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Kitabı oku: «L'Académie des sciences et les académiciens de 1666 à 1793», sayfa 11

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Mais comment, dans chaque cas, connaître la couleur de la boule? comment compter les erreurs du tribunal et en tenir état? Le problème est difficile, Condorcet ne le croit pas insoluble. «Je suppose, dit-il, que l’on connaisse un certain nombre de décisions formées par des votants dont la voix a la même probabilité que celle des votants sur la vérité des décisions futures desquels on veut acquérir une certaine assurance. Je suppose de plus, c’est toujours Condorcet qui parle, que l’on ait choisi un nombre assez grand d’hommes vraiment éclairés et qu’ils soient chargés d’examiner une suite de décisions dont la pluralité est déjà connue, et qu’ils prononcent sur la vérité ou la fausseté de ces décisions. Si, parmi les jugements de cette espèce de tribunal d’examen, on n’a égard qu’à ceux qui ont une certaine pluralité, il est aisé de voir qu’on peut sans erreur sensible, ou les regarder comme certains, ou supposer à la voix de chacun des votants de ce tribunal une certaine probabilité un peu moindre de celle qu’elle doit réellement avoir et déterminer d’après cette supposition la probabilité de ces jugements.»

Il y a beaucoup à reprendre dans cette théorie qui renferme plusieurs erreurs: «La méthode, dit cependant Condorcet un peu naïvement, ne peut avoir dans la pratique qu’un seul inconvénient: la difficulté de composer le tribunal d’examen.» Sans se contenter pourtant de sa première méthode, Condorcet se hâte d’en proposer une seconde qui, pour être plus ingénieuse, n’en est pas moins inacceptable. Condorcet, sans le déclarer expressément, continue la fiction d’une urne de composition constante remplaçant les divers tribunaux, comme si tous les juges du royaume, assimilés à un homme toujours semblable à lui-même, prononçaient sur toutes les causes avec un égal discernement, une attention invariable et la même indifférence à l’éloquence inégale comme à la conviction affectée ou sincère des avocats qui les obscurcissent.

L’intégrité et le savoir des magistrats seront toujours rebelles aux formules des géomètres, et en négligeant de les considérer comme la seule base solide de la justice des arrêts, ils s’exposent à démentir ces paroles de Laplace qui, dans cette théorie, devraient être leur règle et leur loi: Le calcul des probabilités n’est au fond que le bon sens mis en formules.

Les éloges des académiciens composés par Condorcet eurent dans leur temps un grand succès. D’Alembert les signale tout d’abord comme excellents. Voltaire a appelé gracieusement leur auteur monsieur plus que Fontenelle en n’y voyant qu’une chose fâcheuse, «c’est que le public, lui disait-il, désirera qu’il meure un académicien par semaine pour vous en entendre parler.» Condorcet, en effet joint à la netteté du langage l’intelligence complète, et quelquefois profonde des questions les plus difficiles; il est loin cependant d’être sans défauts, et le titre de plus que Fontenelle est une des exagérations habituelles à Voltaire qu’il serait injuste de discuter sérieusement.

