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Kitabı oku: «Cinq semaines en ballon», sayfa 16

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XXXVI. Un rassemblement à l’horizon. – Une troupe d’Arabes.

Un rassemblement à l’horizon. – Une troupe d’Arabes. – La poursuite. – C’est lui! – Chute de cheval. – L’Arabe étranglé. – Une balle de Kennedy. – Manœuvre. – Enlèvement au vol. – Joe sauvé.


Depuis que Kennedy avait repris son poste d’observation sur le devant de la nacelle, il ne cessait d’observer l’horizon avec une grande attention.

Au bout de quelque temps, il se retourna vers le docteur et dit :

«Si je ne me trompe, voici là-bas une troupe en mouvement, hommes ou animaux ; il est encore impossible de les distinguer. En tout cas, ils s’agitent violemment, car ils soulèvent un nuage de poussière.

– Ne serait-ce pas encore un vent contraire, dit Samuel, une trombe qui viendrait nous repousser au nord ?»

Il se leva pour examiner l’horizon.

«Je ne crois pas, Samuel, répondit Kennedy ; c’est un troupeau de gazelles ou de bœufs sauvages.

– Peut-être, Dick ; mais ce rassemblement est au moins à neuf ou dix milles de nous, et pour mon compte, même avec la lunette, je n’y puis rien reconnaître.

– En tout cas, je ne le perdrai pas de vue ; il y a là quelque chose d’extraordinaire qui m’intrigue ; on dirait parfois comme une manœuvre de cavalerie. Eh! je ne me trompe pas! ce sont bien des cavaliers! regarde!»

Le docteur observa avec attention le groupe indiqué.

«Je crois que tu as raison, dit-il, c’est un détachement d’Arabes ou de Tibbous ; ils s’enfuient dans la même direction que nous ; mais nous avons plus de vitesse et nous les gagnons facilement. Dans une demi-heure, nous serons à portée de voir et de juger ce qu’il faudra faire.»

Kennedy avait repris sa lunette et lorgnait attentivement. La masse des cavaliers se faisait plus visible ; quelques-uns d’entre eux s’isolaient.

«C’est évidemment, reprit Kennedy, une manœuvre ou une chasse.

– On dirait que ces gens-là poursuivent quelque chose. Je voudrais bien savoir ce qui en est.

– Patience, Dick. Dans peu de temps nous les rattraperons et nous les dépasserons même, s’ils continuent de suivre cette route ; nous marchons avec une rapidité de vingt milles à l’heure, et il n’y a pas de chevaux qui puissent soutenir un pareil train.»

Kennedy reprit son observation, et, quelques minutes après, il dit :

«Ce sont des Arabes lancés à toute vitesse. Je les distingue parfaitement. Ils sont une cinquantaine. Je vois leurs burnous qui se gonflent contre le vent. C’est un exercice de cavalerie ; leur chef les précède à cent pas, et ils se précipitent sur ses traces.

– Quels qu’ils soient, Dick, ils ne sont pas à redouter, et, si cela est nécessaire, je m’élèverai.

– Attends! attends encore, Samuel!

«C’est singulier, ajouta Dick après un nouvel examen, il y a quelque chose dont je ne me rends pas compte ; à leurs efforts et à l’irrégularité de leur ligne, ces Arabes ont plutôt l’air de poursuivre que de suivre.

– En es-tu certain, Dick ?

– Évidemment. Je ne me trompe pas! C’est une chasse, mais une chasse à l’homme! Ce n’est point un chef qui les précède, mais un fugitif.

– Un fugitif! dit Samuel avec émotion.

– Oui!

– Ne le perdons pas de vue et attendons.»

Trois ou quatre milles furent promptement gagnés sur ces cavaliers qui filaient cependant avec une prodigieuse vélocité.

«Samuel! Samuel! s’écria Kennedy d’une voix tremblante.

– Qu’as-tu, Dick ?

– Est-ce une hallucination ? est-ce possible ?

– Que veux-tu dire ?

– Attends.»

Et le chasseur essuya rapidement les verres de la lunette et se prit à regarder.

«Eh bien ? fit le docteur.

– C’est lui, Samuel!

– Lui!» s’écria ce dernier.

