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Kitabı oku: «La cour et la ville de Madrid vers la fin du XVIIe siècle», sayfa 22

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Il arrive aussi quelquefois qu'un homme qui n'a pas sa maison proche du quartier où le hasard lui fait rencontrer sa maîtresse, entre sans façon dans celle d'un autre. Soit qu'il le connaisse on non, il le prie civilement de vouloir bien sortir de sa chambre, parce qu'il trouve l'occasion d'entretenir une dame, et que s'il la perd, il ne la reverra de longtemps. Cela suffit pour que le maître de la maison la laisse au pouvoir de l'amant et de sa maîtresse, et quelquefois je vous assure que c'est la femme du sot qui s'en va si bonnement. Enfin l'on est d'une témérité surprenante, pour avoir le moyen de se voir seulement un quart d'heure.

Il me souvient d'une dame française qui, parlant d'un homme à une de ses amies, disait: Rends-le amoureux, je te le rends ruiné. Cette maxime est établie ici plus qu'en lieu du monde. Un amant n'a rien à lui, il n'est pas nécessaire de lui faire entrevoir, non pas de vrais besoins, mais seulement de légères envies d'avoir quelque chose. Ils n'omettent jamais rien là-dessus; et la manière dont ils s'en acquittent relève beaucoup le prix de leurs libéralités. Je les trouve bien moins aimables que nos Français, mais on dit qu'ils savent mieux aimer. Leur procédé est aussi mille fois plus respectueux. Cela va même si loin, que lorsqu'un homme, de quelque qualité qu'il soit, présente un bijou ou une lettre à une dame, il met un genou en terre, et il en fait de même quand il reçoit quelque chose de sa main.

Je vous ai dit que je vous apprendrais pourquoi tant de dames allaient chez la duchesse d'Uzeda. Elle est fort aimable, et fille du duc d'Ossone. Son mari a eu querelle avec le prince Stigliano, pour une dame qu'ils aimaient. Ils ont tiré l'épée, c'est une assez grande affaire. Le Roi les a mis en arrêt; ce n'est pas à dire qu'on les ait mis prisonniers, mais il leur est défendu de sortir de leur maison, si ce n'est la nuit, qu'ils en sortent secrètement pour aller à leurs galanteries ordinaires. Et, ce qu'il y a de rare, c'est que la pauvre épouse ne met pas les pieds dehors tant que son mari est en arrêt, quoique ce soit toujours pour quelque infidélité qu'il lui a faite. Il en est de même lorsqu'ils sont exilés ou relégués dans quelques-unes de leurs terres, ce qui arrive fort souvent. Dans le temps de leur absence, leurs femmes restent chez elles, sans sortir une seule fois. On m'a dit que la duchesse d'Ossone a été plus de deux ans prisonnière de cette sorte; c'est la coutume, et cette coutume est cause qu'elles s'ennuient fort.

Ce ne sont pas seulement les dames espagnoles qui s'ennuient ici, les Françaises s'y divertissent assez mal. Nous devons aller dans peu de jours à Aranjuez et à Tolède baiser la main de la Reine mère. Je vous écrirai, ma chère cousine, le détail de mon petit voyage, et je voudrais être en état de vous donner des marques plus essentielles de ma tendresse.

De Madrid, ce 25 juillet 1679.

TREIZIÈME LETTRE

Je vous mandai par ma dernière lettre, ma chère cousine, que nous irions saluer la Reine mère; j'ai eu cet honneur. Mais, avant de vous conduire chez elle, il vous faut parler d'autres choses. Je ne voulais pas sortir de Madrid que je n'eusse vu l'entrée du marquis de Villars. Il la fit à cheval, c'est la coutume en ce pays-ci, et quand un homme est bien fait, cela lui est avantageux. Lorsque l'ambassadeur de Venise fit la sienne, il fut heureux de n'être pas dans son carrosse. Il en avait un qui valait 12,000 écus, qui versa en sortant de chez lui; mais comme c'était l'hiver, la marée (c'est cette vilaine boue noire qui fait des ruisseaux dans les rues, où un cheval entre jusqu'aux sangles), la marée, dis-je, gâta si fort le velours à fond d'or, la belle broderie dont il était relevé, qu'il n'a jamais pu servir depuis. Je demeurai surprise que, pour une chose aussi commune que ces sortes d'entrées, toutes les dames fussent sur leurs balcons, avec des habits magnifiques, et le même empressement qu'elles auraient pour le plus grand roi du monde. Mais elles ont si peu de liberté, qu'elles profitent avec joie de toutes les occasions de se montrer. Et comme leurs amants ne leur parlent presque jamais, ils ne manquent pas de se mettre dans leurs carrosses, proche du balcon de leurs maîtresses, où elles les entretiennent des yeux et des doigts. C'est un usage d'un grand secours pour se faire entendre plus promptement que s'ils se servaient de leurs voix. Ce langage muet me paraît assez difficile, à moins que d'y avoir beaucoup d'habitude. Mais ils l'ont aussi, et il n'y a que deux jours que je voyais une petite fille de six ans et un petit garçon à peu près du même âge, qui savaient déjà se dire mille jolies choses de cette manière. Don Frédéric de Cardone, qui les voyait comme moi, et qui les entendait bien mieux, m'expliquait tout; et, s'il n'a rien ajouté du sien à la conversation de ces deux enfants, il faut avouer qu'ils sont nés ici pour la galanterie140.

