Kitabı oku: «Salle de Crise», sayfa 2
CHAPITRE TROIS
10h23
Sentier transversal, Southwest Harbor, Parc national d’Acadia, Maine
« Ça va ? Tu tiens le coup ? »
« Tout va bien, papa. »
Luke Stone et son fils, Gunner, gravissaient lentement les marches raides du sentier. C’était une matinée chaude et humide, et Luke était conscient que Gunner n’avait que dix ans. Ils gravissaient la montagne en prenant leur temps et Luke veillait à s’arrêter fréquemment pour qu’ils s’hydratent.
Ils grimpaient de plus en plus haut, à travers les énormes roches. Les imposantes pierres étaient disposées de telle façon qu’elles créaient un escalier imposant, serpentant vers le sommet, qui semblait avoir été creusé par les mains géantes d’un dieu nordique qui serait descendu du ciel tout spécialement pour le sculpter. Mais Luke savait que ces pierres avaient été installées par de jeunes hommes sans emploi venant des grandes villes de la côte Est et qui avaient été amenés ici il y a quatre-vingts ans par le Civilian Conservation Corps, au cours de la Grande dépression.
Un peu plus haut, ils trouvèrent des échelons en fer vissés dans la pierre. Ils gravirent l’échelle, avant de continuer à monter un sentier sinueux à travers les roches. Très vite, le sentier devint plat et ils traversèrent une forêt dense, avant d’arriver à la dernière montée pour atteindre le sommet. Ils grimpèrent sur les rochers.
Ils se trouvaient en haut d’une falaise et ils avaient une vue magnifique sur le grand lac en contrebas, où ils s’étaient garés. Au-delà de ça, se trouvait l’océan atlantique, à environ une dizaine de kilomètres.
« Qu’est-ce que tu en penses ? »
Gunner était en sueur. Il s’assit sur un rocher, détacha son sac à dos et en sortit une bouteille d’eau. Son t-shirt était trempé de sueur. Ses cheveux blonds étaient emmêlés. Il prit une gorgée de sa bouteille et la tendit à Luke. C’était un enfant au caractère très affirmé.
« C’est vraiment super, papa. J’adore. »
« Je voudrais te donner quelque chose, » dit Luke. « Et je voulais attendre qu’on ait atteint le sommet. Je ne sais pas pourquoi. J’ai juste trouvé que ce serait un chouette endroit pour te l’offrir. »
Gunner eut l’air légèrement inquiet. Il aimait recevoir des cadeaux, mais en général, il préférait des cadeaux qu’il avait demandés.
Luke sortit l’appareil de sa poche. C’était un petit morceau de plastique noir, de la taille d’un porte-clés. Ça n’avait l’air de rien. Ça aurait pu être une télécommande d’ouverture pour une porte de garage.
« Qu’est-ce que c’est ? » demanda Gunner.