«Lui» disait tout! Il n’y avait pas besoin de le nommer!

«C’est lui à cheval! à cent pas à peine de ses ennemis! Il fuit!

– C’est bien Joe! dit le docteur en pâlissant.

– Il ne peut nous voir dans sa fuite!

– Il nous verra, répondit Fergusson en abaissant la flamme de son chalumeau.

– Mais comment ?

– Dans cinq minutes nous serons à cinquante pieds du sol ; dans quinze, nous serons au-dessus de lui.

– Il faut le prévenir par un coup de fusil!

– Non! il ne peut revenir sur ses pas, il est coupé.

– Que faire alors ?

– Attendre.

– Attendre! Et ces Arabes ?

– Nous les atteindrons! Nous les dépasserons! Nous ne sommes pas éloignés de deux milles, et pourvu que le cheval de Joe tienne encore.

– Grand Dieu! fit Kennedy.

– Qu’y a-t-il ?»

Kennedy avait poussé un cri de désespoir en voyant Joe précipité à terre. Son cheval, évidemment rendu, épuisé, venait de s’abattre.

«Il nous a vus, s’écria le docteur ; en se relevant il nous a fait signe!

– Mais les Arabes vont l’atteindre! qu’attend-il! Ah! le courageux garçon! Hourra!» fit le chasseur qui ne se contenait plus.

Joe, immédiatement relevé après sa chute, à l’instant où l’un des plus rapides cavaliers se précipitait sur lui, bondissait comme une panthère, l’évitait par un écart, se jetait en croupe, saisissait l’Arabe à la gorge, de ses mains nerveuses, de ses doigts de fer, il l’étranglait, le renversait sur le sable, et continuait sa course effrayante.

Un immense cri des Arabes s’éleva dans l’air ; mais, tout entiers à leur poursuite, ils n’avaient pas vu le Victoria à cinq cents pas derrière eux, et à trente pieds du sol à peine ; eux-mêmes, ils n’étaient pas à vingt longueurs de cheval du fugitif.

L’un d’eux se rapprocha sensiblement de Joe, et il allait le percer de sa lance, quand Kennedy, l’œil fixe, la main ferme, l’arrêta net d’une balle et le précipita à terre.

Joe ne se retourna pas même au bruit. Une partie de la troupe suspendit sa course, et tomba la face dans la poussière à la vue du Victoria ; l’autre continua sa poursuite.

«Mais que fait Joe ? s’écria Kennedy, il ne s’arrête pas!

– Il fait mieux que cela, Dick ; je l’ai compris! il se maintient dans la direction de l’aérostat. Il compte sur notre intelligence! Ah! le brave garçon! Nous l’enlèverons à la barbe de ces Arabes! Nous ne sommes plus qu’à deux cents pas.

– Que faut-il faire ? demanda Kennedy.

– Laisse ton fusil de côté.

– Voilà, fit le chasseur en déposant son arme.

– Peux-tu soutenir dans les bras cent cinquante livres de lest ?

– Plus encore.

– Non, cela suffira.»

Et des sacs de sable furent empilés par le docteur entre les bras de Kennedy.

«Tiens-toi à l’arrière de la nacelle, et sois prêt à jeter ce lest d’un seul coup. Mais, sur ta vie! ne le fais pas avant mon ordre!

– Sois tranquille!

– Sans cela, nous manquerions Joe, et il serait perdu!

– Compte sur moi!»

L’enlèvement de Joe.

Le Victoria dominait presque alors la troupe des cavaliers qui s’élançaient bride abattue sur les pas de Joe. Le docteur, à l’avant de la nacelle, tenait l’échelle déployée, prêt à la lancer au moment voulu. Joe avait maintenu sa distance entre ses poursuivants et lui, cinquante pieds environ. Le Victoria les dépassa.

«Attention! dit Samuel à Kennedy.

– Je suis prêt.

– Joe! garde à toi!» cria le docteur de sa voix retentissante en jetant l’échelle, dont les premiers échelons soulevèrent la poussière du sol.

À l’appel du docteur, Joe, sans arrêter son cheval, s’était retourné ; l’échelle arriva près de lui, et au moment où il s’y accrochait :

«Jette, cria le docteur à Kennedy.

