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Kitabı oku: «La chanson de Roland», sayfa 4

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CVII

MON seigneur Olivier a tiré sa bonne épée, celle qu’a tant réclamée son compagnon Roland, et il lui montre, en vrai chevalier, comme il s’en sert. Il frappe un païen, Justin de Val Ferrée. Il lui fend par le milieu toute la tête et tranche le corps et la brogne safrée, et la bonne selle, dont les gemmes sont serties d’or, et à son cheval il a fendu l’échine. Il abat le tout devant lui sur le pré. Roland dit : « Je vous reconnais, frère ! Si l’empereur nous aime, c’est pour de tels coups ! » De toutes parts « Montjoie ! » retentit.

CVIII

LE comte Gerin monte le cheval Sorel, et son compagnon Gerier, Passecerf. Ils lâchent les rênes, donnent tous deux de l’éperon et vont frapper un païen, Timozel, l’un sur l’écu, l’autre sur le haubert. Les deux épieux se brisent dans le corps. Ils le jettent mort à la renverse dans un guéret. Lequel des deux fut le plus vite ? Je ne l’ai pas ouï dire et je ne sais […]. Et l’archevêque leur a tué Siglorel, l’enchanteur, celui qui déjà était descendu en enfer : par sortilège, Jupiter l’y avait conduit. Turpin dit : « Celui-là avait mal mérité de nous ! » Roland répond : « Il est vaincu, le fils de serf. Olivier, frère, voilà les coups que j’aime ! »

CIX

LA bataille s’est faite plus acharnée. Francs et païens frappent des coups merveilleux. L’un attaque, l’autre se défend. Tant de hampes brisées et sanglantes ! Tant de gonfanons arrachés et tant d’enseignes ! Tant de bons Français qui perdent leur jeune vie ! Ils ne verront plus leurs mères ni leurs femmes, ni ceux de France qui aux ports les attendent. Charles le Grand en pleure et se lamente ; mais de quoi sert sa plainte ? Ils n’auront pas son secours. Ganelon l’a servi malement, au jour où il s’en fut à Saragosse vendre ses fidèles ; pour l’avoir fait, il perdit la vie et les membres par jugement à Aix, où il fut condamné à être pendu ; avec lui trente de ses parents, qui n’attendaient pas cette mort.

CX

LA bataille est merveilleuse et pesante. Roland y frappe bien, et Olivier ; et l’archevêque y rend plus de mille coups et les douze pairs ne sont pas en reste, ni les Français, qui frappent tous ensemble. Par centaines et par milliers, les païens meurent. Qui ne s’enfuit ne trouve nul refuge ; bon gré mal gré, il y laisse sa vie. Les Français y perdent leurs meilleurs soutiens. Ils ne reverront plus leurs pères ni leurs parents, ni Charlemagne qui les attend aux ports. En France s’élève une tourmente étrange, un orage chargé de tonnerre et de vent, de pluie et de grêle, démesurément. La foudre tombe à coups serrés et pressés, la terre tremble. De Saint-Michel-du-Péril jusqu’aux Saints, de Besançon jusqu’au port de Wissant, il n’y a maison dont un mur ne crève. En plein midi, il y a de grandes ténèbres ; aucune clarté, sauf quand le ciel se fend. Nul ne le voit qui ne s’épouvante. Plusieurs disent : « C’est la consommation des temps, la fin du monde que voilà venue. » Ils ne savent pas, ils ne disent pas vrai : c’est la grande douleur pour la mort de Roland.

CXI

LES Français ont frappé de plein cœur, fortement. Les païens sont morts en foule, par milliers. Sur les cent mille, il ne s’en est pas sauvé deux. L’archevêque dit : « Nos hommes sont très preux ; sous le ciel nul n’en a de meilleurs. Il est écrit aux Annales des Frances que […]. » Ils vont par le champ et recherchent les leurs ; ils pleurent de deuil et de pitié sur leurs parents, du fond du cœur, en leur amour. Vient contre eux, avec sa grande armée, le roi Marsile.

