Kitabı oku: «Salle de Crise», sayfa 3
« Et apparemment, il n’en a finalement pas eu le courage, » dit Luke.
« Soit ça, soit il n’a pas eu le temps de mettre la main sur les pilules de cyanure. »
Luke secoua la tête. « Après une opération d’une telle envergure, un agent qui serait vraiment prêt à mourir tiendrait la fiole de cyanure en main, ou il la garderait en poche, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. En quoi consistaient les communications ? »
« Il s’agit d’une série d’emails cryptés. Nous n’avons pas encore réussi à les déchiffrer et il se pourrait que ça nous prenne des semaines avant d’y arriver. C’est un cryptage que la NSA n’a encore jamais vu. Très complexe et très difficile à déchiffrer. Alors pour l’instant, nous ne savons pas ce que contiennent ces emails. »
« Est-ce que l’homme vous a dit quoi que ce soit ? » demanda Luke.
Kimball secoua la tête. « Il se trouve dans un centre de détention de la FEMA, dans le Nord de la Géorgie, à environ cent-cinquante kilomètres au Sud-est du barrage de Black Rock. Il persiste à dire qu’il n’est qu’un touriste qui se trouvait au mauvais endroit au mauvais moment. »
« C’est pour ça que nous avons fait appel à vous, » dit Susan. « Nous voudrions que vous alliez lui parler. On s’est dit qu’à vous, il parlerait peut-être. »
« Aller lui parler, » dit Luke.
Susan haussa les épaules. « Oui. »
« Et le faire parler ? »
« Oui. »
« Pour ça, il me faudra probablement l’aide de mon équipe, » dit Luke.
Susan, Kurt Kimball et Kat Lopez échangèrent un regard.
« On ferait mieux de parler de ça en privé, » dit Kimball.
*
« OK, Susan, alors c’est le moment où vous m’expliquez à nouveau que l’Équipe d’intervention spéciale a été dissoute, c’est bien ça ? »
« Luke… » commença-t-elle à dire.
Ils étaient assis dans le bureau de Susan qui se trouvait à l’étage. La pièce était exactement comme dans les souvenirs de Luke : une vaste pièce rectangulaire avec du parquet et un grand tapis blanc au centre. Sur ce tapis, se trouvaient une table basse de salon et de grands fauteuils.
Un mur entier du bureau était recouvert d’une bibliothèque qui montait jusqu’au plafond. Cette bibliothèque lui faisait toujours penser au livre Gatsby le Magnifique.
Et puis, il y avait les fenêtres. De grandes baies vitrées qui offraient de magnifiques vues sur les terrains vallonnés de l’Observatoire naval. Les fenêtres étaient situées au Sud-ouest et laissaient entrer la lumière de l’après-midi. Une lumière un peu vaporeuse qui inspirerait bien des artistes.
Luke remarqua que les journées commençaient déjà à raccourcir. Bien qu’il ne soit pas encore 19h, c’était une lumière de début de soirée qui filtrait à travers les fenêtres. La journée se terminait déjà. Luke repensa brièvement à l’interaction qu’il avait eue avec Becca quand il était allé déposer Gunner chez elle. Mais il balaya très vite cette image de sa tête. C’était trop pour l’instant.
Il était assis en face de la Présidente. Kurt Kimball se trouvait à côté et Kat Lopez, juste derrière Susan, sur sa droite.
« Oui, » dit Susan. « Il n’y a plus d’Équipe d’intervention spéciale. La plupart de ses membres ont été réaffectés ailleurs au sein du FBI. À l’heure actuelle, il serait difficile de reconstituer ce que vous considérez comme votre équipe. »
« Susan, » dit Luke. « C’est vous qui me demandez à nouveau de reprendre du service, alors que j’ai pris ma retraite. Vous savez ce que j’ai fait ces deux derniers mois ? Je vais vous le dire. Du camping, de la pêche, des randonnées, de la voile. Un peu de chasse. Un peu de plongée. » Il frotta sa barbe. « Et j’ai beaucoup dormi. »
« Alors, vous êtes bien reposé, » dit Kurt Kimball.
