Il secoua la tête. Ça ne le regardait pas, de toute façon. Tant qu’elle était en sécurité. Mais même comme ça… elle était occupée à mourir. Elle ne serait plus jamais en sécurité et il ne pouvait rien y faire.

Un long silence s’installa entre eux.

« Est-ce que tu aimerais avoir une seconde opinion ? »

Elle hocha la tête. Elle avait l’air à moitié hébétée, sous le choc, comme tous ces survivants de catastrophes que Luke avait vus tant de fois. Mais en même temps, elle avait l’air en pleine forme. Un peu plus mince que d’habitude, mais personne n’aurait pu deviner qu’elle avait un cancer.

C’est la chimio qui leur donne cet air malade. Et la moitié du temps, c’est également ça qui finit par les tuer.

« J’ai déjà eu une seconde opinion par l’un de mes anciens collègues. Je vais consulter une troisième fois début de la semaine. Si ça se confirme, je commencerai un traitement jeudi. »

« Est-ce qu’il est possible d’opérer ? » demanda Luke.

Elle secoua la tête. « C’est trop tard. Le cancer est partout… » Elle s’arrêta un moment de parler. « La chimio est la seule option. Et si ça ne marche pas, je peux essayer avec des traitements alternatifs… si je suis toujours vivante. »

Elle se remit à nouveau à pleurer. Elle était debout au milieu du salon, le visage enfoui dans ses mains, le corps secoué par les sanglots. Elle avait l’air d’une petite fille sans défense. Luke eut de la peine en la voyant dans cet état. Il avait très souvent côtoyé la mort au cours de sa vie, mais ça ? Il n’y était pas préparé. Ça ne pouvait pas être réel. Il se leva du divan et s’approcha d’elle. Il voulait essayer de la réconforter.

Elle le repoussa d’un geste violent.

« Surtout, ne me touche pas ! Reste loin de moi ! » Elle le regarda d’un air furieux. « C’est toi ! » hurla-t-elle. « Tu rends les gens malades ! Tu ne le vois pas ? Tu asphyxies les gens. Toi et toutes tes histoires de superhéros. »

Elle hocha la tête d’un côté à l’autre, en faisant semblant de l’imiter. « Oh, je suis désolé, chérie, » dit-elle, d’une voix qui se voulait masculine. « Il faut que je parte sauver le monde. Je ne sais pas si je serai encore vivant dans trois jours. Mais occupe-toi bien de notre fils, OK ? Je ne fais juste que mon devoir de patriote. »

Elle bouillonnait de rage. Puis sa voix revint lentement à la normale. « Tu fais ça parce que ça t’amuse, Luke. Tu fais ça parce que tu es quelqu’un d’irresponsable. Pour toi, il n’y a aucune conséquence. De toute façon, tu t’en fous de mourir. Et les autres n’ont qu’à se débrouiller pour gérer leur stress. »

Elle éclata en sanglots. « J’en ai vraiment terminé avec toi. Je ne veux plus te voir. » Elle lui fit un geste de la main. « Je suis sûre que tu n’as pas besoin que je te raccompagne. Alors, va-t’en. OK ? Pars et laisse-moi mourir en paix. »

Sur ces mots, elle quitta la pièce. Il y eut un moment de silence, puis il l’entendit pleurer dans la chambre à coucher.

Il resta un bon moment debout au milieu du salon, sans savoir quoi faire. Gunner allait rentrer de l’école dans deux heures. Ce n’était pas une bonne idée de le laisser seul avec Becca, mais en même temps, il n’avait pas trop le choix. Elle avait la garde de Gunner. Il n’avait qu’un droit de visite. S’il emmenait Gunner avec lui sans demander la permission à Becca, ce serait considéré comme un enlèvement.

Il soupira. Ce n’était pas comme si les questions légales avaient tendance à l’arrêter, normalement.

Luke était perdu. Il se sentait vidé de son énergie. Et ils n’avaient encore rien raconté à Gunner. Peut-être qu’il devrait appeler les parents de Becca et leur parler. C’est vrai que Becca s’était toujours occupée de toutes les questions domestiques quand ils étaient ensemble. Peut-être qu’elle avait raison à son sujet – il était beaucoup plus à l’aise à parcourir le monde et à jouer aux gendarmes et aux voleurs. Il savait que des gens se préoccupaient pour lui mais lui ne se sentait pas du tout tracassé. Quel genre de personne vivait ainsi ? Peut-être quelqu’un qui n’avait jamais grandi.