CXII

MARSILE vient le long d’une vallée, avec la grande armée qu’il amassa. Il a formé et compté vingt corps de bataille. Les heaumes aux pierreries serties dans l’or brillent, et les écus, et les brognes safrées. Sept mille clairons sonnent la charge, grand est le bruit par toute la contrée. Roland dit : « Olivier, compagnon, frère, Ganelon le félon a juré notre mort. La trahison ne peut rester cachée ; l’empereur en prendra forte vengeance. Nous aurons une bataille âpre et dure ; jamais homme n’aura vu pareille rencontre. J’y frapperai de Durendal, mon épée, et vous, compagnon, vous frapperez de Hauteclaire. Par tant de terres nous les avons portées ! Nous avons gagné par elles tant de batailles ! Il ne faut pas que l’on chante d’elles une mauvaise chanson. »

CXIII

MARSILE Voit le martyre des siens. Il fait sonner ses cors et ses buccines, puis chevauche avec le ban de sa grande armée. En avant, chevauche un Sarrasin, Abisme : il n’y a plus félon dans sa troupe. Il est plein de vices et de grands crimes, il ne croit pas en Dieu, le fils de sainte Marie. Il est aussi noir que poix fondue ; mieux que tout l’or de Galice, il aime le meurtre et la traîtrise. Jamais nul ne le vit jouer ni rire. Mais il est vaillant et très téméraire, et c’est pourquoi il est cher au félon roi Marsile. Il porte son dragon, auquel se rallie la gent sarrasine. L’archevêque ne saurait guère l’aimer ; dès qu’il le voit, il désire le frapper. Tout bas il se dit à lui-même : « Ce Sarrasin me semble fort hérétique. Le mieux de beaucoup est que j’aille l’occire : jamais je n’aimai couard ni couardise. »

CXIV

L’ARCHEVÊQUE commence la bataille. Il monte le cheval qu’il prit à Grossaille, un roi qu’il avait tué en Danemark. Le destrier est bien allant, rapide ; il a les fers dégagés, les jambes plates, la cuisse courte et la croupe large, les flancs allongés et l’échine bien haute, la queue blanche et le toupet jaune, les oreilles petites, la tête toute fauve ; il n’est nulle bête qui l’égale à la course. L’archevêque éperonne, avec quelle vaillance ! Il attaque Abisme, rien ne l’en détournera. Il va le frapper sur son écu […], que des pierreries chargent, améthystes et topazes […], escarboucles qui flambent : au Val Métas un démon l’avait donné à l’émir Galafe, et l’émir à Abisme. Turpin frappe, il ne le ménage pas ; après qu’il a frappé, l’écu, je crois, ne vaut plus un denier. Il transperce le Sarrasin d’un flanc à l’autre et l’abat mort sur la terre nue. Les Français disent : « Voilà une belle vaillance ! Aux mains de l’archevêque la crosse ne sera pas honnie ! »

CXV

LES Français voient que les païens sont tant : les champs en sont couverts de toutes parts. Souvent ils appellent Olivier et Roland et les douze pairs, pour qu’ils les défendent. Et l’archevêque leur dit sa pensée : « Seigneurs barons, ne songez à rien qui soit mal. Je vous en prie par Dieu, ne fuyez pas, afin que nul vaillant ne chante de vous une mauvaise chanson. Bien mieux vaut que nous mourions en combattant. Bientôt, nous en avons la promesse, nous viendrons à notre fin ; nous ne vivrons pas au-delà de ce jour ; mais il est une chose dont je vous suis garant : le saint paradis vous est grand ouvert, vous y serez assis près des Innocents. » A ces paroles les Francs sont remplis de tant de réconfort qu’il n’en est pas un qui ne crie « Montjoie ! ».

