Kitabı oku: «L'Académie des sciences et les académiciens de 1666 à 1793», sayfa 15
LES MÉCANICIENS ET LES PHYSICIENS
D’Alembert et Clairaut seront illustres à jamais dans l’histoire de la mécanique; mais, préoccupés seulement des principes et des grandes lois de la science, ils ont négligé et ignoré peut-être les secrets plus nombreux et non moins délicats des applications pratiques et du détail des mécanismes. D’autres académiciens, inventeurs d’un autre genre et différemment ingénieux, représentèrent constamment cette branche de la science à laquelle, dès les premières années de l’Académie, s’appliquèrent Perraut et de Lahire.
Amontons, nommé élève à l’âge de quarante ans, et demeuré tel jusqu’à sa mort, devait contribuer, par l’éclat de ses découvertes, à faire abolir ce titre qui, en 1716, par une décision du Régent, fut remplacé par celui d’adjoint. Amontons fut en effet, pendant sa courte carrière, un des académiciens les plus actifs, et il sut se placer par l’importance des travaux accomplis, comme par la grandeur de ceux qu’il méditait, au nombre des plus considérables. Très-curieux de toutes les combinaisons mécaniques, et affligé d’une surdité presque complète qui, en le séquestrant du commerce des hommes, le laissait tout entier à ses pensées, il avait commencé bien jeune encore par chercher le mouvement perpétuel; il apprit, en y travaillant, les principes qui en démontrent l’impossibilité, et ne tarda pas à étudier sérieusement toutes les sciences spéculatives et expérimentales. Ses premières relations avec l’Académie datent de l’année 1684; âgé alors de vingt-quatre ans, il lui présenta un nouvel hygromètre qui fut approuvé. Il proposa plus tard un thermomètre et une clepsydre d’une construction compliquée et dont le principe n’avait rien de nouveau. Ses travaux les plus importants sont postérieurs à sa nomination comme élève.
Amontons avait eu, après Huyghens et Papin, l’idée d’emprunter à l’action du feu la force motrice des machines. «On aurait, disait-il, l’avantage de pouvoir cesser et interrompre le travail quand on veut, sans demeurer chargé du soin et de la nourriture des chevaux et de n’en pas supporter la perte et le dépérissement.» Huyghens proposait d’employer la force de la poudre, et Papin faisait agir la vapeur d’eau. Amontons eut recours à la force élastique de l’air échauffé, dont les lois alors très-nouvelles furent, en partie au moins, énoncées par lui sous une forme élégante et exacte. Il constata d’abord que la chaleur de l’eau bouillante peut accroître la tension de l’air jusqu’à un certain degré, qui ne peut ensuite être dépassé; il en conclut que la température de l’ébullition est constante. C’était un fait considérable, dont l’étude devait avoir les plus importantes conséquences, mais qui, mal interprété d’abord, causa de grands embarras aux physiciens.
Amontons a observé, comme il est vrai, que l’accroissement de pression d’un volume donné d’air chauffé à la température de l’eau bouillante est proportionnel à la pression primitive, dont elle est environ le tiers. Cette loi est exacte, étendue à toutes les températures, et combinée avec celle de Mariotte, elle équivaudrait à la loi de la dilatation des gaz sous pression constante, démontrée de nos jours par les expériences plus exactes de Gay-Lussac et par celles de MM. Rudberg et Regnault.
Amontons utilise, dans sa machine, l’effort de l’air échauffé, pour élever de l’eau dont le poids fait ensuite tourner la roue. Pour examiner le travail que l’on peut ainsi produire, il commence par déterminer celui dont un cheval est capable, et qui est, suivant lui, une force de soixante livres développée avec une vitesse d’une lieue à l’heure. C’est d’après cette définition qu’il assigne à sa machine une force de dix chevaux, sans songer qu’une autre appréciation, celle du combustible consommé, serait indispensable pour en faire juger la valeur.