La marquise de Palacios, mère de Don Fernand de Tolède, est une des meilleures amies de ma parente. Elle a une belle maison appelée Igariça, aux bords du Xarama. Et, bien que cette dame soit déjà vieille, elle n'y avait jamais été, quoique ce ne soit qu'à huit lieues de Madrid. Elles croient, en ce pays-ci, que ce n'est pas de la grandeur de se donner la peine d'aller dans leurs terres, à moins que ce ne soient des principautés ou des villes, et pour lors elles les nomment leurs états. Je fis un peu la guerre à cette dame de sa paresse, et ma parente l'engagea d'être du voyage avec sa fille Doña Mariquita, qui est une petite personne blanche, grasse et blonde. Ces trois qualités sont également rares ici, et elle y est admirée de tous ceux qui la voient. La jeune marquise de la Rosa voulut être de la partie. Son époux y vint à cheval avec Don Fernand de Tolède, Don Sanche Sarmiento et Don Estève de Carvajal. Don Frédéric de Cardone n'y aurait pas manqué, mais l'archevêque de Burgos lui avait écrit de venir le trouver en diligence. Lorsqu'il me le dit, je le priai d'aller voir la belle marquise de Los Rios à las Huelgas. Je lui donnai une lettre pour elle, par laquelle je lui reprochais son silence et je lui demandais de ses nouvelles un peu particulièrement. Nous partîmes dans deux carrosses le 16 août, sur les dix heures du soir, par le plus beau temps du monde. Les chaleurs étaient si excessives, qu'à moins que d'exposer sa vie, il serait impossible de marcher le jour; mais les nuits sont fraîches, et les carrosses sont, l'été, tout ouverts, les mantelets levés autour, avec de grands rideaux de toile de Hollande fort fine, garnie de belle dentelle d'Angleterre, avec des nœuds de ruban de couleur. Comme on les fait changer souvent, cela est fort propre. Nous allions si vite, que je mourrais de peur qu'il se rompît quelque chose à notre carrosse, car il est constant que nous aurions été mille fois tuées, avant que le cocher eût pu s'en apercevoir. Je crois que l'on ne court ainsi que pour s'indemniser de la lenteur avec laquelle on va dans Madrid. Car, au petit pas des mules, c'est encore trop à cause du mauvais pavé, des trous, des boues en hiver et de la poudre en été, dont les rues sont pleines. La marquise de Palacios avait un petit chapeau sur sa tête, garni de plumes, selon la coutume des dames espagnoles, quand elles vont à la campagne; et la marquise de la Rosa était fort jolie avec son justaucorps court, ses manches étroites, et le reste de son ajustement, sur lequel nous nous écriâmes que nous la trouvions muy bizarra et muy de gala, c'est-à-dire fort galante et fort magnifique.