Luke secoua la tête. « Je suis rouillé. J’ai besoin de mon équipe. Je leur fais confiance. Je ne peux pas vraiment fonctionner sans eux. »
« Luke, si vous étiez resté dans le coin au lieu de disparaître, on aurait peut-être pu vous conserver une équipe… »
« J’essayais de sauver mon mariage, » dit-il.
Susan le regarda droit dans les yeux. « Et comment ça s’est passé ? »
Il secoua légèrement la tête en disant : « Pas très bien, pour l’instant. »
« Je suis désolée de l’entendre. »
« Moi aussi. »
Susan jeta un coup d’œil derrière elle. « Kat, est-ce qu’on sait où se trouvent les anciens membres de l’équipe de Luke ? »
Kat Lopez regarda la tablette qu’elle tenait en main. « Bien sûr, c’est facile à savoir. Mark Swann a quitté le FBI pour un boulot au sein de la NSA. Il travaille à leur siège central, ici, dans la banlieue de Washington. Ça fait trois semaines et demie qu’il a commencé. Il évolue au sein de leur système de classification et il devrait commencer à travailler sur le projet d’extraction de données PRISM dans environ un mois.
« Edward Newsam est toujours au FBI. Il était en arrêt maladie en juin et en juillet. Sa hanche est maintenant totalement rétablie et il a été réaffecté à l’équipe de libération d’otages. Il est actuellement en formation à Quantico pour un possible travail de renseignement à l’étranger qui devrait commencer vers la fin de l’année. Dans son dossier, il est indiqué que son statut sera probablement classé Top Secret dans les prochaines semaines et qu’une autorisation spéciale sera nécessaire pour en savoir plus sur lui. »
Luke hocha la tête. Ce n’était pas une surprise. Swann et Newsam étaient parmi les meilleurs dans leur domaine. « Est-ce que vous pensez qu’on pourrait les emprunter quelques jours ? » demanda-t-il.
Kat Lopez hocha la tête. « Si on en fait la demande, je pense que les agences n’auront aucun problème pour nous les prêter. »
« Et Trudy ? » dit Luke. « J’ai aussi besoin d’elle. »
« Luke, Trudy Wellington est en prison, » dit Susan.
Luke fut totalement pris par surprise en entendant ces mots. Il fixa Susan des yeux, en essayant de comprendre ce qu’elle venait de dire.
« Quoi ? » parvint-il finalement à articuler.
Susan secoua la tête.
« Je n’arrive pas à croire que vous ne soyez pas au courant. Qu’est-ce que vous avez fait ces derniers mois, vivre dans une grotte ? Vous ne lisez pas les journaux ? »
Il haussa les épaules. « Je vous l’ai dit, je suis resté déconnecté et loin de tout. Ils ne vendent pas de journaux là où je me trouvais et j’ai laissé mon ordinateur à la maison. »
Kat Lopez se mit à lire ce qu’il y avait sur sa tablette. Le ton de sa voix était automatique, c’était presque la voix d’un robot.
« Trudy Wellington, trente ans, était la maîtresse de Don Morris pendant au moins un an, lors de la planification des attaques du 6 juin. Des emails, des messages, des enregistrements informatiques et des relevés téléphoniques suggèrent qu’à partir du mois de mars, elle avait connaissance du plan mis en place pour assassiner le Président et la Vice-Présidente des États-Unis, et qu’elle connaissait l’identité de certains des conspirateurs. Elle est accusée de trahison, de conspiration, de plus de trois cents chefs d’inculpation pour meurtre et de nombreuses autres accusations. Elle est emprisonnée sans possibilité de remise en liberté sous caution dans l’établissement pénitentiaire fédéral pour femmes de Randal, dans le Maryland. Si elle est reconnue coupable des charges qui pèsent contre elle, elle risque plusieurs condamnations de prison à vie et jusqu’à la peine de mort. »
Luke se passa la main dans les cheveux. Il avait l’impression d’avoir reçu un coup sur la tête. Il revit Trudy, avec ses comiques lunettes rouges, le regardant par-dessus le couvercle de son ordinateur portable. Il la revit la nuit où il s’était rendu chez elle à 3h du matin. Elle lui ouvrit la porte en ne portant rien d’autre qu’un long t-shirt tout fin et une arme en main. Il se revit avec elle cette nuit-là, et leurs corps enlacés.