Amontons s’est occupé aussi de la théorie du frottement; il a trouvé que cette résistance est proportionnelle à la pression et indépendante de l’étendue des surfaces en contact. Il le prouvait par une expérience aussi simple qu’ingénieuse: que l’on place sur un même plan incliné différents corps de poids inégaux reposant sur des surfaces de même nature, mais d’étendue différente, si l’inclinaison du plan est faible, ils resteront tous immobiles; mais, que l’on vienne à l’accroître en abaissant le plan autour d’une charnière horizontale, comme on fait au couvercle d’un pupitre que l’on ferme, les corps grands ou petits, chargés ou non de poids étrangers, se mettront tout à coup et tous ensemble à glisser, surmontant en même temps la résistance du frottement, égale pour chacun d’eux, à cet instant, à la composante de la pesanteur qui les pousse et qui, proportionnelle à la pression, ne dépend en rien de l’étendue des surfaces. Cette loi si simple était contraire aux idées reçues par tous les mécaniciens. De Lahire l’accepta, et pour en donner une preuve plus nette encore, sinon plus certaine, il opéra, comme Coulomb devait le faire plus tard, sur de petits chariots inégalement chargés et entraînés le long d’un plan horizontal par l’intermédiaire d’une poulie et à l’aide d’un poids qui, lors du départ, se trouvait toujours exactement proportionnel à la pression. Malgré ces deux démonstrations, dont l’accord n’aurait dû lui laisser aucun doute, l’Académie ne fut pas convaincue, et Amontons ne réussit pas à satisfaire ses contradicteurs. Si l’on opère, lui disait-on, sur un grand nombre de feuilles de papier superposées horizontalement, et dont la dernière supporte un léger poids qui la presse sur les autres, on pourra, sans grand effort, retirer une des feuilles sans toucher aux autres en surmontant le frottement des feuilles voisines; mais, si l’on prend à la fois un grand nombre de feuilles non consécutives, on éprouvera, en voulant les retirer toutes ensemble, une résistance beaucoup plus grande; la pression, disait-on, est cependant toujours la même, et la surface totale sur laquelle elle s’exerce a seule changé. Quoique l’objection repose sur une assertion inexacte et que la pression totale, égale à la somme des pressions supportées par chaque feuille, croisse évidemment avec leur nombre, Amontons ne répondit pas très-nettement, et l’Académie, habituellement moins timide, laissa son excellent travail dans les procès-verbaux manuscrits, où il se trouve encore, sans lui accorder place dans les mémoires imprimés.
«Malgré toutes les preuves et les remarques de M. Amontons qui avaient, dit Fontenelle, dans le volume de 1703, mis son système dans un assez beau jour, nous sommes obligés d’avouer ici au public que l’Académie n’est pas pleinement persuadée; elle convenait bien que la pression était à considérer dans les frottements et souvent seule à considérer, mais elle n’en pouvait absolument exclure, comme M. Amontons, la considération des surfaces.» On voulut, ajoute Fontenelle, finement à son ordinaire, «pousser cette matière jusqu’à la métaphysique et aller chercher dans les premières notions ce qu’il en fallait penser.» La métaphysique, en pareille matière, est faite pour tout embrouiller et pour prouver tout ce qu’on veut. Ses conclusions, favorables à Amontons, ne persuadèrent pas, bien entendu, ceux que l’expérience n’avait pu convaincre.
Amontons enfin et c’est un titre considérable, a eu la première idée du télégraphe aérien; son invention, sur laquelle il n’a rien écrit, est racontée ainsi par Fontenelle:
«Peut-être ne prendra-t-on que pour un jeu d’esprit, mais du moins très-ingénieux, un moyen qu’il inventa de faire savoir tout ce qu’on voudrait à une très-grande distance, par exemple de Paris à Rome, en très-peu de temps, comme en trois ou quatre heures, et même sans que la nouvelle fût sue dans tout l’espace d’entre-deux.
«Cette proposition, si paradoxale et si chimérique en apparence, fut exécutée dans une petite étendue de pays, une fois en présence de Monseigneur et une autre en présence de Madame; le secret consistait à disposer dans plusieurs postes consécutifs des gens qui, par des lunettes de longue vue, ayant aperçu certains signaux du poste précédent, les transmissent au suivant, et toujours ainsi de suite; et ces différents signaux étaient autant de lettres d’un alphabet dont on n’avait le chiffre qu’à Paris et à Rome. La plus grande portée des lunettes faisait la distance des postes dont le nombre devait être le moindre qu’il fût possible; et comme le second poste faisait des signaux au troisième à mesure qu’il les voyait faire au premier, la nouvelle se trouvait portée de Paris à Rome, presque en aussi peu de temps qu’il en fallait pour faire les signaux à Paris.»