Sur la table basse devant le divan, son téléphone se mit à sonner. Il le regarda comme si c’était une sorte d’animal dangereux, une vipère prête à attaquer.

« Stone, » dit-il, en décrochant.

Il entendit une voix d’homme de l’autre côté de la ligne.

« Je vous passe la Présidente des États-Unis. »

Il leva les yeux et vit Becca dans l’embrasure de la porte. Apparemment, elle avait entendu son téléphone sonner. Elle était revenue pour écouter la conversation qui ne ferait que lui confirmer l’opinion qu’elle avait au sujet de lui. Pendant une fraction de seconde, il ressentit une véritable haine à son égard – elle allait finir par avoir raison. Jusque dans sa tombe, elle parviendrait à le crucifier.

Il entendit la voix de Susan Hopkins à l’autre bout du fil.

« Luke, vous êtes là ? »

« Bonjour, Susan. »

« Ça fait longtemps, agent Stone. Comment allez-vous ? »

« Je vais bien, » dit-il. « Et vous ? »

« Bien, » dit-elle, mais le ton de sa voix trahissait le contraire. « Écoutez, j’ai besoin de votre aide. »

« Susan… » commença-t-il à dire.

« Ça ne vous prendra qu’une journée, mais c’est vraiment très important. J’ai besoin de quelqu’un qui puisse régler ça rapidement et en toute discrétion. »

« C’est à quel sujet ? »

« Je ne peux pas en parler par téléphone, » dit-elle. « Est-ce que vous pouvez venir ? »

Il sentit ses épaules s’affaisser.

« OK. »

« Vous pouvez arriver dans combien de temps ? »

Il jeta un coup d’œil à sa montre. Gunner rentrerait de l’école dans une heure et demie. S’il voulait passer un peu de temps avec son fils, la réunion allait devoir attendre. Mais s’il allait à la réunion…

Il soupira.

« J’arriverai dès que possible. »

« OK. Je veillerai à ce qu’on vous amène directement auprès de moi. »

Il raccrocha et regarda Becca. Elle le fusillait du regard. Il y avait de la haine et de la rage dans ses yeux.

« Où est-ce que tu vas, Luke ? »

« Tu sais très bien où je vais. »

« Oh, tu ne vas pas rester pour passer un peu de temps avec ton fils et jouer au bon père de famille ? Quelle surprise ! Et moi qui pensais que… »

« Becca, arrête tout de suite, OK ? Je suis désolé que tu sois… »

 

« Tu n’auras jamais la garde de Gunner, Luke. Tu pars tout le temps en mission, n’est-ce pas ? Eh bien, tu sais quoi ? Je vais faire de toi ma mission personnelle. Tu ne le verras plus. Jusqu’à mon dernier souffle, je me battrai pour que ce soit le cas. Ce seront mes parents qui l’élèveront et tu n’auras plus le droit de le voir. Et tu sais pourquoi ? »

Luke se leva et se dirigea vers la porte d’entrée.

« Au revoir, Becca. »

« Je vais te dire pourquoi, Luke. Parce que mes parents sont riches ! Ils adorent Gunner. Et ils ne t’aiment pas. Tu penses vraiment avoir les moyens de tenir plus longtemps que mes parents devant les tribunaux ? On sait très bien que ce ne sera pas le cas. »

Il était presque sorti, mais il s’arrêta et se retourna vers elle.

« C’est vraiment ce que tu veux faire du temps qu’il te reste ? » dit-il. « C’est vraiment la personne que tu as envie d’être ? »

Elle le regarda droit dans les yeux.

« Oui. »

Il secoua la tête.

Il ne la reconnaissait pas et il se demanda s’il l’avait vraiment connue un jour.

Et sur ces mots, il sortit.

CHAPITRE QUATRE

23h50 – Heure d’Europe orientale (17h50 – heure d’été de l’Est)

Alexandroupoli, Grèce

Ils se trouvaient à cinquante kilomètres de la frontière turque. L’homme consulta sa montre. Il était presque minuit.

