Lutter Contre Tout Ennemi

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CHAPITRE SIX

20 octobre

3h30

Georgetown, Washington DC

Un pickup noir le suivait.

Luke avait pris un vol tard le soir pour rentrer. Il était fatigué – épuisé – mais en même temps, il restait alerte et en éveil. Il ne savait pas quand il allait pouvoir dormir à nouveau.

Le taxi l’avait déposé devant une rangée de jolies maisons en grès. Les rues bordées d’arbres étaient calmes et désertes. Elles étincelaient sous les lumières des réverbères. Le taxi s’éloigna et il resta debout dans la rue, dans la fraîcheur de la nuit. Les arbres commençaient à perdre leurs feuilles – il y en avait un peu partout au sol. Il en vit quelques-unes tomber des branches.

Il était venu directement de l’aéroport jusqu’à l’appartement de Trudy. Les stores étaient baissés mais au moins une lumière était allumée. Personne n’était là – les lampes étaient visiblement réglées sur minuterie. Le rythme en était toujours le même et Trudy devait sûrement l’avoir mis en place avant de partir.

L’appartement lui appartenait toujours – c’était tout ce que Luke savait. Swann avait piraté son compte en banque et elle avait mis en place des ordres permanents pour payer son prêt, les frais de copropriété et l’électricité. Elle avait payé l’équivalent de deux ans de taxe foncière à l’avance.

Elle avait disparu, mais l’appartement était toujours là, à fonctionner tout seul comme si rien ne s’était passé.

Pourquoi est-ce qu’il continuait à revenir ici ? Est-ce qu’il s’attendait à ce qu’elle soit soudain chez elle ? Comme si ces derniers mois n’avaient pas eu lieu ?

Il s’arrêta et tourna le dos au pickup. Mais il le voyait toujours là, derrière lui. Il se rappela ce qu’il avait vu en passant à côté de lui quelques instants plus tôt.

C’était le genre de gros pickup qu’on voyait généralement sur les sites de construction. Les vitres de la cabine étaient fumées et il était impossible de voir grand-chose à l’intérieur. Mais même comme ça, il avait eu l’impression de discerner deux silhouettes derrière les vitres. Les phares du pickup étaient éteints au moment où il était passé à côté et c’était toujours le cas. Mais ce n’était de toute façon pas les phares qui avaient attiré son attention. C’était le bruit. Il pouvait entendre le moteur ronronner.

Il y avait une station-service et un petit magasin en bas de la côte. L’endroit où se trouvaient les pompes était illuminé, mais le petit magasin avait l’air fermé. Luke se mit à descendre au milieu de la route, en direction de la lumière.

Il regarda autour de lui en évitant de tourner la tête. Des deux côtés, des voitures de luxe étaient garées l’une derrière l’autre au bord du trottoir. Il n’y avait aucun espace entre elles. C’était un quartier peuplé et il n’y avait pas beaucoup de places de parking. Il ne voyait aucun moyen de quitter facilement la route pour se mettre à l’abri sur le trottoir.

Il se mit soudain à piquer un sprint.

Il le fit sans crier gare. Ce n’était pas une accélération progressive. À un moment donné, il marchait, puis une fraction de seconde plus tard, il se mettait à courir aussi vite que possible. Derrière lui, le pickup démarra. Ses pneus crissèrent sur l’asphalte, brisant le silence de la nuit.

Luke plongea sur sa droite, en se jetant tête la première au-dessus du capot d’une Lexus. Il glissa de la voiture jusqu’au trottoir et atterrit sur son dos. En un seul mouvement, il roula en position assise, tout en sortant son Glock de l’étui accroché à son épaule.

La Lexus se mit à se désintégrer derrière lui. Le pickup s’était arrêté et la vitre du côté passager s’était ouverte. Un homme portant un masque de ski s’était mis à tirer à l’aide d’une mitraillette équipée d’un énorme silencieux. Un chargeur était accroché au bas de la mitraillette, contenant probablement plus de dix douzaines de cartouches. Luke assimila toutes ces informations en une fraction de seconde, avant même que son esprit s’en rende compte.

