Kitabı oku: «Actrice», sayfa 2
- Et voilà, moi qui pensais que tu t’intéressais à moi…
Les yeux de Stefan s’ouvrirent plus grands.
- Oh, mon cœur, je le suis. Je le suis vraiment. Mais on doit établir certaines priorités. La romance est indéniable. Alors comment c’était, vraiment ? Atroce, ou joyeux ?
- Je ne connais personne d’autre qui utiliserait le mot ‘joyeux’ dans une conversation.
Stefan écarta ses bras comme pour dire : C’est le miracle de ma personne.
- Ils ne servent plus de boissons, ici ? dit Mai.
- Hmm… Suis-je en train de sentir une certaine réticence à parler aujourd’hui ? C’était mauvais ?
- Disons que Pedro ne devrait pas faire de la politique. Ses perspectives de carrière seraient limitées.
- A-t-il été cruel ?
- Je crois qu’il aimerait qu’on dise honnête.
- Eh bien, mon humble avis est… il va se faire foutre.
- Je suis contente que tu y aies pensé.
Stefan sourit.
- Laisse-moi t’offrir un verre. Comme d’habitude ?
- S’il-te-plaît. Pas trop de vin blanc.
Stefan alla au bar chercher le spritzer qui était sa boisson préférée. Ses yeux s’étaient maintenant acclimatés, elle jeta un coup d’œil aux gens dans la pièce – ils étaient pour la plupart dans la vingtaine ou au début de la trentaine, coiffées de manière éblouissante, chaussures brillantes et dents uniformes. Dans les médias de tout genre – la télévision, les magazines, la mode. Elle connaissait beaucoup d’entre eux, ou du moins savait ce qu’ils faisaient : Stefan était un guide compétent pour savoir qui était qui dans les médias de Londres. Il était un an plus âgé qu’elle et était passé directement de son lycée de la région rurale de Northampton au centre de Londres, pour apprendre d’abord la danse avant d’en faire son métier. Il venait juste de décrocher son premier boulot important dans une compagnie de danse contemporaine. Elle était fière de lui.
Il revint et s’assit à côté d’elle, en tournant sa chaise pour faire face à la salle. Il s’installa comme s’il regardait la télévision.
- Ils sont tous là, ce soir, c’est bien pour un lundi ! Ce garçon avec la moustache ratée – tu le reconnais ?
- Non, ni la moustache, d’ailleurs.
- Il a remporté la demi-finale de Generation Ex de la semaine dernière. Il est venu avec cette fille au bar aux bras maigres avec le haut bleu Salvation Army. Bientôt une ex, je pense.
- Comment tu sais ces choses ? Tu reçois des emails que je ne reçois pas ?
- Une heure le matin à faire mes exercices – je me règle sur les bonnes stations et le monde entier est là. En plus d’un flux de l’application MailOnline.
- La ligne directe vers l’enfer.
- Je sais, mais que veux-tu qu’un toxicomane de la rumeur fasse ? Alors dis-moi, comment va Alfie ?
- Je te le dirai quand je le verrai.
Stefan s’imprégna d’un visage sympathique avant de se tourner vers elle.
- Oh, ma chérie.
- Les répétitions – pires que les miennes. On dirait qu’il en aura pour des mois. Leur premier concert sera cette semaine.
- Préviens-moi et je viendrai avec toi. Tu pourrais avoir d’une béquille s’ils se cassent et brûlent. Juste pour dire.
- Ça ne me dérangerait pas, mais il n’a pas donné de nouvelles. Tu sais, c’est mon premier jour de répétitions. S’y intéresser un peu ne lui ferait pas de mal.
- C’est un garçon occupé.
- Ne le défends pas, Stefan. Tu aimes trop le drame pour que tu sois arbitre.
- T’es sûre que tu n’es pas allée à l’université ? Des grands mots et tout !
- L’université de la vie, vieux mec. Un studio de télévision. On apprend vite sinon on se noie. On grandit à la vitesse grande V.
- Et on devient dure comme de vieilles bottes.