– C’est fait»

Et le Victoria, délesté d’un poids supérieur à celui de Joe, s’éleva à cent cinquante pieds dans les airs.

Joe se cramponna fortement à l’échelle pendant les vastes oscillations qu’elle eut à décrire ; puis faisant un geste indescriptible aux Arabes, et grimpant avec l’agilité d’un clown, il arriva jusqu’à ses compagnons qui le reçurent dans leurs bras.

Les Arabes poussèrent un cri de surprise et de rage. Le fugitif venait de leur être enlevé au vol, et le Victoria s’éloignait rapidement.

«Mon maître! monsieur Dick!» avait dit Joe.

Et succombant à l’émotion, à la fatigue, il s’était évanoui, pendant que Kennedy, presque en délire, s’écriait :

«Sauvé! sauvé!

– Parbleu!» fit le docteur, qui avait repris sa tranquille impassibilité.

Joe était presque nu ; ses bras ensanglantés, son corps couvert de meurtrissures, tout cela disait ses souffrances. Le docteur pansa ses blessures et le coucha sous la tente.

Joe revint bientôt de son évanouissement, et demanda un verre d’eau-de-vie, que le docteur ne crut pas devoir lui refuser, Joe n’étant pas un homme à traiter comme tout le monde. Après avoir bu, il serra la main de ses deux compagnons et se déclara prêt à raconter son histoire.

Mais on ne lui permit pas de parler, et le brave garçon retomba dans un profond sommeil, dont il paraissait avoir grand besoin.

Le Victoria prenait alors une ligne oblique vers l’ouest. Sous les efforts d’un vent excessif, il revit la lisière du désert épineux, au-dessus des palmiers courbés ou arrachés par la tempête ; et, après avoir fourni une marche de près de deux cents milles depuis l’enlèvement de Joe, il dépassa vers le soir le dixième degré de longitude.

XXXVII. La route de l’ouest. – Le réveil de Joe.

La route de l’ouest. – Le réveil de Joe. – Son entêtement. – Fin de l’histoire de Joe. – Tagelel. – Inquiétudes de Kennedy. – Route au Nord. – Une nuit près d’Aghadès.


Le vent pendant la nuit se reposa de ses violences du jour, et le Victoria demeura paisiblement au sommet d’un grand sycomore ; le docteur et Kennedy veillèrent à tour de rôle, et Joe en profita pour dormir vigoureusement et tout d’un somme pendant vingt-quatre heures.

«Voilà le remède qu’il lui faut, dit Fergusson ; la nature se chargera de sa guérison.»

Au jour, le vent revint assez fort, mais capricieux ; il se jetait brusquement dans le nord et le sud, mais en dernier lieu, le Victoria fut entraîné vers l’ouest.

Le docteur, la carte à la main, reconnut le royaume du Damerghou, terrain onduleux d’une grande fertilité, avec les huttes de ses villages faites de longs roseaux entremêlés des branchages de l’asclepias ; les meules de grains s’élevaient, dans les champs cultivés, sur de petits échafaudages destinés à les préserver de l’invasion des souris et des termites.

Bientôt on atteignit la ville de Zinder, reconnaissable à sa vaste place des exécutions ; au centre se dresse l’arbre de mort ; le bourreau veille au pied, et quiconque passe sous son ombre est immédiatement pendu!

En consultant la boussole, Kennedy ne put s’empêcher de dire :

«Voilà que nous reprenons encore la route du nord!

– Qu’importe ? Si elle nous mène à Tembouctou, nous ne nous en plaindrons pas! Jamais plus beau voyage n’aura été accompli en de meilleures circonstances!…

– Ni en meilleure santé, riposta Joe, qui passait sa bonne figure toute réjouie à travers les rideaux de la tente.

– Voilà notre brave ami! s’écria le chasseur, notre sauveur! Comment cela va-t-il ?

– Mais très naturellement, monsieur Kennedy, très naturellement! Jamais je ne me suis si bien porté! Rien qui vous rapproprie un homme comme un petit voyage d’agrément précédé d’un bain dans le Tchad! n’est-ce pas, mon maître ?

– Digne cœur! répondit Fergusson en lui serrant la main. Que d’angoisses et d’inquiétudes tu nous a causées!