Loin d’aimer, comme Fontenelle, à s’abaisser par un discours simple et de peindre avec un seul trait en disant beaucoup en peu de mots, pour laisser deviner davantage encore, Condorcet, par sa forme trop oratoire, éveille tout d’abord la défiance. Le lecteur le tient pour suspect, et lors même qu’il se montre juste, on redoute l’exagération. Impatient de la méditation des choses de la science et incapable de s’y enfermer tout entier, il ne sait pas cacher et semble même montrer volontiers tout ce qui occupe son esprit. Conduit par exemple dans l’éloge de Blondel à blâmer en passant les modernes qui ont la modestie de croire qu’il est impossible d’égaler les anciens surtout dans la poésie, «ce préjugé, dit-il, était excusable en quelque sorte au temps de Blondel, où l’on ne pouvait opposer aux zélateurs de l’antiquité cet homme illustre pour qui seul la reconnaissance et l’admiration de son siècle ont prévenu le culte des races futures, et qui, semblable à ces enfants du ciel adorés dans les temps héroïques, unit à la gloire d’être un génie sublime la gloire bien plus touchante d’être compté parmi les bienfaiteurs de l’humanité.» L’illustre patriarche, dont Condorcet avait l’honneur d’être connu et aimé, lui eût tout au moins conseillé, s’il eût été consulté, de placer sa tirade ailleurs. Les professions de foi de civisme, de vertu et de sensibilité s’élèvent dans les éloges de Condorcet un peu trop à l’improviste. Le jeune Vaucanson invente un échappement d’horlogerie, Condorcet le raconte et ajoute: «Il éprouva pour la première fois ce plaisir si vif et si pur qui serait le premier de tous si la nature n’avait attaché aux bonnes actions des charmes encore plus touchants.» Cette réflexion, il faut le remarquer, n’est pas même une ingénieuse transition et n’annonce nullement, comme on pourrait le croire, le récit d’une action vertueuse ou touchante. Ne sent-on pas plus de prétention que de vraie sensibilité dans ces lignes de l’éloge de Bezout, où Condorcet sans doute croit imiter Fontenelle en adoptant un tour qui lui est habituel:

«M. Bezout s’était marié très-jeune, et comme il était sans fortune il avait pu suivre le choix de son cœur. Cette union fut heureuse, il fut très-bon père, non-seulement parce que c’est un devoir, mais parce qu’il aimait à vivre au milieu de sa famille.»

A côté de ces traits trop fréquents dans les éloges de Condorcet, un plus grand nombre de pages solides et écrites de bonne main nous montrent le savant profond, le philosophe généreux et l’esprit exact et sincère, qui plaisait à Voltaire sans le flatter toujours, et trouvait parfois l’éloquence dans sa haine contre les préjugés et son ardeur impatiente pour le progrès.

Mais Condorcet, de plus en plus détaché de la science, derrière l’approbation et les suffrages des savants et des lettrés, cherchait souvent les applaudissements et la faveur du peuple.

Nous avons dit, en parlant des rapports de l’Académie, avec quelle âpreté de mauvais goût et quelle haineuse emphase le secrétaire perpétuel avait, dans un rapport sur un projet de distribution des eaux, mis en opposition ceux qu’il nommait les gens riches avec les citoyens qu’il appelait le peuple. Fontenelle, dans un cas tout semblable, s’était contenté de dire: «Mais comme il arrive bien souvent quand il ne s’agit que du public, on n’alla pas plus loin que le projet.» Condorcet, on le voit, tenait à se montrer monsieur plus que Fontenelle.

Lorsque la politique le prit enfin tout entier, Condorcet demanda, comme Grandjean de Fouchy, un auxiliaire et un adjoint. L’Académie n’accepta qu’un suppléant temporaire, renouvelé tous les trois mois. Fourcroy, de Jussieu, Sage et Bovy le remplacèrent successivement, sans qu’aucun d’eux plus tard ait pu réclamer comme un droit acquis le titre de secrétaire si heureusement confié à Cuvier.

Membre de l’Académie française en même temps que de l’Académie des sciences, Condorcet était bien loin cependant d’épuiser dans ses travaux académiques toute l’activité de son esprit. D’Alembert et Voltaire, après avoir été les protecteurs admirés de sa jeunesse, restèrent jusqu’à leur dernier jour ses amis et ses guides. Ami comme lui de ces deux grands hommes, Turgot lui accorda une grande part de sa confiance. Son dévouement fougueux à la liberté précéda l’explosion de la tourmente révolutionnaire. Mêlé à la politique par de véhéments pamphlets et d’innombrables articles de journaux, il fut membre de la municipalité de Paris, de l’Assemblée législative et de la Convention nationale. Mais les illusions généreuses de Condorcet et ses erreurs cruellement expiées n’appartiennent pas à mon sujet, et je n’ai pas la tâche douloureuse de les raconter ici et de les juger.