Et elle était en prison ? Ce n’était pas possible.
« Trudy Wellington risque la peine de mort ? » dit-il.
« En un mot, oui. »
« Tout ça parce qu’elle n’a pas dénoncé Don ? »
Susan secoua la tête. « C’est une trahison, quelle que soit la manière dont on veut le voir. Beaucoup de personnes sont mortes, y compris Thomas Hayes, qui était Président des États-Unis, mais aussi un ami personnel. Wellington aurait pu éviter tout ça et elle a choisi de ne pas le faire. Elle n’a même pas essayé. À ce stade, le seul moyen pour elle de sauver sa peau, c’est de témoigner contre les conspirateurs. »
« J’ai du mal à croire qu’elle ait pu être au courant, » dit Luke. « Elle a avoué ? »
« Elle nie tout, » dit Kat Lopez.
« J’aurais tendance à la croire, » dit Luke.
Kat lui tendit sa tablette. « Il y a environ deux cents pages de pièces à conviction et on a accès à la majorité de ces preuves. Vous pouvez y jeter un coup d’œil. Peut-être que vous changerez d’avis après ça. »
Luke secoua la tête. Il regarda Susan. « Alors, ça nous laisse quoi, comme option ? »
Elle haussa les épaules. « Vous pouvez avoir Mark Swann et Ed Newsam pour quelques jours, si vous avez besoin d’eux. Mais vous n’aurez pas Trudy Wellington. »
Elle le regarda, avant d’ajouter : « Et votre hélico décolle dans quelques heures. »
CHAPITRE CINQ
16 Août
7h15
Barrage de Black Rock, Great Smoky Mountains, Caroline du Nord
En regardant par la fenêtre de l’hélico, Luke ne vit rien qui sorte de l’ordinaire en survolant le barrage. Ils arrivèrent par le lac de Black Rock, qui était une longue et pittoresque étendue d’eau, ondulant sous la brise et bordée de tous les côtés par une forêt dense et des collines escarpées. Une étroite route traversait le haut du barrage. De l’autre côté de cette route, le barrage tombait à pic sur une hauteur de deux cents mètres, jusqu’à la centrale et les écluses. Ces dernières avaient l’air de fonctionner normalement, laissant échapper un fin filet d’eau. Environ quatre cents mètres de transformateurs, un réseau de tours en acier et des fils à haute tension, partaient du barrage. Tout avait l’air intact.
« Il n’y a pas grand-chose à voir, » dit-il dans son casque.
Ed Newsam était assis à sa gauche et regardait par la fenêtre de l’autre côté. Il s’était rétabli de sa fracture à la hanche et il avait apparemment repris la musculation. Ses bras étaient plus impressionnants qu’avant, sa poitrine et ses épaules étaient plus larges, et ses jambes étaient devenus de solides troncs. Il portait un jean, des bottines et un simple t-shirt bleu.
Derrière eux, était assis Mark Swann. Il était grand et mince, et il avait étendu ses longues jambes jusque dans l’allée. Il portait un jean bleu et ses pieds croisés arrivaient juste devant ceux de Luke. Ses cheveux cendrés étaient plus longs qu’avant et il les attachait en queue. Il avait changé ses lunettes d’aviateur pour des lunettes rondes à la John Lennon. Il portait un t-shirt noir avec le logo du group punk The Ramones. Les bureaux de la NSA devaient être plutôt relax, apparemment.