– Eh bien, et vous donc! Croyez-vous que j’étais tranquille sur votre sort ? Vous pouvez vous vanter de m’avoir fait une fière peur!

– Nous ne nous entendrons jamais, Joe, si tu prends les choses de cette façon.

– Je vois que sa chute ne l’a pas changé, ajouta Kennedy.

– Ton dévouement a été sublime, mon garçon, et il nous a sauvés ; car le Victoria tombait dans le lac, et une fois là, personne n’eût pu l’en tirer.

– Mais si mon dévouement, comme il vous plaît d’appeler ma culbute, vous a sauvés, est-ce qu’il ne m’a pas sauvé aussi, puisque nous voilà tous les trois en bonne santé ? Par conséquent, dans tout cela, nous n’avons rien à nous reprocher.

– On ne s’entendra jamais avec ce garçon-là, dit le chasseur.

– Le meilleur moyen de s’entendre, répliqua Joe, c’est de ne plus parler de cela. Ce qui est fait est fait! Bon ou mauvais, il n’y a pas à y revenir.

– Entêté! fit le docteur en riant. Au moins tu voudras bien nous raconter ton histoire ?

– Si vous y tenez beaucoup! Mais, auparavant, je vais mettre cette oie grasse en état de parfaite cuisson, car je vois que Dick n’a pas perdu son temps.

– Comme tu dis, Joe.

– Eh bien! nous allons voir comment ce gibier d’Afrique se comporte dans un estomac européen.»

L’oie fut bientôt grillée à la flamme du chalumeau, et, peu après, dévorée. Joe en prit sa bonne part, comme un homme qui n’a pas mangé depuis plusieurs jours. Après le thé et les grogs, il mit ses compagnons au courant de ses aventures ; il parla avec une certaine émotion, tout en envisageant les événements avec sa philosophie habituelle. Le docteur ne put s’empêcher de lui presser plusieurs fois la main, quand il vit ce digne serviteur plus préoccupé du salut de son maître que du sien ; à propos de la submersion de l’île des Biddiomahs, il lui expliqua la fréquence de ce phénomène sur le lac Tchad.

Enfin Joe, en poursuivant son récit, arriva au moment où, plongé dans le marais, il jeta un dernier cri de désespoir.

«Je me croyais perdu, mon maître, dit-il, et mes pensées s’adressaient à vous. Je me mis à me débattre. Comment ? je ne vous le dirai pas ; j’étais bien décidé à ne pas me laisser engloutir sans discussion, quand, à deux pas de moi, je distingue, quoi ? un bout de corde fraîchement coupée ; je me permets de faire un dernier effort, et, tant bien que mal, j’arrive au câble ; je tire ; cela résiste ; je me hale, et finalement me voilà en terre ferme! Au bout de la corde je trouve une ancre!… Ah! mon maître! j’ai bien le droit de l’appeler l’ancre du salut, si toutefois vous n’y voyez pas d’inconvénient. Je la reconnais! une ancre du Victoria! vous aviez pris terre en cet endroit! Je suis la direction de la corde qui me donne votre direction, et, après de nouveaux efforts, je me tire de la fondrière. J’avais repris mes forces avec mon courage, et je marchai pendant une partie de la nuit, en m’éloignant du lac. J’arrivai enfin à la lisière d’une immense forêt. Là, dans un enclos, des chevaux paissaient sans songer à mal. Il y a des moments dans l’existence où tout le monde sait monter à cheval, n’est-il pas vrai ? Je ne perds pas une minute à réfléchir, je saute sur le dos de l’un de ces quadrupèdes, et nous voilà filant vers le nord à toute vitesse. Je ne vous parlerai point des villes que je n’ai pas vues, ni des villages que j’ai évités. Non. Je traverse les champs ensemencés, je franchis les halliers, j’escalade les palissades, je pousse ma bête, je l’excite, je l’enlève! J’arrive à la limite des terres cultivées. Bon! le désert! cela me va ; je verrai mieux devant moi, et de plus loin. J’espérais toujours apercevoir le Victoria m’attendant en courant des bordées. Mais rien. Au bout de trois heures, je tombai comme un sot dans un campement d’Arabes! Ah! quelle chasse!… Voyez-vous, monsieur Kennedy, un chasseur ne sait pas ce qu’est une chasse, s’il n’a été chassé lui-même! Et cependant, s’il le peut, je lui donne le conseil de ne pas en essayer! Mon cheval tombait de lassitude ; on me serre de près ; je m’abats ; je saute en croupe d’un Arabe! Je ne lui en voulais pas, et j’espère bien qu’il ne me garde pas rancune de l’avoir étranglé! Mais je vous avais vus!… et vous savez le reste. Le Victoria court sur mes traces, et vous me ramassez au vol, comme un cavalier fait d’une bague. N’avais-je pas raison de compter sur vous ? Eh bien! monsieur Samuel, vous voyez combien tout cela est simple. Rien de plus naturel au monde! Je suis prêt à recommencer, si cela peut vous rendre service encore! et, d’ailleurs, comme je vous le disais, mon maître, cela ne vaut pas la peine d’en parler.

