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Kitabı oku: «Les affinités électives», sayfa 2

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– L'y exposerons-nous, s'écria-t-il, parle; Charlotte, en auras-tu la cruauté?

– Je ne sais, répondit-elle; mais il me semble que, tout bien considéré, notre ami Mittler a raison. Les résultats de nos actions dépendent des chances du hasard qu'il ne nous est pas donné de prévoir; chaque relation nouvelle peut amener beaucoup de bonheur ou beaucoup de malheur, sans que nous ayons le droit de nous en accuser ou de nous en faire un mérite. Je ne me sens pas la force de te résister plus longtemps. Souviens-toi seulement que l'essai que nous allons faire n'est pas définitif; j'insisterai de nouveau auprès de mes amis, afin d'obtenir pour le Capitaine un poste digne de lui et qui puisse le rendre heureux.

Édouard exprima sa reconnaissance avec autant d'enthousiasme que d'amabilité. L'esprit débarrassé de tout souci, il s'empressa d'écrire à son ami, et pria Charlotte d'ajouter quelques lignes à sa lettre. Elle y consentit. Mais au lieu de s'acquitter de cette tâche avec la facilité gracieuse qui la caractérisait, elle y mit une précipitation passionnée qui ne lui était pas ordinaire. Il lui arriva même de faire sur le papier une tache d'encre qui s'agrandit à mesure qu'elle cherchait à l'effacer, ce qui la contraria beaucoup.

Édouard la plaisanta sur cet accident, et, comme il y avait encore de la place pour un second Post-Scriptum, il pria son ami de voir dans cette tache d'encre, la preuve de l'impatience avec laquelle Charlotte attendait son arrivée, et de mettre autant d'empressement dans ses préparatifs de voyage qu'on en avait mis à lui écrire.

Un messager emporta la lettre, et le Baron crut devoir exprimer sa reconnaissance à sa femme, en l'engageant de nouveau à retirer Ottilie du pensionnat, pour la faire venir près d'elle. Charlotte ne jugea pas à propos de prendre une pareille détermination avant d'y avoir mûrement réfléchi. Pour détourner l'entretien de ce sujet, elle engagea son mari à l'accompagner au piano avec sa flûte, dont il jouait fort médiocrement. Quoique né avec des dispositions musicales, il n'avait eu ni le courage ni la patience de consacrer à ce travail le temps qu'exige toujours le développement d'un talent quelconque. Allant toujours ou trop vite ou trop doucement, il eût été impossible à toute autre qu'à Charlotte, de tenir une partie avec lui. Maîtresse absolue de l'instrument sur lequel elle avait acquis une grande supériorité, elle pressait et ralentissait tour à tour la mesure sans altérer la nature du morceau, et remplissait ainsi, envers son mari, la double tâche de chef d'orchestre et de femme de ménage, puisqu'il est du devoir de l'un et de l'autre de maintenir l'ensemble dans son mouvement régulier, en dépit des déviations réitérées des détails.

CHAPITRE III

Le Capitaine arriva enfin, il s'était fait précéder par une lettre tellement sage et sensée, que Charlotte se sentit complètement rassurée. La justesse avec laquelle il envisageait sa position et celle de ses amis, leur permit à tous d'espérer un heureux avenir.

Pendant les premières heures la conversation fut animée, presque fatigante, comme cela arrive toujours entre amis qui ne se sont pas vus depuis longtemps. Vers le soir, Charlotte proposa d'aller visiter les plantations nouvelles. Le Capitaine se montra très-sensible aux diverses beautés de la contrée que les ingénieux plans de Charlotte faisaient ressortir d'une manière saillante. Son oeil était juste et exercé, mais il ne demandait pas l'impossible; et tout en ayant la conscience du mieux, il n'affligeait pas les personnes qui lui montraient ce qu'elles avaient fait pour embellir un site, en leur vantant les travaux supérieurs de ce genre qu'il avait eu occasion de voir ailleurs.

