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Kitabı oku: «Amitié amoureuse», sayfa 15

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CLVIII
Philippe à Denise

26 novembre.

Well dear! quelle lettre! prenez garde, on va perquisitionner chez vous… il y a sensation de socialisme là dedans; mon billet ne s'attendait pas à cette éloquente diatribe.

Je veux, répondant d'abord à votre précédente lettre, vous dire combien je me rends compte de l'exaspération où vous met la correction de vos épreuves. A relire plusieurs fois une de ses œuvres on est fatalement pris d'un grand doute et d'un grand dégoût. Tout vient sur le même plan, on ne distingue rien et le sens critique s'atrophie complètement; on arrive à détester ce que l'on a fait et comme c'est un sentiment contre nature de haïr ses enfants, on souffre.

C'est bien à peu près cela, n'est-ce pas, que vous devez éprouver? Je regrette de n'avoir pas été auprès de vous pour vous aider; j'aurais voulu quelques changements dans ces ballades. Je vous les avais indiqués en passant, quand nous les avons lues ensemble au piano. Mais, au fait, peut-être me trompe-je? Car si dans votre avant-dernière lettre vous voulez bien me décerner aimablement les qualités de critique, je me souviens que jadis vous m'avez reproché de manquer d'idées personnelles et d'originalité dans mes jugements.

J'adore toujours le chant hongrois. C'est un malheur pour votre art que vous n'ayez fait que cette ambassade; il y a là une couleur locale étonnante; mais croyez que je ne regrette votre carrière abandonnée que pour cela! Les paroles sont bien tirées des douze Magyars que vous m'avez autrefois lus et traduits? Il me faudra noter, chant par chant, votre traduction, pour m'approcher le plus possible des pensées exprimées par les vers du poète Szàvay.

Vous me semblez être, chère, dans un singulier état d'esprit et je crois, non pas d'après ce que me disent vos lettres, mais d'après ce qu'elles me font deviner, que vous avez un urgent besoin de changer de milieu. Tous ces brusques ressauts de votre esprit, tous ces alanguissements ne me paraissent pas bien clairs. Je ne reconnais pas là mon amie au jugement ferme, au caractère résolu et fort; je m'imagine plutôt une amie un peu hébétée par le grand soleil d'automne, énervée par l'inaction, chercheuse de moulins à vent contre lesquels elle s'efforce de dépenser son activité.

Voyez-vous, on ne se refait pas. Cette expression vulgaire traduit une pensée juste. A certains tempéraments comme le mien, un peu flous, enclins au rêve, réfractaires décidés à toute intervention dans les choses extérieures, peut convenir une vie comme celle que vous menez. A ceux-là suffisent, parce qu'ils ne cherchent pas au delà, l'hypnotisme que produit le perpétuel balancement de la mer, la douceur de l'air, la tranquillité bleue de l'horizon, la solitude somnolente des choses. Pour eux, c'est le bonheur, car pour eux le bonheur «ressemble à une envie de dormir». Mais vous, résolue, active, pratique, pour qui les rêves sont plutôt des projets, qui en même temps que les idées en voyez l'exécution, il est évident que cette solitude entre votre mère et votre fille finira par vous exaspérer.

Vous souffrez de la nostalgie de l'action, du besoin de changement. J'y ai réfléchi: c'est cela qui vous donne cette immense tristesse, ce malaise dont vous m'avez parlé, contre lequel ne peut prévaloir le travail le plus intéressant.

Donc, revenez; vingt-quatre heures de Paris vous remettront d'aplomb. Votre grande philosophie s'abaissera à parler d'un tas de petites choses qui vous détendront l'esprit; nous ferons des potins sur nos connaissances.

Je dîne ce soir rue Murillo. J'ai vu avant-hier miss Suzanne; elle m'a fait un accueil sournois. Je n'ai pas été très satisfait de cette entrevue.