– Mon brave Joe! répondit le docteur avec émotion. Nous n’avions donc pas tort de nous fier à ton intelligence et à ton adresse!

– Bah! monsieur, il n’y a qu’à suivre les événements, et on se tire d’affaire! Le plus sûr, voyez-vous, c’est encore d’accepter les choses comme elles se présentent.»

Pendant cette histoire de Joe, le ballon avait rapidement franchi une longue étendue de pays. Kennedy fit bientôt remarquer à l’horizon un amas de cases qui se présentait avec l’apparence d’une ville. Le docteur consulta sa carte, et reconnut la bourgade de Tagelel dans le Damerghou.

«Nous retrouvons ici, dit-il, la route de Barth. C’est là qu’il se sépara de ses deux compagnons Richardson et Overweg. Le premier devait suivre la route de Zinder, le second celle de Maradi, et vous vous rappelez que, de ces trois voyageurs, Barth est le seul qui revit l’Europe.

– Ainsi, dit le chasseur, en suivant sur la carte la direction du Victoria, nous remontons directement vers le nord ?

– Directement, mon cher Dick.

– Et cela ne t’inquiète pas un peu ?

– Pourquoi ?

– C’est que ce chemin-là nous mène à Tripoli et au-dessus du grand désert.

– Oh! nous n’irons pas si loin, mon ami ; du moins, je l’espère.

– Mais où prétends-tu t’arrêter ?

– Voyons, Dick, ne serais-tu pas curieux de visiter Tembouctou.

– Tembouctou ?

– Sans doute, reprit Joe. On ne peut pas se permettre de faire un voyage en Afrique sans visiter Tembouctou!

– Tu seras le cinquième ou sixième Européen qui aura vu cette ville mystérieuse!

– Va pour Tembouctou!

– Alors laisse-nous arriver entre le dix-septième et le dix-huitième degré de latitude, et là nous chercherons un vent favorable qui puisse nous chasser vers l’ouest.

– Bien, répondit le chasseur, mais avons-nous encore une longue route à parcourir dans le nord ?

– Cent cinquante milles au moins.

– Alors, répliqua Kennedy, je vais dormir un peu.

– Dormez, monsieur, répondit Joe ; vous-même, mon maître, imitez M. Kennedy ; vous devez avoir besoin de repos, car je vous ai fait veiller d’une façon indiscrète.»

Le pays des Kailouas.

Le chasseur s’étendit sous la tente ; mais Fergusson, sur qui la fatigue avait peu de prise, demeura à son poste d’observation.

Au bout de trois heures, le Victoria franchissait avec une extrême rapidité un terrain caillouteux, avec des rangées de hautes montagnes nues à base granitique ; certains pics isolés atteignaient même quatre mille pieds de hauteur ; les girafes, les antilopes, les autruches bondissaient avec une merveilleuse agilité au milieu des forêts d’acacias, de mimosas, de souahs et de dattiers ; après l’aridité du désert, la végétation reprenait son empire. C’était le pays des Kailouas qui se voilent le visage au moyen d’une bande de coton, ainsi que leurs dangereux voisins les Touareg.

À dix heures du soir, après une superbe traversée de deux cent cinquante milles, le Victoria s’arrêta au-dessus d’une ville importante ; la lune en laissait entrevoir une partie à demi ruinée ; quelques pointes de mosquées s’élançaient çà et là frappées d’un blanc rayon de lumière ; le docteur prit la hauteur des étoiles, et reconnut qu’il se trouvait sous la latitude d’Aghadès.