Les vitres de la Lexus volèrent en éclats, les pneus explosèrent et la voiture s’affaissa sur le sol. TUNK, TUNK, TUNK – des balles transpercèrent le véhicule de part en part. De la fumée s’éleva de son capot. L’homme du pickup l’arrosait littéralement de sa mitraillette.

Luke se mit à courir, la tête baissée. Les balles le suivirent, en faisant exploser la voiture suivante. Il sentit des morceaux de verre voler de toute part.

Une alarme de voiture se déclencha pendant quelques secondes, mais elle fut stoppée net au moment où l’homme du pickup transperça le véhicule de balles, en détruisant le système d’alarme.

Luke continua à courir. Il atteignit la station-service et traversa à toute vitesse l’espace à découvert. Les lampes jetaient une lumière lugubre et les pompes à essence ressemblaient à des ombres fantomatiques. Il entendit les pneus du pickup crisser sur le parking derrière lui. Luke jeta un coup d’œil par-dessus son épaule et vit que le pickup était monté sur le trottoir pour continuer à le suivre.

Il se rua dans une rue latérale, avant de tourner à gauche dans une ruelle. C’était une ancienne rue pavée. Il trébucha en courant sur la surface irrégulière. Il entendit le bruit du moteur rugir derrière lui. Luke ne se retourna pas mais il entendit le pickup rebondir sur les pavés de la ruelle.

Luke le sentait juste là, dans son dos – à une seconde à peine derrière lui.

Son cœur se mit à battre à tout rompre. Ça ne servait à rien de courir. Il tourna la tête et vit que le pickup gagnait du terrain. Son énorme calandre se rapprochait à toute allure. On aurait dit une énorme bouche grimaçante. Le capot du pickup lui arrivait presque au niveau de la tête.

À la gauche de Luke, il y avait une benne à ordures. Il ne la vit pas vraiment mais il sentit sa présence. Il plongea derrière, heurta les pavés de tout son poids et atterrit dans un minuscule renfoncement. La force de l’impact l’avait secoué, mais il parvint à se coller le plus possible contre le mur.

Une seconde plus tard, le pickup percuta la benne à ordures à toute vitesse, en l’écrasant contre le mur de la ruelle. Mais il rata Luke de peu et passa juste à côté, en emportant la benne à ordures avec lui. Il s’arrêta un peu plus loin dans la ruelle, à environ quinze mètres du renfoncement où s’était abrité Luke. Ses feux d’arrêt brillaient dans l’obscurité. La benne à ordures était écrasée entre la portière conducteur et le mur.

C’était le moment de reprendre l’initiative, mais pour ce faire, il devait agir tout de suite.

« Lève-toi, » se dit-il à lui-même.

Il se remit sur pied, l’arme au poing et il reprit position dans le renfoncement. À deux mains, il visa la vitre arrière du pickup.

BLAM, BLAM, BLAM, BLAM.

La vitre vola en éclats. Le bruit des coups de feu était assourdissant. Ils retentissaient dans l’allée et dans les rues silencieuses de la ville. S’il voulait attirer l’attention, et c’était ce qu’il voulait, ça allait sûrement être suffisant.

Les pneus du pickup crissèrent sur les pavés. Le chauffeur essayait de se débarrasser de la benne à ordures.

Le passager – l’homme à la mitraillette – utilisa la crosse de son arme pour faire voler en éclats ce qui restait de la vitre arrière. Il allait essayer de tirer sur Luke.

Parfait.

BLAM.

Luke l’abattit d’une balle en plein milieu du front.

L’homme s’écroula, la tête pendant par la vitre arrière, et il lâcha son arme qui tomba à l’arrière du pickup.

Le pickup patina de côté, la calandre glissa le long du mur, et le côté conducteur se retrouva face à Luke. Luke avait bien l’intention d’abattre le chauffeur s’il le pouvait, mais sans le tuer. Il voulait le garder vivant pour répondre à quelques questions.