Il se passe dans ce cerveau qui n'est après tout qu'un cerveau de petite fille, des choses que j'ignore et pour lesquelles on croit m'intriguer beaucoup en me les cachant. Aprilopoulos me semble avoir conquis une grande place dans cette petite vanité blessée. Je vous assure que, malgré ma réputation de curieux, je ferai mon possible pour éviter les confidences que l'on croira devoir me faire.

CLIX
Denise à Philippe

Paris, 1er décembre.

Cher,

Nous voici arrivées. Je vous ramène une amie un peu douloureuse.

Je ne vous ai pas prié de venir me voir de peur de vous importuner, et sachant que demain nous dînons ensemble chez ma belle-mère avec les d'Aulnet; ne manquez pas de venir. Je voudrais avoir l'impression de mes Lieder hongrois murmurés et joués par vous.

En voici un nouveau, avec le sens des paroles que vous devez versifier sous mes notes.

Vous me ferez entendre mes fautes demain; je ne sais pas les découvrir; si je le savais, je commencerais par ne pas les faire (ceci n'est en rien une citation de M. de la Palisse, comme vous le pourriez croire!) J'ai toujours peur, quand je compose, de tenter plus que je ne peux. C'est une aspiration vers le mieux qui, parfois, m'entraîne dans une fâcheuse marmelade.

CLX
Philippe à Denise

1er décembre.

Le dîner de demain boulevard Péreire ne me suffit pas; j'irai ce soir présenter mes devoirs et mes tendresses avenue Montaigne. J'avais promis cette soirée rue Murillo pour faire un poker. Je lâche Murillo street et poker.

Et quand elle pense que, sans votre mot porté – bien retardataire! – elle aurait pu, ce soir, apprendre par cette rue et ce boulevard que vous étiez revenue, votre petite lueur voit rouge, madame!

CLXI
Denise à Philippe

Paris, 8 janvier 18…

Vous m'avez dit, hier, à l'Opéra, une chose qui m'a fait bondir le cœur; vous souvient-il seulement de vos paroles? Non, n'est-ce pas?

Les voici: «Je ne vous aime pas, ce soir, dans cette robe de velours cerise et ces fourrures, vous avez l'air d'une bohémienne; vous choquez mes instincts de civilisé et le gris où tendent mes facultés et mes besoins. Tout le monde vous regarde; un voisin de mon fauteuil vous a désignée à un de ses amis en disant: «Voyez cette femme qui entre dans la sixième loge à droite, elle est étrange». Et l'autre alors vous a appréciée toute, d'une façon qui m'a donné envie de le gifler. Tâchez donc, ma chère, qu'on ne vous remarque plus!»

Ma robe, ne vous en déplaise, mon cher, a été composée par Doucet et c'est un brevet de bon goût. Tant pis si vêtue ainsi je parais étrange à ceux qui ne me connaissent pas!

Après cette aimable leçon vous vous êtes tourné, sans avoir la politesse d'entendre ma réponse, et vous avez causé indéfiniment avec Suzanne, heureux de ses coquetteries, sans vous apercevoir qu'elle se servait de vous pour faire souffrir le brave Aprilo.

Nous avons souffert lui et moi, ce soir-là; moi jusqu'à en crier si j'avais osé, et sans pouvoir m'en aller, retenue là par ma belle-mère qui, vous ayant vu me parler sèchement, épiait mon attitude.

Votre amitié, depuis quelque temps, se fait lourde à porter: vous avez des allures de maître, injustifiées. Dans cet affichage de votre exclusivisme, il y a une prise de possession un peu bien maritale de ma manière d'être, de mes goûts, et qu'il ne me plaît plus de souffrir.

Je trouve lâche ce que vous avez fait, de me jeter au visage votre mauvaise humeur et de passer le reste de votre soirée à caqueter avec les jeunes femmes qui étaient dans la loge de madame Trémors. Je n'ai pas eu la force d'en faire autant avec les hommes de nos amis venus là pour nous saluer; cette soumission douloureuse, si peu dans ma nature, m'inquiète; j'aime mieux renoncer à votre amitié que, de nouveau, pareillement souffrir.