Cette ville, autrefois le centre d’un immense commerce, tombait déjà en ruines à l’époque où la visita le docteur Barth.

Le Victoria, n’étant pas aperçu dans l’ombre, prit terre à deux milles au-dessus d’Aghadès, dans un vaste champ de millet. La nuit fut assez tranquille et disparut vers les cinq heures du matin, pendant qu’un vent léger sollicitait le ballon vers l’ouest, et même un peu au sud.

Fergusson s’empressa de saisir cette bonne fortune. Il s’enleva rapidement et s’enfuit dans une longue traînée des rayons du soleil.

XXXVIII. Traversée rapide. – Résolutions prudentes.

Traversée rapide. – Résolutions prudentes. – Caravanes. – Averses continuelles. – Gao. – Le Niger. – Golberry, Geoffroy, Gray. – Mungo-Park. – Laing. – René Caillié. – Clapperton. – John et Richard Lander.


La journée du 17 mai fut tranquille et exempte de tout incident ; le désert recommençait ; un vent moyen ramenait le Victoria dans le sud-ouest ; il ne déviait ni à droite ni à gauche ; son ombre traçait sur le sable une ligne rigoureusement droite.

Avant son départ, le docteur avait renouvelé prudemment sa provision d’eau ; il craignait de ne pouvoir prendre terre sur ces contrées infestées par les Touareg Aouelimminien. Le plateau, élevé de dix-huit cents pieds au-dessus du niveau de la mer, se déprimait vers le sud. Les voyageurs, ayant coupé la route d’Aghadès à Mourzouk, souvent battue par le pied des chameaux, arrivèrent au soir par 16° de latitude et 4° 55’de longitude, après avoir franchi cent quatre-vingts milles d’une longue monotonie.

Pendant cette journée, Joe apprêta les dernières pièces de gibier, qui n’avaient reçu qu’une préparation sommaire ; il servit au souper des brochettes de bécassines fort appétissantes. Le vent étant bon, le docteur résolut de continuer sa route pendant une nuit que la lune, presque pleine encore, faisait resplendissante. Le Victoria s’éleva à une hauteur de cinq cents pieds, et, pendant cette traversée nocturne de soixante milles environ, le léger sommeil d’un enfant n’eût même pas été troublé.

Le dimanche matin, nouveau changement dans la direction du vent ; il porta vers le nord-ouest ; quelques corbeaux volaient dans les airs, et, vers l’horizon, une troupe de vautours, qui se tint fort heureusement éloignée.

La vue de ces oiseaux amena Joe à complimenter son maître sur son idée des deux ballons.

«Où en serions-nous, dit-il, avec une seule enveloppe ? Ce second ballon, c’est comme la chaloupe d’un navire ; en cas de naufrage, on peut toujours la prendre pour se sauver.

– Tu as raison, mon ami ; seulement ma chaloupe m’inquiète un peu ; elle ne vaut pas le bâtiment.

– Que veux-tu dire ? demanda Kennedy.

– Je veux dire que le nouveau Victoria ne vaut pas l’ancien ; soit que le tissu en ait été trop éprouvé, soit que la gutta-percha se soit fondue à la chaleur du serpentin, je constate une certaine déperdition de gaz ; ce n’est pas grand chose jusqu’ici, mais enfin c’est appréciable ; nous avons une tendance à baisser, et, pour me maintenir, je suis forcé de donner plus de dilatation à l’hydrogène.

– Diable! fit Kennedy, je ne vois guère de remède à cela.

– Il n’y en a pas, mon cher Dick ; c’est pourquoi nous ferions bien de nous presser, en évitant même les haltes de nuit.

– Sommes-nous encore loin de la côte ? demanda Joe.

– Quelle côte, mon garçon ? Savons-nous donc où le hasard nous conduira ; tout ce que je puis te dire, c’est que Tembouctou se trouve encore à quatre cents milles dans l’ouest.

– Et quel temps mettrons-nous à y parvenir ?

– Si le vent ne nous écarte pas trop, je compte rencontrer cette ville mardi vers le soir.

