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Kitabı oku: «Les confessions», sayfa 49

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Plus je méditais sur l’entreprise proposée, plus j’avançais dans l’examen des pièces que j’avais entre les mains et plus je sentais la nécessité d’étudier de près et le peuple à instituer, et le sol qu’il habitait, et tous les rapports par lesquels il lui fallait approprier cette institution. Je comprenais chaque jour davantage qu’il m’était impossible d’acquérir de loin toutes les lumières nécessaires pour me guider. Je l’écrivis à Buttafuoco: il le sentit lui-même, et si je ne formai pas précisément la résolution de passer en Corse, je m’occupai beaucoup des moyens de faire ce voyage. J’en parlai à M. Dastier qui, ayant autrefois servi dans cette île, sous M. de Maillebois, devait la connaître. Il n’épargna rien pour me détourner de ce dessein, et j’avoue que la peinture affreuse qu’il me fit des Corses et de leur pays refroidit beaucoup le désir que j’avais d’aller vivre au milieu d’eux.

Mais quand les persécutions de Motiers me firent songer à quitter la Suisse, ce désir se ranima par l’espoir de trouver enfin chez ces insulaires ce repos qu’on ne voulait me laisser nulle part. Une chose seulement m’effarouchait sur ce voyage; c’était l’inaptitude et l’aversion que j’eus toujours pour la vie active à laquelle j’allais être condamné. Fait pour méditer à loisir dans la solitude, je ne l’étais point pour parler, agir, traiter d’affaires parmi les hommes. La nature, qui m’avait donné le premier talent, m’avait refusé l’autre. Cependant je sentais que, sans prendre part directement aux affaires publiques, je serais nécessité, sitôt que je serais en Corse, de me livrer à l’empressement du peuple, et de conférer très souvent avec les chefs. L’objet même de mon voyage exigeait qu’au lieu de chercher la retraite, je cherchasse, au sein de la nation, les lumières dont j’avais besoin. Il était clair que je ne pourrais plus disposer de moi-même, et qu’entraîné malgré moi dans un tourbillon pour lequel je n’étais point né, j’y mènerais une vie toute contraire à mon goût, et ne m’y montrerais qu’à mon désavantage. Je prévoyais que soutenant mal par ma présence l’opinion de capacité qu’avaient pu leur donner mes livres, je me décréditerais chez les Corses, et perdrais, autant à leur préjudice qu’au mien, la confiance qu’ils m’avaient donnée et sans laquelle je ne pouvais faire avec succès l’œuvre qu’ils attendaient de moi. J’étais sûr qu’en sortant ainsi de ma sphère, je leur deviendrais inutile, et me rendrais malheureux.

Tourmenté, battu d’orages de toute espèce, fatigué de voyages et de persécutions depuis plusieurs années, je sentais vivement le besoin du repos, dont mes barbares ennemis se faisaient un jeu de me priver; je soupirais plus que jamais après cette aimable oisiveté, après cette douce quiétude d’esprit et de corps que j’avais tant convoitée, et à laquelle, revenu des chimères de l’amour et de l’amitié, mon cœur bornait sa félicité suprême. Je n’envisageais qu’avec effroi les travaux que j’allais entreprendre, la vie tumultueuse à laquelle j’allais me livrer; et si la grandeur, la beauté, l’utilité de l’objet, animaient mon courage, l’impossibilité de payer de ma personne avec succès me l’ôtait absolument. Vingt ans de méditation profonde, à part moi, m’auraient moins coûté que six mois d’une vie active, au milieu des hommes et des affaires, et certain d’y mal réussir.

Je m’avisai d’un expédient qui me parut propre à tout concilier. Poursuivi dans tous mes refuges par les menées souterraines de mes secrets persécuteurs, et ne voyant plus que la Corse où je pusse espérer pour mes vieux jours le repos qu’ils ne voulaient me laisser nulle part, je résolus de m’y rendre, avec les directions de Buttafuoco, aussitôt que j’en aurais la possibilité; mais, pour y vivre tranquille, de renoncer, du moins en apparence, au travail de la législation, et de me borner, pour payer en quelque sorte à mes hôtes leur hospitalité, à écrire sur les lieux leur histoire, sauf à prendre sans bruit les instructions nécessaires pour leur devenir plus utile, si je voyais jour à y réussir. En commençant ainsi par ne m’engager à rien, j’espérais être en état de méditer en secret, et plus à mon aise, un plan qui pût leur convenir, et cela sans renoncer beaucoup à ma chère solitude, ni me soumettre à un genre de vie qui m’était insupportable, et dont je n’avais pas le talent.