Adieu. J'ai seule donné mon cœur; je le reprends, sûre de ne pas troubler la quiétude et les demi-teintes du vôtre.

CLXII
Philippe à Denise

8 janvier.

Votre lettre me cause un vrai chagrin. Je le reconnais, j'ai cédé à un mouvement de mauvaise humeur; je vous en expliquerai la cause, la petite cause, et vous verrez que tout cela n'est pas bien grave. Je vous en demande pardon… Mais que signifie entre nous un moment de mauvaise humeur? Soyez un peu indulgente, réfléchissez.

Quoi qu'il arrive, soyez persuadée que les sentiments de grande estime et de profonde affection que j'ai pour vous n'en seront pas changés.

Vous dites que vous êtes seule à avoir donné votre cœur? Eh bien, reprenez-le, le mien restera.

CLXIII
Philippe à Denise

25 janvier.

Ma chère amie,

L'amitié que je vous ai vouée est trop profonde, trop vraie, pour être brisée par un simple malentendu, vous le savez bien.

J'ai été choqué, il y a quinze jours, d'entendre deux rastaquouères parler de vous avec irrévérence. Il m'a déplu de vous voir analysée par ces inconnus, dévêtue par eux, et traitée de «joli cadeau». Parbleu oui, vous seriez un joli cadeau! Mais pardonnez l'énervement que j'ai eu à l'entendre dire. Je m'en suis pris à votre robe, dans ma jalousie d'ami. Parce qu'un sentiment bête m'a fait divaguer, suis-je inexcusable?

Voyons, amie chère, vous n'avez rien de sérieux à me reprocher? Je vous crois un peu injuste envers moi. J'ai été brutal, je l'avoue; mais vouloir vous faire sciemment souffrir, voilà une chose dont je suis incapable pour bien des raisons, croyez-le.

J'attendais un mot de réponse à ma dépêche; je serais accouru vous demander pardon; ne recevant rien je me suis présenté avenue Montaigne.

– Madame est sortie, me répondit Jean.

Je ne vous dirai pas l'impression que m'a causé ce mot derrière lequel j'ai senti l'ordre donné. Je suis revenu le lendemain – «Madame est sortie» – me fut-il encore dit; mais devant l'air embarrassé du vieux Jean et sa timidité à me répondre, je me suis enhardi et j'ai demandé si miss May et mademoiselle Hélène étaient là. Visiblement gêné, le domestique m'a dit: «Non.»

Pourquoi ces mensonges et cette réclusion, mon amie? Au dîner du dimanche, chez votre mère, je comptais bien vous voir. J'arrive tout espérant chez madame de Nimerck, elle me reçoit avec sa bonté habituelle; les convives viennent; je m'informe de vous à Gérald:

– Denise? elle travaille; elle a déjeuné ce matin avec nous; je l'ai trouvée nerveuse et pâlie; je crois qu'elle se fatigue avec sa diable de composition.

Alors, j'ai respecté votre volonté bien évidente de me fuir, je ne me suis plus présenté chez vous. Mais hier votre belle-sœur m'a dit: «Elle est souffrante…» Denise, je deviens inquiet. A mon tour, je souffre; pourtant, dussiez-vous prolonger cette souffrance et ces inquiétudes, je tiens à vous le dire: je supporterai tout. J'aime mieux être malheureux, même vous sembler manquer de dignité, que renoncer à votre amitié. Descendez au fond de votre conscience, interrogez-la, et vous verrez lequel de nous deux aime maintenant le mieux, ce qui ne veut pas dire le plus.

Je ne vous en veux pas de me faire souffrir; depuis quinze jours je cherche à vous voir, j'attends un mot d'appel; si je vous ai blessée, c'est presque involontairement, mais vous!