Mais le chauffeur était prudent – bien plus prudent que son ami. Sa vitre avait volé en éclats sous l’impact de la collision avec la benne, mais il s’était baissé pour éviter que Luke puisse le prendre en ligne de mire.

BLAM, BLAM, BLAM.

Luke tira trois balles dans la portière. Il y eut un bruit creux, métallique, au moment où les balles traversèrent le métal. Le chauffeur hurla. Il avait été touché.

Soudain, le pickup dérapa sur la droite. On aurait dit un dérapage contrôlé sur la neige. L’arrière du pickup pivota et heurta le mur. Mais il était parvenu à se libérer de la benne à ordures. Si le chauffeur était encore capable de conduire, il pouvait maintenant facilement prendre la fuite.

Luke visa le pneu arrière gauche. BLAM.

Le pneu explosa mais le pickup mit les gaz et descendit la ruelle à toute allure. Ses pneus crissèrent sur l’asphalte quand il atteignit le bout de la rue, puis il tourna à gauche et disparut.

Luke entendit des sirènes de police s’approcher. Elles venaient de plusieurs directions. Il rengaina son arme et sortit en boitant de l’allée. Son genou était raide. Il l’avait écorché en tombant sur les pavés.

Une voiture de police surgit, les gyrophares allumés et les sirènes hurlantes. Luke avait déjà sorti son badge. C’était son ancien badge de l’équipe d’intervention spéciale. Il n’expirait que dans un an. Il leva les bras en l’air, le badge dans sa main droite.

« Agent fédéral ! » hurla-t-il aux policiers qui sortirent de la voiture de patrouille, l’arme pointée sur lui.

« Par terre ! » lui dirent-ils.

Il obtempéra, en bougeant lentement et posément.

« Qu’est-ce qui se passe ici ? » dit l’un des policiers, en prenant le badge de la main de Luke.

Luke haussa les épaules.

« Quelqu’un essaye de me tuer. »

CHAPITRE SEPT

10h20

La Maison Blanche, Washington DC

Ça ressemblait à la fois à des funérailles nationales, à l’inauguration d’un garage de voitures d’occasion et à un spectacle comique amateur.

 

Susan Hopkins, la Présidente des États-Unis, portait une robe bleue et un châle, conçus spécialement pour l’occasion par la créatrice Etta Chang. Elle regarda les dignitaires et les journalistes rassemblés sur la pelouse Sud de la Maison Blanche. C’était un groupe trié sur le volet. L’invitation à cet événement était convoitée par de nombreuses personnalités depuis des mois. En ce beau jour ensoleillé d’automne, sous un ciel bleu, la Maison Blanche – l’un des symboles les plus immuables de l’Amérique – était reconstruite et prête à être de nouveau utilisée.

Des agents des services secrets se tenaient autour de Susan, afin de couvrir tous les angles de tir autour d’elle. Elle avait l’impression d’être perdue au milieu d’une forêt d’hommes. Il était interdit de survoler Washington DC, la Virginie et le Maryland aujourd’hui matin. Si vous n'aviez pas atterri avant 7 heures du matin, tant pis pour vous.

La cérémonie commençait à être longue. Elle avait commencé à 9 heures du matin et il était presque 10h30. Entre le défilé militaire d’ouverture avec le clairon jouant l’extinction des feux et le cheval sans cavalier en l’honneur de Thomas Hayes, le lâcher de colombes pour symboliser tous ceux qui étaient morts ce jour-là, le survol par les avions de chasse, la chorale des enfants, et les différents discours et les bénédictions…

Ah oui, les bénédictions.

La Maison Blanche avait été bénie tour à tour par un rabbin orthodoxe de Philadelphie, un imam musulman, l’archevêque catholique de Washington DC, le pasteur de l’église de Zion de la rue North Capitol, et le célèbre moine bouddhiste et militant pacifiste Thich Nhat Hanh.