« C’est un appareil GPS. Un système de géolocalisation. » Luke tendit le doigt vers le ciel. « Là-haut, dans l’espace, il y a tous ces satellites… »
Gunner se mit à sourire. Il secoua la tête. « Je sais ce qu’est un GPS, papa. Maman en a un dans sa voiture. Et heureusement… sinon elle ne retrouverait jamais son chemin. Pourquoi est-ce que tu m’en offres un ? »
« Tu vois cette attache à l’arrière ? Je voudrais que tu l’accroches à ton sac à dos et que tu le portes toujours sur toi. J’ai une appli sur mon téléphone qui me permet de suivre cet appareil. Du coup, même quand on sera séparé, je saurai toujours où tu te trouves. »
« Tu t’inquiètes pour moi ? »
Luke secoua la tête. « Non. Je ne suis pas inquiet. Je sais que tu peux prendre soin de toi. C’est juste qu’on ne s’est pas beaucoup vu dernièrement et je me sentirais plus proche de toi si je pouvais savoir où tu es, en jetant tout simplement un coup d’œil à mon téléphone. »
« Mais moi, je ne pourrai pas voir où tu es, » dit Gunner. « Alors, comment suis-je supposé me sentir plus près de toi ? »
Luke sortit un autre appareil GPS de sa poche. « Tu vois cet appareil ? Je vais l’attacher à mon porte-clés. Quand on sera rentré à l’hôtel, je téléchargerai l’appli sur ton téléphone et comme ça, tu pourras toujours savoir où je suis. »
Gunner sourit. « J’aime beaucoup cette idée, papa. Mais tu sais, on peut aussi tout simplement s’envoyer des messages. Est-ce que tu sais comment en envoyer ? Je sais que beaucoup de gens de ton âge ne savent pas. »
Luke se mit à sourire. « Oui, bien sûr, on peut s’envoyer des messages. On peut faire les deux. »
Pour Luke, c’était une sensation un peu amère de se retrouver ici, avec Gunner. Luke avait grandi sans son père et maintenant, Gunner se retrouvait dans la même situation. Le divorce avec Becca n’était pas encore prononcé, mais ça n’allait plus tarder. Luke n’avait plus travaillé pour le gouvernement depuis deux mois, mais Becca était catégorique : elle demandait de toute façon le divorce.
En attendant, Luke passait deux weekends par mois avec Gunner. Il faisait tout ce qu’il pouvait pour veiller à ce que ces weekends soient toujours remplis d’aventure et d’amusement. Il faisait également tout son possible pour répondre aux questions de Gunner de manière claire, tout en gardant un ton optimiste. Des questions comme celle-ci, par exemple :
« Tu penses qu’on pourrait faire ça un jour avec maman ? »
Luke regarda l’océan. Des questions comme celles-là lui donnaient envie de se jeter du haut de la falaise. « Je l’espère. »
Gunner sentit qu’il y avait peut-être une possibilité et demanda : « Quand ? »
« Eh bien, il faut que tu comprennes que ta maman et moi, nous ne sommes pas tout à fait d’accord pour l’instant. »
« Je ne comprends pas, » dit Gunner. « Vous vous aimez, non ? Et tu as promis que tu allais quitter ton boulot ? Est-ce que tu as vraiment arrêté ? »
Luke hocha la tête. « Oui, j’ai arrêté. »
« Mais maman n’y croit pas. »
« Je sais. »
« Mais si tu pouvais la convaincre d’y croire, alors… »
C’est vrai, Luke avait arrêté. Il était parti et il avait complètement disparu des radars. Susan Hopkins lui avait promis de le laisser tranquille et elle avait tenu sa promesse. Il avait également coupé le contact avec son groupe de l’Équipe d’intervention spéciale.
Et il appréciait vraiment cette solitude. Il était retourné à l’essentiel. Il avait loué une cabane dans les montagnes Adirondack pendant deux semaines et il avait passé tout son temps à chasser à l’arc à flèche et à pêcher. Tous les matins, il sautait dans le lac qui se trouvait derrière sa cabane. Il s’était laissé pousser la barbe.
Après ça, il avait passé dix jours dans les Caraïbes, à Saint Vincent, où il avait nagé avec des tortues marines, d’énormes raies, des requins et exploré quelques épaves de bateaux gisant au fond de la mer.
Après chaque petit voyage, il revenait à Washington pour récupérer Gunner et l’emmener pour leur prochaine aventure. Luke devait bien l’admettre : ça lui plaisait de ne plus travailler. Dans un an, quand il tomberait à court d’argent, ce ne serait probablement plus aussi agréable, mais pour l’instant, il comptait bien en profiter.
« Est-ce que vous allez vraiment vous séparer pour du bon ? »
Luke entendit un léger tremblement dans la voix de Gunner, au moment où il posa cette question. Il ne comprenait que trop bien. Gunner avait peur. Luke s’assit à côté de lui sur les rochers.