CXVI

UN Sarrasin était là, de Saragosse, – une moitié de la cité est à lui, – Climborin, qui point n’est prud’homme. C’est lui qui, ayant reçu le serment du comte Ganelon, par amitié l’avait baisé sur la bouche et lui avait donné son heaume et son escarboucle. Il honnira, dit-il, la Terre des Aïeux ; à l’empereur il enlèvera sa couronne. Il monte le cheval qu’il appelle Barbamousche, lequel est plus rapide qu’épervier ou hirondelle. Il l’éperonne bien, lui abandonne le frein et va frapper Engelier de Gascogne. Ni l’écu ni la brogne ne le peuvent garantir. Le païen lui plonge au corps la pointe de son épieu ; il appuie, tout le fer traverse d’outre en outre ; à pleine hampe, dans le champ, il l’abat à la renverse, puis s’écrie : « Cette engeance est bonne à détruire ! Frappez, païens, pour rompre la presse ! » Les Français disent : « Dieu ! quel preux nous perdons ! »

CXVII

LE comte Roland appelle Olivier : « Seigneur compagnon, voilà Engelier mort, nous n’avions pas un chevalier plus vaillant. » Le comte répond : « Que Dieu me donne de le venger ! » Il broche son cheval de ses éperons d’or pur. Il dresse Hauteclaire, l’acier en est sanglant ; de toute sa force il va frapper le païen. Il secoue la lame dans la plaie et le Sarrasin choit ; les démons emportent son âme. Puis il tue le duc Alphaïen, tranche à Escababi la tête et désarçonne sept Arabes : ceux-là désormais ne vaudront plus guère en bataille. Roland dit : « Mon compagnon se fâche ! Auprès de moi il vaut bien son prix. Pour de tels coups Charles nous chérit mieux. » Très haut, il crie : « Frappez, chevaliers ! »

CXVIII

D’AUTRE part voici un païen, Valdabron : il avait armé chevalier [ ?] le roi Marsile. Il est seigneur sur mer de quatre cents dromonts ; pas un marinier qui ne se réclame de lui. Il avait pris Jérusalem par traîtrise, et violé le temple de Salomon, et devant les fonts tué le patriarche. C’est lui qui, ayant reçu le serment du comte Ganelon, lui avait donné son épée et mille mangons. Il monte le cheval qu’il appelle Gramimond : un faucon est moins rapide. Il l’éperonne bien des éperons aigus et va frapper Samson, le riche duc. Il lui brise l’écu, lui rompt le haubert, lui met au corps les pans de son enseigne, à pleine hampe le désarçonne et l’abat mort : « Frappez, païens, car nous le vaincrons très bien ! » Les Français disent : « Dieu ! quel deuil d’un tel baron ! »

CXIX

LE comte Roland, quand il voit Samson mort, sachez qu’il en eut une très grande douleur. Il pique son cheval, court sus au païen à toute force. Il tient Durendal, qui vaut mieux que l’or pur. Il va, le preux, et le frappe tant qu’il peut sur son heaume dont les pierreries sont serties d’or. Il fend la tête, et la brogne, et le tronc, et la bonne selle gemmée, et au cheval il fend l’échine profondément ; et, le blâme, le loue qui voudra ! les tue tous deux. Les païens disent : « Ce coup nous est cruel ! » Roland répond : « Je ne puis aimer les vôtres. L’orgeuil est devers vous et le tort. »

CXX

UN Africain est là, venu d’Afrique : c’est Malquiant, le fils du roi Malcud. Ses armes sont tout incrustées d’or ; au soleil sur tous les autres il resplendit. Il monte le cheval qu’il appelle Saut-Perdu : il n’y a bête qui puisse l’égaler à la course. Il va frapper sur l’écu Anseïs : il en tranche les quartiers de vermeil et d’azur. Il lui a rompu les pans de son haubert, il lui enfonce au corps l’épieu, fer et bois. Le comte est mort, son temps est fini. Les Français disent : « Baron, c’est grand’pitié de toi ! »

CXXI

PAR le champ va Turpin, l’archevêque. Jamais tel tonsuré ne chanta la messe, qui de sa personne ait fait autant d’exploits. Il dit au païen : « Que Dieu t’envoie tous les maux ! Tu en as tué un que mon cœur regrette. » Il lance en avant son bon cheval et frappe le païen sur son écu de Tolède d’un tel coup qu’il l’abat mort sur l’herbe verte.