Je n'ai jamais su garder un ressentiment contre personne; contre vous cela me serait impossible et insupportable. Je veux aujourd'hui rompre un silence qui me pèse, je l'avoue. Chère Denise, je viens vers vous les mains tendues et je vous demande de me rendre le baiser de paix que je vous envoie du vrai fond de mon cœur.

C'est donc bien peu de chose qu'une amitié, et voilà tout le cas que vous faites de la nôtre? Survienne une impulsion d'énervement, qu'une parole un peu vive échappe dans une discussion, et voilà le lent capital d'affection et d'estime, amassé pendant des années déjà d'une chère intimité, dissipé d'un seul coup… Et c'est vous… vous! En vérité quand je pense à cela, j'en suis navré.

Mon amie, depuis ces quinze jours une ombre épaisse s'est étendue entre nous. J'en suis douloureux et attendri et je viens tout uniment me blottir auprès de vous, chez qui je souffre de me sentir mal.

Voulez-vous m'écrire de venir? J'accourrai, soumis, repentant. Je désire que vous me parliez beaucoup de vous, de ce qui s'est passé dans cette méchante tête et ce grand cœur pendant ces longs derniers jours; vous me direz ce que vous avez fait et ce que vous avez pensé.

Je désire surtout retrouver sur vos lèvres quelques paroles d'affection dont vous m'avez si durement privé, et je baise vos mains tendrement.

CLXIV
Denise à Philippe

26 janvier.

Venez aujourd'hui, à quatre heures, si vous voulez.

CLXV
Denise à Philippe

26 janvier.

Est-ce bien moi qui ai été méchante? Je suis lasse à mourir, cahotée dans cette amitié, ne sachant plus si j'aime ou si je hais, un jour vous croyant bien à moi, puis, tout à coup, vous sentant à mille lieues de moi.

Que se passe-t-il en vous? pourquoi et jusqu'où m'aimez-vous? Pourquoi m'avoir flagellée de mots méchants parce que des inconnus indifférents ont dit n'importe quoi qui vous est bien égal?

Ah! vous me faites de la peine, une profonde peine. Si j'osais, je vous dirais: Même vos louanges, tantôt, m'ont été douloureuses à entendre. C'était encore cruel à vous de me dire: «J'aime mieux ne pas vous rencontrer dans le monde».

Tous les parce que allongeant et expliquant cette phrase ne la rendent pas plus douce à mon cœur. Je vous citerais volontiers ces vers de Voltaire:

 
… Aimez-moi, prince, au lieu de me louer,
 

Je ne sais plus qui je suis ni où je vais. J'ai cru mourir de détresse quand, tout à l'heure, en entrant au salon, vous vous êtes précipité à mes pieds et avez baisé mes mains en murmurant: «Ma chérie, ma chérie!» Je serais tombée évanouie si, ayant pu me lever du fauteuil où l'émotion m'avait affalée en vous voyant entrer, j'avais été debout.

Et quand vous avez dit: «Que me demandez-vous d'être? que voulez-vous de moi?..» Pourquoi n'ai-je pas eu la force de vous crier…

Quelles pauvres poupées nous sommes, imaginatives, insatiables, coquettes et tourmentées, sérieuses et légères, insatisfaites toujours! Notre amitié déjà vieille, quel vent de folie me fait l'agiter, l'animer d'un souffle qui ne peut la rendre ni plus solide ni plus durable?

Le fond de tout ceci n'est-il pas triste et décevant, et faut-il profaner par une tendresse plus familière cette délicieuse atmosphère d'amour qui m'enivre éperdument et dans laquelle il fait si bon vivre?

Ah! toute cette comédie de phrases vous fera-t-elle comprendre mon trouble et mes angoisses?