Rien que les difficultés liées au choix de ces dignitaires religieux… ça avait vraiment enlevé à Susan tout intérêt pour cet événement. Quoi ? un rabbin orthodoxe ? Les femmes du judaïsme réformé avaient fait entendre leur mécontentement – elles auraient voulu que ce soit un rabbin femme. Sunnite ou chiite pour l’imam ? Il était impossible de satisfaire les deux. Finalement, Kat Lopez avait résolu ce problème en choisissant un imam soufi.

Les catholiques n’étaient pas non plus enchantés concernant Pierre. Le mari de la Présidente était homosexuel ? Et marié à une femme ? C’était vraiment n’importe quoi. Ce problème avait fini par être résolu quand Pierre a décidé de ne pas assister à la cérémonie et de la regarder à la télé depuis son appartement à San Francisco.

Pierre et les filles avaient disparu de la vie publique depuis le scandale. C’était une bonne chose de maintenir les filles à l’écart des projecteurs après tout ce qui s’était passé, mais cette cérémonie était importante et Pierre n’avait même pas voulu venir. Et ça préoccupait un peu Susan. En fait, plus qu’un peu. Et bien sûr, les militants des droits homosexuels étaient maintenant fâchés sur Pierre, car pour eux, il avait décidé de s’incliner devant la pression de l’église catholique. C’était en tout cas comme ça qu’ils le voyaient.

Sur l’estrade, Karen White, la nouvelle Présidente de la Chambre, terminait son discours. Karen était une excentrique, et c’était peu dire – elle portait un chapeau avec un grand tournesol, qui aurait été plus approprié à une chasse aux œufs de Pâques avec des enfants qu’à l’événement d’aujourd’hui. Si Etta Chang avait vu ce chapeau, elle aurait probablement insisté pour lui faire un relooking.

Les remarques de Karen n’avaient pas été trop acerbes concernant les libéraux au pouvoir – tant mieux, parce que les élections organisées spécialement en vue de reconstituer le Congrès avaient lieu dans deux semaines. Les campagnes d’élection s’étaient transformées en de véritables discours haineux – et les historiens adoraient passer sur CNN et sur Fox News pour expliquer combien le discours civil dans ce pays avait atteint son point le plus bas depuis la Guerre de Sécession.

Ce dont Karen White manquait en rhétorique offensive sur le plan domestique, elle le compensait largement sur le plan international. Son discours avait l’air de suggérer – à la grande surprise de beaucoup de personnes présentes dans le public – que la Maison Blanche n’avait pas été détruite par des éléments incontrôlés du mouvement conservateur et de l’armée américaine, mais par des agents étrangers, venant probablement d’Iran ou de Russie. À un certain moment, l’envoyé spécial d’Iran s’était levé de sa chaise et il avait quitté l’audience, suivi de deux de ses diplomates.

« Ne te tracasse pas, » dit Kurt Kimball à son oreille. C’était son conseiller en sécurité nationale. « Ils savent tous que Karen est un peu cinglée. Enfin… regarde son chapeau. On s’arrangera pour que quelqu’un des affaires étrangères arrange les choses. »

« Comment ? » dit Susan.

Il haussa les épaules. « Je ne sais pas. On trouvera bien quelque chose. »

Sur l’estrade, Kat fit un signe de tête à Susan. C’était à son tour de parler. Elle monta sur le podium et attendit que les agents des services secrets prennent place autour d’elle. L’estrade était entourée sur trois côtés par des vitres pare-balles. Elle resta silencieuse un instant et observa la foule rassemblée devant elle. Elle n’était pas du tout nerveuse. Parler en public avait toujours été l’un de ses points forts.

« Bonjour, » dit-elle. Sa voix résonna à travers la pelouse.

« Bonjour, » lui répondirent quelques comiques présents dans l’audience.