Le père Sébastien Truchet fut l’un des honoraires nommé en 1699. Son humble naissance et sa qualité de frère d’un ordre mendiant ne semblaient pas l’appeler à figurer dans cette classe réservée aux grands seigneurs, mais son génie pour la mécanique le rendait nécessaire à l’Académie. On lui avait donné, en le faisant membre honoraire, la seule place qu’il pût occuper, car le règlement, on ne sait trop dans quel but, interdisait l’entrée des sections aux religieux réguliers. C’est surtout dans la construction de machines curieuses, et en quelque sorte d’amusements mécaniques, que le génie créateur du père Sébastien fit paraître ses plus belles inventions. Son habileté dans l’horlogerie l’avait fait connaître de Colbert. Charles II d’Angleterre ayant envoyé à Louis XIV les deux premières montres à répétition que l’on eût vues en France, les ouvriers anglais, pour cacher le secret de leur construction, les avaient fermées sans laisser le moyen de les ouvrir; elles eurent besoin de réparation, et l’horloger du roi, craignant de les gâter, refusa de s’en charger, en indiquant un jeune homme de sa connaissance fort habile dans la mécanique, et qui serait peut-être plus hardi. C’était le père Sébastien, à qui les montres furent confiées; il les ouvrit en effet et les répara sans savoir à qui elles appartenaient. Colbert voulut le lui apprendre lui-même; il le fit mander un matin, et après lui avoir conseillé d’étudier l’hydraulique, dont les applications devenaient nécessaires à la magnificence du roi, il lui accorda une pension de 600 livres; la première année, suivant la coutume du temps, lui fut payée le même jour. Le père Sébastien, persuadé que la mécanique tient à toutes les sciences, ou pour parler mieux, que toutes les sciences sont unies, s’occupa de géométrie, d’anatomie et de chimie, et devint un digne membre de l’Académie des sciences, mais il n’écrivit rien sur ses inventions; content de les exécuter et toujours prêt à donner ses conseils chaque fois qu’on les lui demandait, il ne cessa jamais de s’appliquer aux combinaisons ingénieuses qui avaient pour lui tant de charmes, et fut même admis plusieurs fois à l’honneur de faire admirer au roi les amusantes merveilles de son génie inventif.
Le génie de Vaucanson ressemblait fort à celui du père Sébastien. Passionné pour les amusements mécaniques, il y appliqua avec un art accompli et une adresse jusque-là inconnue toutes les ressources de la science la plus exacte. Fécond dès son jeune âge en inventions de toute sorte, tout était pour lui occasion de construire des appareils mécaniques ou d’en perfectionner. Son ardeur, à peine réprimée un instant par la volonté paternelle, résista à la menace d’une lettre de cachet, et dès l’âge de vingt ans, rompant ouvertement toutes les entraves, il présentait à l’Académie son automate joueur de flûte.
La popularité rapidement acquise par les merveilleuses inutilités où s’était révélé son génie fut loin d’être accrue par de plus utiles et plus sérieux travaux. Vaucanson a perfectionné et étendu l’usage des machines à fabriquer la soie. Les ouvriers de Lyon, inquiets des conséquences de son invention, le poursuivirent un jour à coups de pierres. Sa vengeance fut ingénieuse et digne de lui. Consulté sur le maintien de certains priviléges justifiés, disait-on, par l’intelligence et l’habileté nécessaires aux ouvriers en soie, il montra pour réponse une machine avec laquelle un âne, quand on l’y attelait, avait l’industrie nécessaire pour fabriquer une étoffe aux plus riches dessins.
Passionné jusqu’à son dernier jour pour l’étude des machines, Vaucanson avait formé chez lui et à ses frais un véritable musée de mécanique qui, légué à l’État, a été l’origine et le premier fonds de la riche collection des arts et métiers.
