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Kitabı oku: «L'Académie des sciences et les académiciens de 1666 à 1793», sayfa 10

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M. d’Alembert a lu l’écrit suivant:

«L’Académie nous ayant fait l’honneur de nous nommer commissaires du prix, MM. Cassini, Lemonnier, de Condorcet, l’abbé Bossut et moi, nous avons une proposition à lui faire que nous désirons fort de voir acceptée, parce qu’elle a pour objet le bien et le progrès des sciences.

«Les cinq commissaires du prix ont, comme on sait, un honoraire très-modique pour chacun d’eux, puisqu’il n’est que de 125 francs une année et de 175 francs l’autre; ces honoraires réunis forment en deux ans une somme de 1,500 francs; nous proposons de nous désister de ce très-modique honoraire et nous invitons nos confrères, qui sans doute penseront comme nous, à s’en désister de même pour l’avenir; il suffirait pour cela que chaque académicien voulût bien y renoncer dès ce moment, ou peut-être même qu’il n’y eût sur cet objet aucune réclamation, comme nous avons lieu de le croire. En ce cas, nous proposons d’employer tous les deux ans la somme de 1,500 francs, qui proviendrait de cette renonciation, à un prix de physique qui serait proposé par l’Académie. Nous disons à un prix de physique, parce que le sujet du prix annuel ordinaire étant presque toujours de mathématiques ou physico-mathématique, les classes de physique de l’Académie, c’est-à-dire les trois classes d’anatomie, de chimie et de botanique partageraient avec les classes de mathématiques l’avantage d’avoir aussi un sujet de prix à proposer qui pourrait aussi avoir pour objet ces différentes sciences.

«Un autre somme, qui est aussi de ’,500 francs en deux ans, est affectée au secrétariat de l’Académie par l’institution du prix. Cette somme a été accordée à M. de Fouchy, comme un dédommagement nécessaire des sacrifices qu’il a faits par sa retraite et comme la récompense très-juste de ses services.

«M. le marquis de Condorcet, secrétaire actuel, déclare qu’il renonce dès à présent au droit qu’il pourrait avoir un jour sur cette somme, qui servirait alors à augmenter ou doubler ce prix que nous proposons.»

Sans être aussi versé que Condorcet dans la théorie des probabilités, chacun pouvait comprendre que l’importance de sa renonciation dépendait de la vie probable du vieux Grand-Jean Fouchy, et il eût été de meilleur goût de ne pas provoquer aussi nettement à en faire le calcul.

Les propositions cependant furent adoptées à l’unanimité.

Indépendamment de ces institutions régulières, l’Académie reçut à plusieurs reprises, tant des particuliers que du gouvernement, des sommes parfois considérables destinées à encourager l’étude d’une question désignée. Sans rechercher exactement toutes celles qui furent successivement offertes et acceptées, citons seulement quelques-unes des donations les plus remarquables:

D’Alembert, en 1758, apporta à l’Académie, de la part d’un donateur anonyme, une somme de 500 livres destinée à l’auteur du meilleur travail sur la fabrication du verre, dont la savante compagnie était priée d’accepter le jugement, afin que l’honneur de recevoir le prix de ses mains lui donnât une valeur capable d’exciter les bons esprits à le mériter.

Déjà, sans se nommer, un membre de l’Académie avait proposé un prix de 1,200 livres à qui trouverait le moyen de fabriquer sûrement des pièces de flint-glass sans défaut, propres à la construction des lentilles achromatiques.

En 1766, un citoyen zélé pour l’utilité publique consigna au trésorier de l’Académie une somme de 1,000 livres, qui fut doublée l’année suivante, pour l’auteur du meilleur travail sur la manière d’éclairer une grande ville pendant la nuit. Le prix fut partagé entre trois concurrents: Lavoisier, dont le mémoire a été récemment publié, concourut et obtint une médaille d’or. L’Académie, fidèle observatrice des conditions du concours, laissa les noms des autres concurrents sous les plis cachetés qui les renferment encore aujourd’hui.