Elle se lança dans le discours qu’elle avait préparé à l’avance. C’était un bon discours. Elle leur parla du sacrifice commun, de la perte d’êtres chers et de la capacité à résister et à s’adapter. Elle leur parla de la grandeur de l’Amérique – quelque chose dont ils étaient déjà au courant. Elle leur parla du courage de ces hommes qui lui avaient sauvé la vie cette nuit-là et elle désigna Chuck Berg – qui était maintenant chargé de sa sécurité intérieure et qui se tenait avec elle sur l’estrade – et Walter Brenna, qui avait une place d’honneur au premier rang. Les deux hommes reçurent un tonnerre d’applaudissements.

Elle leur dit qu’elle emménageait aujourd’hui même dans la Maison Blanche – ce qui provoqua une véritable ovation – et elle les invita à venir faire le tour du propriétaire pour voir ce qui y avait changé.

Elle termina son discours avec un geste théâtral, en faisant écho à ce héros qu’elle admirait tant, John Fitzgerald Kennedy.

« Il y a presque soixante ans, John Fitzgerald Kennedy était élu Président des États-Unis. Son discours d’investiture est l’un des discours les plus remarquables et les plus cités de l’histoire. Il nous y disait de ne pas se demander ce que notre pays pouvait faire pour nous, mais ce que nous pouvions faire pour notre pays. Mais vous savez quoi ? Il y a une autre partie de ce discours qui est moins connue et que j’affectionne tout autant. Et les mots qu’il y a prononcés semblent tout à fait appropriés aux événements d’aujourd’hui et c’est comme ça que j’aimerais terminer mon discours. Voici ce que Kennedy a dit. »

Elle prit une profonde inspiration, en respectant les pauses que Kennedy avait prises lors de son discours. Elle voulait prononcer ses mots exactement de la manière dont il l’avait fait.

« Que chaque nation sache, » dit-elle, « qu’elle nous veuille du bien ou du mal… que nous paierons le prix… que nous porterons tout fardeau… »

Des ovations commencèrent à se faire entendre dans la foule. Elle leva la main pour les calmer, mais ce fut inutile. Ils allaient continuer à l’ovationner. C’était à elle à s’adapter et à parvenir à se faire entendre par-dessus leur explosion de joie, jusqu’à la dernière ligne.

« Que nous ferons face à toute épreuve… » hurla-t-elle.

« Oui ! » lui répondit quelqu’un dans la foule, en hurlant.

« Que nous soutiendrons tout ami, » dit Susan, en levant le poing en l’air. « Et que nous nous opposerons à tout ennemi… pour assurer la survie et la victoire de la liberté ! »

La foule s’était mise debout. L’ovation continuait… encore et encore.

« Nous nous engageons à ça, » dit Susan. « Et à plus encore. » Elle fit à nouveau une pause. « Merci, mes amis. Merci. »

* * *

L’intérieur du bâtiment lui donnait la chair de poule.

Susan traversa les couloirs, suivie de près par ses agents secrets, Kat Lopez et deux assistants. Le groupe passa les portes menant au Bureau ovale. Se retrouver là lui faisait bizarre. Elle avait ressenti la même chose une semaine plus tôt, quand elle avait fait pour la première fois le tour de la Maison Blanche. Il y avait quelque chose ici de surréel.

Presque rien n’avait changé. Le Bureau ovale était identique à la dernière fois qu’elle l’avait vu – le jour où il avait été détruit, le jour où Thomas Hayes et plus de trois cents personnes étaient mortes. Trois grandes baies vitrées aux rideaux tirés offraient toujours une vue sur le jardin des roses. Au milieu de la pièce, il y avait un espace confortable pour s’asseoir, placé sur un tapis luxueux arborant le sceau du Président. Même le bureau – ce cadeau offert par la reine Victoria d’Angleterre à la fin du XIXe siècle – se trouvait là, à son endroit habituel.

Bien entendu, ce n’était pas le même meuble. Il avait été reconstruit au cours des trois derniers mois, sur base des dessins originaux, dans un atelier de la campagne galloise. Mais c’était justement à ça qu’elle voulait en venir – tout avait l’air exactement identique. Elle avait presque l’impression que le Président Thomas Hayes – qui mesurait au moins dix centimètres de plus que tous ceux qui l’entouraient – allait entrer à tout moment et froncer les sourcils en la regardant.

