Kitabı oku: «Ndura. Fils De La Forêt», sayfa 2
2ème JOUR
JE DECOUVRE LES MERVEILLES DE LA FORET
– Non, ne le tuez pas! –criai-je en m’agitant de façon convulsive, provocant ma chute de l’arbre dans un bruit sourd.
Je me débattis de long en large, fuyant mes propres fantômes, ignorant la douleur de la chute. Je regardai dans toutes les directions, totalement désorienté, et demeurai un moment sans bouger, recroquevillé, gémissant tel un animal blessé. Tandis que je frottais mon dos meurtri, je réalisai que ce n’était qu’un mauvais rêve, un cauchemar bien réel puisque j’avais revécu la mort de Juan, le choc de l’avion, le corps inerte d’Alex, une nouvelle fois, entre mes mains. La sueur perlait à mon front, mes mains tremblaient. Je respirai profondément un instant et me décidai à bouger. Ma seule envie était de m’éloigner le plus possible de l’avion, de m’éloigner d’où j’avais perdu une partie de ma vie. Mon passé était terrible, mon futur, désolant.
J’avais très mal au dos à cause de la position que j’avais adopté, à cause de la chute ou bien des deux choses à la fois et je me sentais un peu fiévreux. Je grimpai à l’arbre en me plaignant pour récupérer les sacs et remarquai qu’il manquait le sac contenant la nourriture. Le bond que je fis sur le coup me fit presque tomber à nouveau de l’arbre. Je n’arriverais à rien sans ce sac. Je cherchai avec appréhension parmi les branches et, alors que je pensais ne plus jamais le trouver, je vis qu’il était tombé au sol, l’ensemble de son contenu éparpillé. C’était probablement moi qui l’avais fait tomber, l’entraînant dans ma chute ou en remuant pendant la nuit. Je descendis avec précaution, l’autre sac à l’épaule, et récupérai tout ce que j’aperçus: trois canettes de rafraîchissement, un sandwich au saucisson, des biscuits déjà croqués et remplis de fourmis, une boîte de dosettes de sel pour la salade et les deux boîtes qui s’avérèrent être remplies de pâte de coing. Le reste avait disparu, emporté, je supposai, par les animaux. Ceci me fit conclure qu’il était tombé pendant la nuit.
Je décidai de faire l’inventaire de tout ce que je transportais afin de voir ce qui pourrait m’être utile et de jeter ce qui ne l’était pas. Porter un poids inutile n’avait aucun sens et j’avais besoin de connaître les moyens dont je disposais. Dans mon sac, mis à part la nourriture, j’avais le couteau acheté pour mon père, les figurines en bois, un livre de voyage sur l’Afrique Centrale, un paquet de mouchoirs en papier, des jumelles de 8x30, un chapeau kaki en tissu et un t-shirt où était marqué “I love Namibia”. Il me restait de la trousse à pharmacie une boîte d’aspirines à moitié entamée, une boîte entière d’anti-diarrhéiques, une bande, trois pansements et quelques comprimés contre les nausées. Tout ceci en plus des papiers personnels, bien évidemment. Dans le sac de Juan se trouvaient aussi ses papiers, mais aussi les trois couvertures et le petit coussin de l’avion, un petit livre avec des phrases en swahili, ses lunettes de soleil, une casquette, des petites barres de chocolat, une bouteille d’eau en plastique d’un litre, presque vide, une fourchette, une grande figurine en bois représentant un éléphant et d’autres plus petites, un paquet de cigarettes presque entier et un briquet.
Je ne pouvais pas porter deux sacs à la fois, je rangeai donc tout dans le mien, en meilleur état, à part une des couvertures et l’oreiller qui prenait beaucoup de place. Les figurines en bois étaient inutiles dans cet environnement. Je les enterrai et les recouvris avec des branchages. Tandis que je me débarrassais de certaines choses, je me rappelais les gens auxquels elles étaient destinées : Elena, ma famille, mes amis, Alex, Juan. Je ne mis pas longtemps à recommencer à pleurer. Je ne reverrais plus jamais aucun d’eux. Enfin, Alex et Juan je les reverrais bientôt, au ciel, ou n’importe-où que l’on aille une fois mort.