« L’eau est sortie par les écluses comme elle est censée le faire, » dit le pilote de l’hélico. C’était un homme d’âge moyen, qui portait une veste noire en nylon avec les initiales FEMA dans le dos. « Le barrage et les installations n’ont subi aucun dégât et il n’y a aucune victime parmi le personnel. Seule la route d’accès a été balayée. Mais à cinq kilomètres d’ici, c’est là où les choses se corsent. »
Ils avaient pris un jet des services secrets depuis Washington jusqu’à un petit aéroport municipal qui se trouvait à l’entrée du Parc national. Ils étaient arrivés juste avant le lever du soleil et cet hélicoptère les attendait. Ils n’avaient pas beaucoup parlé pendant le trajet. Ils étaient d’humeur morose vu les circonstances. Et Trudy Wellington, en tant qu’officier des renseignements, aurait normalement fait la conversation en leur faisant un topo sur la situation durant le trajet. Susan avait proposé un autre officier des renseignements à Luke mais il avait refusé. Ils venaient de toute façon pour interroger un prisonnier. Ils allaient sûrement pouvoir lui soutirer tous les renseignements dont ils pourraient avoir besoin.
Luke savait qu’ils ressentaient tous l’absence de Trudy et qu’ils étaient tous un peu choqués par ce qui lui était arrivé. Il avait également l’impression que les deux hommes qui l’accompagnaient étaient maintenant passés à une autre étape dans leur vie. Ils avaient de nouvelles missions, une nouvelle formation, de nouveaux collègues, de nouveaux défis à relever. Beaucoup de choses pouvaient changer en deux mois.
L’Équipe d’intervention spéciale n’existait plus. Luke aurait pu faire en sorte qu’elle se maintienne sous une forme ou une autre – après la tentative de coup d’état et l’attaque à l’Ébola, il aurait pu monter sa propre équipe et continuer à travailler avec ses hommes – mais il avait choisi de ne pas le faire. Maintenant l’Équipe d’intervention spéciale, c’était de l’histoire ancienne, et Luke Stone aussi. Il avait pris sa retraite, c’est vrai. Mais il avait également totalement disparu des radars et il n’avait fait aucun effort pour essayer de garder le contact. La cohésion de l’équipe était très importante pour les opérations spéciales de renseignement. Et sans contact, il n’y avait pas de cohésion.
Ça voulait dire que pour l’instant, il n’y avait pas d’équipe.
L’hélico vira de bord et se dirigea vers le Sud. Ils purent tout de suite se rendre compte de l’ampleur des dégâts. Toute la région en aval du barrage était inondée. Il y avait de grands arbres arrachés un peu partout et éparpillés comme des allumettes. En quelques minutes, ils arrivèrent à l’endroit où se dressait l’hôtel Black Rock. Des parties de l’étage supérieur du bâtiment principal étaient toujours intactes et se dressaient au-dessus des flots. Des voitures étaient empilées contre l’hôtel en ruine, ainsi que des arbres dont certains avaient les branches qui sortaient de l’eau. On aurait dit des bras implorant le ciel pour un miracle.
L’accumulation de voitures, d’arbres et de débris avait créé un mini-barrage, derrière lequel un grand lac s’était formé. Une dizaine de Zodiacs s’y trouvaient, avec des équipes de plongeurs en combinaison qui se préparaient à plonger ou qui sortaient de l’eau, en fonction du bateau.
« Ils ont trouvé des survivants ? » demanda Luke.