Est-ce que ce bâtiment réveillait des traumatismes en elle ?

Elle savait qu’elle préférerait vivre à l’Observatoire naval. Cette magnifique résidence avait été sa maison depuis maintenant cinq ans. C’était un endroit aéré, ouvert et lumineux. Elle s’y sentait bien. La Maison Blanche, en revanche – surtout la partie résidence – était plutôt morne et sinistre, avec des courants d’air en hiver et très peu de lumière naturelle.

C’était une grande maison, mais on s’y sentait à l’étroit. Et il y avait… quelque chose d’autre dans ces lieux. Elle avait toujours l’impression qu’elle allait tomber sur un fantôme à chaque coin de couloir. Avant, elle pensait aux fantômes de Lincoln, de McKinley ou de Kennedy. Mais maintenant, elle savait que ce serait celui de Thomas Hayes.

Elle redéménagerait dans la seconde à l’Observatoire naval si elle le pouvait – si elle n’avait pas laissé l’endroit à quelqu’un d’autre. Sa nouvelle Vice-Présidente, Marybeth Horning, allait y emménager dans les prochains jours. Elle sourit en pensant à Marybeth – cette sénatrice ultra-libérale de Rhode Island – qui était occupée à mener une enquête sur une atteinte aux droits de l’homme au sein d’exploitations avicoles en Iowa, le jour où avait eu lieu l’attaque au Mont Weather. Marybeth était une défenseuse acharnée des droits des travailleurs et des femmes, de l’environnement et de tout ce qui tenait à cœur à Susan.

L’élever au poste de Vice-Présidente avait été l’idée de Kat Lopez. Une idée parfaite – Marybeth était une gauchiste tellement fervente que personne de la droite ne voudrait jamais que Susan soit assassinée. Ils finiraient avec leur pire cauchemar en tant que Présidente. Et le nouveau règlement des services secrets stipulait que Susan et Marybeth ne pourraient jamais se retrouver au même endroit au même moment, jusqu’à la fin du mandat de Susan – d’où l’absence de Marybeth aux festivités d’aujourd’hui. C’était un peu dommage parce que Susan aimait vraiment beaucoup Marybeth.

Susan soupira et regarda autour d’elle. Son esprit se mit à vagabonder. Elle repensa au jour de l’attaque. Ça faisait deux ans qu’elle et Thomas étaient un peu plus distants. Mais ça ne l’avait pas tracassée. Elle aimait son boulot de Vice-Présidente et David Halstram – le chef de cabinet de Thomas – veillait à ce que son emploi du temps soit toujours bien rempli de rendez-vous et d’événements, loin du Président.

Mais ce jour-là, David lui avait demandé d’être aux côtés du Président. La cote de popularité de Thomas avait chuté et le Président de la Chambre avait demandé sa destitution. Il était assiégé de toutes parts, tout ça parce qu’il ne voulait pas entrer en guerre avec l’Iran. Bien sûr, le Président de la Chambre à cette époque, c’était Bill Ryan, l’un de ceux qui avaient comploté le coup d’état et qui, à cet instant précis, était incarcéré dans une prison fédérale, en attendant d’être transféré dans le couloir de la mort.

Elle se revit, occupée à examiner une carte du Moyen-Orient dans ce même bureau, en compagnie de Thomas. Ils ne parlaient de rien de sérieux. Ils se contentaient de plaisanter. Ce n’était pas une véritable réunion stratégique, juste une conversation.

 

Soudain, deux hommes avaient fait irruption dans la pièce.

« FBI ! » hurla l’un d’entre eux. « J’ai un message important pour le Président. »

L’un de ces hommes était l’agent Luke Stone.

Sa vie avait changé à cet instant et elle n’avait plus jamais été la même. Son mariage avait presque été anéanti par un scandale. Sa fille avait été kidnappée. Susan avait vieilli de dix ans en six mois et elle avait dû essuyer plusieurs attaques terroristes et politiques.

