Kitabı oku: «L'Académie des sciences et les académiciens de 1666 à 1793», sayfa 16
On lui doit plusieurs observations sur la salamandre et sur la sensitive. Un préjugé fort ancien attribue à la salamandre la faculté de vivre dans le feu. Maupertuis, pour en faire justice, avait jugé utile de jeter plusieurs salamandres au milieu d’un brasier ardent, il les vit s’y consumer et se réduire en cendres. La démonstration était suffisante; Dufay cependant crut la mettre dans un plus grand jour en prouvant, ce sont ses propres paroles, que non-seulement les salamandres ne vivent pas dans le feu, mais que tout au contraire elles vivent dans l’eau glacée par le froid où elles ont gelé. La salamandre emprisonnée dans un bloc de glace peut y demeurer plusieurs jours et survivre au dégel.
Les deux frères de Jussieu devinrent les amis de Dufay et il suivit leurs sages conseils sans avoir l’idée cependant de proposer Bernard pour son successeur. Le titre d’intendant, dans les idées du temps, ne pouvait convenir à un homme aussi modeste et si peu disposé à fréquenter les grands. Atteint subitement par la petite vérole et dans la prévision d’une mort prochaine, Dufay recommanda au roi le jeune Buffon, qui n’avait alors aucun titre à un tel choix. On sait assez qu’il en acquit depuis et que la science n’eut pas à regretter la dernière inspiration de Dufay.
L’abbé Nollet, disciple de Dufay comme physicien, a beaucoup contribué, sans être un inventeur, à répandre le goût des études et des expériences scientifiques. Démonstrateur très-adroit en même temps que professeur habile, l’abbé Nollet, pendant plus de trente ans, a enseigné la physique avec un succès toujours croissant.
C’est malheureusement par une discussion dans laquelle il défendait la mauvaise cause, que son nom est surtout resté célèbre. L’influence que lui donnait une réputation fort grande alors, fut employée à combattre l’emploi des paratonnerres, lorsqu’ils furent proposés par Franklin. Voici dans quels termes il en rend compte dans un ouvrage qui, lors de son apparition, en 1752, ne laissa pas de faire quelque bruit et qui a eu depuis plusieurs éditions:
«Un Anglais, nommé Benjamin Franklin, habitant la Pensylvanie, s’étant occupé depuis quelques années à répéter avec ses amis des expériences d’électricité, s’est formé sur cette matière des idées assez singulières, la plupart ingénieuses et séduisantes au premier abord; il a cherché à les appuyer sur des expériences et du tout ensemble il a fait plusieurs écrits qu’il a fait passer à Londres en dissertations. Après avoir remarqué que la matière qui part d’un corps électrisé enfile plus aisément et de plus loin la pointe d’une aiguille qu’un pareil corps qui serait arrondi par le bout, et reconnaissant d’ailleurs une certaine analogie entre le tonnerre et l’électricité, il ose assurer que des verges de fer pointues dressées en l’air sous un nuage orageux tireraient à elles la matière de la foudre et la feraient passer sans éclat et sans danger jusque dans le corps immense de la terre où elle resterait comme absorbée.» La nature électrique de la foudre fut constatée pour la première fois en France par Dalibard et Buffon, qui obtinrent d’un nuage orageux des effets extraordinaires et prodigieux, mais Franklin était leur guide, c’est à lui qu’ils rapportaient tout l’honneur de la découverte, et ils invitaient les curieux et les savants à assister aux expériences de Philadelphie.
«Ce singulier phénomène, dit Nollet, ne fut pas plutôt observé et vérifié, que l’admiration monta jusqu’à l’enthousiasme. La plupart de ceux qui l’apprirent, en se dissimulant l’énorme distance qu’il y a entre le fait et les conséquences qu’on en voulait tirer, crurent de bonne foi, sur les paroles de ceux qui le leur disaient, que les fluides du ciel seraient désormais en la puissance des hommes et que pour se garantir du tonnerre il suffirait de dresser des pointes sur le sommet des édifices. Quelques personnes assuraient d’un ton sincère qu’un voyageur en rase campagne pourrait s’en défendre en mettant l’épée à la main contre la nuée. Les gens d’église, qui n’en portent pas, commençaient à se plaindre de ne pas avoir cet avantage, mais on leur a montré dans le livre de M. Franklin, qui était comme l’évangile du jour, qu’on pouvait suppléer au pouvoir des pointes en laissant bien mouiller ses habits, ce qui est extrêmement facile en temps d’orage.»