Mai sourit pour la première fois. Stefan savait que la décrire était aussi difficile que d’être ironique. Il avait reçu trop de coup de fil tard la nuit de sa part depuis deux ans pour croire qu’elle était dure.
- Alors, tu vas bien, vraiment ? demanda-t-il.
- Ça va passer.
- Ce n’est pas suffisant, chérie. Je me casse les couilles et le dos, parce que je veux que tu fasses ce que je fais. Je ne veux pas apprendre que tu te prends au jeu. Ce n’était pas notre marché. Sois tu veux le faire, sois tu ne veux pas. Il y a beaucoup d’autres personnes qui aimeraient être à ta place.
- Mon Dieu, Stefan, je vais bien, vraiment. C’est juste que j’aie eu une première journée difficile. Si je ne peux pas râler et me plaindre à toi, à qui d’autre pourrais-je le ferai ? As-tu un numéro que je peux appeler ?
Stefan lui lança un visage sévère, puis lui fit un clin d’œil :
- Juste pour vérifier. Tu es bonne, alors ne te sous-estime pas.
Mai lui donna un coup sur le bras.
- Et sur ce, je vais aux toilettes.
Elle se leva et se dirigea vers le fond du bar bondé. L’air lui-même semblait briller d’un éclat réfléchi par les hommes et les femmes qui se tenaient debout héroïquement au bar ou assis avec une intimité préfabriquée aux tables cloîtrées. Elle sentit le bruit de la pièce en dessous et saisit une explosion de musique, comme une brise chaude, lorsqu’elle traversa une porte de secours ouverte.
Sur le point d’entrer aux toilettes, elle entendit une personne l’appeler. Elle reconnut la voix et prit un soupir avant de se retourner.
Helena Cross était assise avec deux jeunes hommes à une table basse, lui lançant un grand sourire ; elle avait toute la sincérité d’une animatrice de télévision, sans le charme frigorifiant. Ce soir, elle portait une robe échancrée bleue pâle et le haut de ses seins étaient gonflés de manière attrayante, comme s’ils étaient poussés par des mains ludiques.
- Mai, dit-elle, contente de te voir. J’ai entendu dire que tu avais commencé les répétitions.
Elle garda son sourire en plastique assez longtemps pour préparer Mai au défi.
- Alors, comment ça se passe ? J’ai entendu dire que ton directeur peut être un vrai petit Hitler.
- Helena – je suis contente de te voir, dit-elle jetant un coup d’œil aux deux hommes chacun à leur tour : jeunes pâles aux cheveux noirs et épais. Qui sont ces garçons ?
Helena était de quelques années plus âgée que Mai et comprit la remarque désobligeante. Elle préféra l’ignorer.
- Ils sont tous les deux très gentils, dit-elle en les regardant chacun son tour pour qu’ils se levèrent tous deux et serrent la main de Mai comme si Helena leur avait envoyé des instructions par télépathie.
- Jasper.
- Tarquin.
- Wow, on donne encore ces noms aux garçons ? dit Mai.
Les jeunes hommes baissèrent leurs têtes presque identiques. On aurait pu plutôt les appeler Harry ou Max ou même Jude.
- On dirait que je n’arrive pas à échapper à leur attention, dit Helena. Je vais partout incognito et ils débarquent toujours, comme des paparazzis sans caméras. Je crois qu’ils payent quelqu’un pour me suivre. Ils découvrent où je vais être, se lavent les cheveux, se brossent les dents et me coincent comme Bambi… - elle chercha une image – sans défense. J’aimerais pouvoir dire que je n’aime pas l’attention, mais on profite de l’occasion lorsqu’elle se présente, n’est-ce pas ?
- Je suis sûre qu’ils sont des garçons très bien élevés, dit-elle en les regardant. N’est-ce pas ?
Ils sourirent tous deux, aussi habiles que des vicaires inoffensifs. Être offensant juste une fois signifierait le bannissement de la table haute de la célébrité – à moins que la table ne vous appartienne.
- Alors, tu as vu l’histoire de Deannah, dit Helena gaiement. Bien sûr, tu vas tenter le coup.
- Et toi ?