C’est à ce moment-là que je mangeai les petites barres de chocolat fondues par la chaleur, léchant l’emballage jusqu’à ce qu’il ne reste plus aucune trace. Délicieuses. Je bus également le peu d’eau qui restait dans la bouteille. C’est alors que je pris conscience qu’il fallait m’arrêter un moment pour réfléchir aux prochaines étapes à franchir. Quelques questions surgirent dans mon esprit: les rebelles savaient-ils que j’étais en vie? Quelle direction prendre maintenant?
Je n’avais pas la réponse à la première question. Peut-être avaient-ils réussi à faire dire à l’un des passagers qu’il m’avait vu, peut-être ont-ils fouillé les alentours et trouvé mes empreintes ou la canette que j’avais jetée après avoir bu (une grossière erreur, même si, à cet instant précis, la fuite était ma seule préoccupation). Peut-être étaient-ils partout et finiraient bien par me trouver ou peut-être ne savaient-ils rien du tout. Quoi qu’il en soit, je devais essayer, à partir de maintenant, de faire davantage attention et de laisser le moins de traces possibles de mon passage.
En ce qui concerne la direction à prendre, je croyais me souvenir que, de l’avion, pendant l’atterrissage vertigineux, j’avais vu un village à l’horizon, au milieu d’une grande clairière de la forêt. Je ne savais pas s’il s’agissait de la base des rebelles, il était fort probable que ce soit le cas car l’avion se trouvait très près de l’endroit où ils nous avaient attaqué. Comme nous allions du sud de l’Afrique vers le nord, je supposai qu’en me dirigeant toujours vers le nord j’atteindrais la fin de la forêt, un autre pays et aurais davantage de chances de trouver de l’aide. Comme mes amis me manquaient! Maintenant, l’enthousiasme, l’optimisme et la bonne humeur d’Alex, la capacité d’analyse, la sérénité et la détermination de Juan à l’heure d’affronter une quelconque situation seraient d’un grand secours. J’avais tellement besoin de leur compagnie pour me donner le courage suffisant d’affronter ce défi que je n’avais pas cherché et qui se présentait à moi de façon inéluctable! Tout cela serait plus simple avec eux, ce serait même une aventure à raconter une fois rentré; mais ils étaient morts, assassinés, exterminés sans pitié comme de vulgaires mouches, fauchés au meilleur de leurs vies… et moi, je devais survivre comme je pouvais. Salauds, fils de…! Du calme, Javier, du calme, je devais essayer de garder mon sang-froid, c’était ma seule chance. Bien, le soleil se lève à l’est et se couche à l’ouest, donc s’il s’était levé de ce côté, à quelque chose près… il devrait aller dans cette direction. Si j’arrivais quelque part grâce à ce système d’orientation, ce ne serait pas de l’habileté mais un miracle. Je grimpai malgré tout à l’un des plus hauts arbres que je pus voir, pour m’en assurer.
Ce fut facile, l’arbre avait beaucoup de branches et l’on pouvait s’en servir comme d’une échelle. Malgré cela, plus je montais plus les branches devenaient petites et flexibles. Je fis donc très attention à poser le pied juste à la base de la branche, la partie la plus large et résistante. Je surplombais tout et, en arrivant presque tout en haut, je vis un paysage à couper le souffle. Une mer verte s’étendait dans toutes les directions, tel un tapis, montant et descendant, suivant les contours du sol, imitant les vagues, une vaste étendue de vie. Seuls quelques arbres solitaires, beaucoup plus hauts que les autres, ressortaient dans l’immensité de cette tapisserie que formaient les innombrables cimes de la forêt. Je ne voyais que des cimes d’arbres, partout, sans fin. On ne pouvait pas voir quoi que ce soit, d’aucun côté, même à l’aide des jumelles. A vrai dire, cela ne m’aidait pas beaucoup dans ma recherche de direction à suivre. Je descendis de l’arbre et cachai le sac de Juan, avec tout ce que je laissais dedans. Je l’enterrai à moitié sous un tronc qui était tombé. Je décidai, au dernier moment, de garder la girafe pour Elena: si je la revoyais, je voulais avoir un cadeau pour elle. Je jetai un dernier regard autour de moi afin de m’assurer que je ne laissais aucun signe évident de ma présence et, lorsque je fus plus ou moins convaincu, je me mis en route, sans grand espoir. Comme j’avais besoin de mes amis!