LES GÉOMÈTRES

Christian Huyghens, esprit rare et excellent à plus d’un titre, a égalé les savants et les inventeurs les plus illustres. Jamais enfant plus heureusement né ne rencontra dès son premier jour, avec des soins plus assidus, un milieu plus vivifiant et plus favorable. Son père, Constantin Huyghens, homme de grand jugement, habile dans les arts, versé dans les lettres et dans les sciences, avait su mériter par lui-même la haute position et la confiance publique dont sa famille était depuis longtemps investie. Plusieurs missions diplomatiques habilement accomplies pour les États de Hollande lui avaient fait en France, en Angleterre et en Italie de nombreux amis, empressés plus tard à servir son fils et heureux d’applaudir à ses succès. Le roi Louis XIII lui-même, pour lui prouver son estime et récompenser son mérite, avait ajouté aux armoiries de Constantin une fleur de lis d’or que ses descendants étaient autorisés à y placer comme lui. Père de cinq enfants tous remarquables par l’intelligence, Constantin appela à orner et à éclairer leur esprit les maîtres les plus excellents d’un pays illustre entre tous par la culture intellectuelle. En même temps que les langues anciennes, le jeune Christian apprit les langues étrangères, et tandis que dans les sciences il dépassait rapidement ses maîtres, il réussissait dans la musique et dans le dessin assez pour pouvoir, s’il l’eût voulu, suivre la carrière d’un artiste; il trouvait enfin le temps d’étudier en droit à l’université de Leyde et d’y prendre le diplôme de docteur. Constantin, pour le diriger, n’eut d’ailleurs qu’à imiter et à recommencer ce que son père avait fait pour lui:

Et minus hic ovo non discrepat ovum,

dit-il avec orgueil, dans un poëme latin sur sa propre vie.

Aimable, spirituel, de figure agréable, adroit à tous les exercices du corps, aussi curieux de l’étude qu’ardent au plaisir et salué du nom de jeune Archimède, Huyghens vint à Paris dans tout l’éclat d’une jeunesse déjà illustre, sans autre ambition que de polir son esprit et d’étendre ses idées par la société des honnêtes gens et le commerce des plus habiles.

L’académicien Conrard, en annonçant à Constantin Huyghens l’accueil fait à son aimable fils, lui laisse deviner que le jeune Archimède ne voyageait pas seulement en philosophe.

«Je m’en rapporte, dit Conrard, parlant d’une question insignifiante et de pure politesse, je m’en rapporte à votre excellent Archimède quand il voudra parler sincèrement, comme il fera sans doute lorsque la mer nous aura séparés et qu’il sera tête à tête avec vous dans votre paradis terrestre dont il m’a fait une si belle description. Je ne crains plus tant qu’il se trouve auprès de vous que je le craignais il y a quelque temps, car il fait ici tant de bonnes et agréables connaissances, que je ne le vois guère plus que s’il était à la Haye ou à Zulichem. Au lieu donc que je vous conjurais au commencement de ne nous le redemander pas sitôt, je vous avertis aujourd’hui, mais en grand secret, que si vous n’y prenez garde, on l’arrêtera ici pour toujours et peut-être même de son consentement, car il trouve tant de gens et tant de compagnies à son gré, que s’il se pouvait partager en vingt ou trente parts tous les jours, il ne contenterait pas encore tous ceux qui le désirent. Il y a trois mois qu’il a fait espérer une visite à une dame de très-grand mérite, avec laquelle je lui ai fait faire connaissance, et il n’a pu encore trouver moyen de la lui rendre, quoiqu’il ne le désire pas moins qu’elle et qu’il ne leur faille qu’une après-dînée pour les satisfaire tous deux. Jugez d’après cela, monsieur, ce que peut attendre de lui un misérable comme moi, qui n’est bon à rien.»