- Les premiers votes ont déjà été lancés. Je ne voulais pas, mais Finn m’en a persuadé. Tu sais comme il peut être un dur petit oiseau. Plus un petit perroquet méchant sur les épaules qu’un agent. On m’a dit que j’étais déjà une grande favorite. Tu t’imagines !
- C’est bien. Tu dois être très contente.
- Oh oui, vraiment. Je ne vois vraiment pas d’où sera tirée la concurrence – as-tu une idée ?
Elle s’était trahie en retenant son lumineux sourire une seconde de trop. Elle était inquiète, pensa Mai. Elle ne veut pas que je tente le coup.
Mai avait battu Helena dans le rôle de Steffi dans Amberside Terrace il y a deux ans de cela et elle ne l’avait jamais pardonnée, même si Helena avait trouvé une place aux yeux du public comme une célébrité qui performait de temps en temps dans les comédies musicales de West End et dansait dans des émissions télévisées. Mai n’était pas du genre à jubiler, mais dans le cas d’Helena, elle était parfaitement disposée à faire une exception.
- Je dois y aller. La nature m’appelle, dit –elle.
- Alors tu ne vas pas tenter Deannah ?
- Ce serait vendre la mèche, sourit Mai.
- Parce que les gens du Daily Paper ont dit qu’ils me soutenaient. Je plais, apparemment, au mec russe, le propriétaire. La compétition sera uniquement une sorte de publicité, mais il veut que ce soit moi la gagnante.
En poussant la porte pour entrer dans les toilettes caverneuses pour femmes, les lumières s’allumèrent à l’intérieur tel le pont de Starship Entreprise, pensa Mai : elle n’aurait jamais dû me dire ça. Elle avait réalisé qu’elle avait décidé de ne participer pas à la compétition. Elle avait trop à faire les quatre semaines à venir pour perdre son temps à autre chose. Mais une chose avait attisé une étincelle concurrentielle : peut-être était-ce l’idée que le rôle soit attribué à une personne qui ne le comprenait pas. Une actrice prometteuse prend une décision très importante dans les toilettes d’un club. C’était l’un de ces moments déterminants qui laissait une petite trace dans sa conscience qu’elle connaissait bien, qu’elle n’arriverait jamais à oublier ou à effacer, telle une entaille de couteau sur un placard Chippendale.
Lorsqu’elle sortit des toilettes, Helena était toujours assise à sa table, mais seule. Sans le sourire cette fois, l’atmosphère avait changé. Mai sentit qu’elle avait renvoyé les garçons pour qu’ils ne soient pas témoins de ce qui allait se produire. Helena se leva de sa chaise et s’approcha de Mai, qui put distinguer maintenant les taches de rousseur barbouillées de maquillage. Gros plan, visage large, les yeux écarquillés et une grande bouche – trop frappants dans les photos professionnels – c’était grossier et presque moche. Une vigilance sauvage apparut dans ses pupilles sombres.
- Je sais ce que tu fais, dit-elle à Mai. Je t’ai vu déjà vu le faire et je ne permettrai pas que cela recommence !
Mai se sentit reculer.
- Je suis venue ici pour rencontrer un ami. Je suis désolée si tu n’arrives pas à supporter cela.
- Ha ha, putain toujours aussi intelligente et pleine d’esprit. Les mots ne te manquent jamais, c’est ça, grande maline ? J’ai vécu une vie entière à avoir affaire à des gens comme toi et je ne compte pas perdre à nouveau. Je vais avoir ce rôle, cette femme Deannah, et je vais te battre pour le faire.
- Je pense que tu ferais mieux d’éviter le gin. Ça te donne des illusions.
- Tu te la joues décontractée maintenant, parce que c’est ta spécialité. Toujours en contrôle, toujours la petite fille souriante, qui s’implique jamais, qui ne laisse jamais tomber. Je sais ce que tu fais. Laisser les gens venir à toi au lieu d’aller toi-même vers eux, parce que, oh non, on ne doit pas putain voir que tu veux quelque chose, c’est ça ? Pour qu’ensuite on voit que ce n’est pas facile pour toi, n’est-ce pas ? Tu dois te la jouer décontractée.