Pitot-Delauney avait compris les vrais principes de la théorie des machines et savait les opposer avec décision aux inventeurs chimériques qui sollicitaient sans cesse l’approbation de l’Académie. Sans avoir pénétré les théories les plus difficiles de l’analyse, il avait acquis par ses lectures une instruction mathématique très-solide, sinon très-étendue, et ses recherches longtemps classiques sur les lois du mouvement des eaux et sur la résistance des fluides ont été considérées comme fondamentales. Pitot s’était instruit seul; absolument rebelle dans son enfance aux études littéraires, il avait réussi, malgré les soins de ses parents, à ne rien apprendre jusqu’à l’âge de vingt ans. Un livre de géométrie rencontré par hasard, et dont les figures piquèrent sa curiosité, lui révéla sa vocation. Il étudia les sciences avec ardeur, devint astronome et mécanicien, sut mériter l’estime et la protection de Réaumur, qui l’employa dans son laboratoire de chimie et dont l’influence lui fit obtenir à l’Académie une place d’adjoint pour la mécanique. De nombreux travaux insérés chaque année dans les recueils de l’Académie justifient pleinement ce choix, sans donner à la science un notable accroissement. Mais Pitot était un homme de pratique et d’action, et quand à l’âge de quarante-cinq ans, sur la lecture de l’un de ses mémoires, les états de Languedoc l’appelèrent à réaliser les projets qu’il y énonçait, Pitot se trouva tout à coup un ingénieur de premier ordre, dont les œuvres citées encore aujourd’hui sont montrées comme des modèles.
Perronnet a pris peu de part aux travaux de l’Académie des sciences. C’est ailleurs surtout que son nom est resté illustre et vénéré. Il fut le fondateur de l’école des ponts et chaussées, et le lien véritable entre les membres d’un corps dont l’esprit qu’il a inspiré lui a survécu sans s’affaiblir. Il apporta néanmoins à l’Académie, avec l’autorité de son nom, une force réelle dans l’étude des questions relatives aux travaux publics. Sous le titre de directeur du bureau des géographes et dessinateurs des plans, des grandes routes et chemins du royaume, Perronnet avait pris peu à peu la direction de tout le personnel subalterne des ponts et chaussées, en répandant dans tout le royaume, par des examens et des concours imposés à tous, l’esprit et les études de son école de Paris.
Les étudiants de province pouvaient alors, plus aisément qu’aujourd’hui, lutter sans désavantage contre les concurrents de Paris. On ne recevait pas à l’école des ponts et chaussées de leçons proprement dites; les élèves les plus habiles instruisaient les autres, et pour les y aider, Perronnet leur allouait la très-petite somme nécessaire pour payer un répétiteur choisi par eux, dont ils redisaient les leçons à leurs camarades.
Un membre honoraire de l’Académie, Trudaine, était alors le chef officiel du corps des ponts et chaussées. Les conférences qu’il institua chez lui devinrent peu à peu un conseil régulier. Perronnet, toujours occupé de son école, y trouva la meilleure occasion d’en vivifier l’enseignement, en chargeant les élèves de lire et de vérifier les projets des ingénieurs de province, et jugeant par leurs observations la rectitude et la portée de leur esprit, il rémunérait, suivant leur importance, les remarques utiles et judicieuses. Lorsque l’influence acquise dans ce conseil l’éleva au plus haut grade de son corps, celui de premier ingénieur, il voulut conserver jusqu’à la fin de sa carrière la direction de l’école qu’il avait fondée.
Il est peu de membres dans l’ancienne Académie, au nom desquels s’attache une célébrité mieux méritée que celle de Coulomb. Esprit clair et vigoureux, habile à suivre sans aucun détour la trace simple et droite de la vérité, tous ses travaux, excellents et définitifs, sont remarquables à la fois par l’importance du but, la solide simplicité des moyens employés et la netteté des résultats à jamais acquis à la science.
Employé d’abord aux travaux de la Martinique, puis à ceux du port de Rochefort, comme officier du génie, Coulomb resta longtemps éloigné de l’Académie. A l’âge de trente ans, il n’avait pas trouvé une seule fois la tranquillité nécessaire à de grands travaux scientifiques, mais il avait beaucoup vu et bien vu. Son génie, mûri par la réflexion, pouvait, en abordant les questions les plus difficiles, les suivre loin et les traiter de haut. Le savoir de Coulomb, qui n’apparaît que quand il le faut, se trouve à la hauteur de chaque épreuve et dans l’application du calcul mathématique à l’art de l’ingénieur, ses démonstrations, pour être simples et élémentaires, n’en paraissent que plus pénétrantes et plus fortes.
Un mémoire sur le vol des oiseaux, inséré dans le Recueil des Savants étrangers, présente des résultats curieux et importants, dont la démonstration fort élémentaire ne permet pas d’objections sérieuses. «L’objet de l’auteur, disent les commissaires Monge et Bossut, est de prouver que non-seulement les forces des hommes sont insuffisantes pour imiter le vol des oiseaux et soutenir ce travail pendant un certain temps, mais même qu’il est impossible qu’un homme puisse s’élever dans l’air par la réaction de ce fluide contre des ailes.