– Alors, fit Joe en indiquant une longue file de bêtes et d’hommes qui serpentait en plein désert, nous arriverons plus vite que cette caravane.»

Fergusson et Kennedy se penchèrent et aperçurent une vaste agglomération d’êtres de toute espèce ; il y avait là plus de cent cinquante chameaux, de ceux qui pour douze mutkals d’or55 vont de Tembouctou à Tafilet avec une charge de cinq cents livres sur le dos ; tous portaient sous la queue un petit sac destiné à recevoir leurs excréments, seul combustible sur lequel on puisse compter dans le désert.

Ces chameaux des Touareg sont de la meilleure espèce ; ils peuvent rester de trois à sept jours sans boire, et deux jours sans manger ; leur vitesse est supérieure à celle des chevaux, et ils obéissent avec intelligence à la voix du khabir, le guide de la caravane. On les connaît dans le pays sous le nom de «mehari.»

Tels furent les détails donnés par le docteur, pendant que ses compagnons considéraient cette multitude d’hommes, de femmes, d’enfants, marchant avec peine sur un sable à demi mouvant, à peine contenu par quelques chardons, des herbes flétries et des buissons chétifs. Le vent effaçait la trace de leurs pas presque instantanément.

Joe demanda comment les Arabes parvenaient à se diriger dans le désert, et à gagner les puits épars dans cette immense solitude.

«Les Arabes, répondit Fergusson, ont reçu de la nature un merveilleux instinct pour reconnaître leur route ; là où un Européen serait désorienté, ils n’hésitent jamais ; une pierre insignifiante, un caillou, une touffe d’herbe, la nuance différente des sables, leur suffit pour marcher sûrement ; pendant la nuit, ils se guident sur l’étoile polaire ; ils ne font pas plus de deux milles à l’heure, et se reposent pendant les grandes chaleurs de midi ; ainsi jugez du temps qu’ils mettent à traverser le Sahara, un désert de plus de neuf cents milles.»

Mais le Victoria avait déjà disparu aux yeux étonnés des Arabes, qui devaient envier sa rapidité. Au soir, il passait par 2° 20’de longitude56, et, pendant la nuit, il franchissait encore plus d’un degré.

Le lundi, le temps changea complètement ; la pluie se mit à tomber avec une grande violence ; il fallut résister à ce déluge et à l’accroissement de poids dont il chargeait le ballon et la nacelle ; cette perpétuelle averse expliquait les marais et les marécages qui composaient uniquement la surface du pays ; la végétation y reparaissait avec les mimosas, les baobabs et les tamarins.

Tel était le Sonray avec ses villages coiffés de toits renversés comme des bonnets arméniens ; il y avait peu de montagnes, mais seulement ce qu’il fallait de collines pour faire des ravins et des réservoirs, que les pintades et les bécassines sillonnaient de leur vol ; çà et là un torrent impétueux coupait les routes ; les indigènes le traversaient en se cramponnant à une liane tendue d’un arbre à un autre ; les forêts faisaient place aux jungles dans lesquels remuaient alligators, hippopotames et rhinocéros.

Le Niger.

«Nous ne tarderons pas à voir le Niger, dit le docteur ; la contrée se métamorphose aux approches des grands fleuves. Ces chemins qui marchent, suivant une juste expression, ont d’abord apporté la végétation avec eux, comme ils apporteront la civilisation plus tard. Ainsi, dans son parcours de deux mille cinq cents milles, le Niger a semé sur ses bords les plus importantes cités de l’Afrique.

– Tiens, dit Joe, cela me rappelle l’histoire de ce grand admirateur de la Providence ; qui la louait du soin qu’elle avait eu de faire passer les fleuves au milieu des grandes villes!»

À midi, le Victoria passa au-dessus d’une bourgade, d’une réunion de huttes assez misérables, qui fut autrefois une grande capitale.

«C’est là, dit le docteur, que Barth traversa le Niger à son retour de Tembouctou ; voici ce fleuve fameux dans l’Antiquité, le rival du Nil, auquel la superstition païenne donna une origine céleste ; comme lui, il préoccupa l’attention des géographes de tous les temps ; comme celle du Nil, et plus encore, son exploration a coûté de nombreuses victimes.»