Le pilote secoua la tête. « Pas un seul. En tout cas, c’était le cas ce matin. Mais ils ont retrouvé une centaine de corps dans la cafétéria. Ils les remontent un par un. Je ne pense pas qu’ils aient déjà commencé à fouiller chacune des chambres. Peut-être qu’ils attendront que le niveau d’eau baisse avant de le faire. Se déplacer dans des couloirs sous l’eau, c’est dangereux et ce n’est probablement pas nécessaire. Il n’y a aucun survivant là-dessous. »
Ed Newsam, qui était affalé comme à son habitude, se redressa sur son siège en entendant ces mots. « Comment est-ce que vous pouvez en être aussi sûr ? Il peut y avoir des poches d’air sous l’eau. Il pourrait y avoir des gens qui attendent d’être secourus. »
« Ces bateaux sont équipés d’appareils d’écoute sous-marine, » dit le pilote. « S’il y a des survivants sous l’eau, ils n’ont pas fait un seul bruit durant toute la journée d’hier et toute la nuit. »
« Il n’empêche que, si j’étais responsable des recherches, j’enverrais tout de suite mes meilleurs plongeurs fouiller chacune des chambres. Nous savons déjà que les gens de la cafétéria sont morts. Et les plongeurs, ils ont signé pour faire face à des situations dangereuses. Les civils, non. »
Le pilote haussa les épaules. « Eh bien, ils font aussi vite qu’ils peuvent. »
L’hélicoptère continua vers le Sud. L’inondation avait creusé une bande à travers la vallée, comme un chemin à travers la forêt. On aurait dit qu’un géant venait de traverser la région. Il y avait de l’eau partout. Le lit original de la rivière était invisible sous toute cette eau.
Ils survolèrent la ville de Sargent, qui se trouvait encore sous un mètre d’eau. La dévastation ici n’était pas aussi totale. Il y avait de nombreux terrains déserts où devaient probablement se dresser des maisons qui avaient été arrachées par les flots, mais certains édifices, bâtiments et panneaux de fast-food étaient encore visibles. L’hélico survola un bâtiment en parpaing, contre lequel étaient empilés un tas de voitures et de SUV. Sur une pancarte qui sortait à moitié de l’eau, ils purent lire l’inscription VOITURES D’OCCASION HONEST ABE.
« On pense qu’il y a combien de victimes ici ? » demanda Luke.
« Cinq cents, » dit le pilote. « Mais ça peut encore changer. Il y a plus d’une centaine de personnes portées disparues. Ils n’ont pas eu beaucoup de temps devant eux et c’était tôt le matin. Beaucoup de gens ont été balayés par les flots dans leur maison. Imaginez que vous dormez et que l’ancienne alarme datant de la Guerre froide se met à retentir, qu’est-ce que vous faites ? Apparemment, certaines personnes se sont réfugiées dans leur cave. Et c’est le pire endroit où se réfugier en cas d’inondation. »
« Personne ne s’attendait à ce que le barrage cède ? » demanda Swann. C’était la première chose qu’il disait depuis qu’ils avaient embarqué sur l’hélico.
Le pilote était occupé avec ses manettes. « Pourquoi ? Le barrage n’a pas cédé. Ce barrage a été construit pour durer des centaines d’années. »
« OK, » dit Luke. « J’en ai vu assez. Allons parler au prisonnier. »
*
8h30
Chattahoochee National Forest, Géorgie
Le camp apparut au milieu de la forêt, comme une sorte de mirage.
« Regardez-moi ça, » dit Ed Newsam.
Le campement était installé sur un terrain parfaitement découpé, de deux kilomètres sur deux kilomètres. C’était un carré parfait, brun et gris, en plein cœur d’une forêt dense de couleur vert foncé. Au moment où l’hélico s’approcha, Luke put apercevoir des dizaines de baraques, disposées en plusieurs rangées, et un grand réservoir d’eau au milieu du campement. Des dépendances entouraient le réservoir et une passerelle le traversait.
L’hélico commença à descendre en direction de l’héliport, qui se trouvait dans le coin le plus à l’Ouest du camp, à côté de quelques grands bâtiments administratifs, une piscine et quelques parkings. Luke pouvait maintenant voir plusieurs cours bétonnées, une route d’accès, les rues qui se trouvaient à l’intérieur du camp, et un mur surmonté de fil barbelé et des tours de guet le long du périmètre. L’endroit était comme une blessure ouverte au milieu de la forêt environnante.
« C’est quoi, cet endroit ? » demanda Luke, dans son casque.
Le pilote était occupé avec ses manœuvres d’approche mais pas trop occupé pour que ça l’empêche de parler. « Je l’ai déjà entendu appeler ‘campement de la Liberté’, » dit-il. « Mais les gens par ici ont tendance à l’appeler le camp de Nulle part. C’est l’un de nos campements – de la FEMA. Vous ne le trouverez sur aucune carte. Je ne pense pas qu’il ait un nom officiel. »
« Est-ce qu’il existe ? » demanda Luke.