Mon ami, mon ami, ne me dites plus rien; ni vos jalousies amicales, ni vos paroles câlines, ni vos tendresses trop tendres… tout cela sort calme de votre âme et tombe sur l'embrasement de la mienne sans l'assagir ni l'apaiser; vous croyez distraire mes lèvres et tromper ma soif en me présentant le bord de la coupe, et, malgré toute sagesse, quitte à en mourir, je veux boire à longs traits.

Si vous saviez par quelles tortures me font passer vos paroles d'amitié empreintes d'amour!

Voyez la faiblesse de mon cœur, le désarroi de mon être: Philippe, j'en arrive à regretter de vous avoir rencontré. J'étais presque heureuse avant de vous connaître; le monde m'avait pardonné certaines de mes attitudes rebelles. Vous êtes venu, j'ai voulu vous fuir, et tout ceci maintenant tourne à ma confusion. Comme vous êtes vengé si, dans cet autrefois de nos vies, je vous ai fait souffrir…

Je ne peux plus m'absorber en Hélène; je n'ose plus invoquer le cher ange pour me soutenir dans cette lutte contre moi-même. J'ai pour elle cette tendresse lointaine qui fait que je pense à moi avant de penser à elle.

C'est à vous que je songeais en marchant dans la lande, cet automne; c'est votre nom que jetait sans cesse dans les airs la longue plainte de la mer. Il vole autour de moi, m'enveloppe, m'envoûte; je le vois en lettres flamboyantes écrit sur tout ce que je regarde. Je le murmure pour me calmer et me crucifier à la fois.

Depuis un an, je lutte contre l'envahissement de cet amour, et cette lutte semble fortifier mon désespoir, exalter mes désirs. J'ai pleuré, j'ai prié… rien ne m'a soulagée.

Par pitié, Philippe, secourez-moi, préservez-moi de moi-même! Hélas! cher, la faute serait plus ignominieuse, plus torturante pour moi que pour toute autre puisqu'on ne m'aime pas.

Je vous avoue loyalement ma détresse, aidez-moi à ne pas faillir; ayez pitié, ayez pitié!

CLXVI
Philippe à Denise

27 janvier.

Ma pauvre chérie, votre lettre m'a bouleversé et fait mal. Quoi vous dire? Vous êtes la plus chère et la plus douce habitude de ma vie, tout m'est amertume hors vous et Hélène… Dois-je vous perdre?

Je pense avec terreur que ma tendresse fraternelle a éveillé cet amour parce que vous êtes privée dans la force de votre âge des soins affectueux dont vous avez à votre insu besoin. Je me sens bien coupable… Que puis-je faire? que puis-je dire? Voulez-vous que je m'éloigne? Ordonnez, mon amie.

CLXVII
Denise à Philippe

28 janvier.

Ah! ne partez pas, ne partez pas! que deviendrais-je alors? Je vivrais dans mon rêve jusqu'à en mourir. Écoutez-moi plutôt avec indulgence. L'heure était venue de vous dire toutes mes pensées, de vous montrer tout mon cœur, sinon ne vous seriez-vous pas lassé un jour de mes apparents caprices?

Je ne veux pas que vous m'aimiez; je ne veux pas être privée de l'ami sûr qu'un mal étrange me fait trop chérir. Il me semble que si j'avais continué à me taire, notre amitié y aurait perdu sa franchise et que vous vous expliqueriez mal certains coins de moi, telles ces tristesses dont vous vous inquiétez souvent. Je ne vous fais pas cette confession de gaieté de cœur. J'ai l'âme déchirée et une si profonde humilité me pénètre… mon ami, je pleure en vous écrivant.

Mais, de tout ceci, il ressortira pour moi une grande force, j'espère: vous m'aimerez, vous m'estimerez davantage, me connaissant toute; vous serez indulgent pour ces apparentes froideurs que je ne peux m'empêcher de manifester, hélas! souvent à l'instant même où je vous aime le plus follement; donnez-moi votre aide, je guérirai. Oui, je vous aime. Cela est fou, mais cela est. La fréquence de nos rencontres, la lente pénétration de votre charme, le rêve irréalisable d'une amitié pure, voilà ce qui m'a entraînée. Mon seul espoir est que l'hallucination où je suis s'évaporera dans une larme tiède; elle me sera douce à pleurer, si elle tombe sur votre cœur et s'y ensevelit.