Je trouvai assez plaisant que ces dames nous obligeassent de descendre en trois endroits sur le chemin, pour entendre jouer de la guitare par deux gentilshommes du marquis de la Rosa qu'il avait amenés exprès, et qui galopaient, leurs guitares attachées d'un cordon et passées derrière le dos. Cette petite musique, mal concertée, ne laissa pas de ravir la compagnie qui se récriait fort sur les agréments de la campagne pendant une belle nuit. Je n'ai jamais vu de femmes si satisfaites. Nous arrivâmes à Aranjuez à cinq heures du matin; je demeurai surprise de sa merveilleuse situation. Nous passâmes, à une demi-lieue en deçà du Tage, sur un pont de bois qui ferme, et nous entrâmes ensuite dans des avenues d'ormes et de tilleuls si hauts, si verts et si frais, que le soleil ne les pénètre point. C'est une chose bien extraordinaire que l'on trouve si proche de Madrid des arbres si parfaits en leur qualité, car le terrain est ingrat et il n'y en vient point. Cependant l'on n'a pas lieu de s'apercevoir à Aranjuez de ce que je dis, parce que l'on a fait le long des allées et proche des arbres, un petit fossé dans lequel l'eau du Tage coule et humecte leurs racines. Ces avenues sont si longues que, lorsqu'on est au milieu, l'on n'en peut voir le bout. Plusieurs allées se joignent à celle-ci et forment des étoiles de tous côtés. On se promène au bord du Tage et du Xarama. Ce sont deux fameuses rivières qui entourent l'île dans laquelle Aranjuez est bâti, et qui lui fournissent des eaux qui contribuent fort à son embellissement. En effet, je n'ai pas vu de lieu plus agréable. Il est vrai que les jardins sont trop serrés, et que l'on y trouve plusieurs allées étroites; mais les promenades y sont ravissantes, et lorsque nous y arrivâmes, je croyais être dans quelque palais enchanté. La matinée était fraîche, les oiseaux chantaient de tous côtés, les eaux faisaient un doux murmure, les espaliers chargés de fruits excellents, les parterres de fleurs odoriférantes, et je me trouvais en fort bonne compagnie. Nous avions un ordre de Don Juan pour être logés dans le château, de manière que l'alcayde nous reçut avec beaucoup de civilité, et nous fit voir soigneusement tout ce qu'il y avait de plus remarquable. Les fontaines sont de ce nombre. On en trouve une si grande quantité, qu'il est impossible de passer dans une allée, dans un cabinet, dans un parterre, ou sur une terrasse, sans en rencontrer partout cinq ou six avec des statues de bronze et des bassins de marbre. Les jets d'eau s'élèvent très-haut, ils ne sont pas d'eau vive, ils viennent tous du Tage. Je vous parlerai entre autres de la fontaine de Diane. Elle est sur une éminence qui la fait découvrir d'assez loin. La déesse est au milieu, entourée de cerfs, de biches et de chiens qui jettent tous de l'eau. On a ménagé un peu plus bas, un rond de myrtes que l'on a taillés de plusieurs manières différentes, et de petits Amours sont à moitié cachés dedans, qui jettent de l'eau contre les animaux dont la fontaine est bordée. Le mont Parnasse s'élève au milieu d'un grand étang avec Apollon, les Muses, le cheval Pégase et une chute d'eau qui tombe et représente le fleuve Hélicon. Il sort de ce rocher mille jets d'eau différents, dont les uns s'élancent, les autres serpentent sur la surface de l'étang; les autres coulent sans efforts, les autres forment des fleurs en l'air, ou une pluie. La fontaine de Ganymède a ses beautés. Ce bel enfant, assis sur l'aigle de Jupiter, semble alarmé de son vol; l'oiseau est en haut d'une colonne, les ailes déployées; il jette l'eau par le bec et par les serres. La fontaine de Marsen est tout proche. Celle des Harpies est belle: elles sont sur des colonnes de marbre fort hautes; aux quatre coins, elles jettent l'eau de tous côtés, et il semble qu'elles ont envie d'inonder un bel adolescent qui est assis au milieu de la fontaine et qui cherche une épine dans son pied. Mais la fontaine d'Amour est la plus agréable. Ce petit dieu y paraît élevé avec son carquois plein de flèches, et de chacune il sort un jet d'eau. Les trois Grâces sont assises aux pieds de l'Amour; et ce qui est de plus singulier, c'est ce qu'il tombe du haut de quatre grands arbres des fontaines, dont le bruit plaît beaucoup et surprend, car il n'est point naturel que l'eau vienne de là141.

Je craindrais de vous ennuyer, si j'entreprenais de vous dire le nombre de cascades, de chutes d'eau et de fontaines que je vis. Je puis vous assurer, en général, que c'est un lieu digne de la curiosité et de l'attention de tout le monde. Le soleil commençait d'être trop fort à huit heures; nous entrâmes dans la maison, mais il s'en faut bien qu'elle soit aussi belle qu'elle devrait l'être, pour répondre dignement à tout le reste. Lorsque le Roi y va, ceux qui l'accompagnent sont si mal logés, qu'il faut se contenter d'y aller à toute bride faire un peu sa cour, ou de passer jusqu'à Tolède, car il n'y a que deux méchantes hôtelleries et quelques maisons de particuliers en fort petit nombre. Si nous n'avions pas eu la précaution de porter jusqu'à du pain, je suis bien certaine que nous n'en aurions point eu, à moins que l'alcayde ne nous eût donné le sien. Je vous marquerai en passant de ne pas confondre alcayde avec alcalde. Le premier signifie gouverneur d'un château ou d'une place, et l'autre, un sergent. Bien que les tableaux les plus exquis soient à l'Escurial, je ne laissai pas d'en trouver de très-bons à Aranjuez, dans l'appartement du Roi. Il est meublé selon la saison où nous sommes, c'est-à-dire avec les murailles toutes blanches, et une tapisserie de jonc très-fin, de la hauteur de trois pieds. Il y a au-dessus des miroirs ou des peintures. On trouve dans ce bâtiment plusieurs petites cours qui en diminuent la beauté. Nous déjeunâmes tous ensemble, et l'on voulut me persuader de manger d'un certain fruit nommé pimento, qui est long comme le doigt, et si violemment poivré, que si peu qu'on en mette dans la bouche elle est tout en feu. On laisse tremper longtemps le piment dans du sel et du vinaigre pour en ôter la force. Ce fruit vient en Espagne sur une plante, et je n'en ai point vu dans les autres pays où j'ai été. Nous avions une oille, des ragoûts de perdrix froides avec de l'huile, et du vin de Canarie; des poulardes, des pigeons qui sont excellents ici, et des fruits d'une beauté extraordinaire. Ce repas, qui valait un fort bon dîner, étant fini, nous nous couchâmes et nous n'allâmes à la promenade que sur les sept heures du soir. Les beautés de ce lieu me parurent aussi nouvelles que si je ne les avais pas vues le matin, particulièrement cette situation toute charmante que j'admirais toujours de quelque côté que je tournasse les yeux. Le Roi y est en sûreté avec une demi-douzaine de gardes, parce que l'on ne saurait y arriver que par des ponts qui ferment tous; et le Harama, qui grossit en cet endroit les eaux du Tage, fortifie Aranjuez. Après nous être promenés jusqu'à dix heures du soir, nous revînmes dans un grand salon pavé de marbre et soutenu par des colonnes semblables. Nous le trouvâmes éclairé de plusieurs lustres, et Don Estève de Carvajal y avait fait venir, sans nous en rien dire, des musiciens qui nous surprirent agréablement; du moins les dames espagnoles et ma parente en demeurèrent très-satisfaites. Pour moi, je trouvai qu'ils chantaient trop de la gorge, et que leurs passages étaient si longs, qu'ils en devenaient ennuyeux. Ce n'est pas qu'ils n'eussent la voix belle, mais leur manière de chanter n'est pas bonne, et communément tout le monde ne chante pas en Espagne comme l'on fait en France et en Italie. Le souper étant fini, nous allâmes au grand canal où il y avait un petit galion peint et doré. Nous entrâmes dedans et nous y demeurâmes jusqu'à deux heures après minuit, que nous en sortîmes pour prendre le chemin de Tolède.