L’opposition très-loyale d’ailleurs de Nollet ne pouvait étouffer la grande découverte de Franklin. L’Académie des sciences, quelque temps partagée, se rangea bientôt du côté de la vérité et nomma Franklin un de ses huit associés étrangers. Pendant son séjour à Paris, l’illustre représentant du nouveau monde assista plus d’une fois à ses séances et prit même part à ses travaux. Un rapport de lui sur l’établissement d’un paratonnerre pour la flèche de Strasbourg se trouve encore dans les procès-verbaux.
LES CHIMISTES
La chimie, par une destinée singulière, a passé presque tout à coup des ténèbres au grand jour, et son avénement subit au rang des sciences exactes fut peut-être le plus grand événement scientifique du XVIIIe siècle. Les membres de l’Académie des sciences l’avaient cultivée sans interruption, mais longtemps sans éclat. Nous avons dit ce qu’était une analyse chimique à la fin du XVIIe siècle et quelles opérations stériles, souvent ridicules, on rencontre sous ce nom dans les premiers registres de l’Académie; à côté cependant de ces tentatives obstinées dans une mauvaise voie se placent des observations importantes et des preuves réelles de perspicacité.
Homberg, après la réorganisation de 1699, fut, parmi les pensionnaires, le représentant le plus éminent de la chimie. Né à Batavia, où son père, gentilhomme saxon ruiné par la guerre de Trente ans, était allé tenter de relever sa fortune, il fut amené jeune encore en Europe et étudia avec grand succès dans les universités de Hollande et d’Allemagne. Jurisconsulte, astronome, mécanicien, botaniste et médecin en même temps que chimiste, Homberg excellait également dans toutes les études, et celle de l’hébreu avait même excité sa curiosité. Ses parents, charmés par tant de science et fier de sa précoce célébrité, le pressèrent d’en tirer profit, et de prendre parti pour une position lucrative; mais, loin de suivre leurs conseils, Homberg ne songeait qu’à voyager pour s’instruire davantage. Il visita Otto de Guericke, à Magdebourg; vit les universités de Padoue, de Bologne et de Rome; s’arrêta en France; en Angleterre, où il travailla dans le laboratoire de Boyle; en Hollande, où il étudia l’anatomie avec Graff. La diversité de ses projets égalait celle de ses études; après plusieurs années de voyage, il prit à Wittemberg le titre de docteur en médecine; mais, loin d’exercer sa profession nouvelle, il partit bientôt pour visiter les mines métalliques de la Bohême et de la Hongrie; il voulut étudier ensuite celles de Suède, et se rendit à Stockholm. Ces voyages n’étaient pas stériles, et les travaux de Homberg, datés des contrées les plus diverses, remplissaient les journaux scientifiques de l’Europe. Colbert, toujours désireux d’accroître l’éclat de l’Académie des sciences, lui fit des offres avantageuses; il les accepta malgré sa famille et devint bientôt le membre le plus actif de l’Académie.
Sa réputation d’habile chimiste, peut-être aussi celle d’alchimiste, qu’il ne repoussait pas absolument, le mirent en relations avec le duc d’Orléans, qui, lui aussi, comme le dit Saint-Simon, «aimait à souffler, non pour chercher à faire de l’or, dont il se moqua toujours, mais pour s’amuser des curieuses opérations de la chimie;» il se fit un laboratoire le mieux fourni et le plus beau que la chimie eût jamais vu, et y attira Homberg, auquel il donna le titre fort lucratif et fort envié de son médecin, que celui-ci, préférant l’Académie à ses intérêts, n’accepta pourtant qu’à la condition d’être dispensé du règlement qui, à cause de la résidence à Versailles, devait l’exclure de la compagnie. Entretenant avec lui le commerce le plus intime, il se plaisait à suivre ses opérations et à y prendre part; tout cela très-publiquement, et il en raisonnait très-volontiers avec qui pouvait y prendre intérêt. Homberg, de plus, nous dit Saint-Simon, était un homme de grande réputation, et n’en avait pas moins en probité et en vertu qu’en capacité pour son métier; la calomnie se fit pourtant une arme terrible de ces relations; après la mort rapide et mystérieuse du Dauphin d’abord, puis de la duchesse et du duc de Bourgogne, on parla de poison et non sans vraisemblance. Les soupçons s’élevèrent jusqu’au duc d’Orléans, qui publiquement et grossièrement outragé par la populace, supplia le roi de le faire entrer à la Bastille et d’y enfermer Homberg avec lui, en attendant que tout fût éclairci; le roi permit seulement, après beaucoup d’instances, qu’Homberg fût reçu à la Bastille, s’il allait s’y présenter lui-même; mais l’ordre ne fut pas donné, et Homberg, que Voltaire appelle à cette occasion, et un peu au hasard sans doute, vertueux philosophe et d’une candeur extrême, ne fut pas admis à se justifier.
