Kitabı oku: «Mémoires de Constant, premier valet de chambre de l'empereur, sur la vie privée de Napoléon, sa famille et sa cour», sayfa 88
AVIS DE L'AUTEUR
Ce qui suit m'a été remis par une personne de ma connaissance qui a long-temps habité le Piémont sous l'empire; j'ai pensé que mes lecteurs verraient avec plaisir les détails curieux que renferme ce manuscrit.
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LE PIÉMONT SOUS L'EMPIRE, et LA COUR DU PRINCE BORGHÈSE
SOUVENIRS D'UN INCONNU
1808 ET 1809
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CHAPITRE PREMIER
Différence des temps.—Le prince Borghèse à Paris.—Le prince Pignatelli et M. Demidoff.—Première société du prince Borghèse et le concierge d'un hôtel garni.—La veuve du général Leclerc.—Mariage du prince.—Le faubourg Saint-Germain et la seule vraie princesse de la famille de Bonaparte.—Le prince chef d'escadron dans la garde.—Courage et avancement.—Projets de l'empereur.—Conversation entre l'auteur et le lecteur.—Tilsitt, la femme, l'homme et le bon prince.—Le prince Borghèse destiné à annoncer la paix.—Désintéressement de Moustache.—Paris en 1808.—Retour de l'empereur.—Enthousiasme causé par Napoléon.—Le fils de madame Visconti.—Rencontre au Palais-Royal.—Gardanne et Sopransi.—Le rendez-vous donné sur le champ de bataille d'Eylau.—Les bals de madame de La Ferté et la jolie danseuse.—Dîner chez Cambacérès.—Les deux extrêmes et questions de physiologie.—Projet de Tilsitt réalisé à Paris.—Création de nouveaux titres.—Réédification de l'université.—Le général Jourdan et le général Menou.—Le gouvernement général des départemens au delà des Alpes érigé en grande dignité de l'empire.—Sénatus-consulte et message au sénat.—Contradictions et bon conseil.—Conflits inévitables.—Le prince Borghèse nommé gouverneur-général.—Brevet magnifique.—Départ du prince et le colonel Curto.—Départ de l'empereur pour Bayonne et déguerpissement général.
Bonaparte, premier consul, rechercha l'alliance d'un prince romain. Six années s'écoulèrent à peine, et Napoléon, empereur, eut à choisir entre la fille des Césars et la sœur du czar de toutes les Russies. L'aîné des arrière-neveux de Paul V, le prince Camille Borghèse, était venu dans la capitale des plaisirs étaler le faste de sa magnificence. Jeune, bien fait, adroit aux exercices du corps, d'une taille un peu au dessous de la moyenne, mais doué d'une figure charmante, et possédant une fortune immense, il partagea, dès son arrivée, avec le prince de Fuentès-Pignatelli et M. Demidoff, l'honneur souvent ruineux de faire admirer aux Parisiens la richesse de ses équipages. Le prince Borghèse n'était pas dépourvu d'un certain esprit naturel; et s'il était presque entièrement privé d'éducation, ce n'était pas sa faute: c'était celle de son père, homme d'un rare mérite, mais systématique, et qui disait que ses enfans en sauraient toujours assez pour être les sujets d'un pape. Quoi qu'il en soit, le prince aurait été, au besoin, un des plus habiles cochers de toute la chrétienté, car il comptait peu de rivaux dans l'art de conduire à grandes guides un phaéton attelé de quatre chevaux fringans. En arrivant à Paris, le prince Borghèse occupa le grand hôtel d'Oigny, rue Grange-Batelière; sa première société fut le concierge de l'hôtel et sa famille. Depuis, il disait souvent que ce qui l'avait le plus surpris à Paris était l'éducation et l'amabilité de la famille du concierge. Bientôt il se trouva lié avec tout ce qu'il y avait de plus élégant dans la capitale, et particulièrement avec MM. de l'Aigle. Dès lors il se trouva de proche en proche lancé dans le grand monde, où il rencontra la jeune et ravissante veuve du général Leclerc, tout nouvellement revenue de Saint-Domingue. L'idée d'une telle alliance flatta les calculs du premier consul. On persuada au jeune prince qu'il était amoureux; et, par l'entremise du chevalier Angiolini, envoyé de Toscane en France, la veuve du général Leclerc ne tarda pas à devenir la princesse Borghèse.