Le Niger coulait entre deux rives largement séparées ; ses eaux roulaient vers le sud avec une certaine violence ; mais les voyageurs entraînés purent à peine en saisir les curieux contours.

«Je veux vous parler de ce fleuve, dit Fergusson, et il est déjà loin de nous! Sous les noms de Dhiouleba, de Mayo, d’Egghirreou, de Quorra, et autres encore, il parcourt une étendue immense de pays, et lutterait presque de longueur avec le Nil. Ces noms signifient tout simplement «le fleuve», suivant les contrées qu’il traverse.

– Est-ce que le docteur Barth a suivi cette route ? demanda Kennedy.

– Non, Dick ; en quittant le lac Tchad, il traversa les villes principales du Bornou et vint couper le Niger à Say, quatre degrés au-dessous de Gao ; puis il pénétra au sein de ces contrées inexplorées que le Niger renferme dans son coude, et, après huit mois de nouvelles fatigues, il parvint à Tembouctou ; ce que nous ferons en trois jours à peine, avec un vent aussi rapide.

– Est-ce qu’on a découvert les sources du Niger ? demanda Joe.

– Il y a longtemps, répondit le docteur. La reconnaissance du Niger et de ses affluents attira de nombreuses explorations, et je puis vous indiquer les principales. De 1749 à 1758, Adamson reconnaît le fleuve et visite Gorée ; de 1785 à 1788, Golberry et Geoffroy parcourent les déserts de la Sénégambie et remontent jusqu’au pays des Maures, qui assassinèrent Saugnier, Brisson, Adam, Riley, Cochelet, et tant d’autres infortunés. Vient alors l’illustre Mungo-Park, l’ami de Walter Scott, Écossais comme lui. Envoyé en 1795 par la Société africaine de Londres, il atteint Bambarra, voit le Niger, fait cinq cents milles avec un marchand d’esclaves, reconnaît la rivière de Gambie et revient en Angleterre en 1797, il repart le 30 janvier 1805 avec son beau-frère Anderson, Scott le dessinateur et une troupe d’ouvriers ; il arrive à Gorée, s’adjoint un détachement de trente-cinq soldats, revoit le Niger le 19 août ; mais alors, par suite des fatigues, des privations, des mauvais traitements, des inclémences du ciel, de l’insalubrité du pays, il ne reste plus que onze vivants de quarante Européens : le 16 novembre, les dernières lettres de Mungo-Park parvenaient à sa femme, et, un an plus tard, on apprenait par un trafiquant du pays qu’arrivé à Boussa, sur le Niger, le 23 décembre, l’infortuné voyageur vit sa barque renversée par les cataractes du fleuve, et que lui-même fut massacré par les indigènes.

– Et cette fin terrible n’arrêta pas les explorateurs ?

– Au contraire, Dick ; car alors on avait non seulement à reconnaître le fleuve, mais à retrouver les papiers du voyageur. Dès 1816, une expédition s’organise à Londres, à laquelle prend part le major Gray ; elle arrive au Sénégal, pénètre dans le Fouta-Djallon, visite les populations foullahs et mandingues, et revient en Angleterre sans autre résultat. En 1822, le major Laing explore toute la partie de l’Afrique occidentale voisine des possessions anglaises, et ce fut lui qui arriva le premier aux sources du Niger ; d’après ses documents, la source de ce fleuve immense n’aurait pas deux pieds de largeur.

– Facile à sauter, dit Joe.

– Eh! eh! facile! répliqua le docteur. Si l’on s’en rapporte à la tradition, quiconque essaie de franchir cette source en la sautant est immédiatement englouti ; qui veut y puiser de l’eau se sent repoussé par une main invisible.

– Et il est permis de ne pas en croire un mot ? demanda Joe.

– Cela est permis. Cinq ans plus tard, le major Laing devait s’élancer au travers du Sahara, pénétrer jusqu’à Tembouctou, et mourir étranglé à quelques milles au-dessus par les Oulad-Shiman, qui voulaient l’obliger à se faire musulman.

– Encore une victime! dit le chasseur.

55.Cent vingt-cinq francs.
56.Le zéro du méridien de Paris.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 ağustos 2016
Hacim:
310 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
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