Ce n'est pas seulement une douleur morale, cet amour, c'est aussi un étrange mal physique. Il me faut déployer une force presque surhumaine pour vaincre mon corps misérable. Ne croyez pas, au moins, que cette lettre vous soit envoyée pour vous attendrir ou implorer la charité de vos caresses. Jamais, mon bien-aimé, vos lèvres n'effleureront mes lèvres; mais j'ai bien le droit, n'est-ce pas, de vous aimer dans la solitude de mon cœur? J'ai bien le droit aussi de vous le dire, afin que vous sachiez toute la loyauté de mon être et qu'au moins, par ce point-là, vous m'estimiez et me mettiez un peu à part des autres… Cette pensée soutiendra mes résolutions, surtout me rendra si heureuse…

Là-bas, loin de vous, j'ai essayé de vous oublier; je ne peux pas. Je vous ai si bien donné mon cœur! Jamais je ne pourrai le reprendre. Comme dans la naïve prière enfantine balbutiée par Hélène: «Aucune créature ne le possédera que vous seul».

Comment cela est-il arrivé? je n'en sais rien; ce que je sais c'est que j'aime tout en vous, tout de vous. Vos regards me semblent une caresse lorsqu'ils se posent sur moi; la façon dont vous prononcez certains mots m'est une joie… Et puisque jamais nous ne parlerons de ces choses, laissez-moi vous écrire éperdûment: je vous aime, je vous aime!

CLXVIII
Philippe à Denise

29 janvier.

Je suis bouleversé; je me sens si coupable envers vous… comme cette petite de l'Été de la Saint-Martin: «J'en ai trop mis.»

Les qualités d'excessive finesse de votre nature sont seules vos ennemies; cette passion qui se révèle, et que vous vous croyez la force d'étouffer, m'épouvante. Il me faut la dure expérience que j'ai acquise de la vie pour conclure: cette tourmente passera.

Ma pauvre enfant, j'ai sur vous une influence d'amour; c'est en ce moment votre maladie morale; mais comme vous m'avez autrefois jugé plus digne de votre amitié que de votre amour, ce mal d'aimer se guérissant, j'espère qu'il arrivera à vous quitter d'une manière complète sans pour cela briser l'amitié précieuse qui nous lie.

Je suis profondément malheureux d'avoir produit ce mal; j'en voudrais seul souffrir les effets, en étant la cause involontaire. Je me sens coupable d'une trop ardente amitié, d'une étreinte trop complète de nos intelligences, de nos cœurs. Vous êtes suprêmement, ma chérie, de ces grandes âmes «propres à l'amour» et «qui demandent une vie d'action…» «Les grandes âmes ne sont pas celles qui aiment le plus souvent; c'est d'un amour violent que je parle: il faut une inondation de passion pour les ébranler et pour les remplir2».

Avec mon apparence d'amour j'ai amené cette inondation de passion. Pardonnez-moi!

Je vous aime d'une amitié amoureuse. J'ai voulu bien des fois l'arracher de mon cœur, sans jamais le pouvoir. J'arrivais à vous, ma chaste amie, les sens repus, désireux seulement de l'esprit du cœur qu'en égoïste je me faisais donner par vous. Je m'enivrais de l'artiste vibrante que vous êtes, aussi bien que de vos cheveux sombres, de vos yeux d'or, de la ligne fine de vos sourcils noirs, de vos longs cils rehaussant la pâleur de votre teint, aussi des lents mouvements de votre corps souple et gracile. Votre esprit s'accordait si bien avec la mélodie, le velouté de votre voix et les belles clartés de vos regards, que je ressentais de votre présence des enchantements inouïs, amoureux de cette débauche pure et retenue.