Il faut se reporter à l'époque de ce mariage, il faut avoir été à même d'apprécier tout ce qu'il y a de misérable dans la vanité de ceux qui s'appellent les grands, pour se faire une idée de l'effet que produisit une telle alliance dans les salons aristocratiques. Depuis le dix-huit brumaire, l'ancienne noblesse, caressée à la cour de Joséphine, avait repris un peu de sa morgue et de son importance; et quoique l'on convînt dans le faubourg Saint-Germain que MONSIEUR DE BONAPARTE fût un assez bon gentilhomme, on y disait avec une sorte d'ironie: «Il y aura donc une véritable princesse dans la famille de Bonaparte.» Oui, on disait cela! Aux yeux de bien des gens, une alliance avec un prince romain était un honneur très-grand pour le chef du gouvernement. Ni les lauriers de l'Italie, ni ceux de l'Égypte, ni les lauriers plus jeunes de Marengo, n'étaient, aux yeux d'un certain monde, des titres égaux au droit de porter deux clefs en croix dans des armoiries. Pitié! dira-t-on; oui, pitié, sans doute; mais qu'y puis-je faire? Ne sont-ce pas des choses d'hommes que j'ai à raconter?
Voulant attacher son nouveau beau-frère au service de France, le premier consul lui donna seulement le grade de chef d'escadron dans un régiment à cheval de la garde consulaire. Le temps n'était pas venu où il serait possible de froisser les droits de la hiérarchie militaire en considération d'une haute position sociale; mais cela ne tarda pas à venir. Ainsi, par exemple, le frère même du prince Borghèse, le prince Aldobrandini, reçut quelques années après, pour premières épaulettes, les épaulettes de colonel du quatrième régiment de cuirassiers. Mais c'était à Bayonne; mais c'était après Tilsitt! Quoi qu'il en soit, le prince Borghèse se montra tout d'abord digne des rangs dans lesquels il servait. Après la campagne d'Austerlitz, l'empereur lui confia le commandement du deuxième régiment de carabiniers. Ce fut à la tête de ce corps que le prince se fit remarquer par sa bravoure dans une charge brillante pendant la campagne de Prusse. Très-satisfait de la conduite de son beau-frère, l'empereur le fit général à Tilsitt, et jeta alors les yeux sur lui pour en faire un grand dignitaire de l'empire; car déjà c'était trop peu pour un beau-frère de l'empereur de n'être qu'un prince romain; ce qui n'empêcha pas le faubourg Saint-Germain de continuer à dire que la princesse Borghèse était la seule véritable princesse de la famille.
Je passe ici sur une foule de circonstances relatives à cette grande époque; car, Dieu merci, je n'ai ni la prétention, ni la témérité d'écrire l'histoire de ce temps, si fécond en merveilles: je cherche tout simplement à rassembler quelques souvenirs; mais malheureusement ils sont d'autant plus confus dans ma mémoire que je n'ai jamais pensé à les en faire sortir un jour. Je le fais cependant; pourquoi cela? Parce qu'il était dans ma destinée de le faire: voilà tout.
J'entends le lecteur me dire: «Mais quelle garantie donnez-vous à l'exactitude de ces souvenirs?—Aucune.—Comment alors y ajouter foi?—Il ne m'importe.—Mais enfin aviez-vous une place qui vous ait mis à même de savoir?…—C'est mon secret.—Aviez-vous une position?—Tout comme il vous plaira. D'ailleurs, qu'entendez-vous par une position? et ne faut-il pas bien que chacun en ait une, quelle qu'elle soit, jusqu'au jour où nous aurons tous la même, la position horizontale? Au surplus, comme au moment où j'écris ceci il ne tiendrait qu'à moi de poser là ma plume et de m'arrêter tout court, vous, qui tenez le livre, vous avez le droit d'en rester là; et, si vous voulez que je vous parle franchement, c'est peut-être ce que vous pourriez faire de mieux. Après un pareil avertissement, vous n'aurez point de reproche à me faire. Je poursuis donc.»