Plusieurs particuliers de la ville d’Amiens proposèrent, en 1776, un prix de 1,200 livres pour l’auteur du meilleur ouvrage sur la teinture. L’Académie, jugeant sagement la question trop étendue, n’accepta la mission qu’en réduisant le programme à l’étude et à l’analyse de l’indigo.

Le sujet proposé fut une autre fois complétement refusé par l’Académie.

Le prix de 500 livres, dont La Condamine avait voulu faire les frais, roulait sur deux questions proposées et publiées à l’avance par les journaux, sans que l’Académie eût été consultée; l’une d’elles était puérile et fut cause du refus. On demande, disait le programme, les véritables causes des différences qu’on observe dans les diverses espèces d’animaux entre les mâles et les femelles, surtout par rapport au poil et à la plume parmi les quadrupèdes et les oiseaux. Mais la seconde question, réellement belle et importante, pouvait hâter les progrès de la science et faire honneur à l’Académie.

Le roi lui-même, à plusieurs reprises, fit paraître son estime pour l’Académie, en la chargeant de décerner des prix considérables sur des questions dont la solution importait au bien public.

Citons entre beaucoup d’autres:

Un prix de 2,400 livres, proposé en 1774, pour être décerné à l’artiste qui présentera les instruments mathématiques les plus parfaits.

Un prix de 12,000 livres, à partager inégalement entre ceux des concurrents qui auront proposé la meilleure manière de rétablir ou de perfectionner la machine de Marly.

Un prix de 4,000 livres, porté à 8,000, puis à 12,000, à qui trouvera le moyen d’accroître, en France, la récolte du salpêtre, et de dispenser surtout des recherches que les salpêtriers ont le droit de faire dans les caves des particuliers.

De telles récompenses, considérables pour l’époque, accroissaient l’importance de l’Académie qui, prudente et digne en toute circonstance, sut, par sa constante impartialité, ajouter à la valeur de ses prix l’honneur envié de tous d’être distingué par elle.

II.
LES ACADÉMICIENS

LES SECRÉTAIRES PERPÉTUELS

Le premier secrétaire de l’Académie fut un modeste et savant ecclésiastique choisi par Colbert à cause de sa belle latinité et habile à exposer les opinions récentes ou anciennes qu’il aimait à connaître plus encore qu’à juger. Le rôle de Duhamel dans l’Académie fut presque borné à la rédaction des procès-verbaux résumés vers la fin de sa vie sous le titre de Regiæ scienciarum Academiæ Historia dans un ouvrage intéressant qu’une traduction élégante de Fontenelle devait bientôt condamner à l’oubli.

Lorsque l’organisation nouvelle de l’Académie lui imposa le devoir de la représenter chaque année dans les séances publiques et solennelles, Duhamel se hâta de résigner ses fonctions à celui que depuis longtemps déjà il avait choisi pour aide et pour successeur. Duhamel a donné Fontenelle à l’Académie, c’est un titre à sa reconnaissance.

Prolixe et disert sans être fécond, Duhamel a écrit un grand nombre de volumes que l’historien des sciences, aussi bien que celui de la philosophie, peut sans injustice passer sous silence. Duhamel, en effet, expose les idées d’autrui, non les siennes; sur aucun sujet il n’a été inventeur ou novateur, mais il avait beaucoup lu et bien lu. Soigneux de s’enquérir de toutes les opinions, il analyse les sentiments de chaque philosophe, et sans se soumettre à aucune école, les apprécie toujours avec liberté, parfois avec bon sens. Aristote est le guide qu’il préfère, il ne s’en cache pas, mais il admet le progrès. Galilée, Descartes et Bacon sont cités plus d’une fois avec ses savants confrères de l’Académie, Huyghens, Cassini et Mariotte, dans son livre un instant célèbre: Philosophia vetus et nova.