L’hélico volait de plus en plus bas et les bâtiments gris du campement commencèrent à se dresser autour d’eux. Luke remarqua que les fenêtres étaient renforcées par des fils en acier.
Le pilote hocha la tête. « Quoi exactement ? Ici, on est en pleine contrée sauvage et inhabitée. Il n’y a rien d’autre ici, à ma connaissance. »
Un homme portant une veste jaune et tenant des tiges orangées se tenait sur le côté de l’héliport. Il donna des indications au pilote, qui posa l’hélicoptère exactement au milieu de la piste. Il arrêta le moteur et les rotors se mirent immédiatement à ralentir, dans un léger gémissement.
« Quand vous verrez ce Chinois, » dit le pilote, « donnez-lui quelques coups de ma part. »
« On n’est pas venu pour ça, » dit Luke.
Le pilote se retourna et sourit. « Bien sûr que si. Vous savez, c’est mon boulot de transporter des gens dans ce genre d’endroits. Je sais qui fait quoi… juste en les regardant, croyez-moi. Dès que je vous ai vus, j’ai tout de suite su qu’ils avaient décidé de monter la pression de quelques crans. »
Ils sortirent de l’hélicoptère, en baissant la tête. Un homme les attendait déjà sur l’héliport. Il portait un costume gris et une cravate bleue. Les hélices de l’hélicoptère tournaient encore et faisaient voler ses cheveux dans tous les sens. Le tissu de son costume en était tout chiffonné. Ses chaussures noires vernies brillaient. On aurait dit qu’il venait juste de descendre d’un train de navetteurs à Manhattan. Il avait vraiment l’air de ne pas être à sa place.
En s’approchant, Luke commença à discerner les traits de son visage. Il avait l’air intemporel – ni âgé, ni jeune, juste quelque part entre les deux. Il tendit une main que Luke serra.
« Agent Stone ? Je m’appelle Pete Winn. On m’a dit que c’était la Présidente qui vous envoyait. Merci d’être venu. »
« Merci à vous, Pete. Mais appelez-moi Luke. »
Luke, Ed et Swann suivirent Pete Winn. Ils s’éloignèrent de l’hélicoptère et se dirigèrent vers un abri en tôle ondulée qui se trouvait de l’autre côté de la piste. Même l’héliport était entouré de clôture en fil barbelé. La seule manière d’entrer ou de sortir de l’héliport, c’était à travers cet édifice. Les portes s’ouvrirent automatiquement quand les hommes s’en approchèrent.
« C’est quoi, cet endroit ? » demanda Luke.
« Ça ? » dit Winn. « Vous voulez dire, ce camp ? »
« Oui. »
« Bon, je vais vous faire un résumé rapide. En gros, il s’agit d’un camp de détention. Nous avons actuellement un peu plus de deux cent cinquante détenus, y compris plus de soixante-dix enfants. Pour la plupart, il s’agit d’étrangers illégaux venant du Mexique ou d’Amérique centrale, dont les vies courraient un danger aux mains des cartels de drogue et des gangs criminels, s’ils étaient renvoyés chez eux. On ne leur a pas accordé l’asile, alors ils restent ici avec leur famille jusqu’à ce que le service d’immigration ait décidé quoi en faire. Leur statut est officiellement indéterminé. Pendant ce temps, cet endroit est totalement invisible et les gangs n’ont aucune idée de l’endroit où ils se trouvent. »
Ils traversèrent rapidement le bâtiment en tôle. C’était l’endroit où pouvaient se reposer les contrôleurs aériens, les gens qui travaillaient à l’héliport et les pilotes. Il y avait quelques tables et quelques chaises, de l’équipement de surveillance radio et vidéo, un écran radar, une cafetière et un vieux carton de donuts rassis sur la table.
« Alors ils restent ici éternellement ? » demanda Swann.
