Sadece LitRes`te okuyun

Kitap dosya olarak indirilemez ancak uygulamamız üzerinden veya online olarak web sitemizden okunabilir.

Kitabı oku: «Amitié amoureuse», sayfa 16

Yazı tipi:

CLXIX
Denise à Philippe

30 janvier.

Que vous êtes coupable! Il y a des gens qui tuent; en vérité ils sont moins cruels.

Dans quel état je suis, dans quel calme vous êtes! vous raisonnez de mon mal et dites: «il passera» et vous vous complaisez dans l'analyse du vôtre, le trouvant bien supérieur, très subtil, moins banal, créateur de sensations rares invécues.

Je devrais vous haïr. Depuis des ans je suis le pantin que vous vous êtes choisi pour sortir votre vie nonchalante et vide du banal où se complaisent les hommes de plaisir, vos amis.

Je me sens devenir folle…

Vous pensiez: «Chante!» et je chantais. «Pleure!» et je pleurais. «Donne ton âme!» je la donnais. «Ton esprit!» je le donnais. Vous auriez dit: «Ta vie!» Mon Dieu, pardonnez-moi, je l'aurais peut-être donnée…

Et vous n'avez rien vu, rien compris de mes souffrances! pas une minute vous n'avez songé à moi, et, à l'heure qu'il est, vous attendez avec tranquillité ma lettre, encore confiant dans les bons ressorts de la marionnette pas assez brisée pour que vous la rejetiez de vos jeux. Vous n'aviez ni pensé, ni prévu cette agonie? Ah! j'agonise bien, jouissez-en fort!

Hélas! vous avez raison de compter sur ma défaillance, puisque je vous aime. Allons, reprenez les ficelles. Que deviendrais-je sans cette main cruelle qui les tient?

Ce n'est pas vous que je fuyais quand vous m'avez dit «Je vous aime.» C'était l'amour, la faute, la honte, le remords.

Mais vous? qui vous fait me fuir quand, à mon tour, je vous dis: «Je vous aime?» Quel mobile vous pousse à cette austérité? de quelle force de résistance s'arme tout à coup votre nonchalance?

Je suis jeune; vous avez dit vous-même souvent: charmante, jolie. Je suis désirable, en somme, puisque d'autres me désirent et que des litanies d'amour, – dont je n'ai pas embarrassé la pudeur de notre amitié par d'importunes confidences, – s'adressent à moi.

Un soir, si proche encore, vous m'avez dit: «Je vous aime dans cette robe soyeuse d'un ton si pâle et le fouillis savant de ces dentelles…» Et ce même soir, venant auprès de moi, vous dites encore avec l'autorité d'un mari: «Allons, partons-nous? Je commence à avoir assez de cette réception; tous ces hommes qui vous accaparent m'assomment.» Et comme je souriais de cet ordre impérieusement donné, amusée d'être un peu à vous, vous avez murmuré: «J'adore votre sourire et vos mouvements de tête mutins et la souplesse de votre cou de cygne.»

Dans la voiture, frileusement, nous étions bien près l'un de l'autre… vous avez posé votre tête sur mon épaule, disant comme les enfants: «Là… maintenant je suis bien…»

Ah! c'était trop tenter mes forces que de me jeter à tout moment ces bribes de tendresse! Vous ne savez pas le courage qu'il m'a fallu pour ne pas incliner un peu ma tête et poser ma joue sur vos cheveux dont le parfum d'iris, mon parfum, me grisait.

Et tandis que je défaillais vous saviez, vous, que tout cela était un jeu, rien qu'un jeu, une dînette d'enfants où les grands, impérieux, tendent aux petits les plats vides disant: «Mangez!» et exigent le simulacre.