« Gunner, je vous aime tous les deux très fort, toi et ta mère. La situation est compliquée et on essaie de la résoudre de la meilleure manière possible. »
Ce n’était pas tout à fait vrai. Becca était très froide avec Luke. Elle voulait divorcer. Elle voulait la garde exclusive de Gunner. Elle pensait que Luke était un danger pour Gunner et pour elle. Elle l’avait même menacé de demander une ordonnance de protection contre lui. Sa réaction était démesurée et elle venait d’une famille qui avait beaucoup d’argent. Elle pouvait payer une longue bataille légale pour la garde de Gunner, si ça s’avérait nécessaire.
« Est-ce que tu veux être avec elle ? »
« Oui, bien sûr. » C’était le premier mensonge qu’il disait à Gunner au cours de cette conversation. Mais la vérité était plus difficile à cerner. Au début, il en avait eu envie. Mais plus le temps passait et plus la position de Becca se durcissait, moins il en était sûr.
« Alors pourquoi tu ne viens pas tout simplement à la maison pour le lui dire ? Lui acheter des roses, ou quelque chose qui lui fasse plaisir ? »
C’était une bonne question mais il n’y avait pas de réponse simple à ça.
À l’intérieur du sac à dos de Luke, un téléphone se mit à sonner. C’était probablement Becca, qui voulait parler à Gunner. Luke sortit de son sac à dos le téléphone satellite qu’il gardait en permanence sur lui. C’était le seul moyen de communication qu’il avait accepté de garder. Ainsi, Becca pourrait toujours le joindre. Mais elle n’était pas la seule. Il y avait une autre personne sur cette terre qui avait accès à ce numéro.
Il regarda qui l’appelait. C’était un numéro qu’il ne reconnaissait pas, avec un préfixe 202, celui de Washington DC.
Son cœur cessa de battre.
C’était elle. Cette autre personne.
« C’est maman ? » demanda Gunner.
« Non. »
« C’est la Présidente ? »
Luke hocha la tête. « Je pense bien. »
« Tu ne crois pas que tu devrais répondre ? » dit Gunner.
« Je ne travaille plus pour elle, » dit Luke. « Tu te rappelles ? »
Ce matin, avant qu’ils partent en randonnée, ils avaient vu à la télé qu’un barrage s’était effondré en Caroline du Nord. Il y avait plus d’une centaine de morts et des centaines de personnes disparues. Un hôtel entier avait été balayé par l’eau. Des villes en aval du barrage étaient en cours d’évacuation mais il était probable qu’il y ait encore plus de victimes.
Ce qui était incroyable dans tout ça, c’était qu’un barrage construit en 1943 ait subi une telle défaillance après plus de soixante-dix ans de fonctionnement sans faille. Pour Luke, ça ressemblait à un sabotage. Mais il ne parvenait pas à comprendre qui pourrait bien cibler un barrage dans une région aussi reculée ? Qui était même au courant de son existence ? Si c’était un sabotage, alors c’était probablement un problème au niveau local, des membres d’une milice, des écologistes, ou peut-être même un ancien employé mécontent, qui a voulu faire une blague qui a mal tourné et aux conséquences tragiques. La police d’état ou le FBI de Caroline du Nord auront probablement arrêté des suspects avant la fin de la journée.
Mais maintenant, son téléphone sonnait. Alors peut-être que ce n’était pas aussi simple que ça.
« Papa, vas-y, tu peux décrocher. Je ne veux pas que tu quittes ton boulot, même si maman le veut. »
« Ah bon ? Et si moi, j’ai envie de le quitter ? J’ai quand même mon mot à dire à ce sujet, non ? »
Gunner secoua la tête. « Je ne pense pas. Tu sais, beaucoup de gens sont morts dans cette inondation. Et si j’en faisais partie ? Et si moi et maman, on était tous les deux morts noyés ? Tu ne voudrais pas que quelqu’un découvre pourquoi c’est arrivé ? »
Le téléphone continuait de sonner. Quand la messagerie vocale se déclencha, le téléphone cessa de sonner pendant quelques secondes, avant de recommencer. On voulait parler à Luke et il était clair qu’on n’allait pas lui laisser de message.