Maintenant, elle se retrouvait à devoir dormir toute seule dans cette vieille maison pleine de courants d’air. Ils avaient dépensé un milliard de dollars pour rénover l’endroit et elle n’avait pas envie d’y vivre. Hum. Il allait falloir qu’elle en parle à Kat.

« Susan ? »

Elle leva les yeux et vit Kurt Kimball. Son apparition soudaine la tira hors de sa rêverie. Kurt était un homme de grande taille et aux épaules larges, avec une tête ronde et lisse comme une boule de billard. Son regard était vif et alerte. Il était l’image même de la vitalité à l’âge de cinquante-trois ans. Il était ce genre de personnes à penser que la cinquantaine, c’était un peu comme la trentaine. Jusqu’à ce qu’elle devienne Présidente, Susan aurait sûrement été de son avis. Mais maintenant, elle n’en était plus aussi sûre. Il lui restait deux ans avant la cinquantaine. Et si les choses continuaient comme ça, au moment où elle atteindrait ce cap, la cinquantaine allait plutôt être pour elle l’équivalent de la soixantaine.

« Salut, Kurt. »

« Susan, l’agent Stone est là. Il a interrogé Don Morris au Colorado hier soir. Il pense avoir des informations qui pourraient nous intéresser. Je ne lui ai pas encore parlé, mais mes hommes m’ont appris qu’il avait été impliqué dans un incident quand il est rentré ce matin à Washington. »

« Un incident ? Quel genre d’incident ? » Ça n’avait pas l’air d’être une bonne nouvelle. Mais en même temps, quand est-ce que l’agent Stone n’avait pas été, d’une manière ou d’une autre, impliqué dans un incident ?

« Il y a eu une fusillade à Georgetown. Deux hommes dans un pickup ont apparemment essayé de le tuer. Luke en a descendu un, mais l’autre a réussi à s’enfuir. »

Susan regarda Kurt. « Est-ce que ça a quelque chose à voir avec Don Morris ? »

Kurt secoua la tête. « On ne sait pas. Mais c’est arrivé à deux pâtés de maisons de l’appartement de Trudy Wellington. Comme vous le savez, Wellington a disparu, mais apparemment Stone s’est rendu directement à son appartement après son entrevue avec Morris. Tout ça, c’est plutôt… inhabituel. »

Susan prit une profonde inspiration. Stone lui avait plus d’une fois sauvé la vie. Il avait également sauvé sa fille des griffes de kidnappeurs. Il avait sauvé d’innombrables vies au cours de l’attaque de l’Ébola et la crise nord-coréenne. Il avait même rendu service au monde en assassinant au passage le dictateur de la Corée du Nord. C’était un atout inestimable pour Susan. C’était un peu son arme secrète. Mais il était également instable. Il était violent et il s’impliquait parfois dans ce qu’il ne devrait pas.

« En tout cas, » dit Kurt, « il est ici pour faire son rapport. Je pense qu’on devrait inaugurer la nouvelle salle de crise et entendre ce qu’il a à nous dire. »

Susan hocha la tête. C’était presque un soulagement d’avoir quelque chose à se mettre sous la dent. La salle de crise de la Maison Blanche était un espace dédié uniquement à cet effet et ça n’avait rien à voir avec la salle de réunion qu’ils avaient utilisée à l’Observatoire naval. C’était un centre de commandement entièrement rénové et mis à jour, avec tout un équipement de pointe. Cela leur permettrait d’augmenter considérablement leur capacités stratégiques – en tout cas, c’était ce qu’on lui avait dit.

Le seul problème ? C’était que c’était au sous-sol et que Susan aimait les fenêtres.

« Donne-moi juste une minute pour aller me changer, OK ? » Susan montra la robe de designer qu’elle portait. « Je ne pense pas que ce soit très indiqué pour une réunion des renseignements. »

Kurt sourit. Il la regarda de haut en bas.