- Tu l’as déjà dit. Tu te répètes. Est-ce que je peux passer ?
- Rappelle-toi, petite Mai, tu ne vas pas gagner cette fois-ci. Tu as gagné la dernière fois, fille de la putain Geraldine Rose, putain de vedette de cinéma ratée. Mais cette fois, j’ai des gens de mon côté. C’est mon tour. Et tu n’as pas putain intérêt à l’oublier.
Mai évitait ses yeux et s’était fait poussé en arrière vers la porte des toilettes pour femmes. Elle se redressa alors, regarda directement dans les yeux d’Helena et se pencha en avant au niveau des hanches pour que l’autre femme soit obligée de reculer petit à petit.
- Pour ton information, dit Mai savourant le ton de la phrase dans sa bouche uniforme lorsqu’elle le dit et le répéta, pour ton information, je n’avais pas l’intention de jouer le jeu. J’allais dire, Merci mais non, s’ils me l’offraient. Je te remercie beaucoup. Je te remercie de m’avoir fait changer d’avis. La partie commence, pute !
Elle passa en la poussant, sachant qu’Helena la fixait dans son dos et espérait que sa grande bouche soit toujours légèrement ouverte – ça ne lui allait pas du tout.
Elle fit signe à Stefan en passant devant lui et se dirigea directement vers Patty Leading, l’éditrice du showbiz pour Daily Paper. Elle tenait à ce qui ressemblait à une Bloody Mary dans une main maigre, une caméra Canon haute-définition dans l’autre. Son corps était de la minceur osseuse d’une personne qui se punissait par des exercices, plutôt que par déni. Elle parlait avec un jeune homme aux cheveux roux que Mai reconnut comme étant le membre ‘rebelle’ d’un nouveau groupe de garçons. Il portait des basquets Adidas rouge brillant. En public.
Elle saisit le bras de Patty et l’emmena de côté.
- Peux-tu me garantir que le vote au sondage de Deannah est équitable ?
Patty semblait amusée, malheureusement, car les rides autour de ses yeux révélèrent soudainement l’âge que son corps essayait de dissimuler.
- Helena t’a parlé, n’est-ce pas, mon chou ? Une personne du bureau lui a balancé une phrase qu’elle a avalée. Valentin ne reconnaitrait pas Helena Cross d’Helena Bonham-Carter. Même s’il avait vu la Planète des singes.
- Comment ça marche, alors ? Est-ce que je dois mettre formellement mon nom dans un chapeau ou quoi ?
- Non, rien de tel. On demande aux gens de voter pour qui ils veulent. On soumet cependant quelques suggestions, bien sûr. Ça a été annoncé dans notre édition du Sunday d’hier et le premier jour de vote était aujourd’hui, tu as donc déjà loupé une journée, petite idiote.
- Pourquoi idiote ?
- Tu aurais pu commencer la campagne. Les photos etc.
- Je travaillais. Tu sais ce que c’est, le devoir !
Patty rit et prit une gorgée de sa boisson.
- On cherche à avoir une liste restreinte de cinq personnes, puis on demandera aux gens de voter pour elles au cours des semaines à venir.
Elle regarda Mai de près :
- Tu es sûre de vouloir faire ça ?
- Pourquoi pas ? C’est honnête, non ?
- Bien sûr. Les producteurs nous ont dit qu’ils utiliseront les résultats du sondage pour attribuer le rôle de Deannah. Selon le succès populaire, en quelque sorte. Je crois simplement que tu es trop intelligente pour ça. Depuis combien de temps nous nous connaissons ?
- Depuis que tu étais à Hello ! Environ deux semaines après que j’ai commencé à la télé.
- Exactement, et tout ce temps-là, combien de fois es-tu venue me trouvée comme ça et que tu as essayé de te promouvoir ? Ne réponds pas, je vais te le dire. Précisément, jamais. Tu n’as jamais été une tarte médiatique. Alors pourquoi commencer maintenant ?
Mai ne dit rien, son esprit essayait toujours de se remettre du venin qu’Helena lui avait lancé. Elle réalisa qu’elle tenait le bras de Patty en le serrant de plus en plus. Elle le lâcha et laissa sa main tomber.