Sans oublier ni négliger la science, Huyghens trouvait le temps de se lier avec la célèbre Ninon de Lenclos, et de lui adresser quelques vers, que Voltaire, à qui elle a eu la malice de les montrer, aurait mieux fait de ne pas imprimer.

On pourrait aisément pardonner à Huyghens de n’être pas poëte et de mal rimer dans une langue étrangère; il pensait cependant, comme Pascal, «qu’un honnête homme, sans se piquer de rien, doit savoir juger de tout, même de la poésie, et ne se montrer incapable d’aucun exercice de l’esprit.» Quelques vers, composés comme épitaphe de Descartes, et publiés pour la première fois par M. le comte Foucher de Careil, prouvent que la prétention n’était pas excessive:

 
Sous le climat gelé de ces terres chagrines
Où l’hyver est suivy de l’arrière-saison,
Te voicy sur le lieu qui couvre les ruines
D’un fameux bâtiment qu’habita la raison.
 
 
Par la rigueur du sort et de la Parque infâme
Cy-gist Descartes au regret de l’univers;
Ce qui servoit jadis d’interprète à son âme
Sert de matière aux pleurs et de pâture aux vers.
 
 
Cette âme, qui toujours en sagesse féconde
Faisoit voir aux esprits ce qui se cache aux yeux,
Après avoir produit le modelle du monde,
S’informe désormais du mystère des cieux.
 
 
Nature, prends le deuil, viens plaindre la première
Le grand Descartes et montrer ton désespoir.
Quand il perdit le jour, tu perdis la lumière;
Ce n’est qu’à ce flambeau que nous t’avons pu voir.
 

Huyghens, comme Conrard le faisait craindre à son père, trouva en France une seconde patrie. Inscrit le premier sur la liste des membres de l’Académie des sciences, il en fut l’ornement et la gloire jusqu’à la révocation de l’édit de Nantes. Résistant alors à toutes les instances et refusant la tolérance exceptionnelle qu’on lui eût volontiers accordée, il retourna en Hollande, où il mourut dix ans après, épuisé de forces et engourdi, à l’âge de soixante-six ans, par la vieillesse prématurée de l’esprit et du corps.

Toutes les œuvres d’Huyghens font paraître la lueur et souvent l’éclat de son génie; aucune n’est de médiocre importance. En mécanique, en géométrie, en physique, il a des égaux; il ne peut avoir de supérieurs. Deux de ses écrits surtout, le Traité sur le pendule et la Théorie de la lumière, vivront éternellement parmi les chefs-d’œuvre de l’esprit humain.

Placé par sa date entre les dialogues de Galilée sur le mouvement et le livre des principes de Newton, l’Horologium oscillatorium d’Huyghens s’appuie sur les premiers et a servi évidemment avec ses théorèmes sur la force centrifuge à la préparation du second. C’est dans ces trois chefs-d’œuvre que l’on peut trouver, sans rien chercher ailleurs, la base ferme et solide de la science du mouvement. Peu d’ouvrages d’ailleurs, indépendamment des fruits qu’il devait produire et pour n’en examiner que les détails, font paraître dans une plus grande abondance d’inventions originales une plus grande puissance géométrique. L’expérience avait appris à Galilée l’isochronisme des petites oscillations du pendule, c’est-à-dire l’égale durée des oscillations plus ou moins amples d’un pendule de longueur donnée. Mais cette égalité n’est qu’approchée, et les petites oscillations, l’expérience l’a démontré, s’accomplissent plus rapidement que les plus amples. Huyghens, préoccupé des applications à l’horlogerie, chercha d’abord à former un pendule rigoureusement isochrone. Dans la solution de ce beau problème, où les principes physiques étaient à créer aussi bien que les méthodes géométriques, Huyghens, comme en passant et en guise de lemme, révèle la théorie des développées, exemple et modèle entièrement nouveaux de l’étude générale des courbes.