« Non, viens comme ça. Tu es superbe. Ils seront impressionnés – ça veut dire que tu t’es remise direct au travail après l’inauguration. »

* * *

Luke se trouvait dans l’ascenseur qui descendait vers la salle de crise. Il était fatigué – il avait été interrogé pendant deux heures par la police de Washington, avant de pouvoir se reposer quelques heures. Il avait complètement raté la cérémonie d’inauguration de la Maison Blanche.

Mais la reconstruction du bâtiment et son inauguration n’étaient pas vraiment des priorités à ses yeux. En entrant, il avait à peine fait attention aux lieux et à la foule qui s’extasiait devant. Il était perdu dans ses pensées – il pensait à sa vie, à Becca et à Gunner, à Don Morris et aux choix qu’il avait faits et qui l’avaient mené à cette fin. Luke avait également tué un homme la nuit dernière et il ne savait toujours pas pourquoi.

Les portes de l’ascenseur s’ouvrirent sur une salle de crise ovale. Elle était plus petite et on s’y sentait plus à l’étroit que dans la salle de réunion qu’ils avaient utilisée à l’Observatoire naval. Elle était également moins ad hoc. L’endroit ressemblait au module de commandement d’un vaisseau spatial hollywoodien. Il était conçu pour une utilisation maximale de l’espace, avec de grands écrans encastrés dans les murs à un mètre les uns des autres, et un écran géant de projection sur le mur du fond. La table de réunion était équipée de fentes d’où sortaient des tablettes et des micros – qui pouvaient facilement être rangés dans ces mêmes compartiments, si la personne préférait utiliser son propre ordinateur.

Tous les sièges en cuir autour de la table étaient occupés – majoritairement par des décideurs d’âge moyen et à moitié obèses. Quant aux sièges le long des murs, ils étaient occupés par de jeunes assistants, qui tapaient des messages sur leur tablette ou parlaient au téléphone.

Susan Hopkins était assise dans un fauteuil, vers le bout de la table. Tout au fond, se tenait Kurt Kimball, le conseiller à la sécurité nationale de Susan. Les mêmes têtes que d’habitude occupaient les sièges qui les séparaient.

Kurt vit Luke entrer et il frappa des mains. On aurait dit le bruit d’un livre qui tombait sur un sol en pierre. « Un peu de silence, tout le monde ! Silence, s’il vous plaît. »

Peu à peu, le brouhaha diminua. On n’entendait plus que quelques assistants qui parlaient le long du mur.

Kurt frappa à nouveau dans les mains.

CLAP. CLAP.

La pièce devint totalement silencieuse.

« Salut, Kurt, » dit Luke. « Ce n’est pas mal, votre nouveau centre de commandement. »

Kurt hocha la tête. « Agent Stone. »

Susan se tourna vers Luke et ils se serrèrent la main. « Madame la Présidente, » dit-il. « Ça fait plaisir de vous revoir. »

« Bienvenue, Luke, » dit-elle. « Quel genre de nouvelles avez-vous à nous apprendre ? »

Il regarda Kurt. « Vous êtes prêts à écouter mon rapport ? »

Kurt haussa les épaules. « C’est pour ça qu’on est là. Si vous n’étiez pas là, on serait à l’étage et on profiterait des festivités. »

Luke hocha la tête. Ça avait été une longue journée et il était encore tôt. Il avait envie d’en finir le plus vite possible et d’aller dans la maison de campagne qu’il avait partagée avec Becca. Il en avait assez de tout ça. Ce qu’il désirait le plus, c’était faire une sieste. Une simple sieste sur le divan et peut-être plus tard, en fin d’après-midi, regarder le soleil se coucher sur l’eau avec une tasse de café en main. Il y avait beaucoup de choses auxquelles il devait réfléchir et il avait beaucoup de planning à faire. L’image de Gunner lui apparut en tête.

Tous les yeux étaient sur lui. Il prit une profonde inspiration et répéta ce que Don lui avait dit. Des terroristes islamiques allaient voler des armes nucléaires dans une base aérienne en Belgique.

Un homme blond, costaud et de grande taille leva la main. « Agent Stone ? »