Lorsque le maître de philosophie énumère à M. Jourdain les trois opérations de l’esprit: la première, la seconde et la troisième, en lui apprenant que la première est de bien concevoir, la seconde de bien juger par le moyen des catégories et la troisième de bien tirer les conséquences par le moyen des figures, c’est le traité de Duhamel qu’il commence à lui enseigner. De telles distinctions ne sont plus pour nous qu’un vain et ridicule jeu de paroles; on y voit cependant avec intérêt de quelles entraves, quarante ans après la mort de Descartes, l’esprit humain restait embarrassé, et l’on en salue avec plus de respect encore la méthode réellement scientifique, qui dès le début dirige invariablement les recherches, même les moins heureuses, de l’académie nouvelle. Le livre de Duhamel dicté pendant longtemps dans les écoles était lui-même un grand progrès sur la dialectique du moyen âge. Les questions y sont posées avec clarté; l’expérience, quand elle intervient, est acceptée comme un juge sans appel, et jamais un texte n’y est opposé à une raison. Non content d’étudier les phénomènes, Duhamel veut malheureusement en pénétrer le premier principe, et au milieu des rêveries qui y occupent la plus grande place, la science véritable, dans son livre, semble étouffée et cachée à la fois au métaphysicien peu curieux des faits qu’il accorde avec tous les systèmes, et au lecteur moderne, impatient des vagues subtilités qui en semblent inséparables.

Deux fois par an le secrétaire de l’Académie devait, dans une séance publique, prononcer l’éloge des académiciens morts depuis la dernière réunion. Les éloges furent composés d’abord par Fontenelle avec un inimitable talent et une exactitude relative, qui, malgré quelques concessions aux convenances et aux nécessités du genre, a rarement été surpassée dans les écrits analogues. Fontenelle ne fut jamais fort savant. Neveu des deux Corneille, dont sa mère était sœur, il voulut d’abord imiter ses oncles et composer des tragédies dont l’insuccès fut complet; son esprit juste et sans passion comprit la leçon et s’y résigna; jamais auteur en effet ne sembla moins né pour la scène tragique.

Les lettrés se passionnaient alors pour ou contre la supériorité des anciens sur les modernes. Fontenelle, dans un ouvrage où il faisait parler quelques morts illustres de l’antiquité, se rangea sans grand bruit, mais très-clairement pourtant, dans le camp de leurs adversaires. Ésope s’adressant à Homère lui reproche l’invraisemblance de ses poëmes et reçoit cette réponse singulièrement placée dans la bouche du plus vrai des poëtes: «Vous vous imaginez que l’esprit humain ne cherche que le vrai; détrompez-vous, l’esprit humain et le faux sympathisent extrêmement.» Le nom que ses premiers essais lui avaient acquis fut grandi jusqu’à la célébrité par l’ouvrage resté justement classique qu’il publia deux ans après sur la Pluralité des mondes. Malgré les hérésies scientifiques que doit nécessairement contenir l’œuvre astronomique d’un disciple de Descartes, cet ouvrage donne dans un style excellent, avec l’ingénieuse finesse dont le nom de Fontenelle éveille le souvenir, une exposition très-exacte et très-claire des traits les plus saillants du système du monde. Le spirituel causeur, fort à l’aise d’ailleurs avec la science, rêve souvent plus encore qu’il n’enseigne.