Pendant ma marche, je rencontrai des oiseaux colorés, au poitrail rouge vif et avec le reste du corps vert6. Douze ou quinze oiseaux voletaient entre les branches des arbres avec une agilité incroyable. Lorsque je fis un peu de bruit, ils disparurent de ma vue en un claquement de doigts. Seuls ces beaux animaux me tirèrent, pour un moment, de l’écrasante sensation de solitude avec laquelle la forêt me frappait implacablement. Un monde oppressant, hostile, sans compassion, plongé dans une pénombre permanente, dans lequel l’angoisse, l’abattement ou la sensation d’étouffement étaient de constants compagnons de route.
Le chemin était difficile, je devais constamment faire des détours ou sauter des obstacles. Il y avait, de temps à autres, de petites clairières, mais je les longeais par peur d’être trop visible. Je transpirais sans arrêt et j’avais très soif, mais je ne voulais pas boire une autre canette puisqu’il ne m’en restait que trois. Il devait faire 25º, avec un taux d’humidité très haut, ce qui accentuait la sensation d’oppression et de chaleur. J’ôtai ma chemise un moment, mais je fus piqué par tant de moustiques que je dus la remettre. A des moments, le bocage était tellement épais que je devais me frayer un chemin avec un bâton que j’utilisais en guise de machette. Dans ces cas là, je n’avançais pratiquement pas: je n’arrivais qu’à écarter les branches sur mon passage, pas à les couper. De plus, la partie inférieure de mes jambes et de mes avant-bras, à l’endroit où les habits ne me couvraient pas, était couverte de blessures de plantes. Plusieurs parties de mon visage piquaient également. Cela signalait que j’y avais aussi des coupures.
Parfois, le sol était jonché de branches ou de troncs déracinés, d’autres fois, le sol était meuble, recouvert de feuilles mortes. Je devais marcher prudemment pour ne pas me tordre une cheville en posant le pied dans quelque trou ou en glissant, cela me serait fatal. Dans certaines zones, les cimes des arbres étaient tellement rapprochées qu’elles ne laissaient pas passer la lumière, créant ainsi une atmosphère de clair-obscur vraiment lugubre. Ou bien elles formaient plusieurs planchers de lumière aux nuances différentes suivant le niveau. Je traversais ces parties avec crainte car j’avais l’impression de me voir constamment attaqué par des fantômes. Ce n’était, en réalité, que les plus hautes branches des arbres se balançant au vent, qui devait souffler sur le toit vert de la forêt et qui, au passage, leur faisait produire un constant hurlement, vous glaçant le sang et vous harcelant sans cesse. Souvent, la forêt était tellement dense qu’elle était absolument impraticable et je devais faire de grands détours pour continuer à avancer. Je n’aurais jamais cru qu’il puisse y avoir autant de plantes différentes en un même endroit. Je ne voyais plus l’aspect romantique de marcher dans la jungle comme les explorateurs, je dirai même plus, je souhaitais sortir le plus tôt possible de ce lieu. De plus, comme je faisais généralement beaucoup de bruit, mon cœur se serrait à l’idée qu’il serait très facile de me localiser si j’étais suivi.