Lorsqu'ils arrivèrent dans la cabane de mousse, ils la trouvèrent agréablement décorée. Les fleurs et les guirlandes étaient artificielles; mais des touffes de seigle vert et autres produits champêtres de la saison, entrecoupaient ces guirlandes avec tant d'adresse, qu'on ne pouvait s'empêcher d'admirer le sentiment artistique qui avait présidé à cette décoration.

– Je sais, dit Charlotte, que mon mari n'aime pas à célébrer les anniversaires de naissance ou de nom, j'espère cependant qu'il me pardonnera ces guirlandes et ces couronnes, en faveur de la triple fête que nous offre ce jour.

– Une triple fête! s'écria le Baron.

– Sans doute. Est-ce que l'arrivée de ton ami n'est pas une fête, et ne vous appelez-vous pas tous deux Othon? Si vous aviez regardé le calendrier, vous auriez vu que c'est aujourd'hui la fête de ce saint.

Les deux amis se donnèrent la main par-dessus la petite table qui se trouvait au milieu de la cabane.

– Cette aimable attention de ma femme, dit le Baron au Capitaine, me rappelle un sacrifice que je t'ai fait dans le temps. Pendant notre enfance nous nous appelions tous deux Othon; mais arrivés au collège, cette conformité de noms fit naître une foule de quiproquos désagréables, et je te cédai avec plaisir celui d'Othon, si laconique et si beau.

– Ce n'était pas une grande générosité de ta part, dit le Capitaine, je me souviens fort bien que celui d'Édouard te paraissait plus beau. Je conviens au reste que ce nom n'est pas sans charme, surtout quand il est prononcé par une belle bouche.

Tous trois étaient assis très-commodément autour de cette même table auprès de laquelle, quelques jours plutôt, Charlotte avait si vivement protesté contre l'arrivée de leur hôte. Édouard se sentait trop heureux pour lui rappeler leurs discussions à ce sujet, mais il ne put s'empêcher de lui faire remarquer qu'il y avait encore de la place pour une quatrième personne.

Des cors de chasse, qui, en ce moment, se firent entendre dans la direction du château, semblaient applaudir aux sentiments et aux souhaits des amis qui écoutaient en silence, se renfermaient dans leurs souvenirs, et goûtaient doublement leur bonheur personnel dans cette heureuse réunion. Édouard prit le premier la parole, se leva et sortit de la cabane.

– Conduisons notre ami sur les hauteurs, dit-il à sa femme, car il ne faut pas qu'il s'imagine que cette étroite vallée est notre unique séjour et renferme toutes nos possessions. Sur ces hauteurs le regard est plus libre et la poitrine s'élargit.

– Je le veux bien, répondit Charlotte, mais il faudra vous décider à gravir le vieux sentier rapide et incommode; j'espère que bientôt les degrés et la route que je me propose de faire faire nous y conduiront plus facilement.

Ils montèrent gaîment à travers les buissons, les épines et les pointes de rocher, jusqu'à la cime la plus élevée qui ne formait pas un plateau, mais la continuation d'une pente fertile. L'on ne tarda pas à perdre de vue le village et le château. Dans le fond on voyait trois larges étangs; au-delà, des collines boisées qui se glissaient le long des rivages, puis des masses arides servant de cadre définitif au miroir des eaux, dont la surface immobile réfléchissait les formes imposantes de ces masses. A l'entrée d'un ravin d'où un ruisseau se précipitait dans l'étang avec l'impétuosité d'un torrent, on voyait un moulin qui, à demi caché par des touffes d'arbres, promettait un agréable lieu de repos. Toute l'étendue du demi-cercle qu'embrassait le regard offrait une variété agréable de bas-fonds et de tertres, de bosquets et de forêts, dont les feuillages naissants promettaient de riches masses de verdure. Ça et là, des touffes d'arbres isolés attiraient l'attention. Parmi ces derniers, se distinguait un groupe de peupliers et de platanes qui s'élevaient sur les bords de l'étang du milieu, et étendaient leurs vertes branches avec la vigueur d'une végétation puissante et robuste. Ce fut sur ce groupe qu'Édouard attira l'attention de son ami.