L'entrevue avait eu lieu entre les deux empereurs; Alexandre et Napoléon s'étaient embrassés sur le bateau du Niémen en présence des deux armées, rangées sur les bords du fleuve; la belle Louise de Prusse avait quitté le moulin qui lui servait de demeure, hors de l'enceinte de la ville que se partageaient les deux empereurs; elle avait pleuré beaucoup, prié, boudé, sollicité, obtenu la Silésie, mais versé d'inutiles larmes sur la perte de Magdebourg; enfin elle avait été femme; mais Napoléon était resté homme, et Alexandre bon prince: chacun son métier dans ce monde. Bref, la paix était signée. À peine les bases en furent arrêtées, que l'empereur fit venir le prince Borghèse, et lui dit: «Je suis content de toi; voilà un bon d'un million; c'est ta gratification de campagne; Estève te paiera: mais pars sur-le-champ et fais toute diligence. C'est toi que je charge de porter à Paris la première nouvelle de la paix.» Il est facile de voir ici que Napoléon, roulant déjà dans sa pensée un projet d'élévation pour son beau-frère, ne le rendait porteur d'une si grande nouvelle que pour attirer sur lui l'attention des Parisiens; mais il y eut alors, comme toujours, le chapitre des événemens. Moustache ne partit de Tilsitt que quelque temps après le prince, lorsque seulement on eut rédigé et signé les dépêches diplomatiques; mais ce diable de Moustache, dont l'ardeur semblait doubler la rapidité des chevaux, rejoignit le prince à trente lieues de Paris. Le prince, l'ayant aperçu, lui fit offrir vingt mille francs pour lui laisser seulement une heure d'avance; mais l'incorruptible Moustache fit noblement claquer son fouet; et déjà ses dépêches étaient remises à Cambacérès quand la voiture du prince arriva aux barrières.
Que tout était grand, que tout était beau alors, et que Paris était réellement une ville d'enchantemens! Il y avait je ne sais quelle vitalité dans les choses de cette époque. Ce que nous voyions s'accomplir sous nos yeux était plus grand que ce que nous avions admiré dans les histoires de l'antiquité. La Prusse conquise en courant; la monarchie du grand Frédéric livrée à la merci du vainqueur dans une seule bataille; la paix enfin, cette paix si douce, tant souhaitée des peuples, et qui jette en arrière un reflet si brillant sur les batailles qui l'ont précédée! Qui peut avoir oublié cet empressement avec lequel on recherchait les bulletins de la grande armée, quand, le matin, le canon des Invalides avait proclamé le sommaire du Moniteur du jour!
Suivant de près la nouvelle de la paix conclue, l'empereur arriva à Paris le premier de janvier 1808. C'est à cette époque, sans doute, qu'il faut placer le point culminant de la gloire de l'empereur, qui était encore celle de la France. Le chancre de l'Espagne ne dévorait pas encore nos soldats et nos trésors, et déjà le bronze de Vienne se fondait en bas-reliefs pour dresser sur la place Vendôme le plus beau monument des temps modernes. Enfin, il restait encore, quoique bien effacées, quelques traces de la république, puisque les titres nobiliaires n'existaient encore que dans le cerveau de l'empereur; mais ils ne tardèrent pas à en sortir. Au reste, l'enthousiasme était si plein, si vrai, si général, qu'on se trouvait involontairement entraîné à approuver tout ce que voulait l'empereur. Je le demande aux hommes de mon temps: y a-t-il ici la moindre exagération? et n'est-il pas vrai qu'une joie immense se manifesta alors partout où se montra Napoléon?
La fin de l'hiver ne fut qu'une longue série de fêtes. On se livrait aux plaisirs pour se réjouir, et non pour se distraire, ce qui est bien différent; presque point de figures sinistres, plus de querelles de parti, et chez presque tout le monde cette confiance de la vie qui aujourd'hui n'est plus même, hélas! l'apanage de la jeunesse. Chaque jour voyait revenir au sein de la capitale les étrangers que la guerre en avait momentanément éloignés, et nos généraux, que l'empereur, après Tilsitt, avait comblés de riches gratifications. Un de mes amis, alors chef de bataillon dans la garde, m'a dit avoir reçu pour sa part une somme de quarante mille francs. Jamais je n'avais vu à Paris les boutiques aussi brillantes, et surtout aussi fréquentées; et je m'en rapporte aux marchands pour établir la différence qui existe entre les curieux et les acheteurs. Pour ma part, je déclare que je ne professe aucune estime pour ces promeneurs qui s'arrêtent devant l'étalage d'un libraire, regardent la couverture d'un livre, en lisent le titre, puis le remettent à sa place, et s'en vont sans l'acheter.