« Éternellement, ça ferait quand même long, » dit Winn. « La famille qui a séjourné avec nous le plus longtemps est restée sept ans. »
Winn avait sûrement dû voir l’expression de surprise sur leurs visages.
« Ce n’est pas aussi mal que ça en a l’air. Je vous assure. Tous les enfants vont à l’école cinq jours par semaine. L’école se trouve ici, dans le camp. Il y a différentes activités proposées, y compris la projection de deux nouvelles productions tous les weekends, en anglais et en espagnol. Ils peuvent jouer au football et au basket, et les adultes peuvent prendre des cours de langue et suivre des formations professionnelles. »
« Ça a l’air génial, » dit Swann. « Ça vous dérange si je viens y passer mes prochaines vacances ? »
« Vous seriez étonnés, » dit Winn. « Les gens apprécient cet endroit. C’est bien mieux que rentrer chez eux et être assassinés. »
Une SUV noire les attendait devant l’abri en tôle. La voiture démarra et à un moment donné, ils passèrent une autre clôture surmontée de lames de rasoir. Une poignée d’hommes étaient assis sur des bancs de l’autre côté de la clôture. Quatre ou cinq d’entre eux étaient blancs, et les deux autres étaient noirs. Ils portaient tous des combinaisons jaune vif. Ils regardèrent la voiture passer, à travers la clôture.
« Ces types n’ont pas l’air d’être Mexicains, » dit Ed Newsam.
L’expression du visage de Pete Winn commença à changer. Il avait été accueillant, et même un peu nerveux, au moment de rencontrer Luke et son équipe. Mais maintenant, il commençait à prendre un air presque dédaigneux.
« Non, c’est vrai, » dit-il. « On a aussi des gens de chez nous. »
« Ils essayent aussi de se cacher des cartels ? » demanda Swann.
Winn regarda droit devant lui. « Messieurs, je suis certain qu’il y a certains aspects dans votre travail dont vous ne pouvez pas parler. C’est la même chose pour moi. »
Au bout de quelques minutes, ils se retrouvèrent de l’autre côté du camp. La voiture s’arrêta. Il n’y avait personne – aucun prisonnier, aucun travailleur. Une petite cabane se dressait toute seule sur un petit lot de terre.
Les hommes sortirent du véhicule. Le sol était en terre battue et compacte, complètement desséchée. Il n’y avait aucun signe de vie ni d’activité à proximité de cet endroit.
Pete Winn tendit un porte-clés à Luke. Une seule clé y était accrochée. Le visage de Winn était devenu dur. Son regard était froid, presque glacial. Son attitude avait complètement changé. Il n’avait plus rien à voir avec le fonctionnaire hésitant qui les avait accueillis à l’héliport.
« L’existence de cette cabane est classée top secret. Officiellement, elle n’existe pas, ni le prisonnier d’ailleurs. Votre visite non plus n’a jamais eu lieu. Le gouvernement chinois n’a fait aucune demande officielle, ni officieuse d’ailleurs, concernant un homme du nom de Li Quiangguo. D’après ce que j’ai compris, les Chinois agissent comme s’ils n’avaient rien à cacher, ni à se reprocher. Ils ont même offert de l’aide pour découvrir comment le système de contrôle du barrage avait été piraté. »
Il fit un geste de la tête en direction de la cabane.
« Les murs de la cabane sont insonorisés. La clé ouvre une armoire qui se trouve au fond de la pièce. Si vous avez besoin de certains ustensiles pour votre interrogatoire, il se pourrait que vous trouviez ce dont vous avez besoin dans cette armoire. »
Luke hocha la tête, mais resta silencieux. Il n’aimait pas du tout que tout le monde ait l’air de sous-entendre qu’il avait été envoyé ici pour torturer le prisonnier.