Ce sera pour bientôt.

Il s’appelait Brown. C’était un nom qui n’en était pas un. Le nom parfait pour quelqu’un qui avait disparu depuis longtemps. Brown était une ombre. Une grosse cicatrice lui traversait la joue gauche – une balle qu’il avait évitée de justesse. Il avait une coupe à la brosse. Il était grand et fort. Les traits durs de son visage trahissaient une vie entière passée dans les forces spéciales.

À une époque, Brown avait été connu sous un autre nom – son vrai nom. Mais au fil du temps, il en avait changé. Il en avait eu tellement qu’il ne se souvenait plus de tous les noms qu’il avait portés. Mais ce dernier nom était celui qu’il préférait : Brown. Sans aucun prénom. Juste Brown. C’était suffisant. C’était un nom évocateur. Ça lui faisait penser à des choses mortes. Aux feuilles mortes d’automne, aux arbres calcinés après un essai nucléaire, aux yeux vides de tous ceux qu’il avait tués au cours de sa vie.

Brown était en cavale. Il s’était mis dans de sales draps il y a environ six mois, en faisant un boulot qu’on ne lui avait pas vraiment bien expliqué. Il avait dû quitter précipitamment son pays et passer dans la clandestinité. Mais maintenant, après une période d’incertitude, il était à nouveau actif. Et comme toujours, il y avait du boulot à revendre, surtout pour un homme qui avait sa capacité pour rebondir.

Il se trouvait actuellement devant un entrepôt, dans une zone délabrée du port de cette ville maritime. L’entrepôt était entouré de hautes clôtures, surmontées de fil barbelé, mais le portail d’entrée était ouvert. Une brise fraîche venait de la mer méditerranée.

Il était accompagné de deux hommes, qui portaient tous les deux des vestes en cuir et des mitraillettes Uzi attachées à l’épaule. Ils se ressemblaient comme deux gouttes d’eau, à part le fait que l’un d’entre eux s’était complètement rasé le crâne.

Il vit des phares s’approcher dans la rue.

« Restez vigilants, » dit Brown. « Les combattants arrivent. »

Une petite camionnette remontait le boulevard. Sur le côté du véhicule, il y avait une grande image représentant des oranges. L’une d’entre elles était coupée en deux, pour montrer l’intérieur du fruit. Il y avait également une inscription en grec, probablement le nom de l’entreprise, mais Brown ne savait pas lire le grec.

La camionnette arriva devant le portail et entra directement dans la cour. L’un des hommes de Brown alla refermer le portail, avant de le verrouiller à l’aide d’un énorme cadenas.

Dès que la camionnette fut arrêtée, deux hommes sortirent de la cabine avant. La porte arrière s’ouvrit et trois autres hommes en sortirent également. Ils étaient basanés, probablement des Arabes, mais rasés de près. Ils portaient un jean, de légers coupe-vent et des baskets.

L’un des hommes portait deux grands sacs en toile sur le dos. Ses épaules s’affaissaient sous leur poids. Trois des hommes portaient des Uzis.

On a des Uzis, ils ont des Uzis. Ça ne va pas rigoler.

Le cinquième homme, le chauffeur de la camionnette, avait les mains vides. Il s’approcha de Brown. Il avait des yeux bleus et une peau très foncée. Ses cheveux étaient noirs de jais. La combinaison de ses yeux bleus avec sa peau sombre lui donnait un air presque irréel.

Les deux hommes se serrèrent la main.

« Jamal, » dit Brown. « Je pensais t’avoir dit de ne venir qu’avec trois hommes. »

Jamal haussa les épaules. « J’avais besoin de quelqu’un pour porter l’argent. Et puis moi, je ne compte pas vraiment, n’est-ce pas ? Alors j’en ai bien amené trois. Trois hommes armés. »

Brown secoua la tête et sourit. Ça n’avait pas vraiment d’importance le nombre d’hommes que Jamal amenait. Les deux hommes qui accompagnaient Brown auraient facilement pu descendre un car entier d’hommes armés.