- Peut-être qu’il est temps que je devienne une tarte, dit-elle. Depuis mon premier jour à la télé, les gens m’ont dit que ça m’arriverait un jour.
Le regard de Patty était sceptique.
- Tu ne le penses pas vraiment, dit-elle en levant sa caméra et l’agitant devant le visage de Mai. Est-ce que je peux prendre une photo de toi, quelques instants après que tu ais pris cette décision bouleversante ?
- Non !
Toutes deux se mirent à rire.
- Alors, dis-moi, pourquoi tu fais ça ? demanda Patty. Pourquoi tu veux le rôle de Deannah ?
Mai réfléchit un instant.
- J’ai le sentiment que je joue déjà ce rôle. Et je ne supporte pas l’idée que quelqu’un d’autre le joue à ma place.
- Ça a l’air d’être une belle connerie. Ça ne ressemble pas.
- Je sais que ça l’est. Je sais. Il y a une connexion entre Deannah et moi, que je n’arrive pas à comprendre. Je l’ai senti lorsque j’ai lu le livre et ça ne m’est jamais sorti de la tête. Je n’ai que vingt ans, et c’est comme si j’étais née pour jouer ce rôle. N’est-ce pas étrange ?
- Ça va au-delà de l’étrange, c’est plutôt effrayant. Fais attention que tu ne prennes pas cela trop au sérieux, Mai. C’est uniquement du showbiz. Ce n’est pas la vraie vie.
- C’est là où tu as tort.
CHAPITRE TROIS
Mardi matin, les premiers signes de la fin de l’automne se manifestaient. Une vraie vague de froid dans l’air traversant les gants et les écharpes. Arrivée aux portails de la vieille école, Mai resta debout derrière un grand pilier en béton, à l’abri du vent persistant, et appela Alfie. Il n’était que 8:45, mais elle avait de l’espoir. Des feuilles tournaient autour de ses chevilles et le ciel gris était parsemé d’oiseaux bruyants impatients de voler vers le sud.
Il répondit à la première sonnerie.
- Salut toi !
- Tu as passé une nuit blanche ou tu viens juste de te réveiller ?
- Debout depuis sept heures, je fais des exercices. Une grande tournée qui approche, je ne peux pas me permettre de tomber malade.
- Impressionnant ! Je suis à l’extérieur d’une école dans le sud de Londres.
- Ça marche avec les écoliers ?
- Je suis une vieille dame pour eux. Ils ne veulent pas le savoir, même si je leur offrais des bonbons.
- La vingtaine passée. On a donc aucun espoir, nous autres.
Tous deux firent une pause et s’écoutèrent respirer. Mai sentit le froid s’approcher doucement de son visage, lui donnant un sentiment de picotements sur ses lèvres et ses oreilles. Elle se demandait pourquoi elle avait cette conversation maintenant. Qu’est-ce qu’elle voulait ?
- Alors, dit Alfie, tu viens demain ? Je t’ai réservé une place au premier rang. Tu viendras en coulisses pour rencontrer le groupe après, pour nous lancer des tulipes. Ou des culottes, c’est à toi de choisir.
- Vous avez toujours le même nom ?
Elle avait essayé de les persuader de ne pas utiliser The Gastric Band comme nom, mais les adolescents attardés qu’étaient les collègues d’Alfie s’en moquèrent et refusèrent de le changer. La tournée réservée, il était probablement trop tard. Leur petite maison de disques avait également renoncé après deux réunions de trois heures, qui s’étaient terminées dans un silence sombre de la part des membres du groupe. En dépit des risques que les critiques puissent inclure des phrases comme ‘The Gastric Band ne sont pas assez hermétiques’ et ‘The Gastric Band ne peuvent pas remettre de l’ordre dans leur merdier’.
- Ne commence pas, Mai, dit Alfie. C’est fait. Alors, tu y seras ?
- J’essayerai. Le directeur de cette pièce est un nazi, donc je ne peux pas lui faire confiance pour finir à l’heure.