De la même manière qu’un bruit incessant provenait de partout pendant la nuit, un bruit différent se faisait entendre pendant le jour: des bourdonnements d’insectes, des chants étranges d’oiseaux dans la cime des arbres et quelques cris que j’attribuai à des singes ou à quelque chose comme ça. Du moins l’on n’entendait pas de rugissements inquiétants. Ils devaient avoir été produits par quelque chasseur nocturne. C’est ce que je voulais croire. Je ne voyais pas beaucoup d’animaux, mais je pouvais sentir leur présence.
Je regardai l’heure à ma montre. Il était dix heures du matin. Je marchais depuis une heure et n’en pouvais plus. Le genou avait déjà commencé à envoyer des signaux d’avertissement et je remarquai qu’il était légèrement enflammé. Les ligaments, ou je ne sais quoi, s’étaient déplacés à plusieurs reprises et j’avais dû les remettre en place avec la main, en massant doucement mais fermement. Je m’assis par terre pour me reposer un peu, le dos appuyé à un très grand arbre et me passai la main sur le genou. La chaleur me soulagea légèrement. Je me trouvais dans une zone assez à découvert. Assis depuis un bon moment, je vis un oiseau semblable à un perroquet, posé sur la branche d’un arbre en face de moi. Son plumage était bleu pâle avec, comme unique touche de couleur, le rouge de sa queue. Il avait une auréole blanche autour des yeux, le bec noir et il émettait des cris presque humains7. Il tournait la tête dans pratiquement toutes les directions sans bouger le reste du corps, me rappelant l’enfant dans l’Exorciste. Il s’approcha d’un fruit de l’arbre en se balançant et commença à le picorer. Le fruit était de couleur rouge-orangé, de la taille d’une main et de forme semblable à une courge.
– Toi tu sais surement où tu es – dis-je en moi-même – c’est sûr.
Je me reposai environ une demi-heure puis me remis en route. A chaque fois que je longeais une clairière et devais reprendre la bonne direction, j’étais d’avantage convaincu du fait que je pourrais tourner en rond pendant des années sans m’en rendre compte. Pour moi, tout se ressemblait et le soleil ne m’était plus d’une grande utilité. Je regardais à quelle hauteur il se trouvait, vérifiait avec l’heure à la montre et arrivais à la conclusion de n’avoir aucune idée de ce que je faisais. Je suivis le même rythme toute la matinée : je marchais pendant une heure et me reposais. Pendant les pauses, je lisais le livre de phrases en swahili ou celui sur les voyages pour occuper l’esprit avec quelque chose, peut-être cela me servirait-il à communiquer avec quelqu’un lors d’une hypothétique rencontre. J’avais à chaque fois plus de mal à me lever pour continuer, le genou me faisait boiter et, vers deux heures de l’après-midi, je jetai l’éponge.
Tout était ma faute, j’avais traîné mes amis dans ce lieu infernal, ils étaient morts à cause de moi. Si je les avais écouté, à l’heure actuelle nous serions de retour d’Italie avec un tas de photos de Venise et une carte postale de la Toscane. Ma faute, tout était ma faute.
J’avais soif et mon estomac grondait sans arrêt. De deux choses l’une: je mangeais comme il faut pour récupérer des forces ou j’économisais le peu de nourriture dont je disposais, risquant ainsi qu’il m’arrive quelque chose. Trouver de la nourriture et de l’eau dans la jungle aurait dû être simple, c’est du moins ce que je croyais à ce moment-là. J’avais très faim et décidai donc de boire une canette de rafraîchissement et de manger le sandwich et les biscuits déjà croqués, écartant les fourmis en leur soufflant dessus. Je calmai un peu ma faim tenace. Je gardai la pâte de coings pour plus tard, pensant qu’elle mettrait plus de temps à se gâter. Ensuite je m’endormis: j’étais fatigué et n’avais pas pu dormir la nuit d’avant.