« OK, allons-y, » dit Brown. « Les véhicules sont à l’intérieur. »

L’un des hommes de Brown – qui se faisait appeler monsieur Jones – sortit de sa poche une télécommande et les portes du garage de l’entrepôt se mirent lentement à s’ouvrir. Les huit hommes entrèrent dans l’énorme espace. À l’intérieur, deux énormes véhicules étaient recouverts d’une épaisse bâche verte. Brown s’approcha du premier et retira la moitié de la bâche d’un geste sec, révélant l’avant du véhicule.

« Voilà ! » dit-il. Sous la bâche, se trouvait un semi-remorque, peint en vert, en marron et en brun. Jones alla retirer la bâche vers l’arrière du véhicule, où se trouvait une plateforme de lancement de missiles à quatre cylindres. Les deux parties du semi-remorque étaient séparées et indépendantes l’une de l’autre, mais elles étaient rattachées par un système hydraulique au centre.

C’étaient des tracteurs-érecteurs-lanceurs, ou TEL, des reliques de la guerre froide, des postes mobiles d’attaque que l’OTAN avait utilisés pour cibler l’ancienne Union Soviétique. Ces dispositifs de lancement étaient prévus pour lancer des modèles réduits du missile de croisière Tomahawk, qui pouvaient être équipés de petites ogives thermonucléaires. Ces armes étaient conçues pour des frappes nucléaires tactiques limitées dans l’espace – pour détruire par exemple une ville de taille moyenne ou une base militaire, sans pour autant créer une véritable destruction massive. Mais bien entendu, une fois que des ogives nucléaires étaient lancées, il n’y avait plus aucune certitude.

Ce système de lancement de missiles était autrefois appelé le ‘Griffon’, en référence à la créature mythique de l’Antiquité qui avait les pattes et le corps d’un lion, mais les ailes, la tête et les serres d’un aigle – et qui protégeait les dieux.

Ce système de lancement avait été démantelé en 1991 et toutes les unités étaient censées avoir été détruites. Mais il en restait encore quelques-unes. Il y avait toujours des armes cachées quelque part. Brown n’avait jamais entendu parler d’un missile ou d’un système d’armement qui ait été entièrement démantelé – il y avait trop d’argent à se faire en les ‘égarant’ et en leur trouvant un nouveau propriétaire.

Et c’est ainsi que deux de ces plateformes mobiles étaient restées tout ce temps dans un entrepôt d’une ville portuaire grecque, très près de la Turquie, et à moins d’un kilomètre des docks. À l’intérieur de chacun des cylindres de lancement, était lové un missile Tomahawk. Ils étaient tous opérationnels, ou susceptibles de le devenir avec un peu de tendresse et d’amour.

Ces véhicules n’attendaient plus qu’à être sortis de l’entrepôt et chargés sur un navire pour une destination inconnue. C’étaient des armes conventionnelles, c’est vrai, mais il y avait sûrement encore des ogives nucléaires quelque part pour équiper ces missiles.

Mais ce n’était pas le boulot de Brown de trouver des têtes nucléaires. C’était le problème de Jamal. C’était un type capable et il devait sûrement déjà savoir où il allait se les procurer. Brown ne savait pas trop quoi en penser. Jamal jouait un jeu très dangereux.

« Magnifique, » dit Jamal.

« Dieu est grand, » dit l’un de ses hommes.

Brown fit la grimace. Il n’aimait pas beaucoup la religion. Et ‘magnifique’ n’était certainement pas le terme qu’il aurait choisi. Ces véhicules étaient deux des machines de guerre les plus moches que Brown ait jamais vues. Mais elles pouvaient faire des dégâts – ça, c’était sûr.

« Ça te plaît ? » demanda Brown à Jamal.

Jamal hocha la tête. « Oui, beaucoup. »

« Alors, voyons voir l’argent. »

L’homme qui portait les deux sacs en toile s’approcha. Il laissa tomber les sacs sur le sol de l’entrepôt, avant de s’agenouiller pour les ouvrir.

« Un million de dollars cash dans chaque sac, » dit Jamal.

Brown fit un geste de la tête à l’un de ses hommes, celui au crâne rasé.

« Monsieur Clean, allez contrôler. »

Clean s’agenouilla près des sacs. Il prit au hasard quelques liasses entourées d’un élastique dans chacun d’entre eux. Il sortit un petit scanner numérique de sa poche et prit plusieurs billets dans chacune des liasses. Il alluma la lumière UV du scanner et plaça les billets l’un après l’autre sur la fenêtre du scanner, pour y contrôler la présence d’une bande de sécurité. Puis il fit passer un crayon optique sur chaque billet, pour vérifier les filigranes. C’était un processus assez long et fastidieux.