«Ce mémoire, disent en terminant les commissaires, contient des recherches très-ingénieuses, les résultats qu’on y trouve sont très-curieux en eux-mêmes et peuvent être utiles en ce qu’ils sont particulièrement propres à détourner d’entreprises non-seulement vaines mais même périlleuses; nous croyons qu’il mérite l’approbation de l’Académie et d’être imprimé dans le recueil des mémoires des savants étrangers.»
L’auteur est conduit à conclure que «ce ne serait qu’avec des ailes de trente ou quarante mille pieds carrés que l’on pourrait imiter le vol des oiseaux et qu’on peut le regarder comme physiquement impossible.»
Les travaux qui suivirent sont de plus haute portée, et la balance de torsion, commencement et modèle des appareils de précision en physique, fut l’instrument, presque parfait dès sa naissance, de la découverte des lois physiques les plus importantes.
Les lois de la torsion des fils et leur application à la mesure des plus petites forces est l’une des grandes découvertes de Coulomb. Il ne tarda pas à en déduire la loi jusque-là cachée des attractions électriques et magnétiques, et par des procédés admirablement précis, le mode de distribution de l’électricité à la surface des corps, dont trente ans plus tard les travaux de Poisson devaient confirmer l’exactitude en en doublant l’importance.
Borda, d’abord officier du génie comme Coulomb, mérita par plusieurs bons travaux une place d’associé dans la section de mécanique. Autorisé, malgré les règlements et l’opposition très-vive du corps, à entrer dans la marine à l’âge de trente-quatre ans, il y fut chargé de commandements importants, et sut associer sans relâche les travaux scientifiques aux devoirs de sa profession. Borda était le représentant naturel de l’Académie dans les expéditions destinées à l’épreuve des montres marines. Il fit dans ce but, avec M. de Verdun et Pingré, un voyage dans lequel, élargissant leurs programmes, les savants collaborateurs étendirent leurs recherches à l’étude de tous les instruments scientifiques utiles à la navigation.
Borda avait comme Coulomb un esprit sagace et géométrique, qui, préoccupé surtout des applications, se servait comme lui des théories les plus hautes pour y pénétrer plus sûrement et plus loin. Très-habile dans l’usage et la construction des instruments, il a inventé le cercle répétiteur qui, par un artifice aussi simple qu’ingénieux, peut, même avec des limbes imparfaitement gradués, porter la mesure des angles à la dernière précision.
Huyghens chez qui, par une merveilleuse exception, tous les talents semblaient réunis et dont le nom reste uni à une loi fondamentale et classique, représentait dignement dans l’ancienne Académie l’étude expérimentale de la physique.
La réputation déjà considérable de Mariotte le fit appeler à l’Académie fort peu de temps après sa fondation; il savait s’incliner devant le génie d’Huyghens, sans jamais soumettre son jugement et sacrifier son originalité. Capable de juger par lui-même et d’en appeler à l’expérience, s’il ne choisit pas toujours le meilleur parti, il se décide dans les questions les plus difficiles, par des raisons toujours ingénieuses, souvent concluantes et nouvelles. Le traité de Mariotte sur la nature de l’air est un chef-d’œuvre: véritablement inventeur, il sait être très-nouveau, sans cesser d’être simple, dans ces questions que trois hommes illustres, Toricelli, Pascal et Boyle, semblaient avoir récemment épuisées. Dans un écrit sur la percussion des corps, Mariotte propose aussi des vues ingénieuses et exactes sur les actions successives de plusieurs billes en contact choquées par une ou plusieurs boules de même dimension, et plus d’un professeur aujourd’hui encore pourrait étudier avec profit l’excellente analyse qu’il en a donnée. Des erreurs fort graves se trouvent, là comme ailleurs, mêlées, il est vrai, à la vérité, et l’on nous pardonnera de prouver, par une citation, l’ignorance de Mariotte en mathématiques.