Je remarquai qu'en sortant d'Aranjuez nous ne trouvâmes que des bruyères. L'air ne laisse pas d'être parfumé du thym et du serpolet dont ces plaines sont couvertes. On me dit qu'il y avait là une grande quantité de lapins, de cerfs, de biches et de daims, mais ce n'était pas l'heure de les voir. La conversation ayant été quelque temps générale, j'étais déjà à deux lieues d'Aranjuez, que je n'avais pas encore parlé à Don Fernand qui était auprès de moi. Mais voulant profiter du temps pour m'instruire à fond des particularités de cette redoutable Inquisition dont il m'avait promis de m'entretenir, je le priai de m'en dire quelque chose.

L'Inquisition, me dit-il, n'a été connue dans l'Europe qu'au commencement du treizième siècle. Avant ce temps-là, les évêques et les magistrats séculiers faisaient la recherche des hérétiques qu'ils condamnaient au bannissement, à la perte de leurs biens ou à d'autres peines qui n'allaient presque jamais à la mort. Mais le grand nombre d'hérésies qui s'élevèrent vers la fin du douzième siècle, furent la cause de l'établissement de ce tribunal. Les papes envoyèrent des religieux vers les princes catholiques et vers les évêques, pour les exhorter de travailler avec un soin extraordinaire à l'extirpation des hérésies et à faire punir les hérétiques opiniâtres, ce qui continua, de cette manière, jusqu'à l'année 1250.

En l'année 1251, Innocent IV donna pouvoir aux Dominicains de connaître de ces sortes de crimes avec l'assistance des évêques. Clément IV confirma ces tribunaux en 1265. Il y en eut ensuite plusieurs qui furent érigés dans l'Italie et dans les royaumes dépendant de la couronne d'Aragon, jusqu'au règne de Ferdinand et d'Isabelle, que l'Inquisition fut établie dans les royaumes de Castille, et puis en Portugal par le roi Jean III, en l'année 1536.

Les inquisiteurs avaient eu, jusqu'alors, une puissance bornée et souvent contestée par les évêques, à qui la connaissance des crimes d'hérésie appartenait. Selon les canons, il était contre les règles de l'Église que les prêtres condamnassent les criminels à mort, et même pour des crimes que souvent les lois civiles punissaient par des peines moins rigoureuses. Mais le droit ancien cédant au droit nouveau, les religieux de Saint-Dominique s'étaient mis, depuis deux siècles, en possession de cette justice extraordinaire par les bulles des papes; et, les évêques ayant été entièrement exclus, il ne manquait aux inquisiteurs que l'autorité du prince pour l'exécution de leurs jugements. Avant qu'Isabelle de Castille parvînt à la couronne, le Dominicain Jean Torquemada, son confesseur et qui, depuis, fut cardinal, lui avait fait promettre de persécuter les infidèles et les hérétiques lorsqu'elle serait en pouvoir de le faire. Elle obligea Ferdinand, son mari, d'obtenir, en 1483, des bulles du pape Sixte IV, pour l'établissement d'une charge d'inquisiteur général dans les royaumes d'Aragon et de Valence; car ces deux royaumes étaient à lui de son chef, et il est à remarquer que Ferdinand donnait les charges dans ses États, et Isabelle dans les siens. Mais la Reine procura cette charge à Torquemada. Les papes étendirent ensuite sa juridiction sur tous les États catholiques, et Ferdinand et Isabelle établirent un conseil suprême de l'Inquisition dont ils le firent président. Il est composé de l'inquisiteur général, qui est nommé par le Roi d'Espagne et confirmé par le Pape; de cinq conseillers, dont l'un doit être dominicain, par un privilége de Philippe III accordé à cet ordre en 1616; d'un procureur fiscal, d'un secrétaire de la Chambre du Roi, de deux secrétaires du conseil, d'un alguazil mayor, d'un receveur, de deux rapporteurs et de deux qualificateurs et consulteurs142. Le nombre des Familiares et des menus officiers de l'Inquisition, n'étant justiciables que de ce tribunal, se mettent, par ce moyen, à couvert de la justice ordinaire.