La théorie imparfaite, mais déjà lumineuse et exacte du pendule composé, complète ce beau livre, dont une note finale révèle sans démonstration, dans la théorie de la force centrifuge, les principes jusque-là inaperçus, dont la loi des attractions planétaires aurait pu être le corollaire immédiat.

Si l’Horologium oscillatorium est la plus accomplie des œuvres d’Huyghens, le Traité sur la lumière montre peut-être un plus étonnant génie. La voie ouverte par Galilée devait être suivie, et si Huyghens avait été refusé à la science, les progrès de la dynamique retardés pour un temps n’auraient pas manqué, cela paraît certain, de se produire assez rapidement sous une forme équivalente. Newton et Leibnitz, Jean et Jacques Bernoulli, d’Alembert et Clairaut, auraient peut-être accru leur gloire en se partageant une portion de la sienne. Le Traité sur la lumière reste au contraire entièrement original. Pendant un siècle et demi, les principes aujourd’hui indubitables en sont rejetés comme obscurs et sans fondement. Plusieurs générations successives, en reléguant ce petit chef-d’œuvre parmi les chimères d’un grand esprit, ne lui accordent pas d’autre attention qu’aux conjectures sur la cause de la pesanteur. C’est là pourtant peut-être sa plus admirable conception. Huyghens s’y montre non-seulement le précurseur, mais le seul guide et le maître de Thomas Young, et la théorie triomphante de Fresnel devait lui emprunter, avec ses premiers principes, quelques-uns de ses plus clairs rayons.

Les découvertes d’Huyghens sur les mathématiques pures auraient suffi à la gloire d’un autre nom. La théorie des développées et celle des fractions continues sont restées classiques dans la science. Ses écrits sur la quadrature de l’hyperbole, sur les propriétés de la logarithmique et sur la chaînette, et sur d’autres questions d’importance secondaire, montrent que le talent de l’auteur bien plus que le sujet mesure l’importance d’un ouvrage, et qu’un grand génie, sur quelque terrain qu’il se place, n’y paraît jamais à l’étroit. Aussi bien que le géomètre de Syracuse, dont ses amis lui donnaient le nom, Huyghens joignait la pratique à la théorie avec une incomparable industrie; aussi adroit que patient, il construisait de ses mains les instruments les plus délicats et les plus parfaits. C’est avec une lunette fabriquée par lui-même qu’il a découvert l’anneau et l’un des satellites de Saturne. Après avoir vu à Londres une machine pneumatique, il s’empressa de la reproduire en la perfectionnant, pour en montrer le premier à l’Académie des sciences de Paris les effets singuliers et ingénieusement variés. Ses expériences enfin sur la réfraction du spath d’Islande ont révélé les lois les plus complexes et les plus exactes en même temps que puisse citer la physique.

Quoique la gloire d’Huyghens, comme l’éclat des noms de Fermat, de Pascal et de Descartes, obscurcisse et semble effacer tout ce qui les entoure, Roberval plus d’une fois cité dans l’histoire de ces grands hommes est resté justement célèbre.

Ingénieux à proposer de beaux problèmes et habile à les résoudre, il a mérité l’estime de Pascal et celle de Fermat. Mersenne et Carcavy, mêlés tous deux à toutes les discussions sur la science, ont parlé de lui avec autant d’égard que d’affection, et le savant évêque d’Avranches, Huet, le nomme dans ses Mémoires parmi ses amis les plus chers. N’en est-ce pas assez pour balancer les jugements plus que sévères prononcés sans hésitation par les Cartésiens contre le contradicteur importun et passionné de leur maître? De nos jours encore, plus d’un philosophe épousant la querelle de Descartes, garde pour Roberval un injuste dédain. Un jour, dans une bibliothèque publique, M. Cousin, traversant la salle, voit les œuvres de Roberval entre les mains d’un lecteur; il s’arrête un instant, regarde la date de l’édition et s’éloigne en disant: «Roberval! ce n’était pas un bon homme, j’en sais long sur son compte!» J’ai cherché depuis et n’ai rien appris, sinon qu’à la campagne, chez ses parents pauvres cultivateurs, il n’avait pu dans son enfance acquérir beaucoup d’urbanité. Professeur au collége de maître Gervais et chargé en même temps de deux chaires au Collége Royal, il était plus accoutumé au commerce des livres et à la société des écoliers, qu’à la conversation des gens du monde. Appliqué aux mêmes problèmes mathématiques que Fermat, Descartes et Pascal, s’il les égalait presque par son savoir en géométrie, son esprit trop roide et trop contentieux avait moins d’étendue et de verve, et il n’était pas comme eux au-dessus de ces matières. Roberval était en outre fort inférieur par l’éducation à ses trois émules. Descartes parut seul le remarquer, et l’on vit son orgueil s’élever plus d’une fois contre un homme de si petite condition qui osait le contredire avec tant d’âpreté, méconnaître sa méthode et lui refuser tout applaudissement.

Roberval a composé plusieurs écrits réellement distingués. La Cycloïde a été pendant plusieurs années le sujet de ses études et l’occasion de ses succès. Sa méthode pour en trouver l’aire est originale et de première main. Mersenne avait inutilement demandé le résultat à Galilée, qui y avait échoué. Fermat et Descartes, sur l’énoncé connu, en trouvèrent la démonstration, mais leurs méthodes sont différentes l’une de l’autre et encore de celle de Roberval, de telle sorte qu’en les voyant toutes il n’est pas difficile, c’est le sentiment de Pascal, de reconnaître quelle est celle de l’auteur; «car il est vrai, dit-il, qu’elle a un caractère particulier et qu’elle est prise par une voie si belle et si simple, qu’on connaît bien que c’est la naturelle.» Roberval a trouvé aussi, le premier, le volume engendré par la Cycloïde tournant autour de son axe, ce qui était alors, au jugement de Pascal, un problème de haute, longue et pénible recherche.

Roberval, lors de la fondation de l’Académie, était âgé de soixante-quatre ans; il en fut un membre assidu et actif. Adversaire déclaré des hypothèses et des systèmes en physique, il a contribué à maintenir la compagnie dans la voie excellente de l’observation et de l’expérience; et s’il eut avec Huyghens et avec Mariotte des discussions quelquefois très-vives, ils souriaient de ses emportements sans en garder rancune.

Le marquis de L’Hôpital, lors de la réorganisation de l’Académie en 1699, eût été digne de tenir le premier rang dans la section de géométrie. Mais ses titres de marquis de Sainte-Mesme, comte d’Entremont, seigneur d’Ouques, la Chaise, le Bréau et autres lieux, lui assuraient une primauté d’autre sorte; on le nomma honoraire. Initié le premier peut-être parmi les savants français à la géométrie nouvelle de Leibnitz et de Newton, nul ne travailla plus que lui à la répandre ni avec plus de fruit: correspondant assidu d’Huyghens et de Leibnitz, il échangeait avec ces deux grands hommes d’ingénieux et difficiles problèmes dans lesquels, avec un moindre génie d’invention, il montre dans les détails une perspicacité souvent égale à la leur. C’est L’Hôpital surtout qui, par ses communications, a fait comprendre à Huyghens vieillissant l’importance du calcul différentiel. Disciple de Jean Bernoulli et toujours respectueux pour Leibnitz dont il propageait les idées et les principes, il arrêta au calcul différentiel son excellent ouvrage sur l’Analyse des infiniment petits, sans vouloir devancer, en abordant le calcul intégral, le livre sur l’Infini que l’illustre inventeur avait promis et ne donna jamais. Newton, avec lequel L’Hôpital n’eut pas de relations directes, était l’objet de toute son admiration. Aimant à questionner ceux qui avaient eu l’honneur de voir un si grand homme, il s’étonnait, dit-on, dans son naïf enthousiasme, que, soumis aux lois de l’humanité, l’auteur du livre des Principes pût manger, boire et dormir comme les autres hommes.