«Il ne faut réserver, dit-il, qu’une moitié de son esprit aux choses de cette espèce et en réserver une autre moitié libre où le contraire puisse être admis.» Tel est, en effet, l’état dans lequel les œuvres scientifiques qu’il devait exposer plus tard laissèrent constamment l’esprit de Fontenelle. Croyant tout incertain, il croit tout possible. Sous la modestie du savant qui sait ce qu’il ignore, suspend son jugement et ne craint pas d’en faire l’aveu, on voit percer le secret orgueil du philosophe qui marque son indépendance. Toujours clair et jamais lumineux, ses affirmations, quand il ose en faire, ne sont ni vives ni pressantes; il ne connaît pas l’enthousiasme et loue presque du même ton l’excellent et le médiocre; non qu’il cherche à grandir outre mesure les petites choses, mais il ne prise pas toujours assez haut les grandes, et l’éternel sourire qu’il promène avec grâce sur la science s’adresse moins aux grandes vérités qu’il contemple, qu’aux fines pensées dont elles sont l’occasion et aux ingénieux rapprochements qu’il croit, à force d’art, rendre naturels et simples. Sceptique d’ailleurs avec parti pris, sous la force des plus grands génies, il se plaît à montrer la faiblesse de l’esprit humain, et s’il lui arrive de dire d’une théorie: cela est quelque chose de plus que vraisemblable, il atteint ces jours-là la limite de son dogmatisme.

Fontenelle, dans ses Éloges, semble s’imposer la loi de n’être ni profond ni sublime; son âme, qui ne s’échauffe jamais, n’a pas pour cela grand effort à faire, et sans s’étonner des plus grandes conquêtes de la science, il les raconte du même ton dégagé dont il expose les systèmes les plus arbitraires. Ami des études faciles il cache habilement qu’il en existe d’autres; il montre ceux qu’il peint plus dignes d’estime que d’admiration, en en faisant d’honnêtes gens qu’il réduit à leur juste grandeur et non des héros inimitables et plus grands que nature. Sa voix qui ne s’enfle jamais s’élève quelquefois, mais un doute finement exprimé ou une locution familière font alors reparaître bien vite son accent habituel.

On a le droit de se demander si Fontenelle a toujours eu la pleine compréhension des découvertes qui, sous sa plume, semblent si simples, et s’il a pénétré jusqu’au fond des théories si variées qu’il effleure avec tant d’aisance. Après avoir relu ses Éloges et une grande partie des mémoires qu’il y loue, j’oserai sur ce point dire franchement mon opinion: Fontenelle sans tout savoir pouvait tout comprendre. Il connaissait, sans s’y soumettre toujours, les règles d’un raisonnement exact et sévère. Interprète de tous ses confrères, il entend la langue de chacun et sait la parler avec esprit. Il peut soulever, sans être accablé sous leur poids, les théories les plus élevées, et suivre jusqu’au bout, dans un sérieux examen, l’enchaînement des déductions les plus subtiles; mais une telle application n’était ni dans ses goûts ni dans ses habitudes, et l’on peut, dans ses Éloges, relever plus d’une page où son style, habituellement si précis et si juste, devient inexact et obscur sans être jamais négligé, en trahissant plus encore le vague et la confusion des idées que l’incertitude et la réserve de l’esprit.

Si Fontenelle d’ailleurs pouvait comprendre toutes les découvertes, sa science n’était pas assez assurée pour en embrasser toute l’étendue, tirer de son fonds un jugement sur leur importance, peser dans une juste balance le vrai et le faux d’une théorie, et prononcer avec discernement sur le degré de vraisemblance d’un système. Une telle entreprise, étendue à l’immense variété des sujets qu’il aborde, serait d’ailleurs trop périlleuse même pour les plus habiles, et elle n’était pas dans son rôle.

Fontenelle n’eut donc pas dans la science assez d’autorité personnelle pour y prendre le rôle d’historien et de juge. Il en a été l’incomparable nouvelliste. Nul mieux que lui n’a su indiquer les vérités scientifiques sans les expliquer méthodiquement, et en les rendant accessibles à tous il a grandement contribué à la célébrité sinon à la gloire de l’Académie. Prêtant aux travaux de ses confrères la finesse de ses aperçus et la vivacité ingénieuse de son style, il a su dans leurs portraits qui sont des chefs-d’œuvre, plus encore que dans l’analyse de leurs découvertes, donner aux plus humbles et aux plus obscurs une célébrité imprévue et durable, et le juste et sérieux hommage qu’il rend au vrai mérite fait aimer et respecter tout à la fois les savants et la science, car l’admiration s’accepte aisément de la bouche d’un homme de tant d’esprit, qui ne l’impose jamais et la tempère par de si fins sourires.