Le conseil supérieur a une entière autorité sur les autres inquisitions, qui ne peuvent faire d'auto ou exécution, sans la permission du grand inquisiteur. Les inquisitions particulières sont celles de Séville, de Tolède, de Grenade, de Cordoue, de Cuença, de Valladolid, de Murcie, de Llerena, de Logroño, de Saint-Jacques, de Saragosse, de Valence, de Barcelone, de Majorque, de Sardaigne, de Palerme, des Canaries, de Mexico, de Carthagène et de Lima.

Chacune de ces inquisitions est composée de trois inquisiteurs, de trois secrétaires, d'un alguazil mayor et de trois receveurs, qualificateurs et consulteurs.

Tous ceux qui entrent dans ces charges sont obligés de faire preuve de casa limpia, c'est-à-dire de n'avoir dans leur famille aucune tache de judaïsme ni d'hérésie, et d'être catholique d'origine.

Les procédures de ce tribunal sont fort extraordinaires. Un homme étant arrêté demeure dans les prisons sans savoir le crime dont on l'accuse, ni les témoins qui déposent contre lui. Il ne peut en sortir qu'en avouant une faute, dont souvent il n'est pas coupable, et que le désir de la liberté lui fait avouer, parce qu'on ne fait pas mourir l'accusé la première fois, quoique la famille soit taxée d'infamie, et que ce premier jugement rende les personnes incapables de toutes charges.

Il n'y a aucune confrontation de témoins, ni aucun moyen de se défendre, parce que ce tribunal affecte sur toutes choses un secret inviolable. Il procède contre les hérétiques, et particulièrement contre les chrétiens judaïsants et les Maranes ou Mahométans secrets, dont l'expulsion des Juifs et des Maures, par Ferdinand et Isabelle, a rempli l'Espagne.

La rigueur de cette justice fut telle, que l'inquisiteur Torquemada fit le procès à plus de cent mille personnes, dont six mille furent condamnées au feu, dans l'espace de quatorze ans143.

Le spectacle de plusieurs criminels condamnés au dernier supplice, sans avoir égard à leur sexe, ni à leur qualité, confirme, à ce que l'on prétend, les peuples dans la religion catholique, et l'Inquisition seule a empêché les dernières hérésies de se répandre en Espagne dans le temps qu'elles ont infesté toute l'Europe. C'est pourquoi les Rois ont donné une autorité excessive à ce tribunal, que l'on appelle le tribunal du Saint-Office.

Les actes généraux de l'Inquisition en Espagne, qui sont considérés dans la plus grande partie de l'Europe comme une simple exécution de criminels, passent parmi les Espagnols pour une cérémonie religieuse, dans laquelle le Roi-Catholique donne des preuves publiques de son zèle pour la religion. C'est pourquoi on les appelle auto-da-fe, ou actes de foi. Ils les font ordinairement à l'avénement des Rois à la couronne, ou à leur majorité, afin qu'ils soient plus authentiques. Le dernier se fit en 1632, et l'on en prépare un pour le mariage du Roi. Comme il ne s'en est pas fait depuis longtemps, on fait de grands préparatifs pour rendre celui-ci fort solennel et aussi magnifique que peuvent être ces sortes de cérémonies144. Un des conseillers de l'Inquisition en a déjà fait un projet qu'il m'a montré. Voici ce qu'il porte:

On dressera dans la grande place de Madrid un théâtre de cinquante pieds de long. Il sera élevé à la hauteur du balcon destiné pour le Roi, sous lequel il finira.

A l'extrémité et sur toute la longueur de ce théâtre, il s'élèvera, à la droite du balcon du Roi, un amphithéâtre de vingt-cinq ou trente degrés, destiné pour le conseil de l'Inquisition et pour les autres conseils d'Espagne, au-dessous desquels sera, sous un dais, la chaire du grand inquisiteur, beaucoup plus élevée que le balcon du Roi. A la gauche du théâtre et du balcon, on verra un second amphithéâtre de même grandeur que le premier, et où les criminels seront placés.

Au milieu du grand théâtre, il y en aura un autre fort petit, qui soutiendra deux cages où l'on mettra les criminels pendant la lecture de leur sentence.

On verra encore sur le grand théâtre trois chaires préparées pour les lecteurs des jugements et pour le prédicateur, devant lequel il y aura un autel dressé.

Les places de Leurs Majestés Catholiques seront disposées de sorte que la Reine sera à la gauche du Roi et à la droite de la Reine mère. Toutes les dames des Reines occuperont le reste de la longueur du même balcon de part et d'autre. Il y aura d'autres balcons préparés pour les ambassadeurs et pour les seigneurs et les dames de la cour, et des échafauds pour le peuple.

La cérémonie commencera par une procession qui partira de l'église de Sainte-Marie. Cent charbonniers armés de piques et de mousquets marcheront les premiers, parce qu'ils fournissent le bois qui sert au supplice de ceux qui sont condamnés au feu. Ensuite viendront les Dominicains, précédés d'une croix blanche. Le duc de Medinaceli portera l'étendard de l'Inquisition, selon le privilége héréditaire de sa famille. Cet étendard est de damas rouge. Sur l'un des côtés est représentée une épée nue dans une couronne de laurier, et sur l'autre les armes d'Espagne.