Mais ce voyage, dans ma situation, n’était pas une chose aisée à exécuter. À la manière dont M. Dastier m’avait parlé de la Corse, je n’y devais trouver, des plus simples commodités de la vie, que celles que j’y porterais: linge, habits, vaisselle, batterie de cuisine, papier, livres, il fallait tout porter avec soi. Pour m’y transplanter avec ma gouvernante, il fallait franchir les Alpes, et dans un trajet de deux cents lieues traîner à ma suite tout un bagage; il fallait passer à travers les états de plusieurs souverains, et, sur le ton donné par toute l’Europe, je devais naturellement m’attendre, après mes malheurs, à trouver partout des obstacles et à voir chacun se faire un honneur de m’accabler de quelque nouvelle disgrâces et violer tous les droits des gens et de l’humanité. Les frais immenses, les fatigues, les risques d’un pareil voyage, m’obligeaient d’en prévoir d’avance et d’en bien peser toutes les difficultés. L’idée de me trouver enfin seul, sans ressource à mon âge, et loin de toutes mes connaissances, à la merci de ce peuple barbare et féroce, tel que me le peignait M. Dastier, était bien propre à me faire rêver sur une pareille résolution avant de l’exécuter. Je désirais passionnément l’entrevue que Buttafuoco m’avait fait espérer, et j’en attendais l’effet pour prendre tout à fait mon parti.

Tandis que je balançais ainsi, vinrent les persécutions de Motiers, qui me forcèrent à la retraite. Je n’étais pas prêt pour un long voyage, et surtout pour celui de Corse. J’attendais des nouvelles de Buttafuoco; je me réfugiai dans l’île de Saint-Pierre, d’où je fus chassé à l’entrée de l’hiver, comme j’ai dit ci-devant. Les Alpes couvertes de neige rendaient alors pour moi cette émigration impraticable, surtout avec la précipitation qu’on me prescrivait. Il est vrai que l’extravagance d’un pareil ordre le rendait impossible à exécuter: car du milieu de cette solitude enfermée au milieu des eaux, n’ayant que vingt-quatre heures depuis l’intimation de l’ordre pour me préparer au départ, pour trouver bateaux et voitures pour sortir de l’île et de tout le territoire; quand j’aurais eu des ailes, j’aurais eu peine à pouvoir obéir. Je l’écrivis à M. le Baillif de Nidau, en répondant à sa lettre, et je m’empressai de sortir de ce pays d’iniquité. Voilà comment il fallut renoncer à mon projet chéri, et comment, n’ayant pu dans mon découragement obtenir qu’on disposât de moi, je me déterminai, sur l’invitation de Milord Maréchal, au voyage de Berlin, laissant Thérèse hiverner à l’île de Saint-Pierre, avec mes effets et mes livres, et déposant mes papiers dans les mains de du Peyrou. Je fis une telle diligence, que dès le lendemain matin, je partis de l’île et me rendis à Bienne encore avant midi. Peu s’en fallut que je n’y terminasse mon voyage, par un incident dont le récit ne doit pas être omis.

Sitôt que le bruit s’était répandu que j’avais ordre de quitter mon asile, j’eus une affluence de visites du voisinage, et surtout de Bernois qui venaient avec la plus détestable fausseté me flagorner, m’adoucir et me protester qu’on avait pris le moment des vacances et de l’infréquence du Sénat pour minuter et m’intimer cet ordre, contre lequel, disaient-ils, tout le Deux-Cents était indigné. Parmi ce tas de consolateurs, il en vint quelques-uns de la ville de Bienne, petit État libre enclavé dans celui de Berne, et entre autres un jeune homme appelé Wildremet, dont la famille tenait le premier rang, et avait le principal crédit dans cette petite ville. Wildremet me conjura vivement, au nom de ses concitoyens, de choisir ma retraite au milieu d’eux, m’assurant qu’ils désiraient avec empressement de m’y recevoir; qu’ils se feraient une gloire et un devoir de m’y faire oublier les persécutions que j’avais souffertes; que je n’avais à craindre chez eux aucune influence des Bernois; que Bienne était une ville qui ne recevait des lois de personne, et que tous les citoyens étaient unanimement déterminés à n’écouter aucune sollicitation qui me fût contraire.