CXXII

D’AUTRE part est un païen, Grandoine, fils de Capuel, le roi de Cappadoce. Il monte le cheval qu’il appelle Marmoire, lequel est plus rapide que nul oiseau qui vole. Il lâche la rêne, pique des éperons et va frapper Gerin de toute sa force. Il brise son écu vermeil, le lui fait choir du cou. Après, il lui déclôt sa brogne, lui plonge toute au corps son enseigne bleue et l’abat mort sur une haute roche. Il tue encore Gerier son compagnon, et Bérengier, et Gui de Saint-Antoine, puis va frapper un riche duc, Austorge, qui tenait en sa seigneurie Valeri [ ?] et Envers [ ?] sur le Rhône. Il l’abat mort ; les païens se réjouissent. Les Français disent : « Quel déclin des nôtres ! »

CXXIII

LE comte Roland tient son épée sanglante. Il a bien entendu que les Français se découragent. Il en a si grand deuil qu’il croit que son cœur va se fendre. Il dit au païen : « Que Dieu t’octroie tous les maux ! Tu en as tué un que je compte te vendre très cher ! » Il éperonne son cheval […]. Lequel vaincra ? Les voilà aux prises.

CXXIV

GRANDOINE était preux et vaillant, puissant et hardi au combat. Au travers de sa voie, il a rencontré Roland. Jamais il ne l’a vu : il le reconnaît pourtant, à son fier visage, à son beau corps, à son regard, à son allure ; il a peur, il ne peut s’en défendre. Il veut fuir, mais vainement. Le comte le frappe d’un coup si merveilleux qu’il lui fend tout le heaume jusqu’au nasal, lui tranche le nez et la bouche et les dents, et tout le tronc, et le haubert aux bonnes mailles, et le pommeau et le troussequin d’argent de sa selle dorée, et profondément le dos de son cheval. Point de remède : il les a tués tous deux, et ceux d’Espagne gémissent tous. Les Français disent : « Notre garant frappe bien ! »

CXXV

LA bataille est merveilleuse ; elle se fait plus précipitée. Les Français y frappent avec vigueur et rage. Ils tranchent les poings, les flancs, les échines, transpercent les vêtements jusqu’aux chairs vives, et le sang coule en filets clairs sur l’herbe verte. « Terre des Aïeux, Mahomet te maudisse ! Sur tous les peuples ton peuple est hardi ! » Pas un Sarrasin qui ne crie : « Marsile ! Chevauche, roi ! Nous avons besoin d’aide ! »

CXXVI

LA bataille est merveilleuse et grande. Les Français y frappent des épieux brunis. Si vous eussiez vu tant de souffrance, tant d’hommes morts, blessés, ensanglantés ! Ils gisent l’un sur l’autre, face au ciel, face contre terre. Les Sarrasins ne peuvent l’endurer davantage : bon gré mal gré ils vident le champ. Et les Francs, de vive force, leur ont donné la chasse.

CXXVII

LE comte Roland appelle Olivier : « Seigneur compagnon, avouez-le, l’archevêque est très bon chevalier ; il n’y a meilleur sous le ciel ; il sait bien frapper de la lance et de l’épieu. » Le comte répond : « Donc, allons lui aider ! » A ces mots les Francs ont recommencé. Durs sont les coups, lourde est la mêlée. Les chrétiens sont en grande détresse. Il eût fait beau voir Roland et Olivier frapper, tailler de l’épée ! L’archevêque frappe de son épieu. De ceux qu’ils ont tués, on peut estimer le nombre ; il est écrit, dit la Geste, dans les chartes et les brefs : ils en tuèrent plus de quatre milliers. Aux quatre premiers assauts, ils ont bien tenu coup ; le cinquième leur pesa lourdement. Ils sont tous tués, les chevaliers français, hormis soixante que Dieu a épargnés. Avant qu’ils meurent, ils se vendront très cher.