Ensuite on portera une croix verte entourée d'un crêpe noir. Plusieurs grands et d'autres personnes de qualité de l'Inquisition marcheront après, couverts de manteaux ornés de croix blanches et noires bordées de fils d'or. La marche sera fermée par cinquante hallebardiers ou gardes de l'Inquisition, vêtus de noir et de blanc, commandés par le marquis de Pobar, protecteur héréditaire du royaume de Tolède.

La procession, après avoir passé en cet ordre devant le palais, se rendra à la place. L'étendard et la croix verte seront plantés sur l'autel, et les Dominicains seuls resteront sur le théâtre et passeront une partie de la nuit à psalmodier, et dès la pointe du jour, ils célébreront sur l'autel plusieurs messes.

Le Roi, la Reine, la Reine mère et toutes les dames paraîtront sur les balcons vers les sept heures du matin; à huit, la marche de la procession commencera comme le jour précédent, par la compagnie des charbonniers, qui se placeront à la gauche du balcon du Roi; la droite sera occupée par ses gardes. Plusieurs hommes porteront ensuite des effigies de carton grandes comme nature. Les unes représenteront ceux qui sont morts dans la prison, dont les os seront aussi portés dans des coffres avec des flammes peintes à l'entour, et les autres figures représenteront ceux qui se sont échappés et qui auront été jugés par contumace. On placera ces figures dans une des extrémités du théâtre. On lira ensuite leur sentence, et ils seront exécutés. Mais je dois vous dire, ajouta-t-il, que le conseil suprême de l'Inquisition est plus absolu que tous les autres. On est persuadé que le Roi même n'aurait pas le pouvoir d'en retirer ceux qui seraient dénoncés, parce que ce tribunal ne reconnaît que le Pape au-dessus de lui, et qu'il y a eu des temps et des occasions où la puissance du Roi s'est trouvée plus faible que celle de l'Inquisition. Don Diégo Sarmiento est inquisiteur général. C'est un grand homme de bien; il peut avoir soixante ans. Le Roi nomme le président de l'Inquisition et Sa Sainteté le confirme; mais à l'égard des inquisiteurs, le président les propose au Roi, et après avoir eu son approbation, il les pourvoit de leur charge.

Le tribunal connaît tout ce qui regarde la foi, et il est absolument revêtu de l'autorité du Pape et de celle du Roi. Ses arrêts sont sans appel, et les vingt-deux tribunaux de l'Inquisition qui sont dans tous les États d'Espagne, et qui dépendent de celui de Madrid, lui rendent compte tous les mois de leurs finances, et tous les ans des causes et des criminels. Mais ceux des Indes et des autres lieux éloignés ne rendent compte qu'à la fin de chaque année. A l'égard des charges de ces tribunaux inférieurs, elles sont remplies par l'inquisiteur général, avec l'approbation des conseillers. Il serait assez difficile de pouvoir dire précisément le nombre d'officiers qui dépendent de l'Inquisition, car dans l'Espagne seule il y a plus de vingt-deux mille familiares du Saint-Office. On les nomme ainsi, parce que ce sont comme des espions répandus partout, qui donnent sans cesse à l'Inquisition des avis vrais ou faux, sur lesquels on prend ceux qu'ils accusent145.

Dans le temps que j'écoutais Don Fernand avec le plus d'attention, la marquise de Palacios nous interrompit, pour nous dire que nous étions proche de Tolède, et que les restes antiques d'un vieux château que nous voyions à gauche, sur une petite montagne, étaient ceux d'un palais enchanté. Nous voici encore, dis-je tout bas à Don Fernand, aux châteaux de Guebare et de Nios. Nous en sommes à tout ce qu'il vous plaira, dit-il, mais il est certain que c'est une tradition très-ancienne dans ce pays-ci. On prétend qu'il y avait une cave fermée, et une prophétie menaçait l'Espagne des derniers malheurs lorsqu'on ouvrirait cette cave; chacun, effrayé de ces menaces, ne voulait point en attirer les effets sur soi. Ce lieu demeura donc fermé pendant des siècles. Mais le Roi Don Rodrigue, moins crédule, ou plus curieux, fit ouvrir la cave, et ce ne fut pas sans entendre des bruits épouvantables. Il semblait que tous les éléments allaient se confondre, et que la tempête ne pouvait être plus grande. Cela ne l'empêcha pas d'y descendre, et il vit, à la clarté de plusieurs flambeaux, des figures d'hommes dont l'habillement et les armes étaient extraordinaires. Il y en avait un qui tenait une lame de cuivre, sur laquelle on trouva écrit en arabe, que le temps approchait de la désolation de l'Espagne, et que ceux dont les statues étaient en ce lieu ne seraient pas longtemps sans arriver. Je n'ai jamais été en aucun endroit, dis-je en riant, où l'on fasse plus de cas des contes fabuleux qu'en Espagne. Dites plutôt, reprit-il, qu'il n'y a jamais eu de dame moins crédule que vous, et je n'ai pas entrepris de vous faire changer de sentiment en vous disant cette histoire. Mais autant qu'on peut assurer des choses sur la foi des auteurs, celle-ci doit être recevable.