Wildremet, voyant qu’il ne m’ébranlait pas, se fit appuyer de plusieurs autres personnes, tant de Bienne et des environs que de Berne même, et entre autres du même Kirkebergher dont j’ai parlé, qui m’avait recherché depuis ma retraite en Suisse, et que ses talents et ses principes me rendaient intéressant. Mais des sollicitations moins prévues et plus pondérantes furent celles de M. Barthès, secrétaire d’ambassade de France, qui vint me voir avec Wildremet, m’exhorta fort de me rendre à son invitation, et m’étonna par l’intérêt vif et tendre qu’il paraissait prendre à moi. Je ne connaissais point du tout M. Barthès; cependant je le voyais mettre à ses discours la chaleur, le zèle de l’amitié, et je voyais qu’il lui tenait véritablement au cœur de me persuader de m’établir à Bienne. Il me fit l’éloge le plus pompeux de cette ville et de ses habitants, avec lesquels il se montrait si intimement lié, qu’il les appela plusieurs fois devant moi ses patrons et ses pères.

Cette démarche de Barthès me dérouta dans toutes mes conjectures. J’avais toujours soupçonné M. de Choiseul d’être l’auteur caché de toutes les persécutions que j’éprouvais en Suisse. La conduite du résident de France à Genève, celle de l’ambassadeur à Soleure, ne confirmaient que trop ces soupçons; je voyais la France influer en secret sur tout ce qui m’arrivait à Berne, à Genève, à Neuchâtel, et je ne croyais avoir en France aucun ennemi puissant que le seul duc de Choiseul. Que pouvais-je donc penser de la visite de Barthès, et du tendre intérêt qu’il paraissait prendre à mon sort? Mes malheurs n’avaient pas encore détruit cette confiance naturelle à mon cœur, et l’expérience ne m’avait pas encore appris à voir partout des embûches sous les caresses. Je cherchais avec surprise la raison de cette bienveillance de Barthès; je n’étais pas assez sot pour croire qu’il fît cette démarche de son chef; j’y voyais une publicité et même une affectation qui marquait une intention cachée, et j’étais bien éloigné d’avoir jamais trouvé dans tous ces petits agents subalternes cette intrépidité généreuse qui, dans un poste semblable, avait souvent fait bouillonner mon cœur.

J’avais autrefois un peu connu le Chevalier de Beauteville chez M. de Luxembourg; il m’avait témoigné quelque bienveillance; depuis son ambassade, il m’avait encore donné quelques signes de souvenir, et m’avait même fait inviter à l’aller voir à Soleure: invitation dont, sans m’y rendre, j’avais été touché, n’ayant pas accoutumé d’être traité si honnêtement par les gens en place. Je présumai donc que M. de Beauteville, forcé de suivre ses instructions, en ce qui regardait les affaires de Genève, me plaignant cependant dans mes malheurs, m’avait ménagé, par des soins particuliers, cet asile de Bienne pour y pouvoir vivre tranquille sous ses auspices. Je fus sensible à cette attention, mais sans en vouloir profiter, et, déterminé tout à fait au voyage de Berlin, j’aspirais avec ardeur au moment de rejoindre Milord Maréchal, persuadé que ce n’était plus qu’auprès de lui que je trouverais un vrai repos et un bonheur durable.

À mon départ de l’île, Kirkebergher m’accompagna jusqu’à Bienne. J’y trouvai Wildremet et quelques autres Biennois qui m’attendaient à la descente du bateau. Nous dînâmes tous ensemble à l’auberge, et en y arrivant, mon premier soin fut de faire chercher une chaise, voulant partir dès le lendemain matin. Pendant le dîner, ces messieurs reprirent leurs instances pour me retenir parmi eux, et cela avec tant de chaleur et des protestations si touchantes malgré toutes mes résolutions, mon cœur, qui n’a jamais su résister aux caresses, se laissa émouvoir aux leurs; sitôt qu’ils me virent ébranlé, ils redoublèrent si bien leurs efforts, qu’enfin je me laissai vaincre, et consentis de rester à Bienne, au moins jusqu’au printemps prochain.

