Kitabı oku: «Cinq semaines en ballon», sayfa 17
– C’est alors qu’un courageux jeune homme entreprit avec ses faibles ressources et accomplit le plus étonnant des voyages modernes ; je veux parler du Français René Caillié. Après diverses tentatives en 1819 et en 1824, il partit à nouveau, le 19 avril 1827, du Rio-Nunez ; le 3 août, il arriva tellement épuisé et malade à Timé, qu’il ne put reprendre son voyage qu’en janvier 1828, six mois après ; il se joignit alors à une caravane, protégé par son vêtement oriental, atteignit le Niger le 10 mars, pénétra dans la ville de Jenné, s’embarqua sur le fleuve et le descendit jusqu’à Tembouctou, où il arriva le 30 avril. Un autre Français, Imbert, en 1670, un Anglais, Robert Adams, en 1810, avaient peut-être vu cette ville curieuse ; mais René Caillié devait être le premier Européen qui en ait rapporté des données exactes ; le 4 mai, il quitta cette reine du désert ; le 9, il reconnut l’endroit même où fut assassiné le major Laing ; le 19, il arriva à El-Araouan et quitta cette ville commerçante pour franchir, à travers mille dangers, les vastes solitudes comprises entre le Soudan et les régions septentrionales de l’Afrique ; enfin il entra à Tanger, et, le 28 septembre, il s’embarqua pour Toulon ; en dix-neuf mois, malgré cent quatre-vingts jours de maladie, il avait traversé l’Afrique de l’ouest au nord. Ah! si Caillié fût né en Angleterre, on l’eut honoré comme le plus intrépide voyageur des temps modernes, à l’égal de Mungo-Park. Mais, en France, il n’est pas apprécié à sa valeur57.
– C’était un hardi compagnon, dit le chasseur. Et qu’est-il devenu ?
– Il est mort à trente-neuf ans, des suites de ses fatigues ; on crut avoir assez fait en lui décernant le prix de la Société de géographie en 1828 ; les plus grands honneurs lui eussent été rendus en Angleterre! Au reste, tandis qu’il accomplissait ce merveilleux voyage, un Anglais concevait la même entreprise et la tentait avec autant de courage, sinon autant de bonheur. C’est le capitaine Clapperton, le compagnon de Denham. En 1829, il rentra en Afrique par la côte ouest dans le golfe de Bénin ; il reprit les traces de Mungo-Park et de Laing, retrouva dans Boussa les documents relatifs à la mort du premier, arriva le 20 août à Sakcatou où, retenu prisonnier, il rendit le dernier soupir entre les mains de son fidèle domestique Richard Lander.
– Et que devint ce Lander ? demanda Joe fort intéressé.
– Il parvint à regagner la côte et revint à Londres, rapportant les papiers du capitaine et une relation exacte de son propre voyage ; il offrit alors ses services au gouvernement pour compléter la reconnaissance du Niger ; il s’adjoignit son frère John, second enfant de pauvres gens des Cornouailles, et tous les deux, de 1829 à 1831, ils redescendirent le fleuve depuis Boussa jusqu’à son embouchure, le décrivant village par village, mille par mille.
– Ainsi, ces deux frères échappèrent au sort commun ? demanda Kennedy.
– Oui, pendant cette exploration du moins, car en 1833 Richard entreprit un troisième voyage au Niger, et périt frappé d’une balle inconnue près de l’embouchure du fleuve. Vous le voyez donc, mes amis, ce pays, que nous traversons, a été témoin de nobles dévouements, qui n’ont eu trop souvent que la mort pour récompense!»
XXXIX. Le pays dans le coude du Niger. – Vue fantastique des monts Hombori.
Le pays dans le coude du Niger. – Vue fantastique des monts Hombori. – Kabra. – Tembouctou. – Plan du docteur Barth. – Décadence. – Où le ciel voudra.
Pendant cette maussade journée du lundi, le docteur Fergusson se plut à donner à ses compagnons mille détails sur la contrée qu’ils traversaient. Le sol assez plat n’offrait aucun obstacle à leur marche. Le seul souci du docteur était causé par ce maudit vent du nord-est qui soufflait avec rage et l’éloignait de la latitude de Tembouctou.
Le Niger, après avoir remonté au nord jusqu’à cette ville, s’arrondit comme un immense jet d’eau et retombe dans l’océan Atlantique en gerbe largement épanouie ; dans ce coude, le pays est très varié, tantôt d’une fertilité luxuriante, tantôt d’une extrême aridité ; les plaines incultes succèdent aux champs de maïs, qui sont remplacés par de vastes terrains couverts de genêts ; toutes les espèces d’oiseaux d’humeur aquatique, pélicans, sarcelles, martins-pêcheurs, vivent en troupes nombreuses sur les bords des torrents et des marigots.
De temps en temps apparaissait un camp de Touareg, abrités sous leurs tentes de cuir, tandis que les femmes vaquaient aux travaux extérieurs, trayant leurs chamelles et fumant leurs pipes à gros foyer.
Le Victoria, vers huit heures du soir, s’était avancé de plus de doux cents milles à l’ouest, et les voyageurs furent alors témoins d’un magnifique spectacle.
Quelques rayons de lune se frayèrent un chemin par une fissure des nuages, et, glissant entre les raies de pluie, tombèrent sur la chaîne des monts Hombori. Rien de plus étrange que ces crêtes d’apparence basaltique ; elles se profilaient en silhouettes fantastiques sur le ciel assombri ; on eut dit les ruines légendaires d’une immense ville du Moyen Âge, telles que, par les nuits sombres, les banquises des mers glaciales en présentent au regard étonné.
«Voilà un site des Mystères d’Udolphe, dit le docteur ; Ann Radcliff n’aurait pas découpé ces montagnes sous un plus effrayant aspect.
– Ma foi! répondit Joe, je n’aimerais pas à me promener seul le soir dans ce pays de fantômes. Voyez-vous, mon maître, si ce n’était pas si lourd, j’emporterais tout ce paysage en Écosse. Cela ferait bien sur les bords du lac Lomond, et les touristes y courraient en foule.
– Notre ballon n’est pas assez grand pour te permettre cette fantaisie. Mais il me semble que notre direction change. Bon! les lutins de l’endroit sont fort aimables ; ils nous soufflent un petit vent de sud-est qui va nous remettre en bon chemin.»
En effet, le Victoria reprenait une route plus au nord, et le 20, au matin, il passait au-dessus d’un inextricable réseau de canaux, de torrents, de rivières, tout l’enchevêtrement complet des affluents du Niger. Plusieurs de ces canaux, recouverts d’une herbe épaisse, ressemblaient à de grasses prairies. Là, le docteur retrouva la route de Barth, quand celui-ci s’embarqua sur le fleuve pour le descendre jusqu’à Tembouctou. Large de huit cents toises, le Niger coulait ici entre deux rives riches en crucifères et en tamarins ; les troupeaux bondissants des gazelles mêlaient leurs cornes annelées aux grandes herbes, entre lesquelles l’alligator les guettait en silence.
De longues files d’ânes et de chameaux, chargés des marchandises de Jenné, s’enfonçaient sous les beaux arbres ; bientôt un amphithéâtre de maisons basses apparut à un détour du fleuve ; sur les terrasses et les toits était amoncelé tout le fourrage recueilli dans les contrées environnantes.
«C’est Kabra, s’écria joyeusement le docteur ; c’est le port de Tembouctou ; la ville n’est pas à cinq milles d’ici!
– Alors vous êtes satisfait, monsieur ? demanda Joe.
– Enchanté, mon garçon.
– Bon, tout est pour le mieux.»
En effet, à deux heures, la reine du désert, la mystérieuse Tembouctou, qui eut, comme Athènes et Rome, ses écoles de savants et ses chaires de philosophie, se déploya sous les regards des voyageurs.
Fergusson en suivait les moindres détails sur le plan tracé par Barth lui-même, il en reconnut l’extrême exactitude.
La ville forme un vaste triangle inscrit dans une immense plaine de sable blanc ; sa pointe se dirige vers le nord et perce un coin du désert ; rien aux alentours ; à peine quelques graminées, des mimosas nains et des arbrisseaux rabougris.
Quant à l’aspect de Tembouctou, que l’on se figure un entassement de billes et de dés à jouer ; voilà l’effet produit à vol d’oiseau ; les rues, assez étroites, sont bordées de maisons qui n’ont qu’un rez-de-chaussée, construites en briques cuites au soleil, et de huttes de paille et de roseaux, celles-ci coniques, celles-là carrées ; sur les terrasses sont nonchalamment étendus quelques habitants drapés dans leur robe éclatante, la lance ou le mousquet à la main ; de femmes point, à cette heure du jour.
«Mais on les dit belles, ajouta le docteur. Vous voyez les trois tours des trois mosquées, restées seules entre un grand nombre. La ville est bien déchue de son ancienne splendeur! Au sommet du triangle s’élève la mosquée de Sankore avec ses rangées de galeries soutenues par des arcades d’un dessin assez pur ; plus loin, près du quartier de Sane-Gungu, la mosquée de Sidi-Yahia et quelques maisons à deux étages. Ne cherchez ni palais ni monuments. Le cheik est un simple trafiquant, et sa demeure royale un comptoir.
– Il me semble, dit Kennedy, apercevoir des remparts à demi renversés.
– Ils ont été détruits par les Foullannes en 1826 ; alors la ville était plus grande d’un tiers, car Tembouctou, depuis le XIe siècle, objet de convoitise générale, a successivement appartenu aux Touareg, aux Sourayens, aux Marocains, aux Foullannes ; et ce grand centre de civilisation, où un savant comme Ahmed-Baba possédait au XVIe siècle une bibliothèque de seize cents manuscrits, n’est plus qu’un entrepôt de commerce de l’Afrique centrale.»
La ville paraissait livrée, en effet, à une grande incurie ; elle accusait la nonchalance épidémique des cités qui s’en vont ; d’immenses décombres s’amoncelaient dans les faubourgs et formaient avec la colline du marché les seuls accidents du terrain.
Au passage du Victoria, il se fit bien quelque mouvement, le tambour fut battu ; mais à peine si le dernier savant de l’endroit eut le temps d’observer ce nouveau phénomène ; les voyageurs, repoussés par le vent du désert, reprirent le cours sinueux du fleuve, et bientôt Tembouctou ne fut plus qu’un des souvenirs rapides de leur voyage.
«Et maintenant, dit le docteur, le ciel nous conduise où il lui plaira!
– Pourvu que ce soit dans l’ouest! répliqua Kennedy.
– Bah! fit Joe, il s’agirait de revenir à Zanzibar par le même chemin, et de traverser l’Océan jusqu’en Amérique, cela ne m’effrayerait guère!
– Il faudrait d’abord le pouvoir, Joe.
– Et que nous manque-t-il pour cela!
– Du gaz, mon garçon ; la force ascensionnelle du ballon diminue sensiblement, et il faudra de grands ménagements pour qu’il nous porte jusqu’à la côte. Je vais même être forcé de jeter du lest. Nous sommes trop lourds.
– Voilà ce que c’est que de ne rien faire, mon maître! À rester toute la journée étendu comme un fainéant dans son hamac, on engraisse et l’on devient pesant. C’est un voyage de paresseux que le nôtre, et, au retour, on nous trouvera affreusement gros et gras.
– Voilà bien des réflexions dignes de Joe, répondit le chasseur ; mais attends donc la fin ; sais-tu ce que le ciel nous réserve ? Nous sommes encore loin du terme de notre voyage. Où crois-tu rencontrer la côte d’Afrique, Samuel ?
– Je serais fort empêché de te répondre, Dick ; nous sommes à la merci de vents très variables ; mais enfin je m’estimerai heureux si j’arrive entre Sierra-Leone et Portendick ; il y a là une certaine étendue de pays où nous rencontrerons des amis.
– Et ce sera plaisir de leur serrer la main ; mais suivons-nous, au moins, la direction voulue ?
– Pas trop, Dick, pas trop ; regarde l’aiguille aimantée ; nous portons au sud, et nous remontons le Niger vers ses sources.
– Une fameuse occasion de les découvrir, riposta Joe, si elles n’étaient déjà connues. Est-ce qu’à la rigueur on ne pourrait pas lui en trouver d’autres ?
– Non, Joe ; mais sois tranquille, j’espère bien ne pas aller jusque-là.»
À la nuit tombante, le docteur jeta les derniers sacs de lest ; le Victoria se releva, le chalumeau, quoique fonctionnant à pleine flamme, pouvait à peine le maintenir ; il se trouvait alors à soixante milles dans le sud de Tembouctou, et, le lendemain, il se réveillait sur les bords du Niger, non loin du lac Debo.
XL. Inquiétudes du docteur Fergusson. – Direction persistante vers le sud.
Inquiétudes du docteur Fergusson. – Direction persistante vers le sud. – Un nuage de sauterelles. – Vue de Jenné. – Vue de Ségo. – Changement de vent. – Regrets de Joe.
Le lit du fleuve était alors partagé par de grandes îles en branches étroites d’un courant fort rapide. Sur l’une d’entre elles s’élevaient quelques cases de bergers ; mais il fut impossible d’en faire un relèvement exact, car la vitesse du Victoria s’accroissait toujours. Malheureusement, il inclinait encore plus au sud et franchit en quelques instants le lac Debo.
Fergusson chercha à diverses élévations, en forçant extrêmement sa dilatation, d’autres courants dans l’atmosphère, mais en vain. Il abandonna promptement cette manœuvre, qui augmentait encore la déperdition de son gaz, en le pressant contre les parois fatiguées de l’aérostat.
Il ne dit rien, mais il devint fort inquiet. Cette obstination du vent à le rejeter vers la partie méridionale de l’Afrique déjouait ses calculs. Il ne savait plus sur qui ni sur quoi compter. S’il n’atteignait pas les territoires anglais ou français, que devenir au milieu des barbares qui infestaient les côtes de Guinée ? Comment y attendre un navire pour retourner en Angleterre ? Et la direction actuelle du vent le chassait sur le royaume de Dahomey, parmi les peuplades les plus sauvages, à la merci d’un roi qui, dans les fêtes publiques, sacrifiait des milliers de victimes humaines! Là, on serait perdu.
D’un autre côté, le ballon se fatiguait visiblement, et le docteur le sentait lui manquer! Cependant, le temps se levant un peu, il espéra que la fin de la pluie amènerait un changement dans les courants atmosphériques.
Il fut donc désagréablement ramené au sentiment de la situation par cette réflexion de Joe :
«Bon! disait celui-ci, voici la pluie qui va redoubler, et cette fois, ce sera le déluge, s’il faut en juger par ce nuage qui s’avance!
– Encore un nuage! dit Fergusson.
– Et un fameux! répondit Kennedy.
– Comme je n’en ai jamais vu, répliqua Joe, avec des arêtes tirées au cordeau.
– Je respire, dit le docteur en déposant sa lunette. Ce n’est pas un nuage.
– Par exemple! fit Joe.
– Non! c’est une nuée!
– Eh bien ?
– Mais une nuée de sauterelles.
– Ça, des sauterelles!
– Des milliards de sauterelles qui vont passer sur ce pays comme une trombe, et malheur à lui, car si elles s’abattent, il sera dévasté!
Un nuage de sauterelles.
– Je voudrais bien voir cela!
– Attends un peu, Joe ; dans dix minutes, ce nuage nous aura atteints et tu en jugeras par tes propres yeux.»
Fergusson disait vrai ; ce nuage épais, opaque, d’une étendue de plusieurs milles, arrivait avec un bruit assourdissant, promenant sur le sol son ombre immense, c’était une innombrable légion de ces sauterelles auxquelles on a donné le nom de criquets. À cent pas du Victoria, elles s’abattirent sur un pays verdoyant ; un quart d’heure plus tard, la masse reprenait son vol, et les voyageurs pouvaient encore apercevoir de loin les arbres, les buissons entièrement dénudés, les prairies comme fauchées. On eut dit qu’un subit hiver venait de plonger la campagne dans la plus profonde stérilité.
«Eh bien, Joe!
– Eh bien! monsieur, c’est fort curieux, mais fort naturel. Ce qu’une sauterelle ferait en petit, des milliards le font en grand.
– C’est une effrayante pluie, dit le chasseur, et plus terrible encore que la grêle par ses dévastations.
– Et il est impossible de s’en préserver, répondit Fergusson ; quelquefois les habitants ont eu l’idée d’incendier des forêts, des moissons même pour arrêter le vol de ces insectes ; mais les premiers rangs, se précipitant dans les flammes, les éteignaient sous leur masse, et le reste de la bande passait irrésistiblement. Heureusement, dans ces contrées, il y a une sorte de compensation à leurs ravages ; les indigènes recueillent ces insectes en grand nombre et les mangent avec plaisir.
– Ce sont les crevettes de l’air», dit Joe, qui, «pour s’instruire», ajouta-t-il, regretta de n’avoir pu en goûter.
Le pays devint plus marécageux vers le soir ; les forêts firent place à des bouquets d’arbres isolés ; sur les bords du fleuve, on distinguait quelques plantations de tabac et des marais gras de fourrages. Dans une grande île apparut alors la ville de Jenné, avec les deux tours de sa mosquée de terre, et l’odeur infecte qui s’échappait de millions de nids d’hirondelles accumulés sur ses murs. Quelques cimes de baobabs, de mimosas et de dattiers perçaient entre les maisons ; même à la nuit, l’activité paraissait très grande. Jenné est en effet une ville fort commerçante ; elle fournit à tous les besoins de Tembouctou ; ses barques sur le fleuve, ses caravanes par les chemins ombragés, y transportent les diverses productions de son industrie.
«Si cela n’eût pas dû prolonger notre voyage, dit le docteur, j’aurais tenté de descendre dans cette ville ; il doit s’y trouver plus d’un Arabe qui a voyagé en France ou en Angleterre, et auquel notre genre de locomotion n’est peut-être pas étranger. Mais ce ne serait pas prudent.
– Remettons cette visite à notre prochaine excursion, dit Joe en riant.
– D’ailleurs, si je ne me trompe, mes amis, le vent a une légère tendance à souffler de l’est ; il ne faut pas perdre une pareille occasion.»
Le docteur jeta quelques objets devenus inutiles, des bouteilles vides et une caisse de viande qui n’était plus d’aucun usage ; il réussit à maintenir le Victoria dans une zone plus favorable à ses projets. À quatre heures du matin, les premiers rayons du soleil éclairaient Sego, la capitale du Bambarra, parfaitement reconnaissable aux quatre villes qui la composent, à ses mosquées mauresques, et au va-et-vient incessant des bacs qui transportent les habitants dans les divers quartiers. Mais les voyageurs ne furent pas plus vus qu’ils ne virent ; ils fuyaient rapidement et directement dans le nord-ouest, et les inquiétudes du docteur se calmaient peu à peu.
«Encore deux jours dans cette direction, et avec cette vitesse nous atteindrons le fleuve du Sénégal.
– Et nous serons en pays ami ? demanda le chasseur.
– Pas tout à fait encore ; à la rigueur, si le Victoria venait à nous manquer, nous pourrions gagner des établissements français! Mais puisse-t-il tenir pendant quelques centaines de milles, et nous arriverons sans fatigues, sans craintes, sans dangers, jusqu’à la côte occidentale.
– Et ce sera fini! fit Joe. Eh bien, tant pis! Si ce n’était le plaisir de raconter, je ne voudrais plus jamais mettre pied à terre! Pensez-vous qu’on ajoute foi à nos récits, mon maître ?
– Qui sait, mon brave Joe ? Enfin, il y aura toujours un fait incontestable ; mille témoins nous auront vu partir d’un côté de l’Afrique ; mille témoins nous verront arriver à l’autre côté.
– En ce cas, répondit Kennedy, il me paraît difficile de dire que nous n’avons pas traversé!
– Ah! monsieur Samuel! reprit Joe avec un gros soupir, je regretterai plus d’une fois mes cailloux en or massif! Voilà qui aurait donné du poids à nos histoires et de la vraisemblance à nos récits. À un gramme d’or par auditeur, je me serais composé une jolie foule pour m’entendre et même pour m’admirer!»
XLI. Les approches du Sénégal. – Le «Victoria» baisse de plus en plus.
Les approches du Sénégal. – Le «Victoria» baisse de plus en plus. – On jette, on jette toujours. – Le marabout Al-Hadji. – MM. Pascal, Vincent, Lambert. – Un rival de Mahomet. – Les montagnes difficiles. – Les armes de Kennedy. – Une manœuvre de Joe. – Halte au-dessus d’une forêt.
Le 27 mai, vers neuf heures du matin, le pays se présenta sous un nouvel aspect : les rampes longuement étendues se changeaient en collines qui faisaient présager de prochaines montagnes ; on aurait à franchir la chaîne qui sépare le bassin du Niger du bassin du Sénégal et détermine l’écoulement des eaux soit au golfe de Guinée, soit à la baie du cap Vert.
Jusqu’au Sénégal, cette partie de l’Afrique est signalée comme dangereuse. Le docteur Fergusson le savait par les récits de ses devanciers ; ils avaient souffert mille privations et couru mille dangers au milieu de ces Nègres barbares ; ce climat funeste dévora la plus grande partie des compagnons de Mungo-Park. Fergusson fut donc plus que jamais décidé à ne pas prendre pied sur cette contrée inhospitalière.
Mais il n’eut pas un moment de repos ; le Victoria baissait d’une manière sensible ; il fallut jeter encore une foule d’objets plus ou moins inutiles, surtout au moment de franchir une crête. Et ce fut ainsi pendant plus de cent vingt milles ; on se fatigua à monter et à descendre ; le ballon, ce nouveau rocher de Sisyphe, retombait incessamment ; les formes de l’aérostat peu gonflé s’efflanquaient déjà ; il s’allongeait, et le vent creusait de vastes poches dans son enveloppe détendue.
Kennedy ne put s’empêcher d’en faire la remarque.
«Est-ce que le ballon aurait une fissure ? dit-il.
– Non, répondit le docteur ; mais la gutta-percha s’est évidemment ramollie ou fondue sous la chaleur, et l’hydrogène fuit à travers le taffetas.
– Comment empêcher cette fuite ?
– C’est impossible. Allégeons-nous ; c’est le seul moyen ; jetons tout ce qu’on peut jeter.
– Mais quoi ? fit le chasseur en regardant la nacelle déjà fort dégarnie.
– Débarrassons-nous de la tente, dont le poids est assez considérable.»
Joe, que cet ordre concernait, monta au-dessus du cercle qui réunissait les cordes du filet ; de là, il vint facilement à bout de détacher les épais rideaux de la tente, et il les précipita au dehors.
«Voilà qui fera le bonheur de toute une tribu de Nègres, dit-il ; il y a là de quoi habiller un millier d’indigènes, car ils sont assez discrets sur l’étoffe.»
Le ballon s’était relevé un peu, mais bientôt il devint évident qu’il se rapprochait encore du sol.
«Descendons, dit Kennedy, et voyons ce que l’on peut faire à cette enveloppe.
Joe détachant la tente de la nacelle.
– Je te le répète, Dick, nous n’avons aucun moyen de la réparer.
– Alors comment ferons-nous ?
– Nous sacrifierons tout ce qui ne sera pas complètement indispensable ; je veux à tout prix éviter une halte dans ces parages ; les forêts dont nous rasons la cime en ce moment ne sont rien moins que sûres.
– Quoi! des lions, des hyènes ? fit Joe avec mépris.
– Mieux que cela, mon garçon, des hommes, et des plus cruels qui soient en Afrique.
– Comment le sait-on ?
– Par les voyageurs qui nous ont précédés ; puis les Français, qui occupent la colonie du Sénégal, ont eu forcément des rapports avec les peuplades environnantes ; sous le gouvernement du colonel Faidherbe, des reconnaissances ont été poussées fort avant dans le pays ; des officiers, tels que MM. Pascal, Vincent, Lambert, ont rapporté des documents précieux de leurs expéditions. Ils ont exploré ces contrées formées par le coude du Sénégal, là où la guerre et le pillage n’ont plus laissé que des ruines.
– Que s’est-il donc passé ?
– Le voici. En 1854, un marabout du Fouta sénégalais, Al-Hadji, se disant inspiré comme Mahomet, poussa toutes les tribus à la guerre contre les infidèles, c’est-à-dire les Européens. Il porta la destruction et la désolation entre le fleuve Sénégal et son affluent la Falémé. Trois hordes de fanatiques guidées par lui sillonnèrent le pays de façon à n’épargner ni un village ni une hutte, pillant et massacrant ; il s’avança même dans la vallée du Niger, jusqu’à la ville de Sego, qui fut longtemps menacée. En 1857, il remontait plus au nord et investissait le fort de Médine, bâti par les Français sur les bords du fleuve ; cet établissement fut défendu par un héros, Paul Holl, qui pendant plusieurs mois, sans nourriture, sans munitions presque, tint jusqu’au moment où le colonel Faidherbe vint le délivrer. Al-Hadji et ses bandes repassèrent alors le Sénégal, et revinrent dans le Kaarta continuer leurs rapines et leurs massacres ; or, voici les contrées dans lesquelles il s’est enfui et réfugié avec ses hordes de bandits, et je vous affirme qu’il ne ferait pas bon tomber entre ses mains.
– Nous n’y tomberons pas, dit Joe, quand nous devrions sacrifier jusqu’à nos chaussures pour relever le Victoria.
– Nous ne sommes pas éloignés du fleuve, dit le docteur ; mais je prévois que notre ballon ne pourra nous porter au-delà.
– Arrivons toujours sur les bords, répliqua le chasseur, ce sera cela de gagné.
– C’est ce que nous essayons de faire, dit le docteur ; seulement, une chose m’inquiète.
– Laquelle ?
– Nous aurons des montagnes à dépasser, et ce sera difficile, puisque je ne puis augmenter la force ascensionnelle de l’aérostat, même en produisant la plus grande chaleur possible.
– Attendons, fit Kennedy, et nous verrons alors.
– Pauvre Victoria! fit Joe, je m’y suis attaché comme le marin à son navire ; je ne m’en séparerai pas sans peine! Il n’est plus ce qu’il était au départ, soit! mais il ne faut pas en dire du mal! Il nous a rendu de fiers services, et ce sera pour moi un crève-cœur de l’abandonner.
– Sois tranquille, Joe ; si nous l’abandonnons, ce sera malgré nous. Il nous servira jusqu’à ce qu’il soit au bout de ses forces. Je lui demande encore vingt-quatre heures.
– Il s’épuise, fit Joe en le considérant, il maigrit, sa vie s’en va. Pauvre ballon!
– Si je ne me trompe, dit Kennedy, voici à l’horizon les montagnes dont tu parlais, Samuel.
– Ce sont bien elles, dit le docteur après les avoir examinées avec sa lunette ; elles me paraissent fort élevées, nous aurons du mal à les franchir.
– Ne pourrait-on les éviter ?
– Je ne pense pas, Dick ; vois l’immense espace qu’elles occupent : près de la moitié de l’horizon!
– Elles ont même l’air de se resserrer autour de nous, dit Joe ; elles gagnent sur la droite et sur la gauche.
– Il faut absolument passer par-dessus.»
Ces obstacles si dangereux paraissaient approcher avec une rapidité extrême, ou, pour mieux dire, le vent très fort précipitait le Victoria vers des pics aigus. Il fallait s’élever à tout prix, sous peine de les heurter.
«Vidons notre caisse à eau, dit Fergusson ; ne réservons que le nécessaire pour un jour.
– Voilà! dit Joe.
– Le ballon se relève-t-il ? demanda Kennedy.
– Un peu, d’une cinquantaine de pieds, répondit le docteur, qui ne quittait pas le baromètre des yeux. Mais ce n’est pas assez.»
En effet, les hautes cimes arrivaient sur les voyageurs à faire croire qu’elles se précipitaient sur eux ; ils étaient loin de les dominer ; il s’en fallait de plus de cinq cents pieds encore. La provision d’eau du chalumeau fut également jetée au dehors ; on n’en conserva que quelques pintes ; mais cela fut encore insuffisant.
«Il faut pourtant passer, dit le docteur.
– Jetons les caisses, puisque nous les avons vidées, dit Kennedy.
– Jetez-les.
– Voilà! fit Joe. C’est triste de s’en aller morceau par morceau.
– Pour toi, Joe, ne va pas renouveler ton dévouement de l’autre jour! Quoi qu’il arrive, jure-moi de ne pas nous quitter.
– Soyez tranquille, mon maître, nous ne nous quitterons pas.»
Le Victoria avait regagné en hauteur une vingtaine de toises, mais la crête de la montagne le dominait toujours. C’était une arête assez droite qui terminait une véritable muraille coupée à pic. Elle s’élevait encore de plus de deux cents pieds au-dessus des voyageurs.
«Dans dix minutes, se dit le docteur, notre nacelle sera brisée contre ces roches, si nous ne parvenons pas à les dépasser!
– Eh bien, monsieur Samuel ? fit Joe.
– Ne conserve que notre provision de pemmican, et jette toute cette viande qui pèse.»
Le ballon fut encore délesté d’une cinquantaine de livres ; il s’éleva très sensiblement, mais peu importait, s’il n’arrivait pas au-dessus de la ligne des montagnes. La situation était effrayante ; le Victoria courait avec une grande rapidité ; on sentait qu’il allait se mettre en pièces ; le choc serait terrible en effet.
Le docteur regarda autour de lui dans la nacelle.
Elle était presque vide.
«S’il le faut, Dick, tu te tiendras prêt à sacrifier tes armes.
– Sacrifier mes armes! répondit le chasseur avec émotion.
– Mon ami, si je te le demande, c’est que ce sera nécessaire.
– Samuel! Samuel!
– Tes armes, tes provisions de plomb et de poudre peuvent nous coûter la vie.
– Nous approchons! s’écria Joe, nous approchons!»
Dix toises! La montagne dépassait le Victoria de dix toises encore.
Joe prit les couvertures et les précipita au dehors. Sans en rien dire à Kennedy, il lança également plusieurs sacs de balles et de plomb.
Le ballon remonta, il dépassa la cime dangereuse, et son pôle supérieur s’éclaira des rayons du soleil. Mais la nacelle se trouvait encore un peu au-dessous des quartiers de rocs, contre lesquels elle allait inévitablement se briser.
«Kennedy! Kennedy! s’écria le docteur, jette tes armes, ou nous sommes perdus.
– Attendez, monsieur Dick! fit Joe, attendez!»
Et Kennedy, se retournant, le vit disparaître au dehors de la nacelle.
«Joe! Joe! cria-t-il.
– Le malheureux!» fit le docteur.
La crête de la montagne pouvait avoir en cet endroit une vingtaine de pieds de largeur, et de l’autre côté, la pente présentait une moindre déclivité. La nacelle arriva juste au niveau de ce plateau assez uni ; elle glissa sur un sol composé de cailloux aigus qui criaient sous son passage.
«Nous passons! nous passons! nous sommes passés!» cria une voix qui fit bondir le cœur de Fergusson.
L’intrépide garçon se soutenait par les mains au bord inférieur de la nacelle ; il courait à pied sur la crête, délestant ainsi le ballon de la totalité de son poids ; il était même obligé de le retenir fortement, car il tendait à lui échapper.
Lorsqu’il fut arrivé au versant opposé, et que l’abîme se présenta devant lui, Joe, par un vigoureux effort du poignet, se releva, et s’accrochant aux cordages, il remonta auprès de ses compagnons.
Pas plus difficile que cela!
«Pas plus difficile que cela, fit-il.
– Mon brave Joe! mon ami! dit le docteur avec effusion.
– Oh! ce que j’en ai fait ; répondit celui-ci, ce n’est pas pour vous ; c’est pour la carabine de M. Dick! Je lui devais bien cela depuis l’affaire de l’Arabe! J’aime à payer mes dettes, et maintenant nous sommes quittes, ajouta-t-il en présentant au chasseur son arme de prédilection. J’aurais eu trop de peine à vous voir vous en séparer.»
Kennedy lui serra vigoureusement la main sans pouvoir dire un mot.