Pauvre bête que j'étais! la tête troublée, le corps ravagé de désirs, comment aurais-je pu remarquer alors la froideur du baiser d'adieu mis sur les gants au moment où je franchissais le seuil de ma maison? Pourquoi ai-je oublié que pour la plupart des hommes: «L'amour fait tout au plus, aujourd'hui, bien monter à cheval ou bien choisir son tailleur3

Mon Dieu! quand je suis auprès de vous, mon corps et mon âme veillent toujours; les vôtres pleins d'une joie quiète, calmes, repus, rêvent et s'endorment. Le vertige d'une amitié unique, idéale, vous grise de pureté, de respect, et moi je succombe à tous ces contacts de votre esprit et presque aussi de votre corps.

N'avez-vous pas vu, n'avez-vous pas compris quel amour insensé est en moi? Je suis éprise de votre allure, de la forme de votre main, de celle de vos pieds; quand je vous vois entrer, l'harmonie de votre corps élégant m'éblouit et m'attire. Vos cheveux me semblent d'une nuance jamais vue, j'aime la courbe qu'ils affectent. Vos yeux me font frissonner quand ils se posent de loin sur moi dans le monde; leur fixité m'effleure ainsi qu'une caresse, vos yeux me possèdent. Le mouvement de vos lèvres, quand vous parlez, semble attirer mes lèvres.

Ah! je suis folle, folle! éprise de vous tout entier, jusque dans vos imperfections, prête à défaillir d'amour à la seule évocation de votre image.

Par cette affreuse possession morale que vous avez prise de moi, je ne suis plus moi, mais une molécule échappée de vous, attirée éternellement vers vous.

Le lendemain de mon arrivée de Nimerck, vous m'avez dit, à cette soirée de ma belle-mère: «Vous avez chanté en grande artiste.» Pourquoi ai-je bien chanté? parce que vous m'en aviez donné l'ordre avec une sorte d'orgueil de ma voix; j'ai senti que vous vouliez montrer le talent de celle que vous vous êtes choisie pour amie, aux hommes nouveaux venus que vous présentiez ce soir-là, surtout parce que vous êtes resté auprès de moi, si près que mon épaule nue était presque appuyée sur votre poitrine; si près que mon corps frôlait votre corps… et j'ai mis dans mon chant toute la passion, tout le tressaillement plein d'ivresse éperdue où me jetait ce furtif et inaperçu contact.

Philippe, je vous aime, je vous aime, et ce m'est une joie tourmentante et divine.

CLXX
Philippe à Denise

31 janvier.

Vous me désolez… Pauvre chère, j'ai votre pardon, n'est-ce pas?

Je n'ose plus aller vous voir, j'ai peur, auprès de vous, de sentir les forces me manquer. Je voulais vous posséder quand, vous connaissant d'une façon superficielle, je ne savais pas quelle vie j'allais gâcher, perdre et troubler à jamais; car vous n'êtes pas de celles qui prendriez avec calme et placidité la faute. Ce soin que j'ai de votre honneur, m'entraîne à vous faire souffrir; mais cette douleur épure votre amour. Denise, il faut qu'il demeure immatériel, autrement vous me haïriez…

Que vous dire? Voulez-vous me recevoir demain soir? Je ne vis plus depuis que je sais votre pensée et votre âme en déroute.

CLXXI
Denise à Philippe

1er février.

Non, ne venez pas. Dans cette déroute il me reste des instants de grande lucidité où je juge le danger proche et où j'ai la volonté de l'éloigner. Le soin qu'il me faut déployer pour ne pas m'abandonner à cette douleur, pour que ceux qui m'entourent n'en soupçonnent pas la cause, me donne une force factice sur moi-même; je ne veux pas la perdre.

Cette force maîtrise l'exaltation où je suis à certaines heures. En tête à tête avec vous, qu'adviendrait-il de moi? L'emportement d'une passion vraie, unique, d'une tendresse si profonde est peut-être contagieux? Vous avez beau être de séniles jeunes hommes et vivre par curiosité, sais-je si le feu qui me dévore ne vous échaufferait pas? J'ai peur de faiblir sous la pression de vos lèvres sur mes mains… Ah! quelles voluptés vos baisers coulent dans mes veines et de quelle ivresse ils m'emplissent toute!

Mais je puis vous voir dans le monde; j'irai après-demain à l'Opéra. Je sais que ma belle-sœur vous a offert une place dans la loge. Venez. Je me fais une joie et un martyre à l'idée d'être auprès de vous durant ces heures.

CLXXII
Denise à Philippe

Samedi, 4 février.

Philippe, mon Philippe, je ne peux plus! Je ne peux plus vous voir, vous entendre, vous coudoyer. J'ai des frissons, des flux de sang au cœur à m'en évanouir quand vous me regardez; ma chair crie vers vous, affamée de vous, folle de votre chair.

On me trouve changée; je ne change pas, je meurs d'amour… Qu'importe le monde, qu'importe la faute, qu'importe tout, je vous aime! Dussé-je en mourir, prenez-moi. Mon âme, mes pensées sont tumultueuses, je ne sais plus qui je suis ni ce que je deviens… je n'ai plus de pudeur, je ne suis plus qu'une hallucinée de tendresse.

Je vis, à côté de ma vie, une vie factice d'amour; elle me brise et m'affole. Vous êtes le rêve de mes jours et de mes nuits; ce rêve mystérieux et réel me tue. Je ne sais plus si c'est vous que j'aime ou l'idéal d'un amour que je cherche en vous.

Votre charme m'enveloppe comme un halo. Je pourrais, misérable, chanter – non, cela se pleure: – «Il y a un secret, Valérian, que je veux te dire: j'ai pour amant un ange de Dieu qui, avec une extrême jalousie veille sur mon corps4

Je vis poursuivie d'imaginaires baisers, ils me crucifient… et je connais l'épouvantable misère de ceux qui aiment et doivent vivre sans amour.

Ayez pitié de ce mal! il broie ma chair et m'ensanglante le cœur.

CLXXIII
Philippe à Denise

5 février.

Écoutez-moi, ma Denise, et pardonnez à l'ami qui a le courage de penser pour vous. Penser, c'est voir. Voir, c'est juger la vie pour ce qu'elle est, et l'amour, ce pivot de la vie, pour ce qu'il vaut.

L'amour, pour vous, ne représente autre chose que la poésie des sens. Mon amie, pour moi, il n'existe pas: c'est une nécessité malheureuse qui s'empreint parfois d'une certaine recherche, d'une apparence de sentiment. Quand je vous aurai possédée, que l'ivresse sera tombée, vous souffrirez par tous les points où la douleur et la honte ont prise sur la pensée. Je contenterai les instincts, les appétits, toute la matière dont vous êtes faite; je serai le maître de votre corps, mais vous y perdrez l'époux de votre âme, parce que la matière est soumise à d'inévitables saturations. Les plus grandes joies ont un lendemain; c'est ce lendemain que je redoute pour nous.

Je vous vois avec terreur, ma chérie, spiritualiser la chair, lui demander ce qu'elle ne peut donner. Il y aurait après l'acte, pour une nature droite et haute comme la vôtre, une détresse effroyable que toute l'ardeur de mes baisers ne pourrait dissiper; elle vous solliciterait à tout rompre, à ne plus me voir; un abîme serait creusé entre nous; croyez-moi: malgré la fougue de votre amour, vous aimez mystiquement.

Allez, les voluptés de la matière ne sont rien auprès de celles qu'enfante votre esprit!

Le bonheur, c'est la volonté d'être heureux. Je n'ai eu cette volonté ni aucune autre. Qu'apporterai-je donc dans cette vie d'amour demandée? Rien que vous n'ayez déjà, s'il s'agit des sentiments nobles et respectueux de l'homme, rien pour vous griser, vous entraîner, vous étourdir et faire s'apaiser, dans l'enivrement d'une passion partagée, le trouble de votre conscience.

Oubliez ce rêve, Denise, un apaisement se fera. Le tumulte où vous êtes entrave, annihile votre force d'âme, mais j'ai l'intime croyance que la virilité de votre caractère reviendra quand vous aurez la sagesse de ne plus compter chaque battement de votre cœur.

L'émoi profond où me mettent vos appels, la sublime et touchante lâcheté de votre grand amour, me donnent la force de vous parler comme je le fais.

Chère, chère, laissez-moi habiter votre cœur, seulement cela!

CLXXIV
Denise à Philippe

5 février.

Au lieu de me faire de la rhétorique et des phrases, dites donc tout simplement que vous m'avez aimée quand je ne vous aimais pas, que je vous aime quand vous ne m'aimez plus; là est la raison de vos raisons.

Vous avez peur aussi que je trouble la quiétude égoïste de votre vie; ma passion vous effraie parce qu'elle est grande et que votre âme, vos joies, vos désirs, sont mièvres et lilliputiens.

Je ne suis bonne qu'à distraire, mouvementer votre esprit en me diversifiant. Voilà la mission que vous m'avez assignée, la part très noble, en vérité, m'échéant dans votre existence; vous ne m'aimez qu'en vue de ce rôle.

Oui, oui, l'amour est une fatale exception à vos lois mondaines correctes et prudentes. Parlez-moi des caprices légers, à la bonne heure! Vous vous créez habilement un calme petit bonheur individuel, pris avec adresse aux dépens des autres… Vous me mangiez l'âme avec délicatesse, à la cuiller; quand, toute blessée, je vous la tends et vous dis: «achève!» vous vous reculez, effrayé de la voir tant saignante, traversée de désirs, inassouvie. Elle tombe tout à coup au beau milieu de votre tranquillité et vous êtes bien las de l'énergie qui surabonde en elle.

Mais comprenez donc: j'aime! – Une émotion inconnue m'entraîne, m'emporte; d'exaspérants désirs me foudroient: j'aime!.. Et j'ai la lâcheté – vous l'avez dit – d'implorer la relativité de votre amour, pourvu qu'il soit: votre amour.

CLXXV
Philippe à Denise

Mardi, 7 février.

L'amour est dans l'ordre moral un mal comparable aux maux physiques; vous injuriez en moi le médecin qui vous fait souffrir ayant l'espoir de vous sauver. O ma chère, chère Denise, pauvre torturée, écoutez encore ma voix dont la douceur finira par vous calmer; l'amour éclate rarement tout à coup, il vient lentement, progresse, dévaste l'âme à l'apogée de sa puissance. Si l'on n'en meurt pas, il décroît, nous laisse convalescents, puis guéris. Guéris? non; je ne suis pas bien sûr que le cœur ne reste à jamais infirme, à jamais brisé.

Ainsi en a-t-il été pour moi.

Tous, nous savons cela; tous, nous voulons aimer, pourtant, parce que c'est un état merveilleux de vivre dans ce remuement d'émotions fortes quand on est jeune, pour vivre de souvenirs quand arrive l'âge des réflexions fortes. Il faut donc vous laisser souffrir avec philosophie et ne pas maudire cette souffrance puisqu'elle est inévitable et que la race entière des humains la supporte; c'est le destin de l'homme d'aimer pour souffrir ou de souffrir pour aimer.

Mais puisque le mal passe, les guéris ne sont pas coupables de préserver ceux qu'ils aiment de succomber, et par suite de s'amoindrir; car troquer l'infortune du rêve contre l'infortune réelle, vivre dans le mensonge, le désenchantement de l'acte commis, sans compter la désagrégation morale qu'on met en soi et autour de soi, c'est la pire des souffrances.

Nous sommes des êtres de sentiment chétif; le roman que chacun de nous bâtit est si vite fini, le souffle qui l'anime si vite épuisé, qu'il vaut mieux ne pas le vivre et le garder à l'état de rêve.

Je vous semble bien raisonneur et bien raisonnable, ma Denise, et vous me le dites durement. Je voudrais simplement, mon amie, vous préserver d'un mal qui passe, d'une chute banale dont vous aurez à rougir – ne fût-ce que vis-à-vis de moi – d'une honte intime que toute la tendresse dont je pourrais vous envelopper ne vous empêchera pas de ressentir.

Il ne s'agit pas pour nous de tromper un mari; il s'agit de vous leurrer d'un amour que je n'éprouve pas; il s'agit de mentir à Hélène et – ceci vous semblera peut-être puéril – je ne pense pas sans un malaise au rôle de dupe que nous lui ferions jouer et à la gêne que vous auriez, sortant de mes bras, chaude encore de mes baisers, à baiser la chère pureté qu'elle est. Je sais que, du jour où je serai votre amant, ma vie se disjoindra de la vôtre en raison directe de ces mensonges et de ces hontes.

Il faut une grande fatuité à l'homme – et bien peu de vrai amour en somme – pour qu'il songe sans remords à posséder une honnête femme. Si je sentais mon moi sublime, capable d'une fidélité absolue ou si je vous aimais moins, peut-être ne résisterais-je pas à ce grand amour qui s'offre.

Vous m'avez jugé autrefois avoir «une intelligence mâle et froide, un cœur hésitant…» Oui, voilà ce que je suis, je sens vivement la vérité de votre antérieure divination…

Denise, Denise, comprenez ce qui se passe en moi; par pitié pour vous, pour Hélène, réfléchissez avant que cette vulgaire et irréparable chose soit entre nous.

Ce rôle un peu ridicule assumé par moi de me refuser à votre tendresse, il me coûte; mais faire de vous, de vous que je respecte, que j'aime; vous ma sœur, la compagne, l'amie entre toutes choisie, sentant en elle les plus hautes vertus et l'honneur, la loyauté d'un homme, faire de vous ce que j'ai fait des autres!..

Denise, chère âme fine, cher esprit d'élite, ayez conscience de la probité qui me fait vous dire: N'aimez pas.

Je vous écris navré; je donnerais tout au monde, afin que dans un éclair de sagesse vous comprissiez ce que je vous dis.

Je vous dicte une loi de douleur; j'en suis malheureux. Mais c'est mon devoir, il me faut l'accomplir.

Ah! pauvre, pauvre délicate amie, comme je vous aime fort pour avoir le courage de vous faire souffrir.

CLXXVI
Denise à Philippe

8 février.

Oh! ces lettres, ces lettres! froides, raisonneuses, prévoyantes de tout le mal, de toute la honte, de tous les désenchantements de l'amour… Je les hais… et je vous aime plus fort, plus cruellement que jamais.

Vous avez beau jeter du mépris sur ma tendresse qui s'offre, j'en suis orgueilleuse ainsi qu'une martyre est orgueilleuse de sa foi.

Avez-vous donc vu des fleurs s'arrêter de s'épanouir et fermer leurs corolles afin de retenir l'exhalaison parfumée de leur âme de fleurs? Aussi involontairement je vous aime.

Ah! vous n'avez jamais aimé pour oser flétrir ainsi l'amour. Je ne sais quoi m'emporte vers vous, malgré tout, si puissamment! Je n'ai même pas la pudeur de ne plus vous dire: «Je vous aime!» et c'est en vous adorant à genoux que je vous le murmure, mon bien-aimé.

Il y a dans ma tendresse des nuances divines; refusez-moi les folles heures d'extase, mais prenez de mon âme son adoration et vivez indifférent dans l'enveloppement de cet amour. Il n'y a pas dans ma passion que cette violence qui me donne le vertige et me fait frissonner, il y a toutes les tendresses fécondes et douces en savantes trouvailles pour le bonheur de l'aimé.

Ah! aimez-moi! aimez-moi! ce cri je le jette, douloureux, vers vous qui ne m'aimez pas. Philippe, mon bien-aimé, donnez-moi la vie d'amour… je l'implore à vos pieds, défaillante.

CLXXVII
Philippe à Denise

9 février.