Luke, en pensant à ce que Gunner venait de lui dire, appuya sur le bouton vert du téléphone. « Ici, Stone. »
« Je vous passe la Présidente des États-Unis, » dit la voix d’un homme.
Il y eut un moment de silence avant que la voix de la Présidente se fasse entendre sur la ligne. Son ton était plus dur, plus affirmé qu’avant. Les événements de ces derniers mois l’avaient visiblement endurcie.
« Luke ? »
« Bonjour, Susan. »
« Luke, je veux que vous nous rejoigniez pour une réunion. »
« C’est au sujet du barrage ? »
« Oui. »
« Susan, j’ai pris ma retraite, vous vous rappelez ? »
Elle baissa la voix.
« Luke, le système de contrôle du barrage a été piraté. Des centaines de personnes sont mortes et tout indique que ce sont les Chinois. Nous sommes au bord de la troisième guerre mondiale. »
Luke ne savait pas comment répondre à ça.
« À quelle heure arriverez-vous ? » demanda-t-elle.
Et il sut que ce n’était pas une question.
CHAPITRE QUATRE
18h15
Observatoire Naval des États-Unis – Washington DC
Luke était assis à l’arrière du SUV noir qui s’engagea dans l’allée en demi-cercle qui menait à l’imposante résidence de style reine Anne datant des années 1850, qui était depuis de nombreuses années la résidence officielle du Vice-Président des États-Unis. À la suite de la destruction de la Maison Blanche il y a deux mois, cet endroit était devenu la Nouvelle Maison Blanche, ce qui était plutôt pratique pour la Présidente, vu qu’elle avait vécu dans cette maison pendant cinq ans avant d’assumer son nouveau rôle en tant que chef d’état.
Pendant ces deux derniers mois, Luke n’avait presque pas pensé à cet endroit, ni aux personnes qui y travaillaient. Il avait gardé un téléphone satellite sur lui à la demande de la Présidente, mais ce ne fut qu’au cours des premières semaines qu’il vécut dans la crainte de recevoir un appel. Après ça, il avait même presque oublié qu’il avait ce téléphone.
Une jeune femme l’attendait sur le porche de la maison. Elle était brune, grande et très belle. Elle portait une chemise noire et une veste. Ses cheveux étaient tirés en arrière dans un chignon. Elle tenait une tablette dans sa main gauche. Elle tendit l’autre main à Luke, d’un geste ferme et assuré.
« Agent Stone ? Je suis Kathryn Lopez, la chef de cabinet de Susan. »
Luke fut un peu surpris. « Vous avez l’air bien jeune pour un tel poste. »
« Je prendrai ça pour un compliment, » dit-elle, sur un ton qui lui indiquait que c’était le genre de commentaire qu’elle devait très souvent entendre, et plutôt sous la forme de critique. « J’ai trente-sept ans. Je vis à Washington depuis treize ans, depuis le moment où j’ai terminé mon master. J’ai travaillé pour un représentant de la Chambre, deux sénateurs et l’ancien Directeur des services de santé. Je ne suis pas tout à fait une novice. »
« OK, » dit Luke. « Je vois que vous maîtrisez. »
Ils entrèrent dans l’édifice. De l’autre côté, ils se retrouvèrent face à un contrôle de sécurité, avec trois gardes armés et un détecteur de métal. Luke retira son Glock de l’étui et le posa sur le tapis roulant. Il se baissa et détacha le petit revolver de poche et le couteau de chasse qui étaient accrochés à ses mollets et les posa également sur le tapis. Il finit par sortir ses clés de sa poche et les posa à côté.