Est-ce qu’il avait déjà torturé des gens ? Ça dépendait de la définition qu’on en faisait, mais probablement que ça lui était déjà arrivé. Mais il n’était jamais arrivé que quelqu’un fasse appel à lui dans le but qu’il torture un suspect. Si c’est ce qu’ils pensaient, ils se trompaient – et probablement que ces gens étaient bien plus enclins que lui à la torture. Si ça lui était arrivé dans le passé, ça avait toujours été dans le feu de l’action et complètement improvisé. Et c’était toujours parce que cette personne détenait des informations cruciales dont Luke avait besoin tout de suite.
Pete Winn continua à parler de détails logistiques, mais sur un ton beaucoup plus décontracté.
« Si vous avez besoin de quoi que ce soit… à manger, à boire, ou si vous voulez retourner à l’héliport, il vous suffit de décrocher le téléphone qui se trouve dans la cabane et de composer le zéro. Nous vous enverrons ce dont vous avez besoin. Vous pouvez également passer la nuit au campement, si vous voulez. On peut vous fournir des ustensiles de toilette, du savon, du shampoing, des rasoirs – nous avons tout ce qu’il faut. Nous avons même des vêtements de rechange. »
« Merci, » dit Luke.
« Je vais vous laisser maintenant, » dit Winn. « Bonne chance. »
Quand il fut parti, Luke prit un moment pour parler à ses hommes. Le camp était entouré de montagnes, comme s’il avait été construit dans une cuvette.
« Swann, combien d’années est-ce que tu as passées en Chine ? »
« Six ans. »
« Dans quelle région ? »
« Un peu partout. J’ai surtout vécu à Pékin, mais j’ai passé beaucoup de temps à Shanghai et à Chongqing, et également un peu dans le Sud, à Guangzhou et à Hong Kong. »
« OK, je veux que tu observes attentivement ce type et que tu en retires le plus d’informations possibles. N’importe quoi, même des détails. L’endroit d’où il pourrait venir. Quel âge il pourrait avoir. Son niveau d’éducation. Son niveau de connaissances informatiques. Est-ce qu’il vient même de Chine ? Les hommes de Susan Hopkins m’ont dit qu’il parlait parfaitement l’anglais. Peut-être qu’il est né ici, aux États-Unis ? Ou au Canada, ou à Hong Kong ? Ou n’importe où, d’ailleurs… Il y a des Chinois partout. »
Swann hocha la tête. « Si ce type travaille pour le gouvernement chinois, je ne vais pas pouvoir découvrir quoi que ce soit. Il sera spécialement entraîné pour ce genre de situations et pour dissimuler ses origines. »
« Alors, fais des suppositions, » dit Luke. « Ce n’est pas un calcul de math. Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises réponses. Je veux juste avoir ton avis. »
Swann hocha la tête. « C’est compris. »
Luke se mit soudain à le scruter du regard. « Est-ce que tu as l’âme sensible ? »
Il ne s’était jamais inquiété du caractère de Swann auparavant, mais il se rendit soudain compte qu’il se pourrait que Swann ne réagisse pas bien face à certaines situations.
« L’âme sensible ? Dans quel sens ? »
« Il se pourrait qu’Ed et moi, on doive monter la pression d’un cran. »
« Eh bien, prévenez-moi et j’irai faire un tour dehors. »
« Si tu fais ça, n’oublie pas de faire un petit signe amical aux snipers, » dit Ed Newsam.
À environ trois cents mètres de là, se dressait une tour de guet de douze mètres de haut. Luke et Swann regardèrent dans cette direction. Un homme se tenait debout dans la tour, un fusil en main. De là où ils se trouvaient, on aurait dit qu’il avait le fusil pointé sur eux.
« Est-ce qu’il peut faire mouche de là où il se trouve ? » demanda Swann.
« Les yeux fermés, » dit Luke.
« Mais il ne fait juste que s’entraîner, » dit Ed. « Il essaye de se distraire un peu, pour ne pas trop s’ennuyer. »
Sur ces mots, ils entrèrent dans la cabane.
*
L’homme portait une combinaison jaune vif. Il était assis sur une chaise pliante en métal au milieu de la pièce, qui était vide. Il était assez imposant. Il avait de larges épaules, des jambes et des bras épais, et un ventre proéminent.