Le style ingénieux de Fontenelle se retrouve avec toute son élégance dans les analyses annuelles des travaux de l’Académie, jusqu’en 1739. Mairan lui succéda dans cette charge de premier ministre de la philosophie, comme l’appelait Voltaire, qui la désira un instant et l’aurait portée sans fatigue.

Né à Béziers en 1678, Mairan fut nourri aux lettres dès son enfance; on citait son savoir précoce et la vivacité de son esprit. Versé dans les langues anciennes et habile à discourir sur tous les sujets, il concourut trois années de suite pour le prix de l’Académie de Bordeaux et fut trois fois couronné. L’Académie l’adoptant alors comme membre titulaire motiva gracieusement son choix sur le désir d’écarter de ses concours, en le plaçant parmi les juges, un jouteur tel que lui.

L’Académie des sciences de Paris, par une distinction jusque-là unique et que n’obtinrent depuis ni Réaumur, ni Buffon, ni Clairaut, ni d’Alembert, ni Laplace, ni Lavoisier, ni Haüy, ni Laurent de Jussieu, le nomma peu après pensionnaire sans qu’il eût été associé ou adjoint. L’Académie française enfin l’élut en 1743, à la place de Saint-Aulaire.

Les ouvrages fort nombreux de Mairan ne justifient ni ses succès, ni le titre d’illustre que les journaux du temps lui décernent à toute occasion. Attaché en physique aux idées de Descartes, et fidèle à la doctrine des tourbillons, Mairan, de même que Fontenelle, demeura toujours ferme à repousser l’attraction. Généralisant la théorie des couleurs, il voulait que les rayons sonores plus ou moins graves fussent propagés simultanément par des molécules de nature diverse, à chaque note de la gamme correspondant dans l’atmosphère un fluide spécial uniquement propre à la transmettre et que les autres peuvent battre vainement sans l’ébranler.

Voltaire, dans le Dictionnaire philosophique, admet cette théorie comme la seule qui puisse faire concevoir la propagation du son dans l’air, et par une déduction difficile à saisir, en conclut que l’air n’existe pas, et l’affirme par une coïncidence malheureuse au moment même où Priestley et Lavoisier en faisaient l’analyse.

Mairan ne prétendait cependant, dit Fontenelle, donner en cela que des conjectures, mais c’est beaucoup en pareille matière, ajoutait-il, que des conjectures heureuses. Il est malheureusement difficile d’accorder ce nom à ces rêveries sans consistance qui, sans rien fonder ni rien résoudre, et n’ayant pu faire l’objet d’aucune étude sérieuse, n’ont pas vécu un seul instant dans la science.

Mairan, dans un autre travail, recherche la raison pour laquelle les jours d’été sont plus chauds que ceux d’hiver. Suivant ses calculs plus que douteux, le soleil à midi envoie dix-sept fois plus de chaleur en juillet qu’en décembre. Le thermomètre dément ses prévisions sans le troubler un instant, et il en conclut hardiment qu’un feu central permanent joue dans le phénomène le rôle principal. «Trop éloigné des montagnes, le feu n’échauffe pas leurs sommets, dont les neiges perpétuelles sont par là expliquées.»

Mairan, qui ne s’effrayait d’aucun problème, a écrit sur la question des forces vives, sur la figure de la terre, sur les aurores boréales, sur la formation de la glace, sur le mouvement de la lune, etc. Son esprit superficiel, mais audacieux et flexible, s’étend et se partage entre les études les plus diverses. Donnant un libre essor à sa curiosité, il effleure avec une perpétuelle inconstance toutes les sciences à la fois, et son imagination hardie mais stérile, en croyant soulever les voiles les plus secrets, s’agite sans rien produire et sans rien féconder.