– Regarde ces beaux arbres, lui dit-il, je les ai plantés moi-même pendant mon enfance. Mon père les avait trouvés si faibles, qu'il ne voulut pas leur donner une place dans le grand jardin du château, dont il s'occupait alors. Il les avait fait jeter; je les ramassai pour les planter sur les bords de cet étang. Ils me donnent chaque année une preuve nouvelle de leur reconnaissance en devenant toujours plus grands et plus beaux. J'espère que cette année, ils ne seront pas plus ingrats.

On retourna au château heureux et contents. L'aile gauche avait été mise à la disposition du Capitaine, qui s'y installa commodément avec ses papiers, ses livres et ses instruments de mathématiques, afin de pouvoir continuer ses occupations habituelles. Pendant les premiers jours Édouard cependant venait à chaque instant l'en arracher pour lui faire visiter ses domaines tantôt à pied et tantôt à cheval. Dans le cours de ces promenades, il lui parlait sans cesse de son désir de trouver un moyen d'exploitation plus avantageux.

– Il me semble, lui dit un jour le Capitaine, que tu devrais, avant tout, te faire une idée juste de l'étendue de tes possessions. A l'aide de l'aiguille aimantée, ce travail serait aussi facile qu'agréable; si sous le rapport de l'exactitude, il laisse à désirer, il suffit pour un aperçu général. Nous trouverons toujours plus tard le moyen de faire un plan plus minutieusement exact.

Le Capitaine qui était très-versé dans ce genre d'arpentage, et avait apporté avec lui tous les instruments nécessaires, se mit aussitôt à l'oeuvre. Les gardes-forestiers, les paysans et le Baron lui-même, le secondèrent de leur mieux en qualité d'aides à divers degrés. Cette occupation employait toutes les journées; le soir le Capitaine passait ses dessins au lavis, et bientôt Édouard eut le plaisir de voir ses domaines reproduits sur le papier avec tant de vérité, qu'il croyait les avoir acquis de nouveau. Il comprit qu'en envisageant l'ensemble d'une terre, il était plus facile d'améliorer et d'embellir, que lorsqu'on est réduit à chercher, sur les lieux mêmes, les points susceptibles d'amélioration ou d'embellissement. Dans cette conviction, il pria son ami de décider sa femme à travailler de concert avec eux d'après un plan général, au lieu d'exécuter au hasard des travaux isolés.

Le Capitaine, naturellement sage et prudent, n'aimait pas à opposer ses convictions à celles d'autrui; l'expérience lui avait appris qu'il y a dans l'esprit humain trop de manières de voir différentes, pour qu'il soit possible de les réunir toutes sur un seul et même point.

– Si je faisais ce que tu me demandes, dit-il, je jetterais du trouble et de l'incertitude dans les idées de ta femme, sans aucun résultat utile. C'est en amateur qu'elle s'occupe de l'embellissement de tes domaines; l'important est donc pour elle, comme pour tous les amateurs, de faire quelque chose sans s'inquiéter de ce que pourra valoir la chose faite. Est-ce que tu ne connais pas les prétendus amis de la vie champêtre? ils tâtent la nature, ils ont des prédilections pour telle ou telle petite place, ils manquent de hardiesse pour faire disparaître un obstacle, et de courage pour sacrifier un petit agrément à une grande beauté. Ne pouvant se faire d'avance une juste idée du résultat de leurs entreprises, ils font des essais: les uns manquent, les autres réussissent; alors ils changent ce qu'il faudrait conserver, conservent ce qu'il faudrait changer, et n'arrivent jamais qu'à un rhabillage qui plaît et attire, mais qui ne satisfait point.

– Avoue-le sans détour, tu n'es pas content des plans de ma femme.

– Je le serais si l'exécution était au niveau de la pensée. Elle à voulu s'élever sur la cime de la montagne, cela est fort bien; mais elle fatigue tous ceux qu'elle y fait monter avec elle. Sur ses routes, soit qu'on y marche côte à côte ou l'un après l'autre, on ne se sent pas indépendant et libre; la mesure des pas est rompue à chaque instant … et … mais en voilà assez.

– Est-ce qu'elle aurait pu faire mieux? demanda Édouard.

– Rien n'eût été plus facile. Il aurait fallu abattre un pan de rocher fort peu apparent, par là elle aurait obtenu une pente gracieusement inclinée, et les débris du rocher auraient servi pour donner des saillies pittoresques aux parties mutilées du sentier … Que tout ceci reste entre nous, mes observations la blesseraient sans l'éclairer; en pareil cas, il faut laisser intact ce qui est fait: mais si tu avais encore du temps et de l'argent à consacrer à de pareilles entreprises, il y aurait une foule de belles choses à faire sur les hauteurs qui dominent la cabane de mousse.

C'est ainsi que le présent leur offrait d'intéressants sujets de conversation; les joyeux souvenirs du passé ne leur manquaient pas davantage; pour l'avenir, on se proposait la rédaction du journal de voyage, travail d'autant plus agréable que Charlotte devait y contribuer.

Quant aux entretiens intimes des époux, ils devenaient toujours plus rares et plus gênés, surtout depuis qu'Édouard avait entendu blâmer les travaux de sa femme. Après avoir longtemps renfermé en lui-même les remarques du Capitaine, qu'il s'était appropriées, il les répéta brusquement à Charlotte qui venait de lui parler des petits escaliers mesquins, et des petits sentiers fatigants qu'elle voulait faire construire pour arriver de la cabane de mousse sur le haut de la montagne. Cette critique la surprit et l'affligea en même temps, car elle en comprit la justesse et sentit que tout ce qu'elle avait fait jusque là, et qui lui avait paru si beau, n'était en effet qu'une tentative manquée. Mais elle se révolta contre cette découverte, défendit avec chaleur ses petites créations et accusa les hommes de voir tout en grand, et de vouloir convertir un simple amusement en oeuvre importante et dispendieuse. Émue, embarrassée, contrariée même, elle ne voulait ni renoncer à ce qui était fait, ni rejeter ce qu'on aurait dû faire.

La fermeté naturelle de son caractère ne tarda pas à venir à son secours, elle renonça aux travaux projetés et interrompit tous ceux qui étaient commencés. Réduite à l'inaction par ce sacrifice, elle en souffrit d'autant plus, que les hommes la laissaient presque toujours seule pour s'occuper des vergers, des jardins et des serres, pour aller à la chasse ou faire des promenades à cheval, pour acheter ou troquer des équipages, essayer ou dresser des chevaux. Ne sachant plus comment occuper ses heures d'ennui, la pauvre Charlotte étendit ses correspondances, dont au reste le Capitaine était souvent l'objet; car elle continuait à demander pour lui à ses nombreux amis et connaissances un emploi convenable.

Elle était dans cette disposition d'esprit, lorsqu'elle reçut une lettre détaillée du pensionnat, sur les progrès merveilleux de la brillante Luciane. Cette lettre était suivie d'un post-scriptum d'une sous-maîtresse, et d'un billet d'un des professeurs de la maison. Nous croyons devoir insérer ici ces deux pièces.