CXXVIII

LE comte Roland voit le grand massacre des siens. Il appelle Olivier, son compagnon : « Beau seigneur, cher compagnon, par Dieu ! que vous en semble ? Voyez tant de vaillants qui gisent là contre terre ! Nous avons bien sujet de plaindre douce France, la belle ! Vidée de tels barons, comme elle reste déserte ! Ah ! roi, ami, que n’êtes-vous ici ? Olivier, frère, comment pourrons-nous faire ? Comment lui mandrons-nous des nouvelles ? » Olivier dit : « Comment ? Je ne sais pas. On en pourrait parler à notre honte, et j’aime mieux mourir ! »

CXXIX

ROLAND dit : « Je sonnerai l’olifant. Charles l’entendra, qui passe les ports. Je vous le jure, les Francs reviendront. » Olivier dit : « Ce serait pour tous vos parents un grand déshonneur et un opprobre et cette honte serait sur eux toute leur vie ! Quand je vous demandais de le faire, vous n’en fîtes rien. Faites-le maintenant : ce ne sera plus par mon conseil. Sonner votre cor, ce ne serait pas d’un vaillant ! Mais comme vos deux bras sont sanglants ! » Le comte répond : « J’ai frappé de beaux coups. »

CXXX

ROLAND dit : « Notre bataille est dure ! Je sonnerai mon cor, le roi Charles l’entendra. » Olivier dit : « Ce ne serait pas d’un preux ! Quand je vous disais de le faire, compagnon, vous n’avez pas daigné. Si le roi avait été avec nous, nous n’eussions rien souffert. Ceux qui gisent là ne méritent aucun blâme. Par cette mienne barbe, si je puis revoir ma gente sœur Aude, vous ne coucherez jamais entre ses bras ! »

CXXXI

ROLAND dit : « Pourquoi, contre moi, de la colère ? » Et Olivier répond : « Compagnon, c’est votre faute, car vaillance sensée et folie sont deux choses, et mesure vaut mieux qu’outrecuidance. Si les Français sont morts, c’est par votre légèreté. Jamais plus nous ne ferons le service de Charles. Si vous m’aviez cru, mon seigneur serait revenu ; cette bataille nous l’aurions gagnée ; le roi Marsile eût été tué ou pris. Votre prouesse, Roland, c’est la malheure que nous l’avons vue. Charles le Grand – jamais il n’y aura un tel homme jusqu’au dernier jugement ! – ne recevra plus notre aide. Vous allez mourir et France en sera honnie. Aujourd’hui prend fin notre loyal compagnonnage : avant ce soir nous nous séparerons, et ce sera dur. »

CXXXII

L’ARCHEVÊQUE les entend qui se querellent. Il éperonne de ses éperons d’or pur, vient jusqu’à eux, et les reprend tous deux : « Sire Roland, et vous, sire Olivier, je vous en prie de par Dieu, ne vous querellez point ! Sonner du cor ne nous sauverait plus. Et pourtant, sonnez, ce sera bien mieux. Vienne le roi, il pourra nous venger : il ne faut pas que ceux d’Espagne s’en retournent joyeux. Nos Français descendront ici de cheval ; ils nous trouveront tués et démembrés ; ils nous mettront en bière, nous emporteront sur des bêtes de somme et nous pleureront, pleins de douleur et de pitié. Ils nous enterreront en des aîtres d’églises ; nous ne serons pas mangés par les loups, les porcs et les chiens. » Roland répond : Seigneur, vous avez bien dit. »