Laborieux et actif jusqu’à la plus extrême vieillesse, Mairan vit le respect sincère d’une génération nouvelle succéder aux applaudissements qui avaient salué sa jeunesse. Homme d’esprit sinon de grand jugement et de génie, il se faisait aimer, admirer quelquefois, des plus honnêtes gens de son époque, et il n’est pas un savant dont ses contemporains aient dit plus de bien et plus hautement. Il faut tenir grand compte d’un témoignage aussi unanime, en n’oubliant pas que si les théories de Mairan nous semblent ridicules aujourd’hui, c’est que les progrès de la science, en démentant toutes ses hypothèses, ont ruiné tous ses raisonnements. Voltaire, à qui les louanges, il est vrai, ne coûtent guère, a écrit de Mairan: «Il me semble avoir en profondeur ce que Fontenelle avait en superficie.» Il serait plus exact de dire que dans toute sa carrière, désireux de continuer son illustre et aimable prédécesseur, et le prenant constamment pour modèle, Mairan, sans l’égaler jamais, savait dans ses écrits comme dans sa conversation que l’on trouvait charmante, rappeler parfois son souvenir. Plus entêté de la science, mais non plus passionné pour elle, il se montre inférieur en cela surtout, qu’en effleurant comme lui toutes les vérités il croyait en pénétrer le fond et en voir l’enchaînement véritable, et tandis que le sceptique et prudent Fontenelle, satisfait d’ignorer le principe et la fin des choses, n’en dissertait que plus à l’aise, toujours tranquille dans son doute universel, l’illustre et présomptueux Mairan, non moins tranquille à ses côtés, croyait y reposer dans la vérité.

Mairan fut secrétaire de l’Académie pendant trois ans seulement. Grandjean de Fouchy lui succéda en 1743, et cet honneur combla son ambition. L’exacte précision de ses analyses et la froide sagesse de ses Éloges auraient pu satisfaire, sinon charmer, un auditoire moins rempli du souvenir de Fontenelle, et Grimm semble non-seulement sévère mais injuste quand il dit:

«Les assemblées publiques de l’Académie sont destinées aux éloges des académiciens décédés dans le cours du semestre et à la lecture de quelques mémoires peu amusants, souvent peu instructifs; c’est l’ennui qui y préside ordinairement. On dirait que le membre de l’Académie qui fait les éloges est à ses gages.»

Les éloges de de Fouchy sont loin cependant d’être méprisables. Il expose les découvertes de ses confrères avec assez d’exactitude et de clarté pour faire désirer de les voir dans un plus grand jour, et sans trouver toujours le trait caractéristique de chaque esprit, il se fait écouter comme un témoin précieux, souvent unique aujourd’hui, de plus d’un caractère honorable et élevé dans une vie modeste et utile.

Grandjean de Fouchy, malgré son extrême modestie, exerça dignement et avec fermeté, pendant plus de trente ans, les laborieuses et délicates fonctions de secrétaire. Toujours vigilant et actif, exactement soumis à la règle et soigneux de l’imposer à tous, il savait exiger des plus illustres comme des plus humbles les égards et la courtoisie que son affable confraternité accordait indistinctement à tous.