L’Hôpital mourut jeune encore, âgé de quarante ans à peine, sans avoir entièrement réalisé la prédiction de Leibnitz, qui attendait de lui de grandes lumières. «Il avait servi, dit Fontenelle, il était d’une naissance qui l’engageait à un grand nombre de devoirs. Il avait une famille, des soins domestiques, un bien très-considérable à conduire et par conséquent beaucoup d’affaires. Il était dans le commerce du monde et il y vivait à peu près comme ceux dont cette occupation oisive est la seule occupation; il n’était pas même ennemi des plaisirs.» N’en est-ce pas assez pour qu’on doive admirer la profondeur de ses travaux sans s’étonner de leur petit nombre?

Très-inférieur au marquis de L’Hôpital, Varignon devint cependant, par sa mort, le plus célèbre et aussi le plus habile des géomètres français; acceptant comme lui les théories infinitésimales, il contribua à les répandre, sinon à les accroître et à les affermir. Lorsque, dans le sein de l’Académie, l’ancienne géométrie, représentée par Rolle et Galois, voulut tenter un dernier effort contre les nouvelles méthodes, il les défendit aussitôt, mais avec plus de conviction et de force que de véritable talent, et la discussion fut plus longue qu’il ne convient. La géométrie en effet, dans les questions les plus subtiles, devrait retenir la précision qui fait son caractère propre, et ne souffrant pas l’équivoque, elle ne doit laisser aucun refuge à l’erreur.

Quoiqu’en attachant son nom à un théorème devenu classique, Rolle ait acquis parmi les écoliers une sorte de notoriété de hasard, sa passion pour la science, qui fut constante et sincère, était satisfaite à bien peu de frais. Ancien maître d’écriture et de calcul, il s’était instruit seul. En pénétrant avec ardeur dans la science des nombres, il rencontra l’algèbre et s’imagina avoir fait de merveilleux progrès.

Mais les théories plus élevées lui restèrent inaccessibles. Il les crut inexactes et traita de sophismes les méthodes qu’il ne comprenait pas. Infatigable à discuter et à écrire, c’est aux découvertes de Leibnitz et de Newton qu’il s’attaquait surtout avec une sorte de colère. Affectant de confondre ce que les inventeurs avaient soigneusement distingué, il prétendait par quelques exemples mal compris renverser l’analyse nouvelle. Sans entrer dans le détail et sans rien opposer à la vérité des démonstrations, il reprochait vaguement et mal à propos aux nouveaux calculs de supposer l’infini en le comprenant dans les résultats aussi fréquemment et aussi hardiment que le fini, et d’admettre des grandeurs infiniment petites qui cependant peuvent se résoudre en d’autres grandeurs infiniment plus petites, et ainsi de suite à l’infini. L’Hôpital jugea inutile de répondre, et laissa à Varignon tout le poids de la discussion qui franchit bientôt les bornes de l’Académie. Parmi les géomètres étrangers à la compagnie, Rolle trouva des adversaires aussi convaincus et moins patients, et Saurin, qui peu de temps après devait recevoir le titre d’associé, le combattit de toutes ses forces.