Le jour était assez grand pour bien remarquer tous les charmes de la campagne. Nous passâmes le Tage sur un beau et grand pont, dont on m'avait parlé, et ensuite je découvris Tolède tout environnée de montagnes et de rochers qui la commandent. On trouve là des maisons très-belles, que l'on a bâties dans les montagnes pour jouir d'une agréable solitude. L'archevêque de Tolède y en a une où il va souvent. La ville est élevée sur le roc, dont l'inégalité en plusieurs endroits contribue à la rendre haute et basse. Les rues sont étroites, mal pavées et difficiles; ce qui fait que toutes les personnes de qualité y vont en chaise ou en litière. Et comme nous étions en carrosse, nous allâmes demeurer proche de la Plaza Mayor, parce que c'est le seul quartier où l'on puisse passer en voiture. Nous descendîmes, en arrivant, à l'hôpital de Foira, qui est dans le faubourg et dont le bâtiment entoure de trois côtés une très-grande cour carrée. L'église contient le quatrième; nous y entendîmes la messe. Cet hôpital a été bâti par un archevêque de Tolède, dont le tombeau et la statue en marbre sont au milieu de la nef. Les murailles de la ville ont été rebâties par les Maures; elles sont bordées d'une grande quantité de petites tours qui servaient autrefois à les défendre, et la place serait bonne, étant presque tout entourée du Tage, et ayant des fossés extrêmement profonds, si les montagnes voisines ne la commandaient pas; car on peut aisément la battre de ces lieux-là. Il n'était pas huit heures quand nous arrivâmes. Nous voulûmes employer le reste de la matinée à voir l'église, qui est, à ce que l'on dit, une des plus belles de l'Europe. Les Espagnols l'appellent Sainte, soit à cause des reliques que l'on y voit, ou par quelque autre raison que l'on ne m'a pas expliquée. Si elle était aussi longue et aussi haute qu'elle est large, elle n'en serait que mieux. Elle est ornée de plusieurs chapelles aussi grandes que des églises. Elles sont tout éclatantes d'or et de peintures. Les principales sont celles de la Vierge, de saint Jacques, de saint Martin, du cardinal de Sandoval, et du connétable de Luna. Je vis une niche dans le chœur, d'où l'on prétend qu'il sortit une source d'eau plusieurs jours de suite, et qui servit à désaltérer les soldats et les citoyens, dans le temps qu'ils soutenaient le siége contre les Maures, et qu'ils étaient demi-morts de soif. Car, sans m'éloigner de mon discours, je dois dire qu'il n'y a pas une fontaine dans la ville, et qu'il faut descendre jusqu'au Tage pour en apporter l'eau; ce qui est une chose si incommode, que je ne puis comprendre comment Tolède est aussi peuplé. On trouve, proche de l'entrée de l'église, un pilier de marbre que l'on y révère, parce que la Sainte Vierge apparut dessus à saint Alphonse. Il est enfermé dans une grille de fer, et on le baise par une petite fenêtre, au-dessus de laquelle il est écrit: Adorabimus in loco ubi steterunt pedes ejus. Entre chaque siége des chanoines, il y a une colonne de marbre, et la sculpture de toute l'église est fort délicate et bien travaillée. Je vis le trésor avec admiration. Il faut trente hommes pour porter le tabernacle le jour de la Fête-Dieu. Il est de vermeil doré, il finit en plusieurs pointes de clocher, d'un travail exquis, couvert d'anges et de chérubins. Il y en a encore un autre au dedans, lequel est d'or massif, avec une quantité de pierreries si considérable, que l'on n'en peut dire la juste valeur. Les patènes, les calices et les ciboires ne sont pas moins beaux. Tout y brille de gros diamants et de perles orientales. Le soleil où l'on met le Saint-Sacrement, les couronnes de la Vierge et ses robes sont les choses les plus magnifiques que j'aie vues de mes jours. Mais, en vérité, cet archevêché est si riche, qu'il est bien juste que tout y réponde. Je vous ai mandé, ma chère cousine, que l'archevêque de Burgos me dit que celui de Tolède avait trois cent cinquante mille écus de rente. Ajoutez à cela que la fabrique en a cent.