« Désolé, » dit-il. « Je ne me rappelais pas qu’il y avait un contrôle de sécurité à l’entrée. »
« Il n’y en avait pas, » dit Kat Lopez. « Il a été installé il y a seulement quelques semaines. Il y a de plus en plus de gens qui entrent ici et il a fallu renforcer les contrôles de sécurité. »
Luke se rappela le jour des attaques. Thomas Hayes avait été tué et Susan s’était soudain retrouvée Présidente des États-Unis. La Maison Blanche avait été détruite, et tout avait été orchestré d’une main de maître. Ça avait été des jours de folie. Il était content d’avoir pu s’éloigner de tout ça pendant quelques temps. Mais c’est vrai que Susan n’avait pas eu cette chance.
Les gardes de sécurité effectuèrent une autre fouille rapide sur Luke à l’aide d’un détecteur manuel de métal, avant qu’on lui donne le feu vert pour entrer.
L’endroit bouillonnait d’effervescence. Le vestibule grouillait de gens en costume ou en uniforme militaire, et de personnes aux manches de chemise relevées, marchant d’un pas rapide à travers les couloirs, en entraînant à leur suite toute une floppée d’assistants. Une chose lui sauta directement aux yeux – il y avait beaucoup plus de femmes qu’avant.
« Qu’est-ce qui est arrivé à l’ancien chef de cabinet de Susan ? » demanda Luke. « Richard… »
Kat Lopez hocha la tête. « Richard Monk. Eh bien, après l’attaque à l’Ébola, lui et Susan ont tous les deux trouvé que c’était un bon moment pour que leurs chemins se séparent. Mais il a su retomber sur ses pattes. Il travaille en tant que chef de cabinet pour le nouveau Représentant du Delaware, Paul Chipman. »
Luke savait que de nouveaux représentants et de nouveaux sénateurs avaient surgi de l’ombre, pour remplacer ceux qui étaient décédés dans l’attaque à Mount Weather. Toute une floppée de personnes avaient ainsi profité de cette occasion pour prendre place dans la cour des grands, ou pour reprendre du service alors qu’elles avaient pris leur retraite. Beaucoup d’entre eux étaient des personnes nommées par des gouverneurs à l’éthique douteuse, adeptes de systèmes de patronage établis de longue date. Des faveurs étaient accordées un peu partout.
Il sourit. « De chef de cabinet de la Présidente des États-Unis, Richard se retrouve à travailler avec un obscur représentant du deuxième plus petit état du pays, et vous appelez ça ‘retomber sur ses pattes’ ? Je dirais plutôt qu’il s’est brisé le cou. »
« Sans commentaire, » dit Kate, avec un léger sourire aux lèvres. C’était le premier signe d’humanité qu’elle exprimait depuis qu’il l’avait rencontrée. Elle le guida à travers la foule jusqu’à une double porte qui se trouvait au bout du couloir. Luke connaissait déjà cet endroit. Quand Susan était Vice-Présidente, elle avait utilisé cette vaste pièce ensoleillée comme salle de réunion. Mais après avoir prêté serment, cette pièce était devenue la Salle de Crise.
La pièce avait également été transformée et officialisée. Des parois modulaires avaient été installées tout le long de la pièce, pour recouvrir les fenêtres. D’énormes écrans plats avaient été accrochés à un mètre cinquante d’intervalle. Une immense table de réunion en chêne avait été installée et le sceau du Président avait été accroché au mur, juste derrière. Il y avait environ une vingtaine de personnes présentes dans la pièce quand Luke et Kat entrèrent. Une douzaine d’entre eux étaient assis à la table, tandis que les autres étaient installés sur des chaises alignées contre les murs.
Le nombre de femmes présentes avait également changé. Luke se rappelait très bien le jour où il s’était retrouvé dans cette même pièce, deux mois plus tôt, et qu’on lui avait parlé de l’échantillon d’Ébola. Sur les trente personnes présentes dans la salle ce jour-là, Susan était la seule femme. Vingt-neuf hommes imposants et baraqués, et une seule femme frêle.
Et maintenant, la moitié des personnes présentes étaient des femmes.