POST-SCRIPTUM DE LA SOUS-MAITRESSE

Pour ce qui concerne Ottilie, je ne puis que vous répéter, Madame, ce que j'ai déjà eu l'honneur de vous apprendre sur son compte. Je ne voudrais pas me plaindre d'elle, et cependant il m'est impossible de dire que j'en suis satisfaite. Elle est, comme toujours, modeste et soumise; mais cette modestie, cette soumission ont quelque chose qui choque et déplaît. Vous lui avez envoyé de l'argent et des étoffes; eh bien! tout cela est encore intact. Ses vêtements lui durent un temps infini, car elle ne les change que lorsque la propreté l'exige. Sa trop grande sobriété me paraît également blâmable. Il n'y a rien de superflu sur notre table, mais j'aime à voir les enfants manger avec plaisir, et en quantité suffisante, des mets sains et nourrissants. Jamais Ottilie ne nous a donné cette satisfaction; elle saisit au contraire les prétextes les plus spécieux pour se dispenser de recevoir sa part d'un plat ou d'un dessert. Au reste, elle a souvent mal au côté gauche de la tête. Cette incommodité, quoique passagère, revient souvent et parait la faire souffrir beaucoup, sans que l'on puisse en découvrir la cause. Voilà, Madame, ce que j'ai cru devoir vous dire, à l'égard de cette belle et bonne enfant.

BILLET DU PROFESSEUR

La digne maîtresse du pensionnat a l'habitude de me communiquer les lettres par lesquelles elle rend compte aux parents des succès de ses élèves, et je lis surtout avec plaisir celles qu'elle vous adresse. Permettez-moi donc, Madame, de vous féliciter personnellement sur le bonheur de posséder une fille douée de tant de qualités supérieures; mais votre nièce aussi me semble prédestinée à un bel avenir, celui de faire le bonheur de tout ce qui l'entoure. C'est la seule de nos élèves sur laquelle je ne partage pas les opinions de la maîtresse du pensionnat. Je conçois que cette femme si active aime à voir se développer promptement les fruits qu'elle cultive avec tant de soins; mais il est des fruits qui se cachent longtemps sous leur écorce, et ce sont toujours là les meilleurs. Je crois, Madame, que votre nièce est de ce nombre. Depuis qu'elle suit ma classe, elle avance lentement, mais elle avance toujours, et ne rétrograde jamais. C'est avec elle, surtout, qu'il est indispensable de commencer par le commencement. Tout ce qui ne découle pas d'un enseignement précédent est inconcevable pour elle, et on la voit s'arrêter avec toutes les apparences de l'incapacité, du mauvais vouloir même, devant les choses les plus faciles, dès qu'elles ne lui offrent point d'enchaînement. Mais si l'on parvient à lui faire trouver cet enchaînement, elle conçoit les démonstrations les plus difficiles. Avec cette manière d'être, elle est constamment devancée par ses compagnes qui conçoivent et retiennent facilement un enseignement morcelé, et savent l'employer à propos. Avec les méthodes hâtives elle n'apprend rien du tout, ainsi que cela lui arrive en certaines classes tenues par des professeurs distingués, mais vifs et impatients. On s'est plaint de son écriture et de son incapacité à saisir les règles de la grammaire. Je suis remonté à la source de ces plaintes. Il est vrai qu'elle écrit doucement et que ses caractères manquent de souplesse et d'assurance, mais ils ne sont point difformes. Quoique la langue française ne fasse point partie de mes classes, je me suis chargé de la lui enseigner graduellement, et elle me comprend sans peine. Ce qui paraît singulier, surtout, c'est qu'elle sait beaucoup; mais dès qu'on l'interroge, elle semble ne plus rien savoir.

S'il m'était permis de terminer par une observation générale, je dirais qu'elle apprend, non pour apprendre, mais pour pouvoir enseigner un jour; ce qui est à mes yeux un très-grand mérite, car je suis professeur. Votre haute raison, Madame, et votre profonde connaissance du coeur humain, sauront réduire mes paroles à leur juste valeur. Puissiez-vous être convaincue qu'un jour cette aimable enfant aussi vous donnera de la satisfaction. Veuillez me permettre de vous écrire de nouveau, dès que j'aurai quelque chose d'agréable ou d'important à vous apprendre.