Lorsque je m’éveillai, j’entendis un sifflement très proche de moi. Je devais avoir un serpent à côté. Je restai parfaitement immobile, tendant l’oreille pour essayer de savoir où il pouvait être. La peur me prit à l’estomac et je commençai à respirer difficilement. Une fois, j’avais vu un reportage sur des serpents appelés les “serpents des trois pas”, parce qu’après t’avoir mordu on n’avait le temps que de faire trois pas avant de tomber raide mort. Dans le fond ce n’était pas mal vu la situation. En revanche, si je devais passer des heures à agoniser après avoir été mordu, perdant peu à peu le contrôle, atteignant le paroxysme de la douleur… j’avais tellement peur de souffrir, tellement peur de la douleur. Si je devais mourir, autant que ce soit rapide, je le souhaitais presque pour pouvoir sortir de la situation dans laquelle je me trouvais. Je le méritais. Le sifflement semblait se rapprocher chaque fois davantage, je pouvais même entendre le craquement des feuilles sur son passage, il venait vers moi, j’en étais sûr. Je pouvais presque le sentir glisser sur mon corps, montant par ma jambe et se dirigeant vers mon cou, il était presque arrivé, il allait me mordre. Je fermai les yeux un moment et respirai profondément pour essayer de me calmer. Je les rouvris ensuite et, sans bouger d’un centimètre, les remuai dans toutes les directions pour essayer de le localiser. Je le vis, enfin. Il était tranquillement enroulé à la branche d’un arbre, trois mètres à ma droite, à peu près deux mètres plus haut. Il ne bougeait que la tête d’un côté et de l’autre, comme s’il surveillait quelque chose. Il était vert avec une légère touche de bleu, les flancs un peu jaunes, une longue queue d’un peu plus d’un mètre de long et le corps fin, comme comprimé sur les côtés, presque invisible parmi les feuilles8. Lorsqu’il se laissa glisser sur la branche je pus voir que son ventre était blanchâtre.
Je restai encore un moment sans bouger à écouter, jusqu’à être convaincu du fait que c’était bien celui-là que j’avais entendu et que le reste n’avait été que le fruit de mon imagination. Je me levai lentement en observant le sol avec attention, cherchant un autre serpent, mais celui que je voyais était le seul. Du moins le seul que je pus situer. Au début je pensais le contourner et m’éloigner, mais je me rappelai ensuite que l’on disait toujours que la chair de serpent avait le goût du poulet, qu’elle était très bonne. C’est du moins ce que disaient les anciens, quand ils racontaient leurs histoires sur la Guerre Civile et la faim dont ils avaient souffert. Cela me sembla une bonne occasion d’obtenir de la nourriture et, si en plus c’était bon, c’était encore mieux. Je cherchai un long bâton avec un bout en ‘V’ pour essayer de maintenir sa tête. Je sortis également le couteau de ma poche, l’ouvris et le mis à la ceinture de mon bermuda. Je trouvai une branche qui était tombée, parfaitement adéquate, et lui donnai la forme que je voulais, taillant une des extrémités en V, sans jamais quitter des yeux le serpent. Le processus de préparation me parut interminable et me fatigua terriblement, bien qu’en réalité cela ne demande aucun effort physique considérable.
Lorsque je fus prêt, je m’approchai discrètement du serpent. Il ne parut pas s’en rendre compte ou m’ignora, il ne me prêta aucune attention. Quand j’étais à moins d’un mètre, je levai le bâton et le frappai à la tête de toutes mes forces. Il resta à moitié suspendu après le premier coup et je lui en donnai deux autres jusqu’à ce qu’il tombe au sol. Je lui attrapai la tête avec la fourche du bâton et appuyai très fort contre le sol. Le serpent bougeait convulsivement, sifflant sans arrêt, ce qui me terrifiait. Si je le lâchais pour le frapper à distance il pourrait m’attaquer, l’autre option était de m’approcher davantage et de lui planter le couteau. Rassemblant tout mon courage, je me rapprochai et écrasai fortement la queue, la pressant contre le sol pour essayer de l’immobiliser. Je m’accroupis et plantai le couteau juste en dessous de la tête de l’ophidien, plaquée au bâton, la laissant plantée dans le sol. Il n’arrêtait pas, malgré cela, d’essayer de bouger. J’ôtai donc le couteau et lui sciai le cou jusqu’à séparer la tête du corps. Je fis ensuite un bond en arrière, craignant dans mon ignorance qu’il soit encore capable d’attaquer. La queue continuait à battre sans arrêt, du sang jaillissait de là où se trouvait la tête auparavant. Je lui donnai plusieurs coups de bâton, rien à faire, je décidai donc de le laisser un moment. En moins d’une minute, il arrêta de bouger progressivement jusqu’à rester parfaitement immobile. Je le touchai une ou deux fois à l’aide du bâton mais il ne bougeait pas. Il était mort pour de bon. Je pus enfin respirer tranquille.