Les lois de la chute des corps, si bien démontrées par Galilée, ne lui paraissent ni exactes ni possibles; et après en avoir proposé d’autres, suivant lesquelles un corps abandonné à lui-même prend instantanément une vitesse finie, Mariotte ajoute: «Galilée a fait quelques raisonnements assez vraisemblables pour prouver qu’au premier moment qu’un poids commence à tomber sa vitesse est plus petite qu’aucune qu’on puisse déterminer; mais ses raisonnements sont fondés sur les divisions à l’infini tant des vitesses que des espaces passés et des temps des chutes, qui sont des raisonnements très-suspects, comme celui que les anciens faisaient pour prouver qu’Achille ne pourrait jamais attraper une tortue, auquel raisonnement il est difficile de répondre et d’en donner la solution; mais on en démontre la fausseté par l’expérience et par d’autres raisons plus faciles à concevoir. Ainsi l’on objectera à Galilée que les raisonnements ci-dessus, qui sont faciles à concevoir et qui sont beaucoup plus clairs que les siens, qu’il a fondés sur les divisions à l’infini, qui sont inconcevables, et sur certaines règles de l’accélération de la vitesse des corps, qui sont douteuses, car on ne peut savoir si le corps tombant ne passe pas par un petit espace sans accélérer son premier mouvement à cause qu’il faut du temps pour produire la plupart des effets naturels, comme il paraît quand on fait passer du papier au travers d’une grande flamme avec une grande vitesse sans qu’il s’allume, et par conséquent on doit préférer les raisonnements ci-dessus à ceux de Galilée.»
Mariotte ignorait, on le voit assez, l’essentiel de la géométrie, et le style précis et serré de la langue algébrique lui semble obscur et incompréhensible. Mais dans tous ses écrits, on peut le dire, le sens le plus droit et le plus fin remplace, avec succès souvent, parfois avec génie, cet instrument puissant qui lui manque, et dont toutes les règles de la logique sur lesquelles Mariotte a écrit un traité, ne sont, pour qui le possède, qu’un commentaire intuitif et sans vertu.
Malgré les beaux travaux de Sauveur sur l’acoustique et plusieurs expériences d’Amontons sur le frottement et sur la chaleur, les savants, dans les premières années du XVIIIe siècle, semblaient renoncer à l’espoir de pénétrer plus avant dans les secrets du monde physique.
Le célèbre Montesquieu disait, en 1717, à la séance de rentrée de l’Académie de Bordeaux:
«Les découvertes sont devenues bien rares et il semble qu’il y ait une sorte d’épuisement dans les observations et dans les observateurs… La nature, après s’être cachée pendant tant d’années, se montra tout à coup dans le siècle passé, moment bien favorable pour les savants d’alors, qui virent ce que personne avant eux n’avait vu. On fit dans ce siècle tant de découvertes qu’on peut le regarder non-seulement comme le plus florissant, mais encore comme le premier âge de la philosophie qui, dans les siècles précédents, n’était pas même dans son enfance. C’est alors qu’on mit au jour des systèmes, qu’on développa des principes, qu’on découvrit ces méthodes si fécondes et si générales. Nous ne travaillons plus que d’après ces grands philosophes; il semble que les découvertes d’à présent ne soient qu’un hommage que nous leur rendons et un humble aveu que nous tenons tout d’eux. Nous sommes presque réduits à pleurer, comme Alexandre, de ce que nos pères aient tout fait et n’ont rien laissé à notre gloire.»
Ils avaient beaucoup laissé au contraire. L’assoupissement dont se plaint Montesquieu devait être suivi du plus brillant réveil, et l’arbre immortel qu’il croyait desséché n’avait pas encore donné ses plus beaux fruits.
Géomètre et astronome en même temps que physicien, chef véritable d’une expédition célèbre dans laquelle, sans s’écarter jamais du but, il s’est montré observateur attentif et sagace de tous les phénomènes de la nature, Bouguer doit être compté parmi les membres illustres de l’Académie des sciences.