Ce billet fit beaucoup de plaisir à Charlotte, car il s'accordait parfaitement avec ses propres opinions sur le caractère d'Ottilie. Le langage du professeur la fit sourire; elle y reconnut un intérêt plus vif que celui que l'on prend à une élève qui n'a pas même l'avantage de flatter la vanité de son maître par la rapidité de ses progrès.

Mais d'après ses manières de voir calmes et au-dessus des préjugés, un pareil sentiment ne pouvait rien avoir d'alarmant pour elle. L'affection de ce digne homme pour sa pauvre nièce lui était au contraire très-précieuse, parce qu'elle savait que dans le monde où vivait cette intéressante enfant, on ne rencontre jamais que de l'indifférence ou de la dissimulation.

CHAPITRE IV

Le Capitaine venait de terminer la carte topographique du domaine de ses amis et des environs. En levant ce plan, d'après les calculs de la trigonométrie, il l'avait rendu exact; la beauté du dessin et l'éclat des couleurs lui donnaient de la vie. Ce travail cependant avait été promptement terminé, car il dormait peu et utilisait chaque instant du jour.

– Maintenant, dit-il, en remettant cette carte à son ami, occupons-nous d'autres choses: de l'estimation des terres, par exemple, et de la manière d'en tirer le meilleur parti possible. Je te recommande seulement de séparer toujours les affaires, de la vie proprement dite. Les premières ont besoin d'être traitées sévèrement et sérieusement, tandis que la seconde s'embellit par l'inconséquence et la légèreté. Plus on met de régularité dans les affaires, plus on a de liberté dans la vie ordinaire; en les mêlant elles se nuisent mutuellement.

Ces dernières phrases étaient presque un reproche pour Édouard. Jamais il n'avait eu le courage de classer ses papiers; mais, aidé par un second lui-même, la séparation à laquelle il n'avait pu se résigner fut bientôt faite.

Après ce travail préliminaire, le Capitaine convertit plusieurs pièces de l'aile qu'il habitait, en bureau pour les affaires courantes, et en archives pour les affaires terminées. Au bout de quelques jours les documents qu'il avait trouvés dans les armoires, les cartons et les caisses, figuraient dans le plus bel ordre possible, sur des tablettes dont chacune avait sa destination. Un vieux secrétaire, dont le Baron avait toujours été fort mécontent, déploya tout à coup un zèle, et une activité infatigables. Ce changement l'étonna beaucoup; son ami lui en expliqua la cause.

– Cet homme est utile maintenant, lui dit-il, parce que nous le laissons terminer commodément un travail avant de le charger d'un autre. Le désordre l'avait rendu incapable.

L'emploi régulier de leur journée permit aux deux amis de consacrer les soirées à Charlotte. Parfois ils trouvaient chez elle des voisines qui venaient lui rendre visite; mais quand ils restaient seuls, leur conversation roulait toujours sur les réformes par lesquelles on pourrait augmenter le bien-être des classes moyennes.

En voyant son mari plus satisfait et plus gai qu'à l'ordinaire, Charlotte aussi se sentait heureuse. Au reste, le Capitaine ne négligeait rien pour lui être agréable dans ses arrangements domestiques. En commentant avec elle des livres de botanique et de médecine élémentaire, il l'avait mise à même de compléter sa pharmacie de ménage, et d'être plus efficacement utile aux pauvres malades de la contrée. Le voisinage des étangs et des rivières l'avait engagé à s'attacher spécialement aux mesures à prendre pour secourir les personnes tombées dans l'eau, sortes d'accidents qui n'arrivaient que trop souvent dans le pays. La prédilection avec laquelle il s'occupait de ces sortes de secours, autorisa Édouard à dire qu'un accident semblable avait fait époque dans la vie de son ami. Celui-ci ne répondit rien, car il craignait de réveiller ce triste souvenir. Le Baron le comprit, et Charlotte qui connaissait cet événement, se hâta de changer de conversation. Un soir le Capitaine leur avoua que les dispositions qu'on avait prises pour secourir les noyés, quoiqu'aussi sagement combinées que bien exécutées, ne produiraient aucun résultat, si on ne se décidait pas à les placer sous la direction d'un homme capable de les utiliser à propos.

– Je connais, ajouta-t-il, un chirurgien des hôpitaux militaires, qui est en ce moment sans emploi et qu'on pourrait s'attacher à des conditions très-modiques. Quant à son talent, je puis en répondre, il m'a été souvent fort utile, même dans des maladies intérieures. Au reste, ce qui manque le plus à la campagne, ce sont les secours immédiats, et sous ce rapport il est parfait.

Les deux époux le prièrent de faire venir ce chirurgien le plus tôt possible, car ils s'estimaient heureux de pouvoir consacrer une partie de leur superflu à une dépense aussi généralement utile.

– Ce fut ainsi que la société du Capitaine devint peu à peu agréable à Charlotte. En utilisant à sa manière ses vastes connaissances, elle acheva de se tranquilliser sur les suites de sa présence au château. Elle prit même insensiblement l'habitude de le consulter sur une foule de précautions hygiéniques, car elle aimait la vie. Plus d'une fois déjà le vernis de certaines poteries dans lequel il entre du plomb et le vert de gris qui s'attache aux vases de cuivre, lui avaient causé de l'inquiétude. Le Capitaine lui donna à ce sujet des éclaircissements qui les conduisirent à d'instructifs entretiens sur la physique et la chimie.

Édouard aimait à faire des lectures; sa voix était sonore et son débit donnait un charme de plus aux écrivains dont il se faisait l'interprète. Jusque là il n'avait employé son talent qu'à des productions purement littéraires; la tournure que le Capitaine venait de donner aux causeries du soir, lui fit choisir de préférence des traités de physique et de chimie, que son petit auditoire écoutait avec le plus vif intérêt.

Accoutumé à produire des effets agréables par des inflexions de voix et des pauses ménagées avec art, le Baron avait toujours eu soin de se placer de manière à ce que personne ne pût regarder dans son livre. Charlotte et le Capitaine connaissaient cette manie, aussi ne songea-t-il point à prendre cette précaution avec eux. Un soir, cependant, sa femme se plaça derrière lui, et regarda dans le livre; il s'en aperçut et interrompit brusquement sa lecture.

– En vérité, dit-il avec humeur, je ne comprends pas comment une femme bien élevée peut se permettre une pareille inconvenance. Une personne qui lit ne se trouve-t-elle pas dans le même cas qu'une personne qui parle? Et se donnerait-on la peine de parler si l'on avait au front ou au coeur une petite fenêtre à travers laquelle ceux qui nous écoutent pourraient lire nos sensations avant que nous ayons eu le temps de les exprimer?

Charlotte possédait au plus haut degré le don de renouer ou de ranimer les conversations qu'un malentendu ou un propos imprudent avaient interrompues ou rendues languissantes et embarrassées. Cette faculté si précieuse ne l'abandonna pas dans cette circonstance.

– Tu me pardonneras, mon ami, sans doute, quand tu sauras, lui dit-elle, qu'au moment où tu as prononcé les mots de parenté et d'affinité, je pensais à un de mes cousins qui me préoccupe désagréablement. Lorsque j'ai voulu revenir à ta lecture, je me suis aperçue qu'il n'était question que de choses inanimées, et je me suis placée derrière toi pour mieux te comprendre, en lisant le passage que ma distraction m'avait empêché d'entendre.

– Tu t'es laissée égarer par une expression comparative. Il n'est question dans ce livre que de terre et de minéraux. Mais l'homme est un véritable Narcisse, il se mire partout, et voudrait que le monde entier reflétât ses couleurs.

– Rien n'est plus vrai, ajouta le Capitaine, l'homme prête sa sagesse et ses folies, sa volonté et ses caprices aux animaux, aux plantes, aux éléments, aux dieux.