Quand Luke entra, Susan se leva de sa chaise en bout de table. Elle aussi, elle avait changé. Elle avait l’air plus dure. Plus mince qu’avant. À une époque, elle avait été mannequin et elle avait toujours conservé un visage assez jeune. Mais maintenant, elle avait les yeux entourés de rides. Son regard semblait plus concentré, plus incisif. Où qu’elle aille, elle avait toujours été considérée comme une très belle femme – mais il se pourrait que ce ne soit plus le cas, une fois que son mandat de Présidente toucherait à sa fin.
« Agent Stone, » dit-elle. « Je suis heureuse que vous ayez pu nous rejoindre. »
Il sourit. « Madame la Présidente, s’il vous plait, appelez-moi Luke. »
Elle ne lui retourna pas son sourire. « Merci d’être venu. »
Debout devant l’un des grands écrans, se trouvait Kurt Kimball, le Conseiller à la sécurité nationale de Susan. Luke l’avait déjà rencontré. Il était grand, avec de larges épaules. Son crâne était complètement chauve.
Kimball lui tendit la main et Luke la serra. Si la poignée de main de Kat Lopez avait été ferme, celle de Kurt Kimball était en acier. « Luke, ça fait plaisir de vous revoir. »
« De même. »
L’atmosphère était tendue. Mais tous ces gens ne venaient pas non plus de passer les deux derniers mois à faire du camping et de la voile. Il n’empêche que Luke était venu du Maine dès qu’on l’avait appelé, et qu’il avait dû laisser son fils avec sa future ex-femme en colère, qui y avait vu une raison de plus pour demander le divorce. Et du coup, il s’était attendu à un accueil un peu plus chaleureux.
Mais quelque part, ça se comprenait. Des centaines de personnes étaient mortes ce matin et les gens présents dans cette pièce pensaient qu’il s’agissait d’une attaque terroriste.
« Je vous en prie, asseyez-vous, » lui dit Kimball.
Il y avait une chaise disponible à la droite de Susan et Luke s’y assit.
À l’écran, apparut la photo d’un énorme barrage, avec un bâtiment de six étages devant lui – le centre de contrôle. Six écluses partiellement ouvertes se trouvaient en-dessous. Le bâtiment avait l’air minuscule, avec la masse énorme du barrage qui se dressait derrière lui. Le long du bord, il y avait une centrale hydroélectrique, avec des rangées et des rangées de transformateurs.
« Luke, voici le barrage de Black Rock, » dit Kurt Kimball. « Il mesure un peu plus de deux cents mètres de haut et retient le lac de Black Rock, qui fait vingt-six kilomètres de long, a une profondeur de cent-vingt mètres, et qui contient à tout moment trois cents millions de mètres cubes d’eau. Comme vous l’avez probablement vu à la télé aujourd’hui, un peu après sept heures du matin, les six écluses se sont entièrement ouvertes et sont restées bloquées pendant trois heures et demie, avant que les techniciens parviennent à les désassocier du système informatique qui les contrôle et les fermer manuellement. »
Kimball utilisa un laser pour montrer les écluses.
« Si vous regardez la taille des écluses en comparaison avec l’édifice, vous constaterez qu’elles sont assez grandes. Chacune mesure dix mètres de haut, ce qui signifie que six énormes jets d’eau ont été lâchés en même temps. La pression hydraulique du lac a envoyé cette avalanche d’eau à une vitesse approximative de trente kilomètres à l’heure. Ça ne paraît pas si rapide que ça, sauf quand on se trouve sur son chemin. Jusqu’à ce matin, l’hôtel de Black Rock se dressait à cinq kilomètres au Sud du barrage. Le bâtiment était presque entièrement construit en bois. Le mur d’eau a complètement balayé l’hôtel et d’après ce qu’on sait, les seuls survivants sont quelques clients qui étaient partis tôt le matin pour faire une randonnée ou pour parcourir les routes pittoresques des environs. »
« Combien de clients y avait-il à l’hôtel ? » demanda Luke.