Ma première victoire dans la forêt. L’homme avait dominé la bête. J’étais totalement euphorique, tous mes problèmes s’étaient dissous l’espace d’un instant, comme le sucre dans un verre de lait chaud. J’étais maintenant sûr que j’allais survivre et que j’arriverais à sortir de là. J’étais un authentique aventurier, un survivant-né. Rien ne pouvait plus m’empêcher de trouver la sortie de ce labyrinthe de verdure et de rentrer chez moi, à la maison. J’avais été mis à l’épreuve par mère Nature et avais démontré ma valeur, ma capacité d’adaptation et de survie. J’en étais certain à présent, j’étais le gagnant de ce combat inégal contre moi-même et contre les éléments adverses.
Je pris le serpent et l’ouvrit en deux à l’aide du couteau, lui sortant les entrailles du mieux que je pus, ce qui me dégoûta passablement. Pour cela je le pris par un bout et tournai sur moi-même à toute vitesse. Le serpent tournoyait rapidement et ses entrailles furent projetées dans toutes les directions. Je pensai ensuite que cela allait à l’encontre de mon plan d’être discret et ne pas attirer l’attention, mais il y avait déjà des restes de serpent partout et je n’avais aucune envie de les ramasser. Je terminai de nettoyer ce qui restait avec le couteau, j’eus plusieurs haut-le-cœur, c’était dégoûtant. Ensuite je le pelai. Quand il fut prêt je me rendis compte d’un problème. Je ne pouvais pas faire de feu pour le faire cuire car je trahirais ma présence et ma position, je devrais donc le manger cru. Je regardai la chair sanglante avec appréhension. Je coupai un gros morceau et le portai à ma bouche. Si les animaux mangeaient cru moi aussi je pouvais. Je mastiquai plusieurs fois et recrachai tout. Dégoûtant! Il avait la consistance du plastique, c’était comme si j’essayais de manger une des poupées de mes sœurs ou un cartilage à-moitié défait. J’ai toujours aimé la viande bien cuite, je n’ai jamais pu la manger saignante, alors complètement crue, encore moins. Les aliments de la consistance de cette chair m’ont toujours rebuté: la peau de poulet pas très cuite, le lard, les tripes…
Complètement désabusé, je pris les restes du serpent ainsi que ceux de mon repas et les enterrai. Je jetai quelques feuilles dessus pour mieux les cacher. A quoi bon arriver à trouver de la nourriture si l’on ne peut pas la manger? Risquer qu’un serpent me morde et me tue. A quoi bon? De plus, il y avait le problème de l’eau. Je devais trouver quelque chose parce que j’avais une soif terrible et qu’il ne me restait que deux cannettes. Je me laissai tomber, transpirant à grosses goutes suite à l’effort fourni pour capturer le serpent. A bout de forces, je bus une des deux boissons et jetai la canette. Qu’ils me découvrent, en fin de compte il vaut mieux mourir fusillé que de faim, ça dure moins longtemps. De plus, j’avais semé des entrailles de serpent dans un périmètre de deux mètres à la ronde. Adieu au vainqueur, adieu au survivant-né, bonjour au raté qui allait mourir dans un jardin sauvage. Je le méritais, je ne pouvais donc pas me plaindre. J’avais tué mes deux meilleurs amis. De toute façon je me rappelais avoir vu quelque chose à la télévision sur l’eau dans la jungle. Je me rappelais qu’ils avaient dit qu’on pouvait facilement en trouver quelque part, précisément, mais je ne savais plus où.