– Je ne veux pas vous éloigner de l'objet qui captive en ce moment votre attention, dit Charlotte, veuillez seulement m'expliquer le sens que l'on attache, dans le livre que nous lisons, au mot affinité?

– Je ne pourrais vous dire là-dessus, répondit le Capitaine, que ce que j'ai appris il y a dix ans environ. J'ignore si, dans le monde savant on admet encore aujourd'hui ce qu'on enseignait alors.

– Rien n'est plus douteux, s'écria le Baron; nous vivons à une époque où l'on ne saurait plus rien apprendre pour le reste de sa vie. Nos ancêtres étaient bien plus heureux, ils s'en tenaient à l'instruction qu'ils avaient reçue pendant leur jeunesse, tandis que nous autres, si nous ne voulons pas passer de mode, nous sommes obligés de recommencer nos études tous les cinq ans au moins.

– Les femmes n'y regardent pas de si près, dit Charlotte; quant à moi, je me borne à vous demander l'explication de la valeur scientifique du mot dont vous venez de vous servir, parce qu'il n'y a rien de plus ridicule dans la société que de ne pas connaître toutes les acceptions des termes que l'on emploie. J'abandonne le reste aux discussions des savants qui, l'expérience me l'a déjà prouvé plus d'une fois, ne sauraient jamais être d'accord entre eux.

Le Baron réfléchit un moment, puis il dit à son ami:

– Comment nous y prendrons-nous pour lui donner, sans préambule fatigant, une explication claire et précise?

– Si Madame voulait me permettre un petit détour, répondit le

Capitaine, nous arriverions très-promptement au but.

– Comptez sur mon attention, dit Charlotte en déposant l'ouvrage qu'elle tenait à la main.

Le Capitaine reprit:

– Ce que nous remarquons avant tout, dans les diverses productions de la nature, c'est qu'elles ont entre elles des rapports déterminés. Il peut vous paraître bizarre de m'entendre dire ainsi, ce que tout le monde sait; mais ce n'est jamais que par le connu qu'on peut arriver à l'inconnu.

– Sans doute, interrompit Édouard, laisse-moi lui citer quelques exemples vulgaires qui nous seconderont à merveille. L'eau, l'huile, le mercure ont, dans chacune de leurs parties, un principe d'unité et d'union. La violence ou d'autres incidents déterminés peuvent détruire cette union; mais elle reprend toute sa force dès que ces causes ont disparu.

– Rien n'est plus vrai, dit Charlotte, les gouttes de pluie se réunissent et forment des rivières. Je me souviens même que, dans mou enfance, j'ai souvent cherché à séparer une petite masse de vif-argent, mais les globules se rapprochaient toujours malgré moi.

– Permettez-moi, continua le Capitaine, de mentionner un point important dont vous venez de constater la vérité. C'est que le rapport pur, devenu possible par la fluidité, se manifeste toujours sous la forme de globules. La goutte d'eau et celle du vif-argent sont rondes; le plomb fondu même s'arrondit, s'il tombe d'assez haut pour se refroidir avant de toucher un autre corps.

– Je vais vous prouver, dit Charlotte, que je vous ai deviné. Vous vouliez me dire que, puisque chaque corps a des rapports avec les parties dont il se compose, il doit en avoir aussi avec les autres corps …

– Et ces rapports, reprit vivement le Baron, ne sont pas les mêmes pour tous les corps. Les uns se rencontrent comme de bons amis, d'anciennes connaissances qui se confondent sans se réduire mutuellement à changer de nature, tels que l'eau et le vin. Les autres restent étrangers, ennemis même, en dépit du mélange, du frottement ou de tout autre procédé mécanique par lesquels on voudrait les unir, telles que l'eau et l'huile; en les secouant ensemble on les confond un instant, mais elles se séparent aussitôt.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
28 eylül 2017
Hacim:
440 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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