Le père de Bouguer, professeur de mathématiques et de navigation au Croisic, le destinait à la même carrière et lui enseigna la géométrie dès sa première enfance. Le jeune Bouguer, professeur à l’âge de seize ans, continua au Croisic, puis au Havre, de profondes études sur toutes les parties de la science. Les prix fondés par M. de Meslay excitèrent son ardeur et l’Académie couronna successivement trois de ses mémoires, sur la mâture des vaisseaux, sur les observations en mer et sur l’aiguille aimantée. Dans un ouvrage considérable de Bouguer, publié à la même époque, sur la gradation de la lumière, la science mathématique la plus profonde et la plus sage dirige et interprète les expériences les plus délicates. Bouguer, dans cet ouvrage, a créé une des branches de la physique: la photométrie. Bouguer a proposé un micromètre fondé sur un principe extrêmement nouveau et que son emploi commode pour déterminer le diamètre apparent du soleil a fait nommer héliomètre. Le livre de Bouguer sur la figure de la terre est resté cependant son œuvre capitale. Élargissant la tâche que l’Académie lui avait confiée, Bouguer montre, sur les sujets les plus divers, la solidité de son savoir et l’industrie de son esprit. Cet excellent ouvrage, excita d’injustes réclamations qui, repoussées avec aigreur, engendrèrent d’interminables querelles dont Lacondamine et Bouguer fatiguèrent pendant plus de dix ans l’Académie et le public. Bouguer avait raison au fond; mais les attaques enjouées et les fines railleries de son irréconciliable adversaire attiraient assez l’attention et trouvaient assez de créance pour attrister sérieusement les dernières années de l’illustre et excellent physicien.
Curieux comme Bouguer des vérités de la physique et aussi exact qu’ingénieux à observer, Dufay fut un académicien plein de zèle et véritablement digne de ce nom. Voué d’abord à la carrière des armes, il y renonça jeune encore en emportant, avec l’estime de tous, de puissantes et chaudes protections. Les premiers travaux de Dufay exécutés pendant les loisirs de sa vie militaire ne se ressentent pas d’un tel partage, et quand, au sortir du camp, l’Académie lui ouvrit immédiatement ses portes, il tenait rang déjà parmi les hommes considérables de la science. Curieux de toutes les sciences à la fois, il a laissé, dans presque toutes, la trace d’un esprit droit et éclairé. Dufay a donné d’excellents mémoires sur les sujets les plus divers.
L’électricité lui doit l’hypothèse des deux fluides électriques. Il a étudié la double réfraction avec plus de soin et de précision que ses devanciers. Son mémoire sur la phosphorescence, précédé d’une introduction historique aussi savante que judicieuse, a acquis récemment une importance inattendue. M. E. Becquerel, en étendant excellemment et au delà de toute limite prévue les faits singuliers qu’il rapporte, y a montré une loi générale de la nature dont l’histoire devra mentionner à jamais le nom de Dufay.
Si des expériences très-exactes n’ont pas révélé à Dufay l’explication véritable de la rosée, c’est que, mal posé par ses devanciers, le problème aurait exigé la connaissance anticipée de la théorie des vapeurs. Quelle est l’origine de la rosée? Est-ce le ciel qui la verse ou le sol qui la produit? Ces deux hypothèses sont les seules possibles et c’est entre elles qu’il faut choisir. Tel est le dilemme inexact qui, pendant plus d’un siècle, a égaré les physiciens, et dont Dufay lui-même n’a pas su se dégager.
Après avoir prouvé que la rosée ne tombe pas du ciel, Dufay se montra trop prompt à en conclure qu’elle s’élève par conséquent de la terre. La conséquence n’est pas rigoureuse, autant vaudrait dire que, dans les jours d’hiver, le givre qui se dépose à l’intérieur de nos appartements, sur les vitres des fenêtres, s’élève nécessairement du plancher de la chambre parce qu’il ne descend pas du plafond. La rosée naît dans l’air, à toute hauteur et partout où un corps suffisamment refroidi fait condenser la vapeur qui s’y trouve disséminée.
Dufay obtint en 1732, avec le titre de surintendant du Jardin des Plantes, toutes les prérogatives de ses prédécesseurs. Son administration bienveillante sans partialité et attentive aux intérêts de la science, releva bientôt l’établissement fort amoindri entre les mains négligentes, et despotiques pourtant, du successeur de Fagon. Chirac, premier médecin du roi, avait reçu la direction du Jardin comme une dépendance de sa charge. Inférieur à Fagon par la science, il l’était surtout en dévouement et en zèle. Jaloux de tous ses droits et impérieusement attentif aux détails, il voulait trancher les questions par lui-même, jusque-là qu’aucune plante ou graine ne pouvait être donnée ou reçue que par lui; devenu ainsi le principe et le centre de toutes les affaires du Jardin, il se laissa absorber par une clientèle toujours croissante et son incurie laissait tout périr, lorsque fort heureusement Dufay lui succéda. L’étude de l’histoire naturelle devenait pour l’habile physicien une sorte de devoir, mais curieux de contenter son esprit, non de diriger celui des autres, il laissait à chacun toute sa liberté.