Dans le mouvement continuel que présentait Paris pendant l'hiver que j'appellerais volontiers l'hiver de Tilsitt, le Palais-Royal était un lieu de rendez-vous presque général: car le Palais-Royal est la capitale de Paris, aussi bien que Paris est la capitale de France. À cinq heures on y voyait circuler une foule nombreuse, on se pressait autour de la Rotonde, et de là on se répandait dans les salons des plus brillans restaurateurs et ensuite dans les spectacles alors très-fréquentés. À cette occasion je puis citer un fait vraiment caractéristique et qui peint bien cette importance qu'avait le Palais-Royal, et dont je parlais tout à l'heure. J'y passais un jour par hasard, quelques minutes avant cinq heures. Je rencontre un de mes anciens camarades de collége, Sopransi, fils de la célèbre madame Visconti, qui l'avait eu de son premier mari, le comte Sopransi, général au service de Prusse. Il était alors aide-de-camp de Berthier, et revenait de la campagne de Russie. Nous voir et nous embrasser ne fut pour ainsi dire qu'un même mouvement; puis les questions d'usage: «Où vas-tu?… Que fais-tu?…—Que viens-tu faire ici? demandais-je.—Ma foi! j'y viens parce que j'y ai donné rendez-vous à Gardanne83; je l'attends. Parbleu, puisque te voilà, nous dînerons tous les trois, ou tous les deux s'il ne vient pas.—Comment! tu n'es donc pas sûr qu'il vienne? Quel jour l'as-tu vu?—Ma foi! il y a déjà assez long-temps; je ne l'ai aperçu qu'un instant à la tête de sa compagnie de dragons, à la bataille d'Eylau, comme j'allais porter un ordre du maréchal. Nous nous sommes donné rendez-vous ici pour le premier février, et c'est bien aujourd'hui.» Nous continuâmes à nous promener, en devisant sur tout ce qui nous passait par la tête, et au bout de dix minutes environ nous vîmes arriver Gardanne, qui n'avait pas plus que Sopransi oublié ce rendez-vous si singulièrement donné. Nous dînâmes tous les trois, bien plus occupés de nos souvenirs du collége que des affaires du temps, et je me rappelle que nous passâmes une fort joyeuse soirée.
On se fait difficilement aujourd'hui une idée des mœurs du temps dont je parle; Paris n'était pas mort à onze heures du soir, on n'avait pas peur de vivre trop long-temps, et pour tous ceux qui fréquentaient le monde, la nuit n'était qu'un heureux prolongement du jour. Ah! si je ne craignais d'abuser de la patience du lecteur, que j'aimerais à le rajeunir de vingt et quelques années, pour le conduire aux bals brillans de madame de La Ferté. «Invitez, lui dirais-je, cette jeune et jolie personne que vous voyez là auprès de sa mère; c'est mademoiselle Georgette Ducrest, une des meilleures danseuses d'ici!» Que j'aimerais encore à le faire asseoir à la table de Cambacérès, entre M. d'Aigrefeuil et M. de Villevieille! Chacun de ces deux messieurs était doué d'un appétit on ne peut plus recommandable, qui donnait à l'un et à l'autre une très-grande valeur; mais leur réunion m'a toujours paru un des phénomènes de l'empire. Dissertez maintenant sur l'influence que peut avoir la bonne chère sur l'embonpoint humain! Égaux en estomac, héros de la même table, nourris des mêmes sucs, l'un était le plus gras, l'autre le plus maigre des hommes! Messieurs les physiologistes, c'est à vous que ceci s'adresse. Au reste, voilà de ces souvenirs auxquels je n'ose me livrer que dans la solitude, car alors, quoi de plus doux que de revivre le temps que l'on a déjà vécu? mais de souvenir en souvenir on peut devenir indiscret, et l'indiscrétion est une horreur.