- Les nazis étaient connus pour le non-respect des horaires.
- Tu me comprends alors. Elle ne pouvait pas s’empêcher d’ajouter de sa petite voix défensive intérieure faisant du temps supplémentaire : Ne sois pas pointilleux !
Plutôt que de répondre, il resta silencieux comme d’habitude. Elle savait qu’il ne pouvait faire face à aucun type de conflit, il prétendit alors qu’il n’y en avait aucun. Ironiquement, c’était une source de conflit entre eux.
- Tu n’as pas appelé hier, dit-il après un moment.
- Toi non plus, gros malin.
- Ouais, désolé. Le temps nous a échappé. On n’a pas fini avant minuit. Je ne voulais donc pas t’appeler, à cause des répétitions et tout.
- Ce n’est pas grave, c’est pareil pour moi. La raison pour laquelle je n’ai pas appelé.
Elle se demandait pourquoi elle n’avait pas mentionné être sortie avec Stefan. Elle ne se sentait pas coupable, en fait.
- Alors, c’était bien ou quoi ? demanda Alfie.
- Non, de la merde, en fait, se sentant soudainement au bord des larmes, une chaleur lui montant derrière les yeux. Le directeur est un tyran. Un frimeur. Il veut me briser, comme un cheval. Pour que je fasse simplement ce qu’il veut.
- Tu aimerais qu’un grand homme fort se pointe et le tabasse ?
- Ce serait bien !
- Je vais voir si je peux en trouver un…
Mai fit un petit sourire – c’était exactement ce qu’il dirait. Intéressant qu’Alfie puisse être aussi dynamique et physique derrière son arsenal, mais si froid dans la vie réelle. Peut-être que c’est de là qu’il l’a eu, toute cette frustration et cette colère.
- Et il y a autre chose, dit-elle. Bientôt, tu pourrais en lire beaucoup sur moi dans les journaux.
- Le raffut sur Deannah.
- Bien deviné.
- Facile. Joe m’en a parlé. Il t’a vu lire le livre lorsque tu es venu à cette répétition de l’autre jour. Il a demandé si tu étais intéressée. J’ai fait des recherches sur le net hier soir.
- Alors, qu’est-ce que t’en penses ? Est-ce je devrais tenter ma chance ?
- C’est tout à fait toi, non ? Une fille ordinaire qui devient une princesse à temps partiel.
Mai se mit à rire.
- Enfoiré. De toute manière, je n’ai pas besoin de ta permission. Je leur ai déjà dit que je suis dans la course.
- Ça ressemble un peu à un concours de beauté, pourtant. Est-ce ça que tu veux ?
- On dirait que oui puisque j’ai accepté. Qu’en penses-tu ?
- Hé, c’est ta carrière. Tu as décidé de jouer la pièce. Tu as décidé de tourner ce film pourri.
- On ne sait pas encore si c’est pourri. Ça dépendra des effets spéciaux. Une jeune fille doit commencer quelque part.
Mai n’aimait pas la voie que la conversation prenait. Alfie semblait inutilement agressif ce matin, comme s’il libérait son stress intérieur petit-à-petit et qu’il testait sa fermeté.
- Tu vas bien ? demanda-t-elle.
- Oui, pourquoi ?
- Je n’sais pas. Tu as l’air… de mauvaise humeur.
- Tu serais de mauvaise humeur si tu répétais dix chansons pendant trois semaines sans interruption. J’ai une douleur horrible aux bras et je n’arrive plus à sentir mes doigts. J’ai l’impression que ceux sont des bananes qui ont été suturées au bout de mes poignets par un chirurgien cruel de laboratoire expérimental.
Comme cela arrivait souvent au cours de ses répétitions, Mai se retrouva à se demander ce qu’elle ressentait. Si elle voulait exprimer le sentiment de colère et de frustration légère qui s’était engouffré dans la partie supérieure de sa poitrine, que devait-elle faire maintenant ? Pourrait-elle regarder Alfie dans les yeux ? Aimerait-elle le toucher ? Lui donner un coup de poing ? L’embrasser ?