Joseph Saurin, moins célèbre par ses travaux scientifiques que par les vicissitudes de son existence, était fils d’un ministre protestant de Grenoble, dont il avait, fort jeune encore, voulu suivre la carrière. Orateur véhément et fort applaudi dans son parti, Saurin s’était compromis par trop de hardiesse, et plusieurs années avant la révocation de l’édit de Nantes, il avait dû se réfugier en Suisse. Il y fut reçu avec grande distinction et obtint une cure considérable dans le bailliage d’Yverdun; mais Saurin n’était pas calviniste, sa doctrine sur la grâce était celle de Luther. On était justifié, suivant lui, dès qu’on croyait l’être avec certitude, et sans cette certitude il n’y avait pas de salut. Les théologiens calvinistes obtinrent, sur cette question et sur quelques autres, un formulaire que les ministres furent obligés de signer sous peine d’être exclus de toute fonction lucrative. Les Français réfugiés s’y refusèrent d’abord; mais le premier emportement se calma peu à peu, et tous les jours il s’en détachait quelqu’un qui, cédant à la nécessité, se résignait à signer; Saurin ne fut pas de ce nombre, et sans refuser avec éclat, il éluda la signature, dit Fontenelle, par toutes les chicanes à peu près raisonnables qu’il put imaginer pour gagner du temps. Un ami cependant arrangea tout par une signature qu’il avait le droit de donner et dont on se contenta. Saurin, rassuré sur sa position, s’allia peu de temps après en épousant Mlle de Crouzas, à une des premières familles du pays. Toujours imprudent, il se compromit de nouveau par ses sermons, et les persécutions le menacèrent une troisième fois. Ses dissentiments avec ses confrères firent naître des doutes dans son esprit; il demanda pour les éclaircir un entretien à Bossuet, qu’il ne connaissait pas. Les sauf-conduits nécessaires lui furent expédiés. Après de longues discussions, il se déclara satisfait sur tous les points, et abjura sans contrainte, mais non sans espérance, se faisant pour toujours de Bossuet un puissant et zélé protecteur. Mme Saurin, retirée alors dans sa famille, avait tout ignoré jusque-là; les inspirations qu’elle reçut d’abord étaient loin d’être favorables à son mari. La tendresse cependant finit par l’emporter, et après bien des luttes et des difficultés, qui amenèrent même des dangers sérieux et une détention dont on ne pouvait prévoir l’issue, Saurin, fort décrié en Suisse pour son apostasie, toujours protégé par Bossuet, put enfin s’établir à Paris en terminant par là cette période agitée de son existence, qu’il appelait plus tard le roman de sa vie.

Forcé de choisir une occupation, il se décida pour les mathématiques qui depuis longtemps l’attiraient; avant même d’y être de première force, il commença à les enseigner. C’est au milieu de ses études et dans l’ardeur d’une initiation toute récente qu’il rencontra les objections de Rolle et tint à honneur d’y répondre; la lutte entre eux ne fut pas courtoise, et si l’avantage reste à Saurin qui défendait la bonne cause, la vivacité de ses attaques put servir d’excuse à l’aigreur de son adversaire. Las enfin de lutter contre des objections sans cesse renaissantes, il s’adressa à l’Académie pour lui demander une décision, déclarant que, si elle ne jugeait pas dans un certain temps, il tiendrait M. Rolle pour condamné, puisque toute la faveur de la compagnie devait être pour lui. Mais l’Académie, plus préoccupée de la forme que du fond, blâma également les deux adversaires, en rappelant M. Rolle aux statuts de l’Académie dont il avait l’honneur d’être membre, et M. Saurin à son propre cœur. Peu de temps après cependant, Saurin était nommé membre associé de l’Académie. Ses nombreux mémoires, insérés de 1707 à 1731, montrent, avec la connaissance des mathématiques pures, la préoccupation constante de faire triompher les théories physiques de Descartes. Les tourbillons étaient pour lui une réalité et l’attraction newtonienne une chimère. En abandonnant les traces du maître, c’est Descartes qu’il voulait dire, on se trouvait, suivant lui, replongé dans les anciennes ténèbres du péripatétisme, dont il conjurait le ciel de nous préserver. «On entend assez, dit Fontenelle, qui rapporte cette phrase, qu’il parle des attractions newtoniennes; eût-on cru, ajoute-t-il, qu’il fallût jamais prier le ciel de préserver des Français d’une prévention trop favorable pour un système incompréhensible, eux qui aiment tant la clarté, et pour un système né en pays étranger, eux qu’on accuse tant de ne goûter que ce qui leur appartient.»

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
01 ağustos 2017
Hacim:
370 s. 1 illüstrasyon
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Public Domain
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