L’histoire ne mentionne aujourd’hui ces atroces soupçons que pour les écarter avec dédain; mais ils planèrent tristement sur Homberg pendant les quelques années qu’il vécut encore.
Les Mémoires de l’Académie contiennent un grand nombre de travaux de Homberg, presque tous sur des points de détail. Il était expérimentateur ingénieux et habile, et la chimie lui doit un grand nombre de faits nouveaux et bien observés, dont la théorie devait lui échapper complétement, comme à ses contemporains et à ses successeurs immédiats.
Le duc d’Orléans possédait un miroir convexe d’une grande puissance, c’est-à-dire une lentille, avec laquelle Homberg fit de nombreuses expériences.
L’or métallique, à la chaleur de ce miroir, ne tardait pas à se fondre et à se volatiliser, il croyait même le transformer en partie en un verre violet, fourni, sans doute, par la matière du vase dans lequel il opérait et contenant peut-être une petite quantité de silicate d’or. La chaleur du soleil lui semble de nature autre que celle de nos foyers. C’est, suivant lui, une matière simple, dont les parties sont infiniment plus petites que celles du feu ordinaire, et qui peut s’introduire dans les interstices où celui-ci ne peut pas entrer, et avec lequel il a une autre différence, c’est que l’air, étant plus pesant que la flamme, pousse celle-ci, selon les lois de l’équilibre des liqueurs, sans quoi la flamme n’aurait aucun mouvement, au lieu que le rayon du soleil est poussé par le soleil sans que l’air contribue en aucune manière à son action.
Les Mémoires de l’Académie contiennent de singulières idées de Homberg sur la nature de la chaleur. «On a demandé, dit-il, pourquoi le fond d’un bassin où l’eau bout n’est point chaud du côté du feu, au lieu qu’il serait chaud s’il n’y avait point d’eau: cela tient à ce que la matière de la lumière qui fait la chaleur a deux mouvements, l’un de tous côtés sphérique, qui lui est naturel, l’autre de bas en haut causé par la pesanteur de l’air; que, par le premier mouvement, elle pénètre et enfle les corps en tous sens, que, par le second, elle hérisse leur surface en un sens seulement, que, quand l’eau est dans un bassin sur le feu, elle réprime et arrête en partie le mouvement sphérique de la matière subtile et l’éteint jusqu’à un certain point, mais qu’elle n’empêche pas la direction de bas en haut et le hérissement de la surface, et que, par conséquent, la surface entourée demeure froide et par conséquent peu chaude.»
Ce passage, qui semble une parodie de la physique de Descartes, est un curieux spécimen des idées théoriques des hommes les plus éminents de l’époque.
Un autre mémoire de Homberg donnera une idée assez exacte des méthodes employées alors par les chimistes et de la nature des problèmes qu’ils cherchaient à résoudre.
«Il y a environ trente ans, dit-il, qu’une personne de considération me demanda avec beaucoup d’instances d’essayer si, de la matière fécale, je ne pourrais pas tirer une huile distillée, sans mauvaise odeur, qui fût claire et sans couleur comme de l’eau de fontaine, parce qu’elle en avait vu, comme elle le croyait, un effet surprenant, qui était de fixer le mercure commun en argent fin. On croit aisément ce que l’on voudrait qui fût vrai; aussi me laissai-je persuader sans beaucoup de peine d’entreprendre cette recherche et de travailler à un ouvrage qui devait nous enrichir tous deux. Pour ne pas travailler sur une matière ramassée au hasard et dont je ne connusse pas les ingrédients, j’ai loué, dit-il, quatre hommes robustes et en bonne santé; je les ai enfermés avec moi pendant trois mois en une maison qui avait un grand jardin pour les promener, et, pour être assuré qu’ils ne prissent autre nourriture que celle que je leur donnerais, j’étais convenu avec eux qu’ils ne mangeraient autre chose que du meilleur pain de Gonesse que je leur fournirais frais tous les jours, et qu’ils boiraient tant qu’ils voudraient du meilleur vin de Champagne.»
Homberg commença par dessécher la matière, qui se réduisit au dixième de son poids; mais, en la distillant dans une cornue de verre, à divers degrés de feu, il n’en tirait que de l’huile rouge ou noire, toujours puante, qui ne répondait nullement au désir de son associé.
Il cherche alors à séparer par la solution tout ce que la substance étudiée contient de matières grossières et terreuses; il la délaye à cet effet dans de l’eau chaude, puis, après avoir décanté et filtré en évaporant jusqu’à siccité, il obtient des cristaux bien déterminés, qui ressemblent à du salpêtre et fusent au feu en donnant une flamme rouge.
En distillant ce sel par degrés, il obtient une liqueur âcre et acide, suivie d’un peu d’huile rousse et fétide; celle qu’il fallait trouver était blanche et sans odeur; il abandonne encore cette marche pour recommencer à opérer sur la matière simplement desséchée au bain-marie, en y ajoutant ce qu’il nomme différents intermèdes, c’est-à-dire en la mêlant tantôt avec de la chaux vive ou éteinte, tantôt avec de l’alun, du colcothar, de la poudre de brique, etc., mais, au lieu d’huile blanche, qui était le but de son travail, il n’obtient cette fois encore que des huiles diversement colorées et conservant la même féteur.
Homberg alors change encore une fois de méthode et tente la voie de la fermentation, qui est, dit-il, une voie douce, où la violence du feu n’a pas de part. Il sépare d’abord le flegme superflu de la matière par le bain-marie, pour pouvoir garder commodément la matière desséchée et se débarrasser des quatre hommes que, depuis trois mois, il entretenait consciencieusement pour la fournir; pour faire fermenter la matière, il la mit en poudre en versant dessus six fois autant de flegme qu’il en avait été séparé par la distillation, puis le tout fut chauffé en vase clos au bain-marie, pendant six semaines, à une douce chaleur; en distillant ensuite, la partie aqueuse avait perdu presque toute son odeur. Homberg put en donner à quelques personnes dont le teint était gâté, et qui, en s’en débarbouillant une fois par jour, ont adouci, dit-il, et blanchi considérablement leur peau.
Le résidu donna enfin par la distillation une huile incolore presque sans odeur, et le peu qu’elle en avait était légèrement aromatique.
Lémery, qui, pendant plus de trente ans, partagea avec Homberg l’honneur de représenter la chimie dans l’Académie des sciences, était élève d’un apothicaire de Rouen, puis d’un chimiste nommé Glazer, démonstrateur au Jardin du Roi, et fort avare cependant des idées obscures qu’il avait sur la science. Lémery le quitta bientôt pour se placer, pendant près de trois ans, chez un apothicaire de Montpellier nommé Verchaut, dont les leçons l’auraient encore laissé fort ignorant, s’il n’avait trouvé moyen de s’instruire lui-même en s’aidant des livres et du laboratoire de son maître. Il ne tarda pas à ouvrir des cours qui attirèrent chez maître Verchaut tous les curieux de Montpellier, parmi lesquels se trouvaient, au grand honneur du jeune élève, des professeurs même de la faculté. Bien différent de ses premiers maîtres, Lémery ne se plaisait pas moins à révéler les secrets de la science qu’à en étaler les merveilles; il avait le don et la passion de l’enseignement, et ses cours, qui ne cessèrent qu’avec sa vie, ont servi, autant au moins que ses livres, à répandre dans toute l’Europe le goût et la pratique des opérations chimiques. Il devint apothicaire à Paris et professa chez lui dans la rue Galande. Son laboratoire, dit Fontenelle, était moins une chambre qu’une cave et presque un antre magique éclairé de la seule lueur des fourneaux; l’affluence y était si grande, qu’à peine y avait-il de place pour les opérations; les dames mêmes, entraînées par la mode, ne craignaient pas de s’y montrer. Ses leçons, comme celles de Duverney sur l’anatomie, devinrent bientôt célèbres dans toute l’Europe; les jeunes étrangers venaient à Paris par centaines dans le seul but d’entendre ces deux maîtres, dont ils rapportaient au loin la réputation d’éloquence et de parfaite clarté.
Le traité de chimie de Lémery, qui de 1675 à 1713, a eu dix éditions, et qui fut traduit dans toutes les langues de l’Europe, ne nous aide pas, il faut l’avouer, à comprendre cette clarté si vantée des contemporains; il faudrait, sans doute, pour s’en rendre compte, le comparer aux écrits mystérieux et énigmatiques des chercheurs du grand œuvre.
Le premier principe que l’on peut admettre pour la composition des mixtes est, dit-il immédiatement après avoir posé ses définitions, un esprit universel qui, étant répandu partout, produit diverses choses, suivant les diverses matrices, ou pores de la terre, dans lesquelles il se trouve embarrassé; mais, comme ce principe est un peu métaphysique et qu’il ne tombe pas sous le sens, il est bon, ajoute-t-il, d’en établir de sensibles, et je rapporterai ceux dont on se sert communément.
Les chimistes, en faisant l’analyse des mixtes, ont trouvé, dit-il, cinq sortes de substances, l’eau, l’esprit, l’huile et le sel, et la terre; de ces cinq, il y en a trois actifs, l’esprit, l’huile et le sel, et deux passifs, l’eau et la terre. Ils les ont appelés actifs, parce qu’étant dans un grand mouvement ils font toute l’action du mixte: ils ont nommé les autres passifs parce qu’étant en repos ils ne servent qu’à arrêter la vivacité des actifs. Toutes ces distinctions fausses ou insignifiantes, sont l’œuvre de ses prédécesseurs, et Lémery n’en est pas responsable; mais c’est lui-même qui parle, et avec beaucoup de sens, lorsqu’il ajoute: Le nom de principe, en chimie, ne doit pas être pris dans une signification tout à fait exacte, car les substances à qui l’on a donné ce nom ne sont principes qu’à notre égard et qu’en tant que nous ne pouvons point aller plus avant dans la division des corps; mais on comprend bien que ces principes sont encore divisibles en une infinité de parties qui pourraient, à plus juste titre, être appelées principes.
Le traité de chimie est la représentation exacte de la science positive à cette époque: toutes les opérations y sont clairement expliquées et décrites pour la pratique; les idées théoriques y tiennent peu de place, et, quoiqu’il définisse la chimie la science de l’analyse, la préparation des divers composés le remplit presque tout entier. Il se vendit, dit Fontenelle, comme un ouvrage de galanterie ou de satire; on le traduisit en latin, en allemand, en anglais et en espagnol; et les traducteurs, presque tous élèves de l’auteur, se plaisaient à vanter dans leurs préfaces l’habileté et la gloire de leur maître. L’autorité du grand Lémery, en matière de chimie, dit le traducteur espagnol, est plutôt unique que considérable.
Les persécutions religieuses vinrent troubler la vie de Lémery. Au milieu de sa plus grande prospérité, il reçut, comme protestant, ordre de quitter sa charge d’apothicaire. Croyant être plus tranquille en devenant médecin, il prit à Caen le bonnet de docteur, mais la révocation de l’édit de Nantes lui enleva bientôt aussi le droit d’exercer la médecine. C’est alors, dit Fontenelle, que, voyant sa fortune plutôt renversée que dérangée, l’esprit constamment occupé des chagrins du présent et des craintes de l’avenir, il vint enfin à craindre un plus grand mal, celui de souffrir pour une mauvaise cause en pure perte; il s’appliqua davantage aux preuves de la religion catholique et se réunit à l’Église avec toute sa famille. Les jours de prospérité revinrent pour lui; on ne pouvait plus lui rendre le titre d’apothicaire, mais, grâce à son mérite et un peu aussi à celui de sa conversion, on lui permit de préparer et de vendre des drogues: ses confrères réclamèrent inutilement, et il retrouva ses écoliers, ses malades et le grand débit de ses préparations.
Estienne-François Geoffroy, entré fort jeune à l’Académie comme élève, devait y fournir une longue et très-honorable carrière. Son père, riche apothicaire, n’épargna rien pour lui donner la plus excellente éducation; il eut les plus grands maîtres en tous genres. Des savants illustres, Cassini, le père Sébastien, Duverney et Homberg, tenaient chez lui des conférences réglées, où les jeunes gens des plus grandes familles briguaient la faveur d’assister, et qui furent, dit-on, l’origine de l’établissement des expériences de physique dans les colléges. L’éducation du jeune Geoffroy fut complétée par de nombreux voyages entrepris en compagnie de plusieurs grands personnages qui, avant même qu’il eût pris le grade de docteur, l’emmenaient avec eux pour soigner leur santé et le traitaient plus en ami qu’en médecin. La clientèle de Geoffroy, qui devint bientôt des plus brillantes, ne lui fit jamais négliger la science. Il avait pris au sérieux la thèse qu’il soutint devant la Faculté pour obtenir son premier grade: «Un médecin, disait-il, est en même temps un mécanicien chimiste.» En cultivant la science pure, il croyait fermement contribuer au progrès de son art. Un de ses travaux, qui attira vivement l’attention, mérite une place importante dans l’histoire des théories chimiques. En disposant dans une table fort courte les diverses substances que la chimie considère, Geoffroy croyait pouvoir indiquer l’ordre de leurs préférences les unes pour les autres et, dans chaque cas, déduire à l’avance d’une règle sans exception les décompositions et compositions qui doivent se produire. Lorsque deux substances sont unies, il admet qu’une troisième qui survient, et qui a plus d’affinité pour l’une, met l’autre en liberté et lui fait lâcher prise. Si, par exemple, l’huile de vitriol décompose le salpêtre, c’est qu’elle chasse l’acide nitrique dont l’affinité pour la potasse est moindre que la sienne.
Malgré bien des difficultés et des incertitudes qui suivirent, ce travail est considérable; on y voit paraître pour la première fois une théorie plausible des phénomènes chimiques.
«Les affinités de Geoffroy, dit cependant Fontenelle, firent de la peine à quelques-uns, qui craignirent que ce ne fussent des attractions déguisées, d’autant plus dangereuses que d’habiles gens ont déjà su leur donner des formes séduisantes.» La table de Geoffroy, généralement admise, a servi pendant longtemps de base à l’enseignement de la chimie. Les progrès de la science semblent donner raison toutefois, dans ce cas au moins, aux adversaires de l’attraction, et les théories de Berthollet devaient montrer, près d’un siècle plus tard, que, dans ces luttes engagées entre les corps, la victoire n’est pas due à une plus grande affinité, mais aux conditions extérieures de la lutte. Les corps éliminés sont ceux qui, par leur nature, doivent disparaître aussitôt qu’ils sont formés, et les éléments qui les composent sont vaincus, parce que, resserrés en quelque sorte sur un terrain trop étroit, il n’en peuvent perdre la moindre parcelle sans être rejetés du champ de bataille.
Après Homberg, Leymery et Geoffroy, Rouelle, Macquer, Sage et Beaumé répandirent par leur enseignement comme par leurs écrits la connaissance des vérités de pratique que leurs théories confuses et embarrassées ne sauraient ni prévoir ni expliquer. Rouelle, dont Jean-Jacques Rousseau suivit les leçons au Jardin du roi, joignait à une infatigable ardeur, un sincère et naïf enthousiasme pour le résultat de ses travaux. «On lui doit, a écrit Lavoisier, la plus grande découverte qui ait été faite en chimie depuis Stahl, celle des proportions diverses dans lesquelles un même acide et une même base peuvent s’unir pour former des sels.» La correspondance de Grimm donne de Rouelle un portrait voisin parfois de la caricature, mais tracé de main de maître:
«C’est lui qui introduisit la chimie de Stahl, et fit connaître ici cette science dont on ne se doutait point, et qu’une foule de grands hommes ont portée en Allemagne à un haut degré de perfection. Rouelle ne les savait pas tous lire; mais son instinct était ordinairement aussi fort que leur science. Il doit donc être regardé comme le fondateur de la chimie en France; et cependant son nom passera parce qu’il n’a jamais rien écrit, et que ceux qui ont écrit de notre temps des ouvrages estimables sur cette science, et qui sont tous sortis de son école, n’ont jamais rendu à leur maître l’hommage qu’ils lui devaient; ils ont trouvé plus court de prendre, sur le compte de leur propre sagacité, les principes et les découvertes qu’ils tenaient de leur maître; aussi Rouelle était-il brouillé avec tous ceux de ses disciples qui ont écrit sur la chimie. Il se vengeait de leur ingratitude par les injures dont il les accablait dans les cours publics et particuliers, et l’on savait d’avance qu’à telle leçon il y aurait le portrait de Malouin, à telle autre le portrait de Macquer, habillés de toutes pièces. C’étaient suivant lui, des ignorantins, des plagiaires. Ce dernier terme avait pris dans son esprit une signification si odieuse qu’il l’appliquait aux plus grands criminels; et pour exprimer, par exemple, l’horreur que lui faisait Damiens, il disait que c’était un plagiaire. L’indignation des plagiats qu’il avait soufferts dégénéra enfin en manie; il se voyait toujours pillé; et lorsqu’on traduisait les ouvrages de Pott ou de Lehman, ou de quelque autre grand chimiste d’Allemagne et qu’il y trouvait des idées analogues aux siennes, il prétendait avoir été volé par ces gens-là.»
«Rouelle était d’une pétulance extrême; ses idées étaient embrouillées et sans netteté, et il fallait un bon esprit pour le suivre et pour mettre dans ses leçons de l’ordre et de la précision. Il ne savait pas écrire; il parlait avec la plus grande véhémence, mais sans correction ni clarté, et il avait coutume de dire qu’il n’était pas de l’académie du beau langage. Avec tous ces défauts, ses vues étaient toujours profondes et d’un homme de génie; mais il cherchait à les dérober à la connaissance de ses auditeurs autant que son naturel pétulant pouvait le comporter. Ordinairement il expliquait ses idées fort au long; et quand il avait tout dit, il ajoutait: «Mais ceci est un de mes arcanes que je ne dis à personne.» Souvent un de ses élèves se levait et lui disait à l’oreille ce qu’il venait de dire tout haut: alors Rouelle croyait que l’élève avait découvert son arcane par sa propre sagacité, et le priait de ne pas divulguer ce qu’il venait de dire à deux cents personnes. Il avait une si grande habitude de s’aliéner la tête que les objets extérieurs n’existaient pas pour lui. Il se démenait comme un énergumène en parlant sur sa chaise, se renversait, se cognait, donnait des coups de pied à son voisin, lui déchirait ses manchettes, sans en rien savoir. Un jour, se trouvant dans un cercle où il y avait plusieurs dames, et parlant avec sa vivacité ordinaire, il défait ses jarretières, tire son bas sur son soulier, se gratte la jambe pendant quelque temps de ses deux mains, remet ensuite son bas et sa jarretière, et continue sa conversation sans avoir le moindre soupçon de ce qu’il venait de faire. Dans ses cours, il avait ordinairement pour aides son frère et son neveu pour faire les expériences sous les yeux de ses auditeurs: ces aides ne s’y trouvaient pas toujours; Rouelle criait: «Neveu, éternel neveu!» et l’éternel neveu ne venant point, il s’en allait lui-même dans les arrière-pièces de son laboratoire chercher les vases dont il avait besoin. Pendant cette opération, il continuait toujours sa leçon comme s’il était en présence de ses auditeurs, et à son retour il avait ordinairement achevé la démonstration commencée et rentrait en disant: «Oui, messieurs;» alors on le priait de recommencer. Un jour, étant abandonné de son frère et de son neveu, il dit à ses auditeurs: «Vous voyez bien, messieurs, ce chaudron sur le brasier? eh bien, si je cessais de remuer un seul instant, il s’ensuivrait une explosion qui nous ferait tous sauter en l’air.» En disant ces paroles, il ne manqua pas d’oublier de remuer, et sa prédiction fut accomplie: l’explosion se fit avec un fracas épouvantable, cassa toutes les vitres du laboratoire et en un instant deux cents auditeurs furent éparpillés dans le jardin; heureusement personne ne fut blessé, parce que le plus grand effort de l’explosion avait porté par l’ouverture de la cheminée. M. le démonstrateur en fut quitte pour cette cheminée et une perruque…
«Rouelle était honnête homme; mais avec un caractère si brut, il ne pouvait connaître ni observer les égards établis dans la société, et comme il était aisé de le prévenir contre quelqu’un, et impossible de le faire revenir d’une prévention, il déchirait souvent dans ses cours à tort et à travers: ainsi il ne faut pas s’étonner qu’il se soit fait beaucoup d’ennemis. Il ne pouvait pas estimer la physique, ni les systèmes de M. de Buffon; il était peu touché de son beau parlage, et quelques leçons de ses cours étaient régulièrement employées à injurier cet illustre académicien. Il avait pris en grippe le docteur Bordeu, médecin de beaucoup d’esprit. «Oui, messieurs, disait-il tous les ans à un certain endroit de son cours, c’est un de nos gens, un plagiaire, un frater, qui a tué mon frère que voilà.» Il voulait dire que Bordeu avait mal traité son frère dans une maladie.