Cependant la saison des plaisirs s'avançait et le temps approchait où les fatales affaires de l'Espagne allaient attirer l'empereur à Bayonne, et où chacun par conséquent allait retourner à son poste, ou occuper pour la première fois celui qui venait de lui être assigné. Au nombre de ces derniers se trouvait le prince Borghèse, pour lequel l'empereur, avant de partir, avait réalisé les projets conçus à Tilsitt. À la même époque furent récréés, par un sénatus-consulte, des comtes, des barons et des chevaliers de l'empire; il n'y manqua que les marquis. Cette mesure, je dois le dire, eut la désapprobation générale de tous les républicains qui ne furent pas titrés, et ce fut un vaste champ ouvert aux épigrammes du faubourg Saint-Germain. À parler sérieusement, les hommes les plus sages ne virent pas avec plaisir cette restauration de titres que la révolution avait détruits, et, en vérité, la gloire de l'empire n'avait pas besoin d'être entourée d'un essaim de glorioles ridicules. L'empereur rétablit aussi dans le même temps l'ancienne Université, c'est-à-dire cet échafaudage monstrueux où l'instruction et l'éducation redevenaient l'objet d'un monopole, aussi bien que le sel et le tabac. Mais, je le répète, la masse presque entière de la nation était emportée par la confiance que lui inspirait Napoléon.
Les départemens du Piémont réunis à la France formaient déjà un gouvernement général, dont le commandement avait été d'abord confié au général Jourdan, puis au général Menou, qui l'occupait alors; mais je glisse sur cet objet, attendu que j'aurai à y revenir quand nous serons installés à Turin. Il ne faut pas que j'oublie que nous ne sommes pas même encore en route, puisqu'il s'agit seulement de l'érection de notre gouvernement en grande dignité de l'empire. Tout se fit de la manière la plus solennelle; l'empereur envoya un message au sénat, et le sénat y répondit le deux de février, par le sénatus-consulte suivant:
«art. I. Le gouvernement général des départemens au delà des Alpes est érigé en grande dignité de l'empire, sous le titre de gouverneur général.
»art. II. Le prince gouverneur-général jouira des titres, rangs et prérogatives attribués aux autres princes grands dignitaires.
»art. III. Dans l'étendue de son gouvernement, et lorsque Sa Majesté Impériale ne sera pas présente, il prendra rang avant les autres titulaires des grandes dignités et immédiatement après les princes français.
»art. IV. Il exercera dans les départemens au delà des Alpes les fonctions suivantes, concurremment avec les princes grands dignitaires, auxquels elles sont attribuées:
»1º. Il portera à la connaissance de l'empereur les réclamations formées par les colléges électoraux, ou par les assemblées de canton desdits départemens, pour la conservation de leurs priviléges.
»2º. Il recevra le serment des présidens des colléges électoraux, et des assemblées de canton, des présidens et des procureurs généraux des cours et des tribunaux, des administrateurs civils et des finances, des majors, chefs de bataillon et d'escadron de toutes armes.
»3º. Lorsque Sa Majesté Impériale se trouvera dans les départemens au delà des Alpes, le gouverneur général présentera au serment les généraux et fonctionnaires publics admis à prêter serment devant elle.
»Il présentera également les députations des colléges électoraux, des villes, des cours et des tribunaux.
»art. V. Il présidera l'assemblée du collége électoral du département de Gênes.»
Telle fut la Charte octroyée par le sénat au gouverneur général des départemens au delà des Alpes, qui n'était encore nommé que in petto. Quand j'en eus pris connaissance, je vis que les pouvoirs du prince gouverneur-général étaient assez vaguement définis, sous le rapport de l'autorité administrative qu'il aurait à exercer, et que, par conséquent, ce serait à lui à se faire la meilleur part possible dans l'exercice du pouvoir. Je fus frappé en outre de l'idée que, sous le prétexte de fonder un gouvernement général, l'empereur avait voulu seulement faire naître l'occasion de donner une cour à l'ancienne capitale des états du roi de Sardaigne. Je ne concevais pas non plus comment il avait pu échapper, à des rédacteurs aussi habiles que ceux qui avaient rédigé le sénatus-consulte, une contradiction qui me semblait absurde. Il est dit au troisième paragraphe de l'art. IV: «Le prince gouverneur-général recevra le serment des présidens des colléges électoraux, etc.;» et, aux termes de l'article V: «Il présidera le collége électoral du département de Gênes;» d'où il résultait que le prince recevrait son propre serment. Cela me paraissait tellement contraire à toute raison, à tout esprit de législation, que je crus devoir soumettre mes observations à un grand fonctionnaire de l'état, qui m'avait toujours témoigné beaucoup de bienveillance. Quand il m'eut écouté, au lieu de me répondre, il m'adressa cette question, à laquelle, je l'avoue, je ne m'attendais guère: «Quel âge avez-vous?—Bientôt vingt-trois ans.—Ah!… Vos observations sont justes; mais vous avez tort, et je vous engage à les garder pour vous.—Comment donc…?—Oui, vous dis-je, vous êtes trop jeune pour avoir raison.» En cette circonstance je profitai de cet excellent conseil, dont malheureusement je ne profitai pas toujours depuis.