140.Le marquis de Louville fait allusion à cet usage dans sa correspondance. Le duc d'Albe venait de refuser l'ambassade de France. Cet homme, dit-il, le plus triste et le plus sérieux que j'aie jamais vu, est devenu amoureux d'une dame du palais, sœur du duc d'Ossone, aussi laide que lui. Comme il n'y voit goutte, c'est son valet qui fait de loin les signes pour lui. (Mémoires du marquis de Louville, t. II, p. 108.)
141.Le duc de Saint-Simon donne une idée beaucoup plus nette des jardins d'Aranjuez. «Le jardin, dit-il, est grand, avec un beau parterre et quelques belles allées. Le reste, découpé de bosquets et de berceaux bas et étroits et pleins de fontaines de belle eau, d'oiseaux, d'animaux, de quelques statues, qui inondent les curieux qui s'amusent à les considérer. Il en sort de l'eau de dessous leurs pieds; il leur en tombe de ces oiseaux factices perchés sur les arbres une pluie abondante et une autre qui se croise en sortant de la gueule des animaux et des statues, en sorte qu'on est noyé en un instant sans savoir où se sauver. Tout ce jardin est dans l'ancien goût flamand, fait par des Flamands que Charles-Quint fit venir exprès. Il ordonna que ce jardin serait toujours entretenu par des jardiniers flamands, sous un directeur de la même nation, qui aurait seul le droit d'en ordonner, et cela s'est toujours observé fidèlement depuis.» (Mémoires du duc de Saint-Simon, t. XIX, p. 309.)
142.Les fonctions des autres personnages s'expliquent d'elles-mêmes; mais il nous semble à propos de donner quelques détails sur celles des qualificateurs et des consulteurs. C'étaient des théologiens chargés d'apprécier les points douteux des opinions religieuses émises par les prévenus. Les subtilités des questions qui leur étaient soumises leur permettaient de confondre les affaires politiques avec les affaires religieuses. Ainsi, dans le procès d'Antonio Perez, le qualificateur définit en ces termes son opinion sur un terme qui leur avait été rapporté. Antonio Perez avait dit ces propres paroles: Si Dieu le Père y voulait mettre obstacle, je lui couperais le nez. Cette proposition, dit le qualificateur, est une proposition blasphématoire, sentant l'hérésie des Vaudois, qui prétendent que Dieu est corporel et qu'il a des membres humains. (Antonio Perez et Philippe II, Mignet, p. 145.)
143.Au dire de Llorente, treize mille personnes furent brûlées, et cent quatre-vingt-onze mille quatre cent treize furent condamnées à diverses peines, de l'année 1481 à l'année 1518. Llorente se base sur un passage de l'historien Mariana, qui parle de deux mille personnes condamnées à Séville en 1481; il multiplie ce chiffre par le nombre des tribunaux de l'Inquisition en Espagne, et arrive à se créer ainsi une moyenne. La statistique seule peut accepter de semblables évaluations.
  Mariana, d'ailleurs, semble avoir parlé fort à la légère. Marineo, un contemporain, dit bien que deux mille personnes furent condamnées; mais, ajoute-t-il, dans un court espace de temps, ce qui change fort la thèse.
  En réalité, nous en sommes réduits à des conjectures plus ou moins vagues.
144.L'idée de célébrer avec pompe et magnificence l'effroyable cérémonie de l'auto-da-fe était parfaitement espagnole, et madame d'Aulnoy semble s'être identifiée avec le sentiment du pays, en laissant tomber ces mots de sa plume sans autre réflexion. Il est impossible, en effet, de le méconnaître, le tribunal du Saint-Office était considéré comme une institution nationale et religieuse. A ce double point de vue, il était entouré du respect et de la faveur populaires. Nous en trouvons la raison dans le passé de l'Espagne. Tous les souvenirs se rattachant à la lutte séculaire que les chrétiens avaient soutenue contre les musulmans. Or, les rigueurs de l'Inquisition s'exerçaient principalement contre les Maures et les Juifs. Il n'existait guère d'hérétiques en Espagne, ou, s'il en existait, l'opinion générale les confondait avec les Juifs. Les auto-da-fé étaient donc considérés comme des représailles envers les oppresseurs du nom chrétien. Ils donnaient satisfaction au fanatisme religieux, aux haines nationales, aux instincts féroces de la multitude; ils devenaient ainsi pour elle une fête émouvante, plus émouvante que le plus sanglant combat de taureaux. L'Inquisition avait encore d'autres auxiliaires. Elle était, en effet, secondée par la monarchie absolue, dont elle servait les intérêts. Primitivement appelée à réprimer les atteintes portées à la foi religieuse, elle n'avait pas tardé à subir la pression de l'autorité souveraine dont elle émanait et était devenue un des rouages du gouvernement. Son intervention dans le domaine politique avait puissamment aidé la royauté à se transformer en une sorte de théocratie. Nul mieux que Philippe II ne comprit le parti qu'il pouvait tirer d'un tribunal à sa dévotion. Aussi, s'efforça-t-il de l'établir dans tous les pays soumis à son autorité. Mais l'Inquisition n'avait sa raison d'être qu'en Espagne. Les haines nationales qu'elle flattait n'existaient pas ailleurs; l'entreprise échoua, ainsi que chacun le sait.
145.Un gentilhomme, familier de l'Inquisition, peut après cela faire toutes les méchantes actions du monde, tuer, assassiner, violer, sans qu'il lui en arrive du mal; car dès qu'on le veut faire prendre, il se réclame tout aussitôt de l'Inquisition, où il a ses causes commises, et il faut que toute autre juridiction cède, car celle-ci a les mains plus longues que les autres. Les inquisiteurs entreprennent donc ce procès, et le familier ne manque point aussitôt de se faire écrouer prisonnier de l'Inquisition, et après cela, il ne laisse pas de se promener partout, pendant qu'on fait tirer le procès en longueur… Quand je passai à Cordoue, je vis un Don Diego de Cabrera y Sotomayor, chevalier del habito de Calatrava, qui me fit voir la salle de l'Inquisition; tous les coins et les prisons et le lieu où se donne la gêne aux accusés, et il me dit qu'il y avait fort longtemps qu'il était prisonnier de l'Inquisition de cette nature. (Relation de l'État d'Espagne, p. 87.)
Yaş sınırı:
12+
Litres'teki yayın tarihi:
25 haziran 2017
Hacim:
570 s. 1 illüstrasyon
Telif hakkı:
Public Domain