« Il y avait deux cent quatre-vingt-un clients répertoriés dans leur système de réservation en ligne. Peut-être qu’une vingtaine d’entre eux avaient quitté l’hôtel avant la catastrophe, ou n’étaient jamais arrivés, pour une raison ou une autre. Tous les autres ont été balayés par les flots et sont supposés morts. Si on ajoute à ça d’autres destructions en aval, il faudra quelques jours avant d’avoir le nombre précis des victimes. »
Luke ressentit une sensation qui lui était familière et qui lui donna la nausée. C’était comme un vieil ami qu’il n’aurait plus vu depuis longtemps et qu’il espérait ne jamais revoir. Il eut l’impression que son estomac se retournait en pensant à la mort de toutes ces personnes innocentes, qui n’avaient rien demandé à personne. Luke ne connaissait que trop bien cette sensation.
« Est-ce qu’on a essayé de les prévenir ? » demanda-t-il.
Kimball hocha la tête. « Les travailleurs du centre de contrôle ont appelé l’hôtel dès qu’ils se sont rendus compte que les écluses étaient ouvertes, mais apparemment l’avalanche d’eau les avait déjà atteints. Quelqu’un décrocha le téléphone mais la conversation prit fin presque immédiatement. »
« Mon dieu. Et quels sont les autres dégâts en aval dont vous parliez ? »
Une carte apparut à l’écran. On y voyait le lac, le barrage, l’hôtel et les villes environnantes. Kimball en désigna une à l’aide de son laser. « La ville de Sargent se trouve à vingt-six kilomètres au Sud de l’hôtel. C’est une ville de deux mille trois cents habitants et c’est la porte d’entrée au Parc national pour les touristes qui visitent le coin. La majorité de la ville est construite sur une petite colline et ils ont eu un peu plus de temps que l’hôtel pour se préparer à la catastrophe. Les sirènes d’alarme ont même eu le temps de retentir avant l’inondation. Avec vingt-six kilomètres supplémentaires à descendre, les flots ont perdu un peu de leur force et l’inondation fut un peu moins violente qu’à l’hôtel. Beaucoup de maisons et de bâtiments situés sur la colline ont résisté à l’inondation sans être balayés. Mais beaucoup de constructions plus basses ont rapidement été inondées. Plus de quatre cents habitants de Sargent sont actuellement portés disparus et supposés morts. »
Luke fixait l’écran des yeux pendant que le laser de Kimball montrait les villes de Sapphire, de Greenwood et de Kent, qui étaient à chaque fois un peu plus éloignées du barrage mais qui avaient également souffert des inondations. L’envergure de la catastrophe était épouvantable et bien que les écluses aient été fermées, la masse d’eau continuerait à dévaler les pentes pendant encore quelques jours. Une vingtaine de villes avaient été évacuées, mais il y aurait tout de même d’autres victimes. Il est probable que certaines personnes dans des régions isolées n’auraient pas la possibilité de fuir.
« Et vous pensez que le système a été piraté ? Comment est-ce que ce serait possible ? »
Kimball regarda autour de lui. « Est-ce que vous êtes tous autorisés à entendre ce qui va suivre ? Je demande à toute personne n’ayant pas cette autorisation de sortir immédiatement de cette pièce. »
Des murmures se firent entendre dans la salle, mais personne ne bougea. « OK, je vais partir du principe que vous avez tous le droit d’être ici. Si ce n’était pas le cas, c’est votre carrière que vous mettez en jeu. Ne l’oubliez pas. »
Il se retourna vers Luke.
« Le barrage a été construit en 1943 pour générer l’électricité indispensable pendant la guerre. Il a été construit, et il est géré depuis lors, par la Tennessee Valley Authority. Pendant de nombreuses années, les écluses étaient actionnées par des commandes moins sophistiquées que le dispositif d’ouverture de la porte de votre garage. Il y a environ vingt ans, la Tennessee Valley Authority a cherché à économiser de l’argent en automatisant ses barrages. En effet, les centres de contrôle dans les vieux barrages hydroélectriques sont d’une incroyable inefficacité par rapport aux normes actuelles. En gros, des gens sont payés toute la journée pour lire et écrire dans des registres, et pour ouvrir et refermer de temps en temps les vannes de déversoir. Les écluses ne sont presque jamais ouvertes.