- Tu es encore là ? demanda-t-il d’une voix plus dure.
Elle revint au présent, ressentit un froid sur sa joue dû au contact de l’écran en verre de son téléphone contre son oreille.
- Je réfléchissais, dit-elle. Je vais essayer de passer demain. J’amènerai peut-être Stefan. Il peut prétendre être mon petit copain, te laissant le champ libre avec les fans de seize ans.
- C’est ceux qui ont la vingtaine qui me causent le plus de problèmes. Elles peuvent riposter.
Mai sourit à nouveau au téléphone.
- T’en fais pas pour la pièce, dit Alfie la voix un peu plus douce. Tu es bonne, tu le sais. Laisse Pedro être un con. Qu’est-ce qu’il va faire – te renvoyer ? Je ne crois pas.
- Il l’a déjà fait avant, apparemment. Aucun respect pour les réputations.
- Alors il aura à affronter ma colère de batteur.
- Un spectacle à ne pas manquer !
- C’est le bruit que je fais qui les effraie, en vrai.
Pedro était passé au deuxième acte, où le grand symbole de la pièce faisait son apparition – un oiseau abattu à mort par l’un des personnages et offert au personnage joué par Mai. En lieu du vrai accessoire, Pedro avait apporté un singe empaillé, qui avait fait mourir tout le monde de rires quand ils étudièrent son symbolisme potentiel dans la pièce. Il se laissa entrainer par les rires pendant un moment, mais très vite il en eut marre et se mit à leur crier dessus.
Vers l’heure du déjeuner, ils continuèrent l’acte dans une série de scènes réticentes. Plusieurs personnages avaient de long discours, obligeant Pedro à leur donner ses propres lignes de lecture, et les acteurs non impliqués soupiraient de soulagement et se repliaient dans les chaises bordant les murs. Mai se demandait quand cela irait mieux.
À la pause-déjeuner, elle aperçut une veste sport beige familière au fond du couloir. Eric était entré sans faire de bruit et, elle réalisa, qu’il était probablement ici depuis environ une demi-heure, pour avoir une idée comment ça allait.
Elle lui fit signe des yeux pour qu’il la rejoigne à l’extérieur, puis elle récupéra sa boîte-déjeuner et se dirigea vers la porte de sortie de secours à proximité d’une pile de tréteaux.
Elle s’assit à côté de lui sur le mur de l’aire de jeux de l’école et redevint soudain une écolière à Northampton, généralement isolée des autres filles de son âge les regardant parler des garçons et de musique. Elles mourraient probablement de se retrouver à sa place aujourd’hui – sachant qu’elle avait un petit copain faisant partie d’une bande.
- Maman t’a appelé, alors.
Des fourgonnettes blanches remplies de constructeurs, de décorateurs et d’électriciens vrombirent sur la route. Eric attendit que ce soit calme.
- Tu ne penses pas que je dois prendre de tes nouvelles de temps en temps ? Voir si tu vas bien ? Tu as si peu confiance en moi, ma petite.
Elle lui offrit un sandwich qu’il refusa. Comme d’habitude, il avait besoin de se couper les cheveux et se raser ne serait pas trop lui en demander non plus. Quand elle se sentait généreuse, elle aimait à penser qu’il était trop occupé à prendre soin de ses clients pour avoir le temps de prendre soin de sa personne. Lorsqu’elle était déprimée, elle pensait qu’il n’était qu’un souillon.
- Ça t’arrive de cirer ces chaussures ? Elles ont l’air d’être exactement dans le même état que le jour où on est tous allés à cette ferme à Amberside. Tu te rappelles ?
Eric haussa les épaules. Il ne se sentait jamais assez embarrassé pour changer son apparence.
- Il semblerait que tu as pris une autre décision sans me consulter, dit-il. Je ne crois pas que l’état de mes chaussures soit aussi important que la nature précaire de notre relation professionnelle.
Mai renifla dans son sandwich. À chaque fois qu’Eric se lançait dans une discussion délicate, son langage devenait un labyrinthe, comme pour éviter que le vrai message passe par l’utilisation judicieuse de syllabes.