Pendant que Clean s’attelait à sa tâche, Brown glissa une main à l’intérieur de sa veste pour toucher le canon de son arme. Il regarda Jones, qui acquiesça d’un geste de la tête. Si quelque chose devait arriver, ce serait maintenant. Mais la gestuelle des Arabes n’avait pas changé – ils se contentaient d’observer d’un air impassible. Brown prit ça pour un bon signe. Ils étaient vraiment là pour acheter les véhicules de lancement.

Monsieur Clean laissa tomber une liasse de billets sur le sol. « C’est bon. » Il prit une autre liasse et se mit à en vérifier les billets à l’aide de son appareil. Quelques minutes s’écoulèrent.

« C’est bon. » Il laissa tomber cette liasse au sol et en prit une autre. Les hommes continuaient à attendre en silence.

« C’est bon aussi. » Il continua à vérifier les liasses suivantes.

Après un moment, ça devint vraiment ennuyeux. L’argent était bien réel, apparemment. Brown se retourna vers Jamal.

« OK, je te crois. Ça fait bien deux millions. »

Jamal haussa les épaules. Il ouvrit sa veste et en sortit une grande pochette en velours. « Deux millions cash et deux millions en diamants, comme prévu. »

« Clean, » dit Brown.

Monsieur Clean se mit debout et prit la pochette. Clean était l’expert en argent et en objets précieux. Il sortit un autre appareil électronique de sa poche – un petit carré noir avec une pointe d’aiguille. L’appareil était équipé de lumières sur le côté et il servait à tester la dispersion de la chaleur et la conductibilité électrique des pierres.

Clean sortit une pierre après l’autre de la pochette et appuya délicatement la pointe d’aiguille sur chacune d’entre elles. À chaque fois qu’il en touchait une, un timbre chaleureux se faisait entendre. Il en avait déjà vérifié une douzaine avant que Brown lui adresse à nouveau la parole.

« Clean ? »

Clean regarda Brown et lui sourit.

« Pour l’instant, elles sont toutes bonnes, » dit-il. « Ce sont toutes des diamants. »

Il en testa une autre, puis encore une autre. Et ainsi de suite.

Brown se tourna vers Jamal, qui faisait déjà signe à ses hommes de retirer les bâches et de monter à bord des véhicules.

« Ça a été un plaisir de faire des affaires avec vous, Jamal. »

Jamal le regarda à peine. « De même. » Toute son attention était concentrée sur ses hommes et sur les véhicules. L’étape suivante de leur voyage avait déjà commencé. Faire entrer deux plateformes de lancement de missile nucléaire au Moyen-Orient ne devait pas être une mince affaire.

Brown leva le bras. « Hé, Jamal ! »

L’homme mince se retourna dans sa direction et eut un geste impatient de la main. « Quoi ? »

« Si vous vous faites prendre avec ces trucs… »

Jamal sourit, cette fois-ci. « Je sais. On ne s’est jamais rencontré. » Il se retourna et se dirigea vers le véhicule qui se trouvait le plus près de lui.

Brown se tourna vers monsieur Jones et monsieur Clean. Jones avait un genou à terre et il remettait les liasses de billet dans les sacs en toile. Clean était toujours occupé à tester les diamants. Il les manipulait l’un après l’autre, en tenant toujours son appareil en main.

 

C’était vraiment le jackpot. Les choses s’amélioraient finalement, après le fiasco qui avait forcé Brown à quitter son propre pays. Il sourit.

Et tout ça en une journée de travail.

Mais il y avait tout de même quelque chose qui dérangeait Brown dans tout ça. Ses hommes n’étaient pas assez attentifs – ils étaient distraits par tout cet argent. Ils avaient baissé leur garde. Et lui aussi. Dans une toute autre situation, ça aurait pu mal tourner. Car tout le monde n’était pas aussi fiable que Jamal.

Il se retourna pour regarder à nouveau les Arabes.