On lit au procès-verbal du 7 décembre 1756:

«M. d’Alembert s’étant plaint que, dans l’histoire de 1752, je n’avais fait qu’une simple mention de son ouvrage intitulé: Essai d’une théorie nouvelle de la résistance des fluides; et ayant demandé que l’Académie m’obligeât à faire l’extrait dans l’histoire de 1753, j’ai répondu que j’avais agi en ce point conformément à la délibération du comité de librairie que j’avais consulté sur ce sujet et que voici telle qu’elle se trouve au registre du comité: «J’ai demandé si le secrétaire de l’Académie était obligé de faire dans l’histoire l’extrait de l’ouvrage d’un académicien qui s’est contenté d’en mettre un exemplaire dans la bibliothèque sans lui faire la politesse de lui en donner un; j’ai représenté qu’il était injuste à plusieurs égards et souvent impossible à lui d’y satisfaire; sur quoi il a été décidé que le secrétaire n’était tenu, dans ce cas, qu’à une simple mention sans aucun extrait.»

«La chose ayant été discutée, il a été dit que je ne pouvais être contraint à faire l’extrait demandé et que l’on ne pouvait que m’y exhorter; à quoi j’ai répondu qu’il me suffisait que l’extrait en question parût faire plaisir à l’Académie pour que je le fisse, mais que ce serait uniquement pour lui marquer mon attachement et sans préjudice au droit qu’a le secrétaire de faire ou de ne pas faire l’extrait d’un ouvrage, selon qu’il le juge à propos; suppliant l’Académie de recevoir la déclaration que je faisais que cet ouvrage serait le dernier dans ce cas dont je ferais l’extrait, me proposant de n’en faire dans la suite aucun de ceux dont les auteurs auraient manqué à un devoir de politesse consacré par un usage non interrompu jusqu’à présent et duquel je dois être d’autant plus jaloux, que je le regarde comme une marque de l’estime et de l’amitié de mes confrères.»

D’Alembert, on le voit, n’aimait pas Grandjean de Fouchy. C’est cependant l’ami dévoué, l’admirateur de d’Alembert, et son protégé en toute circonstance, que Grandjean de Fouchy voulut associer à ses travaux pour lui assurer sa succession. Une portion considérable de l’Académie, Buffon et ses amis entre autres, auraient préféré Bailly pour secrétaire; on s’arrangea pour ne pas les consulter.

Dans le dessein qu’il avait depuis longtemps de briguer ces importantes fonctions, Condorcet, pour s’y préparer et s’en montrer digne, avait complété la série des éloges de Fontenelle en publiant ceux des membres de l’ancienne Académie morts avant 1699. D’Alembert, en proposant l’approbation à l’Académie et l’autorisation d’imprimer sous son privilége, en avait dit:

«Cet ouvrage servira à faire connaître par de nouveaux exemples combien les sciences sont utiles et respectables; il est d’ailleurs écrit avec le goût sage et l’élégance noble qui doit faire le caractère des éloges académiques, les matières les plus difficiles y sont exposées avec toute la clarté dont elles sont susceptibles, et les réflexions philosophiques que l’auteur a jointes à cet exposé précis et fidèle donnent à l’ensemble tout l’intérêt qu’on peut y désirer. Nous croyons en conséquence que cet ouvrage est très-digne de l’impression et qu’il mérite non-seulement l’approbation de l’Académie, mais la reconnaissance de ceux qui s’intéressent au progrès des sciences.»

Quelques semaines après, le 27 février 1773, le duc de la Vrillière écrivit à l’Académie:

«M. de Fouchy, secrétaire de l’Académie depuis trente ans, désire d’avoir un adjoint qui puisse le seconder dans ses travaux actuels, se mettre au fait sous ses yeux des difficultés de détail qui concernent l’Académie et lui succéder un jour dans cette place. J’ai mis sous les yeux du Roi la lettre que M. de Fouchy m’a écrite sur cet objet, il paraît juste à Sa Majesté de ne donner, pour adjoint au titulaire d’une place, qu’une personne qui lui convienne, et les longs services de M. de Fouchy semblent mériter tous les égards possibles à ce qu’il peut désirer par rapport à cette adjonction; il a jeté les yeux sur M. le marquis de Condorcet, associé mécanicien, dont il a déjà éprouvé les talents en lui confiant quelques articles de l’histoire de l’Académie, qu’on imprime actuellement et dont il connaît d’ailleurs le caractère doux et impartial, nécessaire au secrétaire d’une société savante; d’ailleurs le choix de M. de Fouchy paraît confirmé par la réputation que les ouvrages de M. de Condorcet lui ont faite dans l’Europe littéraire et par le suffrage unanime que le public a accordé aux éloges de plusieurs anciens académiciens que M. le marquis de Condorcet vient de faire paraître. Le Roi a donc jugé, Monsieur, et d’après les desseins de M. de Fouchy et d’après la connaissance qu’il a lui-même du mérite de M. de Condorcet, qu’il est propre à remplir la place dont il s’agit; cependant comme Sa Majesté désire d’avoir sur cet objet l’avis de l’Académie, elle lui ordonne de délibérer à huitaine si M. de Condorcet est en effet capable de cette place.

«Comme l’affaire dont il est question intéresse le secrétaire, c’est à vous, Monsieur, et non à lui que Sa Majesté m’a ordonné d’adresser cette lettre.»

Sur quoi il a été résolu de faire des observations à M. de la Vrillière, et M. Leroy a lu un projet de lettre qui fut approuvé. La copie de ce projet manque au procès-verbal, ainsi qu’une lettre adressée par Condorcet à ses confrères qui, dans la séance suivante, délibérant sur sa capacité, émirent un vote où Condorcet voulut voir l’expression libre et spontanée de leur choix.

Trois ans après cependant, lorsque Grandjean de Fouchy quitta définitivement ses fonctions, Condorcet, un peu tardivement scrupuleux, déclina par écrit toute prétention à réclamer sa place comme un droit acquis.

Après la lecture de sa lettre, il a prié l’Académie, dit le procès-verbal, d’engager M. Amelot à faire ordonner par le Roi qu’il soit procédé à l’élection pure et simple, sans avoir égard à son adjonction, et «j’ai été chargé, dit Grandjean de Fouchy, d’enregistrer l’écrit qu’il avait lu, qu’elle a cru devoir conserver comme un témoignage de l’attachement et de l’honnêteté de M. de Condorcet.» La lutte dans ces circonstances était évidemment impossible et la candidature de Bailly ne fut pas même produite.

Les écrits mathématiques de Condorcet doivent être lus avec précaution; quels qu’aient été pour eux les suffrages et les applaudissements des contemporains les plus illustres, la postérité impartiale et sympathique à sa mémoire conserve cependant le droit de les juger. Aucun d’eux ne s’élève au-dessus du médiocre, presque complétement oubliés aujourd’hui ils prouvent seulement, avec l’ouverture de son esprit, la solidité de ses premières études.

L’ouvrage de Condorcet sur la Probabilité des jugements a seul conservé quelque célébrité. Laplace, Poisson et plus récemment M. Cournot se sont hasardés après lui sur ce terrain, le plus glissant peut-être où puisse se placer un géomètre, et ni le génie de l’un ni l’habileté des autres ne leur a permis de s’y établir solidement.

Lorsqu’une urne contient des boules blanches et des boules noires en nombre et en proportion connus, on peut aisément calculer quelle est, dans un nombre donné de tirages, la probabilité d’obtenir un résultat désigné à l’avance. Par des principes moins évidents mais tout aussi certains, le résultat observé du tirage révèle la composition probable de l’urne et les chances d’erreurs diminuent indéfiniment quand on accroît le nombre des épreuves. Si l’on a vu par exemple, sur trois millions de tirages, une urne qui contient trois boules donner 2,000,175 fois une boule blanche et 999,825 fois une noire, il est extrêmement probable, certain pour ainsi dire, que deux des boules sont blanches et la troisième noire.

Pour Condorcet, chaque tribunal est assimilé à une telle urne dont les boules blanches ou noires représentent les jugements équitables ou iniques.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
01 ağustos 2017
Hacim:
370 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain