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Kitabı oku: «Les français au pôle Nord», sayfa 30

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XI

Après le retour. – La joie de Constant Guignard. – Du pain et point de dents. – Bientôt on pourra dire des rentes et pas de pain. – Sinistres appréhensions. – Encore la tempête. – Sous les iglous. – Provisions volées. – Désastres. – Punition exemplaire des larrons – Egorgement en masse. – Fuite de Pompon. – Famine. – Après avoir mangé les chiens et leurs peaux, on attaque les harnais. – Au moment de mourir de faim.

Contre toute vraisemblance, et même contre toute possibilité, le retour du capitaine, de ses quatre hommes et de ses chiens s'opéra sans incidents notables.

La route fut horriblement pénible, naturellement, et les fatigues écrasantes.

Mais le temps aidant, et surtout l'infinie bonne volonté des auxiliaires à deux et quatre pieds, les difficultés furent vaincues.

Du reste, malgré une parcimonie que le besoin rendait plus cruelle encore, le stock de vivres allait s'affaiblissant à chaque repas. Et la ration prélevée pour l'alimentation des gens et des bêtes allégeait d'autant le poids de l'embarcation redevenue traîneau.

La petite expédition polaire avait mis un peu plus de cinq jours, soit environ cent vingt à cent trente heures, pour atteindre le point où théoriquement se trouve l'axe de la rotation de la terre. Elle effectua son retour en six fois vingt-quatre heures, soit cent quarante-quatre heures.

Elle rallia donc, le 7 mai, à quatre heures après-midi, le quatre-vingt-huitième parallèle, et le campement où se trouvait l'équipage, après avoir traversé la terrible banquise paléocrystique une seconde fois.

On devine la réception enthousiaste qui fut faite aux nouveaux arrivants, comme si eux seuls s'étaient couverts de gloire, avaient bien mérité de la patrie et du monde savant; comme si la victoire définitivement remportée était leur œuvre exclusivement.

En quelques mots émus, le capitaine remercia son brave équipage de cet accueil réconfortant, rendit à chacun la justice qui lui était due, affirma qu'il n'était ni plus ni moins difficile de pousser cinquante lieues plus loin la marche en avant, que tous avaient également collaboré à la découverte du Pôle, et que tous par conséquent devaient participer aux honneurs et aux profits.

Un vivat retentissant accueille celle petite improvisation que tous ont écoutée avec une déférence affectueuse et une joie non dissimulée.

Invalides et bien portants ont quitté la tente pour souhaiter la bienvenue au chef qui, n'ayant pas vu ces pauvres camarades depuis onze jours, est frappé des ravages occasionnés par les privations et la maladie.

Mais la joie est un puissant palliatif à bien des maux; et si les figures sont blêmes, les torses efflanqués et les échines courbées, les yeux luisent, les bouches sourient, les cœurs battent.

En outre, comme vient de le dire incidemment le capitaine, il y aura dorénavant honneur et profits pour les membres de l'expédition française au pôle Nord.

Si un franc matelot du pays de France est sensible à l'honneur, il ne dédaigne pas non plus la rétribution des services qu'il rend de tout cœur, sans marchander.

Le capitaine de la Gallia a promis jadis une haute paye à ceux qui atteindraient d'abord le cercle polaire, puis le pôle Nord lui-même. Cette récompense, comme il vient d'être dit, sera comptée à tous, indistinctement.

Et dame! les pauvres mathurins si durement éprouvés sont dans l'allégresse.

Constant Guignard à peine remis du scorbut, traîne la patte, cligne des yeux, et frotte ses mains pleines de nodosités.

– Cré matin… ça me fait bènaise, de m' savouère un gentil morcieau d'pain pour mes vieux jours, dit-il au Parisien qui, la bienvenue souhaitée, tourmente déjà le gars normand.

– Du pain!.. mais, malheureux… le scorbut t'a enlevé au moins deux douzaines de dents!..

– Voui!.. voui!.. blague donc, té, Parisien… si mon pain est trop dur, j' l'émietterai dans du bère…

– Et tu licheras à année faite à la santé du Pôle, vieux poivrot.

– P'utôt deux fois qu'eine!.. le Pôle… ça sera mon ami…

«Et… comme ça… tu l'as vu, tè…

– Comme je te vois.

– Et sa physolomie… dis voir un peu comment qu'all' est.

– Figure-toi une baleine qui ne bouge ni pieds ni pattes et sort à mi-corps de l'eau…

– Bon!.. après?

– Michel arrive… lui emmanche un coup de croc dans le flanc, ça fait p'ch!.. ch!.. ch!.. et ça corne que ça empoisonne à cent brasses…

– Et pis après?..

– La baleine ou le Pôle, comme tu voudras, s'emplit d'eau, coule et puis plus rien… fini…

– Qué que tu m'dis là, tè?.. Michel a tué le pôle Nord?..

– Paraîtrait, puisque t'hérites de lui…

– Du Pôle?..

– Dame!.. ta haute paye… ta retraite… ta solde de rentier… ton pain… ton bère…

«Tout ça, mon vieux lascar, c'est l'héritage de ce pauvre défunt Pôle exproprié par nous de son domaine, et sabordé comme un vieux patachon d'eau salée.

«D'mande plutôt à Michel s'il ne l'a pas embroché, et raide!»

… Pendant ce colloque réaliste qui peut à peine dérider les malades retombés déjà dans leur atonie, le second, Berchou, après avoir remis le commandement au capitaine, lui rend compte de la situation.

Cette situation, déjà bien précaire lors du départ de l'officier pour le Pôle, s'est encore empirée. Aujourd'hui elle est absolument déplorable.

Bien qu'il eût pris dès le début l'initiative d'un rationnement rigoureux, surtout pour des hommes épuisés, le stock de vivres a diminué d'une façon alarmante.

Aujourd'hui qu'il faut continuer à servir aux malades la ration entière, la famine se dresse menaçante à très courte échéance.

– Mais la chasse… la pêche… observe le capitaine horriblement inquiet.

– Nulle!.. complètement nulle, répond Berchou.

«Nous avons cru, sur la foi de relations offrant toutes les garanties d'authenticité, que les abords de la région polaire fourmillaient de gibiers aquatiques ou aériens.

«C'est le désert, capitaine!..

«Le désert, ou plutôt l'enfer de glaces.

«Malgré sa patience et son habileté de sauvage, Oûgiouk n'a rien capturé.

«Les chasseurs, notamment le docteur, n'ont relevé aucune trace, et rien ne nous arrive des régions méridionales, malgré l'élévation de la température.

«Capitaine, je suis inquiet… bien inquiet.

«Non pas pour moi, vous le savez; ni même pour nos pauvres marins dont la résignation est sublime…

«Mais songez donc, si après une réussite aussi splendide, vous alliez ne pas pouvoir profiter de la victoire!

«Si nous allions mourir ici… bêtement… faute de quelques milliers de rations, sans qu'on sache là-bas que vous avez vaincu l'Allemand… que les couleurs ont flotté au Pôle!..

– Nous n'en sommes pas encore là, mon brave Berchou, répond le capitaine ému de cette héroïque abnégation.

«L'essentiel est de tenir jusqu'au dégel qui ne peut tarder et alors avec les premières chaleurs afflueront les gibiers de toute sorte.

«Pense donc, nous sommes dans six heures au 8 mai!

– Le ciel vous entende, et nous prenne en pitié, capitaine!»

Dès le lendemain, les espérances du commandant de la Gallia reçurent un démenti formel.

Pour la première fois depuis longtemps le baromètre subit une lente et continuelle dépression. Le vent du Sud commence à s'élever; le vent maudit des neiges et des frimas, et le ciel peu à peu se couvre de gros nuages bas, gris, floconneux.

Pendant vingt heures la baisse barométrique est telle, que la pression n'est plus que de 72!

Bientôt le vent souffle avec une furie sans égale et la neige tombe en tourbillons épais, serrés, aveuglants. Subitement, le jour est devenu terne, blafard.

Du reste la neige s'abat avec une telle surabondance, qu'on ne voit plus à quatre mètres de soi.

Dès le premier moment, la tente, emportée par une rafale, disparaît derrière cette espèce de plaque en verre dépoli qui entoure les malheureux explorateurs.

Les voilà sans abri pour les malades qui frissonnent sous l'averse glacée, et se blottissent dans leurs sacs.

Le traîneau sur lequel est resté amarré le bateau qui a porté les cinq hommes au Pôle est culbuté, puis mis en pièces sur les roches de glace.

Il faut au plus vite, sous les ordres et d'après les plans d'Oûgiouk, élever à la hâte une hutte de neige, un iglou, comme disent les sauvages groenlandais.

C'est une sorte de hutte hémisphérique, très surabaissée, percée d'un trou par lequel on se glisse à quatre pattes dans l'intérieur.

Que de peines, de travaux, de fatigues et de mécomptes pour élever seulement deux iglous dans lesquels s'engouffrent pêle-mêle, harassés, courbaturés, mourant de soif et de faim, les hommes et les chiens.

Dumas a repris ses fonctions de chef de cuisine, au grand regret de Courapied, dit Marche-à-Terre, fortement soupçonné de s'engraisser aux dépens de l'ordinaire.

Le brave Provençal se multiplie, installe une lampe à alcool heureusement échappée au désastre, emplit de neige le digesteur, prépare le café, popote un rata soigné pour les malades, songe ensuite aux hommes valides, puis à lui-même.

On est très mal sous l'abri tutélaire de l'iglou. La lampe, l'entassement des gens et des bêtes y développe une température chaude, nauséeuse, presque irrespirable.

Mais nul ne se plaint. Trop heureux d'être à couvert.

On ramasse les provisions enfouies sous la neige par le cyclone. Les chiens, guidés par leur odorat, en ont malheureusement trouvé la majeure partie, et dévoré le plus clair de la réserve avec leur avidité gloutonne de bêtes toujours inassouvies.

Il est trop tard pour récriminer, mais les matelots furieux jettent des regards de cannibales sur leurs camarades à quatre pattes jadis choyés, caressés, dorlotés comme des enfants.

Au dehors, l'ouragan fait rage sans qu'on puisse en présager la fin.

La région polaire ménage aux explorateurs de ces transformations d'autant plus cruelles qu'elles sont inattendues, et ramènent brutalement l'hiver arctique avec ses rigueurs, alors que l'époque de l'année, la clémence relative de la température semblent faire présager le printemps.

Cette troisième tempête de neige infiniment plus violente que celles dont ils ont précédemment subi l'assaut, dure huit jours entiers, sans un moment de rémission, c'est-à-dire jusqu'au 18 mai.

Le jour anniversaire de leur départ de France devait, dans la pensée de chacun, donner lieu à une petite fête en rapport avec la modicité de leurs moyens. Ce jour, – le 13 mai – amena une fatale découverte.

Les chiens, mis en goût par leur premier larcin, se sont ingéniés, depuis ce moment, avec leur flair et leur adresse d'animaux aux trois quarts sauvages, à renouveler leur bombance.

Ils ont merveilleusement réussi, en ce sens qu'après avoir trouvé le stock aux provisions, ils ont rongé les caisses, éventré les ballots, gaspillé autant qu'ils ont consommé, mais avec une telle ruse, une telle entente du pillage, une telle sournoiserie, qu'on se demande s'ils n'ont pas été aidés ou guidés par quelqu'un.

Mais non! chacun parmi les membres du vaillant équipage est incapable d'une telle félonie. On meurt de faim bravement, dignement, sans une plainte, mais nul ne songe à prolonger sa vie aux dépens de celle du camarade.

Cependant… et Oûgiouk!.. lui qui en sa qualité de sauvage n'a pas les mêmes motifs d'abnégation que les Français.

Oûgiouk est gras, luisant, bouffi de bien-être et de santé. En outre, le jour de la découverte du pillage il empoisonne l'alcool.

On lui demande s'il a faim. Pour la première fois peut-être il répond que non. S'il a soif, il répond:

– Tout à l'heure, j'aurais encore soif!

Plus de doute! Il s'empiffre de solide et de liquide aux dépens des malheureux qui ménagent avec une douloureuse parcimonie les dernières bribes de leur approvisionnement.

Sans penser à mal, Oûgiouk avoue qu'il a bu et mangé à sa soif comme à sa faim, et, sans avoir aucunement conscience de sa mauvaise action, déclare qu'il n'a jamais si bien vécu.

En dix jours, son estomac groenlandais, et les dix-neuf estomacs non moins groenlandais des chiens ont absorbé le plus clair des vivres!

Une preuve cependant qu'Oûgiouk est moins inconscient qu'il ne voudrait peut-être le faire croire, c'est que les ballots et les caisses régulièrement empilés sous une des chaloupes, n'ont pas été en apparence dérangés. Les ouvertures faites par la dent des chiens se trouvent habilement dissimulées par des lambeaux de fourrures et de prélarts, des effets hors d'usage, des boîtes à munitions, de façon à ce que l'amas conserve à peu près son aspect extérieur habituel.

Il devient presque évident que l'homme et les chiens sont complices.

Qu'il y ait ou non connivence, la catastrophe n'en est pas moins irréparable.

Aussi, quel triste anniversaire, au lieu du petit et bien maigre festival attendu.

En conséquence, comme il devenait impossible de nourrir les chiens, il fallut se résoudre à un pénible sacrifice, auquel les services qu'on était en droit d'attendre pour l'avenir des pauvres bêtes et l'amitié qu'on leur portait, malgré tout, enlevait toute idée de représailles.

Les vingt chiens furent condamnés à mort et exécutés par Dumas qui les saigna à blanc avec le coutelas professionnel.

Non pas tous, pourtant, car un seul échappa provisoirement au massacre ordonné par la plus cruelle nécessité.

On se demande sans doute pourquoi l'homonyme du grand Tartarin se servit de son tranche-lard et non pas de la carabine, et pourquoi on égorgeait comme des porcs et des moutons ces bons serviteurs, au lieu de les fusiller.

L'ordre du docteur était formel.

Comme on manquait de sang de phoque tout frais pour les scorbutiques et comme la condamnation des chiens allait faire couler une grande quantité de ce liquide plus précieux que la plupart des remèdes, il fut convenu que tous les malades sans exception, convalescents, gravement ou légèrement atteints, se gorgeraient de sang tout chaud.

Nul ne fit d'ailleurs d'observation, tant la fin terrible du pauvre Fritz, présente à tous les esprits, suffit à triompher des répugnances.

Plume-au-Vent, ancien capitaine des chiens, n'avait pu assister au massacre de ses subordonnés et amis, dont quelques-uns, on s'en souvient, étaient devenus de véritables chiens savants à une époque plus heureuse.

Il s'enfuit à travers la neige pour ne pas entendre les hurlements épouvantables des pauvres bêtes, et assister à l'agonie de ses favoris: Bélisaire, Cabos, Ramonat et Pompon.

Quand il revint, Dumas rouge comme un des exécuteurs de la Villette, venait de saisir Pompon qui, au lieu de résister, vagissait plaintivement, comme un enfant.

Le Parisien à cette vue ne put retenir une grosse larme et s'écria:

– Tonnerre de Dieu! je croyais le carnage fini!..

«Dumas… matelot… laisse-le aller… un moment… veux-tu?

– Eh!.. Pécaïré! je ne demande pas mieux…

«Si tu savais comme ça me çavire de çouriner ces pauvres innocents…»

Pompon échappe à son bourreau, s'élance dans les bras du Parisien qui s'enfuit de nouveau, emportant l'animal épouvanté par le meurtre de ses congénères, et poursuivi par l'odeur de leur sang coagulé à sa fourrure.

Arrivé à une centaine de mètres du campement, Plume-au-Vent s'arrête au milieu de tourbillons de neige, dépose le chien sur le blanc tapis qui va s'épaississant, et dit à l'animal, comme s'il pouvait le comprendre:

– Tu sais, mon pauv' vieux, y a pus d'amis…

«T'as chapardé avec tes copains les vivres de campagne, et c'est un crime puni de mort.

«Y z'ont déjà sauté le pas… Si tu veux éviter qu'y t'en arrive autant, faut te cavaler, et raide!

«T'es malin comme un singe, débrouillard comme personne, la glace est ton pays… file!..

«Et surtout ne reviens jamais du côté de chez nous, si tu tiens pas à être boulotté.»

Il dit, embrasse Pompon sur son museau noir et luisant comme une truffe, étend le bras, et lui montrant d'un grand geste l'horizon saturé de neige, s'écrie:

– Allez!.. Pompon… allez!..

Contre toute prévision, l'animal, parti en hurlant lugubrement, n'était pas revenu à la date du 18 mai.

En revanche, ses congénères, dépouillés, vidés et exposés à la gelée, servaient à l'alimentation générale. Il n'est pas jusqu'à leurs intestins qui n'eussent été mis de côté, en prévision de disettes plus cruelles encore, où tout fait ventre, où l'homme abruti par la faim se repaît des substances les plus répugnantes et les plus incohérentes.

Ce moment est bien près d'arriver, car, en dépit du rationnement le plus sévère, de la parcimonie la plus minutieuse, les vivres touchent à leur fin.

Voici quel est d'ailleurs l'ordinaire des matelots tenus blottis sous l'abri fétide et suffoquant des iglous, ou huttes de neige.

Le matin, thé ou café sans sucre. Oûgiouk et les chiens s'en sont gavés et il n'en reste plus. Deux cents grammes par homme de viande de chien à moitié crue, et cinq centilitres d'eau-de-vie ou de rhum dans un quart d'eau chaude.

Ni biscuit, ni pemmican. Tout a été goulument dévoré.

A midi, deux cents grammes de chien bouilli pour donner l'illusion d'un potage, et un peu de graisse de phoque avalée toute chaude, avec une pincée de sel. C'est pour «faire du carbone», comme on disait jadis en plaisantant, et ménager la provision de spiritueux.

Le soir, deux cents grammes de chien – pour varier – café, plus cinq centilitres de rhum ou d'eau-de-vie, dans un quart de litre d'eau chaude.

On se couche après ce misérable repas et on dort comme l'on peut, la faim au ventre, avec un démenti formel au proverbe: «Qui dort dîne.»

Les chiens, affreusement maigres depuis le rationnement, ne pesaient plus qu'un poids dérisoire, à peine vingt kilogrammes avec la peau et les os. Tout au plus si l'on trouvait sur leur pauvre carcasse dix kilogrammes de chair nette.

Malgré toute l'économie possible, il en était dévoré plus d'un par jour.

Les plus affamés parmi les matelots, où il y avait de gros mangeurs, s'offraient un supplément de ration en avalant les boyaux dont l'odeur soulevait le cœur aux plus délicats.

Ajoutez la promiscuité avec des malades, l'entassement sous des huttes trop étroites, l'impossibilité presque absolue de renouveler l'air, et vous aurez à peine l'idée du sort des malheureux qui se tordent, la faim au ventre, sous la rafale.

Le 18 mai la tempête s'apaisa peu à peu. Mais l'ouragan a semé sur les vieilles glaces une telle quantité de neige, que les infortunés Français se trouvent bloqués sous leurs iglous sans savoir de quel côté se diriger, ni comment sortir de l'amoncellement sous lequel tout disparaît.

Du reste, où aller, que tenter, alors que la famine assiège le fétide logis, que les provisions sont épuisées, que les moyens de transport font absolument défaut.

Le 19, le 20, le 21 et le 22 mai se passent dans un état d'angoisse morne, de résignation hébétée qui des malades gagne les plus valides.

En dépit de tout, le capitaine espère encore. Non pas l'intervention d'un secours étranger, car il est impossible que des Esquimaux viennent en pareil lieu. Mais il compte sur l'arrivée prochaine, formelle, de la saison chaude qui permettra une rapide envolée des hommes en bonne santé vers les lieux où doivent se rencontrer les gibiers polaires.

Alors le ravitaillement sera possible, ainsi que la mise en marche de la chaloupe restée en détresse à une distance minime, on s'en souvient.

Le 23 mai, la température est encore à −10°, et la neige restée pulvérulente s'envole au moindre souffle d'air.

Le 24, trois hommes, échauffés par l'usage exclusif de la viande de chien, sont atteints de dysenterie.

Les scorbutiques ne vont ni mieux ni plus mal. Mais leur faiblesse est extrême.

Le 25, on partage le dernier chien! Le 26, on furète partout à la recherche des bribes qui traînent sur le sol des iglous. Rogatons de tripes, morceaux de tendons avalés sans mâcher, raclures d'os, etc…

Le 27, la température augmente brusquement. Le thermomètre est à −3°. La glace craque partout, la neige se prend et mollit. On boit des grogs et les plus affamés commencent à attaquer les peaux de chiens. Le poil est raclé avec un couteau, et la peau est mise dans le digesteur avec de l'eau. Le cuir, à peine ramolli par deux heures d'ébullition, est grignoté en lanières. Pour ménager l'alcool, on se résout bientôt à les manger crues.

Le 28 mai, température à 0°. Mais il n'y a plus ni thé ni café.

Le docteur distribue à chaque homme une cuillerée de glycérine après chaque «repas»!..

Le 29, on voit passer une mouette, et l'on entend pépier un vol de bruants des neiges.

Les peaux de chiens sont dévorées… Il y a encore les attelages en cuir de phoque…

Les hommes, épuisés par cette lutte sans merci contre l'atroce famine, peuvent à peine se mouvoir.

Pâles, hagards, les yeux flambants de fièvre, les lèvres violettes, fendillées, suintant le sang, on dirait autant de spectres… de damnés errant sur l'enfer de glaces.

Désespéré, le capitaine interroge l'horizon, cherchant de l'œil un vol de canards, la silhouette balourde d'un ours, la masse fruste d'un phoque s'ébattant sur la glace.

Le dégel continue. L'eau ruisselle de tous côtés. Les iglous vont être inhabitables.

Dumas, Plume-au-Vent et Itourria, les plus robustes de tous, partent en découverte et reviennent bredouille après une course de six heures.

Ils se restaurent avec la moitié d'un harnais!.. une tige de botte, et deux cuillerées de glycérine.

– Bah! dit le Parisien, qui se tient à peine debout, on repiquera demain.

Le 30, au lieu de «repiquer», le pauvre garçon a la fièvre, Dumas aussi, et le camarade également.

Il n'y a plus un homme valide! Le docteur, par devoir professionnel, se traîne près des malades… Le capitaine se prodigue à tous, distribuant les derniers débris de choses sans nom qu'on avale machinalement, avec la gloutonnerie de la brute, et qu'il a eu l'héroïsme de ménager, au détriment de sa santé, peut-être de sa vie.

Le 31 mai, ceux qui ont encore conservé une lueur d'espoir perdent toute confiance. Les outranciers de cette lutte suprême sentent que tout est fini.

Ils se couchent avec une résignation farouche, et attendent intrépidement la mort, sans un mot de récrimination, sans une plainte.

Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
30 haziran 2017
Hacim:
490 s. 1 illüstrasyon
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