Mon amie, vos plaintifs accents, vos tendresses passionnées me touchent profondément. Ces cris s'exhalant de votre corps enivré, ces intimes convulsions de votre cœur, emplissent le mien de curiosité, de désir, d'amour. Je me suis fait plus sceptique et plus fort que je ne suis. La passion n'a pas d'honnêteté, l'amour, pas de pudeur.

Eh bien, ne résistons plus; venez, je vous attends; vous êtes belle, je vous aime, j'ai pitié de votre souffrance. Venez, ma bien-aimée.

CLXXVIII
Denise à Philippe

10 février.

Philippe, vous aviez raison, j'étais folle. Je voulais votre amour, un amour égal au mien, mais pas votre pitié.

Je ne suis pas guérie, mais je suis calme; la crise est passée. Je n'en mourrai pas s'il me reste votre amitié.

J'ai reçu votre dépêche à une heure. Je l'ai ouverte avec un tel désir d'y trouver ce que j'implorais que j'ai failli m'évanouir après l'avoir lue. Je me suis vite remise. Très calme, puisque l'avenir de mon amour dépendait de moi, j'ai préparé ma sortie.

A cinq heures, je suis montée en voiture; par prudence, j'ai donné au cocher le numéro de la maison d'en face la vôtre; arrivée là, je ne sais quelle étrange pudeur m'a prise, quelle faiblesse m'a empêchée de descendre tout de suite du fiacre; baissant la glace du devant j'ai dit au cocher: «C'est là, mais j'attends quelqu'un». – Il m'a répondu: «Bien, ma petite dame». Quelques minutes après il dormait sur son siège.

Ah oui! petite dame, je n'étais plus que cela: une pauvre chose étourdie de son action, peureuse, hésitante, troublée comme si elle avait commis un crime, tremblante, et bien, bien misérable.

L'heure passait dans cet affolement d'irrésolution, de désir, de honte… J'ai vu vos fenêtres s'éclairer, j'ai vu votre main soulever un rideau; puis les minutes passaient et j'avais la tête vide et je broyais dans ma main votre dépêche dont certains mots semblaient sortir, se dresser devant moi: Venez – ne résistons plus – ma chérie. Oui, seulement ceux-là, toujours les mêmes. Je pensai: il y en a d'autres… d'autres… m'obstinant à les retrouver… Je n'étais plus rien, rien qu'un mince paquet de chair, d'os, de muscles, comme mis là en tas, séparés les uns des autres, n'obéissant plus à l'esprit de volonté qui anime les corps; je n'aurais pu ni parler, ni marcher, ni penser. Je me suis dit à un moment: «Il pleut… le cocher dort… j'ai froid… l'heure?.. il attend… il est là… j'irai… il attend…» Mais c'étaient mots dits au hasard, mots sans liens, involontaires, vides, sans pensée. Je ne vivais plus, j'étais paralysée.

Les lumières de la rue me semblaient des feux éblouissants. Je crois bien avoir entendu vaguement sonner six heures, puis sept, puis huit… Alors vous êtes apparu… vous vous êtes arrêté sous la porte cochère; vous boutonniez tranquillement vos gants; le sol brillant d'humidité, vous vous êtes baissé et avez relevé le bas de votre pantalon; j'ai vu des reflets de lumière luire sur vos souliers vernis; vous avez ajusté votre pardessus avec soin pour ne pas écraser les fleurs pâles passées à la boutonnière de votre habit, puis, les mains dans les poches, avec votre canne dressée le long de votre bras droit ainsi qu'un fusil, vous êtes parti d'un pas rythmé, allègre, avec une allure d'homme heureux, libre…

Alors, je me suis mise à pleurer si fort, secouée de si grands sanglots nerveux, que le cocher s'est réveillé. Il est descendu de son siège, a ouvert la portière et m'a consolée.

Quelle chose triste et grotesque que la vie!

Il m'appelait; «Ma petite dame…» de plus belle et disait: «Allez, j'en ai vu d'autres! des p'tites belles comme vous qui s'morfondaient… elles étaient aussi démâtées qu'vous… Y n'est pas v'nu?.. Allez, marchez, ça passera.» Ça passera! il a dit ça comme vous…

Alors, j'ai ri aux éclats, prise de folie… c'était vraiment si drôle d'être consolée par ce gros cocher! J'ai tant ri, qu'il a eu peur; son effarement m'a calmée. Ne voulant pas revenir dans cet état chez moi, je lui ai dit: «Vous avez raison, mon brave homme, ça passera; mais j'ai besoin de me calmer, menez-moi au Bois.» Et, pour qu'il ne me crût pas tout à fait folle, j'ai ajouté: «Prenez ce louis, vous avez été poli et complaisant, il est juste que vous soyez récompensé. Je vous paierai les heures à part; allez.» Et nous voilà partis.

Ah! les douleurs, les drames qui se passent dans les fiacres! Les yeux qu'ils voient pleurer, les têtes qu'ils soutiennent, ballottantes sur leurs durs capitons! Quelle nomenclature bizarre, à la fois comique et lugubre on en pourrait faire…

Je crois bien qu'il était onze heures quand je suis rentrée chez moi. Miss May m'attendait; elle me dit tout de suite qu'Hélène s'était couchée désolée et qu'elle m'avait écrit. J'ai couru à ma chambre. Sur mon oreiller l'enveloppe rose se détachait avec cette inscription en grosses lettres d'une écriture bien appliquée: «A madame maman chérie». – J'ai ouvert et j'ai lu «Maman aimée, où êtes-vous? pourquoi donc tu n'as pas dit à ta petite où tu allais? J'ai dîné toute seule, bien triste, pourtant, il y avait des huîtres et de l'ananas; après j'ai pleuré, j'ai voulu aller voir chez grand'mère, mais miss May n'a pas voulu me conduire.»

«Alors j'ai bien pleuré, je pensais que vous étiez écrasée ou bien morte. Ah! maman Nisette comme j'ai peur! j'ai peur aussi que quelqu'un t'a pris, volée comme des méchants volent des petites filles, pourquoi ne viens-tu pas me consoler? Quand tu reviendras viens vite m'embrasser bien fort, que je me réveille pour n'être pas triste dans mon rêve. Je t'aime maman, ma maman chérie à moi toute seule.»

Pauvre ange! je l'avais oubliée pendant ces heures noires. J'ai été l'embrasser, elle s'est réveillée et m'a dit d'une voix défaillante: «Ah! c'est toi, toi; te revoilà!» Et puis s'est rendormie sous mes baisers, les bras serrés fort autour de mon cou. Alors, liée à elle ainsi je l'ai emportée dans mon lit; j'ai passé la nuit à pleurer, à lui demander pardon de mon égarement. Je murmurais en une litanie: «Mon enfant! mon enfant! mon enfant!» Sans pouvoir m'arrêter ni trouver autre chose, j'embrassais ses mains, ses bras, affamée d'elle, malheureuse de ce que je lui avais fait souffrir…

Ah! Philippe, comme votre souvenir était déjà loin dans ce court passé!..

Enfin, la douce chaleur de son petit corps, la quiétude de son paisible sommeil, m'ont calmée. J'ai dormi ainsi qu'une brute, rompue moralement et physiquement.

Voilà; maintenant c'est fini.

Je ne vous en veux pas, mais je suis encore si faible, si troublée que je ne sais pas si je suis complètement guérie. Je le suis, certes, de la crise où j'étais. Vous aviez raison, je le sens. Je vous pardonne le mal que m'a fait votre sagesse. Mais tous ces raisonnements, tous ces faits n'ont pu encore déraciner un si grand amour tant ses fibres entourent et tiennent fort mon pauvre cœur.

3.Stendhal
4.Office de sainte Cécile, Bréviaire romain.
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
01 ekim 2017
Hacim:
290 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain
Metin
Ortalama puan 5, 1 oylamaya göre