CXXXIII

ROLAND a mis l’olifant à ses lèvres. Il l’embouche bien, sonne à pleine force. Hauts sont les monts, et longue la voix du cor ; à trente grandes lieues on l’entend qui se prolonge. Charles l’entend et l’entendent tous ses corps de troupe. Le roi dit : « Nos hommes livrent bataille ! » Et Ganelon lui répond à l’encontre : « Qu’un autre l’eût dit, certes on y verrait un grand mensonge. »

CXXXIV

LE comte Roland, à grand effort, à grand ahan, très douloureusement, sonne son olifant. Par sa bouche le sang jaillit clair. Sa tempe se rompt. La voix de son cor se répand au loin. Charles l’entend, au passage des ports. Le duc Naimes écoute, les Francs écoutent. Le roi dit : « C’est le cor de Roland ! Il n’en sonnerait pas s’il ne livrait une bataille. » Ganelon répond : « Il n’y a pas de bataille ! Vous êtes vieux, votre chef est blanc et fleuri ; par de telles paroles vous semblez un enfant. Vous connaissez bien le grand orgueil de Roland : c’est merveille que Dieu si longtemps l’endure. N’a-t-il pas été jusqu’à prendre Noples sans votre ordre ? Les Sarrasins firent une sortie et combattirent le bon vassal Roland ; pour effacer les traces [ ?], il inonda les prés ensanglantés. Pour un seul lièvre, il va tout un jour sonnant du cor. Aujourd’hui, c’est quelque jeu qu’il fait devant ses pairs. Qui donc sous le ciel oserait lui offrir la bataille ? Chevauchez donc ! Pourquoi vous arrêter ? La Terre des Aïeux est encore loin là-bas devant nous. »

CXXXV

LE comte Roland a la bouche sanglante. Sa tempe s’est rompue. Il sonne l’olifant douloureusement, avec angoisse. Charles l’entend, et ses Français l’entendent. Le roi dit : « Ce cor a longue haleine ! » Le duc Naimes répond : « C’est qu’un vaillant y prend peine. Il livre bataille, j’en suis sûr. Celui-là même l’a trahi qui maintenant vous demande de faillir à votre tâche. Armez-vous, criez votre cri d’armes et secourez votre belle mesnie. Vous l’entendez assez : c’est Roland qui désespère. »

CXXXVI

L’EMPEREUR a fait sonner ses cors. Les Français mettent pied à terre et s’arment de hauberts, de heaumes et d’épées parées d’or. Ils ont des écus bien ouvrés, et des épieux forts et grands, et des gonfanons blancs, vermeils et bleus. Tous les barons de l’armée montent sur les destriers. Ils donnent de l’éperon tant que durent les défilés. Pas un qui ne dise à l’autre : « Si nous revoyions Roland encore vivant, avec lui nous frapperions de grands coups ! » A quoi bon les paroles ? Ils ont trop tardé.

CXXXVII

LE jour avance, la vêprée brille. Contre le soleil resplendissent les armures. Hauberts et heaumes flamboient, et les écus où sont peintes des fleurs, et les épieux et les gonfanons dorés. L’empereur chevauche plein de colère, et les Français marris et courroucés. Pas un qui ne pleure douloureusement ; pour Roland, tous sont transis d’angoisse. Le roi a fait saisir le comte Ganelon. Il l’a remis aux cuisiniers de sa maison. Il appelle Besgon, leur chef : « Garde-le-moi bien, comme on doit faire d’un félon pareil : il a livré ma mesnie par traîtrise. » Besgon le reçoit en sa garde, et met après lui cent garçons de la cuisine, des meilleurs et des pires. Ils lui arrachent les poils de la barbe et des moustaches, le frappent chacun par quatre fois du poing, le battent à coups de triques et de bâtons et lui mettent au cou une chaîne comme à un ours. Honteusement ils le hissent sur une bête de somme. Ainsi le gardent-ils jusqu’au jour de le rendre à Charles.