J'ai tenté d'avoir avec vous un amour de rêve que ne pouvait me donner, sans danger pour lui, qu'un corps malade. C'est l'équilibre admirable du vôtre qui est cause de la catastrophe. L'âme, en s'embrasant, a embrasé le corps.

Je ne vous désirais plus, guéri de mon amour, plein de respect dans ce culte de votre joli Vous. Toujours sous le charme, je vous ai voulue à moi seul, dans une amitié fabuleuse, unique, où personne ne pouvait prétendre.

J'ai voulu que vous fussiez mienne ainsi que l'œuvre d'un artiste est sienne; j'ai animé ma Galathée d'une vie de tendresse intellectuelle que je ne n'ai pas vue se transformer pour elle en vie d'amour.

Vous avez été le bibelot rare dont s'éprend jalousement l'amateur et vers lequel il reporte ses plus fines sensations.

J'ai été dilettante et cruel: je vous dispensais la tristesse ou la joie selon que je me sentais le besoin de voir vos yeux noyés de larmes, ou vos lèvres de sang s'ouvrir et montrer l'éclat nacré de vos dents.

J'ai aimé de vous votre maternité suave, vos élans passionnés pour les choses, vos retenues et vos pudeurs en face des êtres, vos tristesses, vos joies, et la solitude, et la pureté de votre vie. J'ai oublié l'époux: je vous ai faite vierge et mère comme Marie, sage comme Marthe, passionnée comme Magdeleine.

Denise, parce que je m'accuse et montre la plaie de mon âme, la recherche cruelle de mon cerveau, ne m'en veuillez pas! Nous sommes ainsi beaucoup de jeunes, torturés, insatisfaits des joies de la vie, chercheurs involontaires de sensations inéprouvées par d'autres. Cet «au rebours» vécu par moi, d'abord avec inconscience, puis compris et savouré ainsi qu'un sentiment superficiel exquis, peut-être introuvable hors en nous, a amené le désastre de votre vie. Ah! Denise, Denise, pardonnez-moi! Ce qui m'avait un peu rassuré – faible excuse, hélas! – c'était le souvenir de votre sage défense et de votre fuite quand, autrefois, je vous ai dit: «Je vous aime.»

Je vous aimais troublée par moi de mille manières, assaillie d'impressions vagues dépassant votre puissance réceptive, heureux de la force de réaction qui vous faisait vous dérober, et, malgré ces reprises, vous sentant bien mienne, – et si purement – assujettie à ma volonté.

Voir votre âme pleine de trouble et la sentir luttant, héroïque et victorieuse de ses tentations, m'était une sensation délectable.

Vous étiez la fleur fragile, délicate, qui seule m'intéresse à la vie. Réellement je vivais de vous, de la répercussion de mes émotions en vous. Quelle joie coupable j'ai eue à voir votre personnalité, jusque-là si forte, vous échapper! Vos grands yeux limpides parfois me touchaient; pris de remords, je vous fuyais; mais pouvais-je vivre longtemps loin de ma chère pâleur? Il me fallait revoir les nuances fines de sa chair, les imperceptibles veines bleues sur la matité des tempes, le cerne des chers yeux; il me fallait sentir palpiter ce cœur; il me fallait surprendre les fuites, les élans de la fragile amie qui s'offrait à moi, énigme obscure et divine, à moi amoureux d'elle si bizarrement, sans jamais vouloir altérer sa pureté.

J'ai nourri mon cerveau de ces ivresses malsaines, et c'est vous qui délirez et criez de douleur…

Voilà ma confession. Vais-je vous perdre?

Ah! chère, guérissez, car vous m'êtes devenue de jour en jour plus chère, comme un morceau de moi-même, et je perdrais de ma vie en vous perdant.

2.Pascal.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
01 ekim 2017
Hacim:
290 s. 1 illüstrasyon
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