Je restai là pendant un moment, je ne saurai dire combien de temps, assis par terre, les bras appuyés sur les genoux et la tête baissée, ne pensant à rien, me laissant porter. Résignation, conformisme, abandon, refus de vivre. L’accident d’avion et la mort d’Alex, voir Juan se faire tirer dessus, l’euphorie du serpent et la déception qui s’en suivit, la fatigue, le sommeil… trop de choses en seulement vingt-quatre heures, trop d’émotions fortes. Pourquoi Juan avait-il été aussi stupide et s’était mis à courir de la sorte? Pourquoi m’avait-il laissé tout seul? On serait au moins tous les deux et les choses seraient différentes, mais non, il a fallu qu’il essaie de fuir de cette façon si… si… Je voulais rentrer chez moi, fermer les yeux et que quand je les rouvre je me trouve dans mon lit et que tout n’eut été qu’un cauchemar plus réaliste que d’habitude, un mauvais rêve comme tant d’autres, une anecdote à raconter l’après-midi, en retrouvant la petite amie ou les amis. Je pleurai, mais presque aucune larme ne sortait de mes yeux.
Perdu, démotivé, désabusé et mort de fatigue et de sommeil. Je ne savais pas quoi faire. Finalement, par simple automatisme, j’enterrai la canette que j’avais jeté et me levai pour continuer à marcher, bien qu’à un rythme beaucoup plus lent à présent, me laissant porter, traînant presque les pieds. Je marchai et m’arrêtai, faisant des pauses, jusqu’à huit heures du soir. Les pauses étaient chaque fois plus longues, les périodes de marche chaque fois plus courtes. J’utilisais le bâton qui m’avait servi pour le serpent comme une canne pour m’appuyer, j’ôtais ainsi un peu de pression sur le genou blessé, bien qu’à ce moment-là je ne sente même plus mes jambes. Marcher pour marcher, sans même essayer de suivre la route que je m’étais fixée. En fin de compte, je n’étais pas certain de savoir comment faire et je pourrais presque affirmer que ça m’était égal. Pourquoi les ai-je convaincu de venir ici, pourquoi? Je n’écoutais jamais personne, n’en faisant toujours qu’à ma tête. Regardez où m’avait conduit mon envie de tout contrôler, de tout diriger. Juan, espèce d’idiot, pourquoi t’es-tu mis à courir de cette façon pour te suicider? C’était de ta faute, je n’avais rien à voir là-dedans. C’était de ta faute. A toi.
Lorsque je n’en puis plus, je mangeai une boîte entière de pâte de coings et bus la canette qui restait, cachant tous les restes, y compris une des couvertures qui me restaient. A quoi bon en avoir deux? Moins je porterais de poids, mieux ce serait. De plus, elles donnaient très chaud et, lorsque je portais le sac, j’avais l’impression que mon dos me brûlait, le t-shirt collé au corps en permanence à cause de la transpiration, ce qui était inconfortable. J’avais aussi commencé à ressentir une constante sensation d’étourdissement, probablement parce que j’étais déshydraté puisque je manquais d’eau. Cela ne m’étonnait pas, les rafraîchissements étaient supposés étancher la soif sur le moment mais n’hydrataient pas beaucoup. Un de mes camarades de collège appelait cela l’effet yo-yo, à cause du sucre, disait-il.
Comme il commençait à faire nuit et que je n’avais pas envie de dormir une nouvelle fois dans un arbre de manière aussi inconfortable, je cherchai un endroit un peu retiré, là où la terre était sèche. Je fabriquai un étroit matelas de feuilles et de branches vertes. Je m’y blottis, me couvrant du mieux possible avec la petite couverture, le sac à dos en guise d’oreiller et m’endormis. J’avais passé mon premier jour complet dans la jungle et j’en avais plus qu’assez. J’étais épuisé et j’avais envie que tout cela prenne fin, de quelque manière que ce fut.