Aussitôt Wildremet se pressa de me pourvoir d’un logement, et me vanta comme une trouvaille une vilaine petite chambre sur un derrière, au troisième étage, donnant sur une cour, où j’avais pour régal l’étalage des peaux puantes d’un chamoiseur. Mon hôte était un petit homme de basse mine et passablement fripon, que j’appris le lendemain être débauché, joueur, et en fort mauvais prédicament dans le quartier; il n’avait ni femme, ni enfants, ni domestiques, et tristement reclus dans ma chambre solitaire, j’étais, dans le plus riant pays du monde, logé de manière à périr de mélancolie en peu de jours. Ce qui m’affecta le plus, malgré tout ce qu’on m’avait dit de l’empressement des habitants à me recevoir, fut de n’apercevoir, en passant dans les rues, rien d’honnête envers moi dans leurs manières, ni d’obligeant dans leurs regards. J’étais pourtant tout déterminé à rester là, quand j’appris, vis et sentis, même dès le jour suivant, qu’il y avait dans la ville une fermentation terrible à mon égard; plusieurs empressés vinrent obligeamment m’avertir qu’on devait dès le lendemain me signifier, le plus durement qu’on pourrait, un ordre de sortir sur-le-champ de l’État, c’est-à-dire de la ville. Je n’avais personne à qui me confier; tous ceux qui m’avaient retenu s’étaient éparpillés; Wildremet avait disparu; je n’entendis plus parler de Barthès, et il ne parut pas que sa recommandation m’eût mis en grande faveur auprès des patrons et des pères qu’il s’était donnés devant moi. Un M. de Vau-Travers, Bernois, qui avait une jolie maison proche de la ville, m’y offrit cependant un asile, espérant, me dit-il, que j’y pourrais éviter d’être lapidé. L’avantage ne me parut pas assez flatteur pour me tenter de prolonger mon séjour chez ce peuple hospitalier.

Cependant, ayant perdu trois jours à ce retard, j’avais déjà passé de beaucoup les vingt-quatre heures que les Bernois m’avaient données pour sortir de tous leurs États, et je ne laissais pas, connaissant leur dureté, d’être en quelque peine sur la manière dont ils me les laisseraient traverser, quand M. le Baillif de Nidau vint tout à propos me tirer d’embarras. Comme il avait hautement improuvé le violent procédé de Leurs Excellences, il crut, dans sa générosité, me devoir un témoignage public qu’il n’y prenait aucune part, et ne craignit pas de sortir de son bailliage pour venir me faire une visite à Bienne. Il vint la veille de mon départ; et, loin de venir incognito, il affecta même du cérémonial, vint in fiocchi dans son carrosse avec son secrétaire, et m’apporta un passeport en son nom, pour traverser l’État de Berne à mon aise, et sans crainte d’être inquiété. La visite me toucha plus que le passeport. Je n’y aurais guère été moins sensible, quand elle aurait eu pour objet un autre que moi. Je ne connais rien de si puissant sur mon cœur qu’un acte de courage fait à propos, en faveur du faible injustement opprimé.

Enfin, après m’être avec peine procuré une chaise, je partis le lendemain matin de cette terre homicide, avant l’arrivée de la députation dont on devait m’honorer, avant même d’avoir pu revoir Thérèse, à qui j’avais marqué de me venir joindre, quand j’avais cru m’arrêter à Bienne, et que j’eus à peine le temps de contremander par un mot de lettre, en lui marquant mon nouveau désastre. On verra dans ma troisième partie, si jamais j’ai la force de l’écrire, comment, croyant partir pour Berlin, je partis en effet pour l’Angleterre, et comment les deux dames qui voulaient disposer de moi, après m’avoir, à force d’intrigues, chassé de la Suisse, où je n’étais pas assez en leur pouvoir, parvinrent enfin à me livrer à leur ami.

J’ajoutai ce qui suit dans la lecture que je fis de cet écrit à M. et Mme la comtesse d’Egmont, à M. le prince Pignatelli, à Mme la marquise de Mesnie, et à M. le marquis de Juigné.

J’ai dit la vérité. Si quelqu’un sait des choses contraires à ce que je viens d’exposer, fussent-elles mille fois prouvées, il sait des mensonges et des impostures, et s’il refuse de les approfondir, et de les éclaircir avec moi, tandis que je suis en vie, il n’aime ni la justice ni la vérité. Pour moi, je le déclare hautement et sans crainte: quiconque, même sans avoir lu mes écrits, examinera par ses propres yeux mon naturel, mon caractère, mes mœurs, mes penchants, mes plaisirs, mes habitudes, et pourra me croire un malhonnête homme, est lui-même un homme à étouffer.

J’achevai ainsi ma lecture, et tout le monde se tut. Mme d’Egmont fut la seule qui me parut émue; elle tressaillit visiblement, mais elle se remit bien vite et garda le silence, ainsi que toute la compagnie. Tel fut le fruit que je tirai de cette lecture et de ma déclaration.

FIN DU LIVRE DOUZIÈME ET DE LA SECONDE PARTIE
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 ağustos 2016
Hacim:
940 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain

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