- Une amie hier m’a rappelé que tu étais mon agent, pas mon patron, dit-elle.
- C’est vrai, c’est vrai, et je donnerai une raclé à quiconque dirait le contraire. Mais il y a des choses qu’on doit considérer stratégiquement. Après tout, ta carrière n’est pas la même chose que de prendre rendez-vous chez le coiffeur. C’est un engagement à long-terme, et chaque décision, chaque tournant dans le dit ‘engagement’ doit être pris en considération à partir des différents angles.
- Comme un diamant.
- Si tu veux, oui. Comme un diamant.
- Ou un quartz.
- Tu ne peux pas dire le contraire, Mai.
Il fit une pause et regarda une femme noire mince traverser le portail de l’école en marmonnant.
- Je suis ici pour veiller sur tes intérêts. Tu te rappelles quand ta mère m’a mis en contact avec toi, il y a deux ans ? On avait signé un contrat. Et dans ce contrat, j’avais mentionné que je travaillerai toujours pour maximiser à la fois ton apport et ton statut professionnel. C’est de ça qu’il s’agit. Tu peux te moquer de moi comme tu veux, et je suis même prêt à y participer de temps en temps, mais lorsqu’il s’agit de prendre une grande décision comme celle-ci, j’aimerai tout simplement avoir un peu de respect. Tu n’as pas le droit de prendre les choses en main et décider te lancer dans un rôle sans me prévenir.
- Eric, regarde-moi. Je suis grande, maintenant. J’avais à peine dix-huit ans quand j’ai signé ce contrat et j’avais besoin de toute l’aide que tu pouvais me donner. Et je t’en remercie. Et merci de m’avoir fait participer à cette pièce et m’avoir eu le rôle dans Tornado, qui je suis sûre battra tous les records de box-office et gagnera dix oscars. Mais en ce qui concerna le rôle de Deannah, lâche-moi putain, d’accord ? C’est une chose que je veux faire. Je veux ce rôle parce que je pense que ça sera bien pour moi, et parce que je pense que le livre est populaire et je sais que je peux le faire. J’ai lu le livre et je connais cette fille. Si j’ai le rôle, j’y serai bonne. Et avec un peu de chance, le film sera bon pour ma carrière.
Il y eut une pause. Puis Eric se redressa de toute sa hauteur.
- Donc, tu te dispenses de mes services.
- Non, pour l’amour du ciel !
- C’est l’impression que j’ai, en tout cas.
- Tu commences à être mélodramatique. C’est mon travail, à l’intérieur de cette putain de salle glaciale. Ce que je veux dire est que notre boulot maintenant soit de faire en sorte que j’obtienne le rôle de Deannah. On complote et on planifie et je bats à nouveau cette blonde d’Helena Cross.
Eric leva brusquement la tête.
- Qu’est-ce qu’elle a à faire dans tout ça ? Qui est-ce qui l’a mêlée à tout ça ?
Mai finit son sandwich et roula la feuille d’aluminium en boule qu’elle mit dans sa boîte-déjeuner.
- C’est elle qui l’a fait. Elle veut le rôle, uniquement pour me battre. Je ne peux pas vraiment lui en vouloir. J’ai eu deux ans d’Amberside, et elle, elle a passé deux ans à choisir des numéros de loterie à la télévision et à suivre des cours de danse avec des députés. Ça aurait pu être moi.
- Peu probable. Au moins, toi, tu as du talent.
- Merci, c’est gentil de l’avoir remarqué. Est-ce qu’on peut reprendre ?
Elle savait qu’à la fin Eric était toujours pragmatique. Il avait des rafales de fierté personnelle, mais finalement elle était son atout majeur et il éviterait de la perdre si cela était possible. Au cours des deux dernières années, il s’était de plus en plus concentré sur elle pendant que sa popularité montait et il avait laissé tomber certains de ses clients les moins importants. Sa mère avait dit à Mai que c’était une erreur, parce qu’il aurait dû élargir sa liste et non la rétrécir pour elle. Mais il la voyait probablement comme un gagne-pain – le premier qu’il ait eu depuis presque trente ans dans le spectacle.