Jamal était debout à côté du véhicule et il tenait une Uzi en main. Deux de ses hommes se tenaient à côté de lui et ils pointaient le canon de leur arme sur Brown et ses hommes.

Jamal sourit.

« Clean ! » hurla Brown.

Jamal se mit à tirer et ses hommes en firent de même. Brown entendit les rafales venant des mitraillettes et il eut l’impression d’être aspergé par une lance d’incendie. Il sentit les balles le transpercer de part en part et son corps entra dans une sorte de transe contre laquelle il lutta, mais en vain. C’était comme si les balles le maintenaient debout, le faisant se trémousser sur place.

Pendant un instant, il perdit connaissance. Un voile noir lui couvrit les yeux. Puis il se retrouva couché sur le dos, sur le sol en béton de l’entrepôt. Il sentit le sang couler de son corps. Le sol commençait à être humide et une flaque de sang commençait à se former. Il ressentit une vive douleur.

Il regarda en direction de monsieur Clean et de monsieur Jones. Ils étaient tous les deux morts, le corps criblé de balles. Seul Brown était encore vivant.

Il se rendit compte qu’il avait toujours été un survivant. Il avait toujours fini par s’en sortir. Après plus de deux décennies de combat, il était hors de question qu’il meure maintenant et de cette manière. C’était impossible. Il était trop bon dans ce qu’il faisait. Tellement d’hommes avaient essayé de le tuer et ils avaient toujours échoué. Sa vie n’allait pas se terminer de cette façon.

Il essaya de mettre la main à l’intérieur de sa veste pour prendre son arme, mais son bras lui répondit à peine. Puis il remarqua que, malgré la douleur, il ne sentait plus ses jambes.

Il ressentit une douleur intense au niveau de l’abdomen, à l’endroit où il avait été touché. Il avait également une douleur à l’arrière du crâne, à l’endroit où il avait violemment heurté le sol. Il souleva légèrement la tête pour regarder ses pieds. Ses jambes étaient toujours bien là et attachées à son corps – mais il ne les sentait plus.

Les balles m’ont sectionné la colonne vertébrale.

Cette pensée l’horrifia. Il imagina à quoi allait ressembler son avenir – se retrouver dans une chaise roulante, essayer de se hisser sur le siège conducteur de sa voiture pour handicapés, vider la poche de stomie qui drainait les selles de son système digestif.

Non. Il secoua la tête. Ce n’était pas le moment de penser à ça. Il devait agir. L’arme de Clean devait se trouver quelque part au-dessus de sa tête. Il tendit le bras, en ressentant une vive douleur en le faisant, mais il ne trouva rien. Il se mit à ramper vers le haut, en traînant ses jambes derrière lui.

Quelque chose attira son regard. Il leva les yeux et il vit Jamal, qui fanfaronnait en le regardant. Le connard avait même un sourire aux lèvres.

En s’approchant, il leva le canon de son arme, qu’il pointa sur Brown. Deux des ses hommes se trouvaient à ses côtés.

« N’essaye pas de faire quoi que ce soit, Brown. Contente-toi de rester tranquille. »

Les hommes de Jamal prirent les deux sacs en toile avec l’argent et la pochette contenant les diamants. Puis ils retournèrent vers les véhicules et grimpèrent dans la cabine du véhicule de tête. Les phares s’allumèrent. Brown entendit le moteur démarrer et il vit une fumée noire sortir de la cheminée qui se trouvait du côté conducteur.

« Je t’aime bien, » dit Jamal. « Mais les affaires sont les affaires, tu comprends ? Sur ce coup-ci, on ne laisse rien derrière nous. Désolé… vraiment. »

Brown essaya de dire quelque chose, mais il semblait ne plus avoir de voix. Seuls des gargouillements sortirent de sa bouche.

Jamal leva à nouveau le canon de son arme.

« Tu veux que je te laisse une minute pour prier ? »

Brown faillit se mettre à rire. Il secoua la tête. « Tu sais quoi, Jamal ? Tu me fais rire. Ta religion, c’est de la foutaise. Si je veux prier ? Prier qui ? Dieu n’existe pas et tu t’en rendras compte dès que tu… »

Brown vit un éclair sortir du canon de la mitraillette et il se retrouva allongé sur le dos, les yeux écarquillés et rivés sur le plafond de l’entrepôt.