« La Tennessee Valley Authority avait l’intention de rassembler dix ou vingt centres de contrôle dans un seul grand centre principal. Ils ont donc équipé plusieurs barrages d’un logiciel informatique qui peut être commandé à distance. Black Rock était l’un d’entre eux. Il s’agit d’un logiciel vraiment très simple – ‘oui’ pour ouvrir les écluses, et ‘non’ pour les refermer. Pour une raison ou une autre, ils n’ont jamais créé le centre principal de contrôle, mais ils ont néanmoins fait en sorte de pouvoir accéder à leur logiciel via internet, au cas où ils se décidaient à le faire. La dernière chose importante à savoir, c’est qu’à l’époque, le cryptage en était à ses balbutiements et que le logiciel n’a jamais été mis à jour depuis le moment où il a été installé. »
Luke le fixa des yeux, d’un air surpris.
« C’est une blague. »
Il secoua la tête.
« C’était très facile de pirater le système. C’est juste que personne n’y avait songé avant. Et puis… quel terroriste connaîtrait même l’existence de ce barrage ? Il se trouve dans un coin perdu, en pleine montagne. Il n’y a pas beaucoup de prestige à détruire une ville comme Sargent, en Caroline du Nord. Mais comme nous avons pu le voir, les résultats sont aussi dévastateurs que s’ils avaient attaqué Chicago. »
Susan prit la parole pour la première fois depuis le début de la présentation. « Et le pire dans tout ça, c’est qu’il y a des centaines de barrages dans le genre aux États-Unis. Nous n’en connaissons même pas le nombre exact et nous ne savons pas combien d’entre eux sont susceptibles d’être attaqués. »
« Et pourquoi est-ce que vous pensez que ce sont les Chinois qui sont derrière tout ça ? » demanda Luke.
« Nos pirates informatiques à la NSA ont pu tracer l’infiltration jusqu’à une série d’adresses IP dans le Nord de la Chine. Et il y a eu des communications depuis ces adresses vers un compte internet dans un motel d’Asheville, en Caroline du Nord, à cent kilomètres à l’Est du barrage de Black Rock. Les communications ont eu lieu au cours des quarante-huit heures précédant l’attaque. Une équipe SWAT du Bureau des alcools, du tabac et des armes est active dans cette région, où elle est chargée de contrôler les distilleries et les brasseries sans permis. On a demandé à cette équipe SWAT d’intervenir dans ce motel. Ils sont descendus dans la chambre en question et ils ont arrêté un Chinois de trente-deux ans du nom de Li Quiangguo. »
Une photo apparut à l’écran. Luke y vit un Chinois, escorté hors d’un petit motel quelconque par un groupe d’officiers de la SWAT. Une autre image de cet homme apparut ensuite. Il était debout sur une étroite route en face d’un lac. Il se tenait à côté d’une plaque historique où il était inscrit Barrage Black Rock – 1943, suivi d’une courte description.
« Bien qu’il ait des documents et un passeport sous ce nom, nous ne pensons pas qu’il s’agisse de son véritable nom. Comme vous le savez, l’ordre dans les noms en Chine sont inversés – le nom de famille vient en premier, suivi du prénom. Li est l’un des noms de famille les plus courants en Chine, un peu comme Smith aux États-Unis. Et Quiangguo signifie Une nation forte, en mandarin. C’est un prénom à connotation militariste qui était très courant après la Révolution chinoise, mais qui est un peu tombé en disgrâce il y a environ une quarantaine d’années. De plus, Li a été retrouvé avec une arme et une petite fiole contenant des pilules de cyanure en sa possession. Nous pensons qu’il s’agit d’un agent du gouvernement chinois travaillant sous un faux nom et qu’il était supposé se donner la mort s’il était sur le point de se faire arrêter. »