Mais revenons à notre fameux sénatus-consulte et à ce qui en fut la suite. L'empereur l'approuva le sept février; et le quinze du même mois il adressa au sénat un nouveau message pour lui faire connaître, ce qu'aucun sénateur n'ignorait, le choix qu'il avait fait du nouveau grand dignitaire de l'empire. Napoléon s'exprima en ces termes:
«Sénateurs,
»Nous avons jugé convenable de nommer notre beau-frère, le prince Borghèse, à la dignité de gouverneur-général, érigée par le sénatus-consulte organique du deux du présent mois. Nos peuples des départemens au delà des Alpes reconnaîtront, dans cette dignité, et dans le choix que nous avons voulu faire pour la remplir, notre désir d'être plus immédiatement instruit de tout ce qui peut les intéresser, et le sentiment qui rend aujourd'hui présentes à notre pensée les parties même les plus éloignées de notre empire.»
Le message de l'empereur me réconcilia un peu avec le sénatus-consulte. Le désir d'être plus immédiatement instruit me parut un de ces mots de valeur qui, émanés directement de l'empereur, nous fortifierait contre la lettre du sénatus-consulte, s'il survenait, comme cela ne manqua pas d'arriver, des conflits d'autorité. Il devait en survenir beaucoup, car la position du gouverneur général se trouvait unique dans la vaste étendue de l'empire. Il n'était pas vice-roi, comme Eugène, qui avait des ministres spéciaux pour le royaume d'Italie; le décret ne le mettait en relation directe qu'avec les autres grands dignitaires de l'empire: mais l'administration restait une dans toutes ses branches; mais l'influence des ministres de Paris s'étendait sur les départemens au delà des Alpes, tout aussi bien que sur ceux de l'intérieur de l'ancienne France; point de nominations à faire, par conséquent point de pouvoir: et pourtant il fallait, pour se faire bien venir, jouer toutes les simagrées du pouvoir. N'ayant rien à donner à la réalité des intérêts, il fallut nous borner à exploiter le champ de l'amour-propre; mais ce champ était vaste, bien préparé et fécond; le Piémont est un pays fertile.
Le prince fut enchanté quand il reçut le magnifique diplôme de sa nomination. Le sénatus-consulte s'y trouvait relaté dans son ensemble, sur une belle feuille de peau de vélin, scellée du grand sceau de l'empire, revêtue de la signature de l'empereur, et, par ampliation, de celle de Cambacérès; enfin, rien n'y manquait.
À cette époque, la princesse Borghèse n'était point à Paris; sa santé, ou, si l'on veut, son caprice, l'avait engagée à passer la fin de l'hiver à Nice, ville dont le climat est si favorable aux médecins qui veulent envoyer mourir leurs malades ailleurs. L'empereur, cependant, avait donné à sa sœur un brevet de bonne santé au moins momentanée, en lui prescrivant d'accompagner son mari dans sa prise de possession du gouvernement général des départemens au delà des Alpes. L'empereur étant parti le trois d'avril, le prince quitta Paris le lendemain, accompagné du colonel Curto son premier aide-de-camp, pour aller rejoindre la princesse à Nice; et le reste du convoi se mit en marche le sept du même mois, comme on le verra dans le chapitre suivant. Si, au reste, je brusque un peu la fin de celui-ci, j'aurais le droit d'appeler cela du style imitatif: car on ne peut se figurer en quelle hâte chacun déguerpissait de Paris.