Kitabı oku: «L'Anneau des Dragons», sayfa 4
CHAPITRE HUIT
Le courant malmenait Renard, le bousculait tel un mari rentré plus tôt que prévu, de sorte qu'il semblait comme jailli de l'eau. Cet homme robuste se retrouvait ballotté comme un vulgaire jouet, son poids devenu presque plume par la force de l’eau.
L’eau s’engouffra dans le manteau de Renard, l’habit se fit plus pesant qu’une chape de plomb sur ses épaules. Renard déchira et arracha son pardessus mais la boucle se prit dans sa tignasse rousse, l’immobilisait alors qu'il s'accrochait à un rocher. Renard arracha une épaisse mèche de cheveux et parvint ainsi à se dégager, projeté en avant par le courant.
Renard se débattait pour rester à la surface, essayant de se rappeler pourquoi se jeter à l’eau lui avait semblé à la base une si bonne idée. Il émergea, réussit à prendre une goulée d’air et se souvint avoir aperçu au loin la grosse masse rouge du dragon. Un petit séjour dans l’eau valait mieux qu'être brûlé vif, n’est-ce pas ?
La rivière apporta la réponse à sa question en l'entraînant à nouveau sous les flots, le propulsant à une vitesse comparable à celle d’un cheval au galop. Renard se heurta aux rochers qui écrasèrent ses côtes et dut user de ses bras et jambes pour repousser les pires écueils avant de les percuter à nouveau.
La situation ne pouvait pas être pire.
Il remonta à la surface et le regretta aussitôt. Devant lui, l'eau céda la place à l’écume et aux embruns, tandis que la rivière semblait tout bonnement disparaître par-delà les rochers déchiquetés. Une chute ou un barrage attendaient Renard, il tomberait bientôt de Charybde en Scylla.
Il nagea vers le rivage, ne voulant pas combattre la rivière de front mais l’affronter de biais. Renard comprit dès ses premières brasses que son idée ne fonctionnerait pas. La rivière était trop puissante, le courant l’entraînait trop vite. Renard devrait choisir entre passer en force ou s'écraser contre les rochers en vue – sa vie se résumait à des choix draconiens depuis ces derniers temps.
Renard supposa que la plupart des gens auraient choisi les rochers, auraient essayé de s'y cramponner pour éviter de terminer dans la cascade. Ils se seraient probablement fracassés contre et Renard n'était pas du genre à choisir la facilité. Il nagea jusqu’à un espace libre entre eux, eut le temps de contempler le vide trente mètres plus bas, si ce n’est plus, dans la rivière en contrebas puis, ce fut la chute.
Renard fit en sorte que sa chute se mue en plongeon et quand bien même, l'élégance n'était pas de mise vue la façon dont il fit son entrée dans l'eau. Une vasque attendait Renard, il n’avait plus qu’à espérer qu'elle soit assez profonde, faute de quoi cette chute sonnerait son trépas.
Il tendit les mains droit devant lui, fendant et battant l'eau avec une force qui l’ébranlait jusqu’aux os. Renard s’arcbouta afin de pénétrer moins profondément dans l’eau mais il heurta le fond de la vasque suffisamment violemment pour perdre le peu de souffle qui lui restait.
Renard apercevait la surface au-dessus, tel un cercle de lumière bien trop éloigné pour qu'il soit en mesure de l'atteindre et le toucher. Mais déjà ses poumons le brûlaient, il dut lutter pour retenir sa respiration alors qu'il remontait vers la lumière.
La remontée lui parut une éternité. La vue de Renard s’obscurcissait peu à peu, la pression allait crescendo sous son crâne qui lui semblait à deux doigts d’exploser. Il respirerait bientôt, qu'il le veuille ou non, l'eau s’engouffrerait dans ses poumons, il mourrait noyé…
Renard surgit à la surface, en manque d’air. Il leva les yeux, vit la chute d'eau qui se fracassait au-dessus, elle paraissait encore plus haute vue de là que lors de sa descente. L'eau martelait tout autour de lui, Renard trouva la chose rafraîchissante au possible à cet instant précis, il était vivant.
"Je suis vivant !" cria-t-il à la cantonade, attitude assurément des plus stupide. Il était déjà convaincu, à sa grande joie, que les dieux prenaient visiblement un malin plaisir à le tourmenter. Renard se mit à nager jusqu’au bord de la vasque.
Arrivé à bon port, il se hissa hors de l'eau sur une berge rocailleuse, épuisé et trempé jusqu'aux os. Il resta allongé pendant ce qui lui sembla une éternité, le soleil était désormais suffisamment chaud pour qu’il crut percevoir de la vapeur s'élever de tout son être.
Renard vérifia ses biens, essaya de définir ce qui restait suite à son plongeon dans la cascade. Il n'avait pas d'épée, mais toujours un long couteau sanglé à sa hanche. Sa bourse contenant son argent avait survécu, il possédait par conséquent encore une forte somme, grâce à l'amulette revendue à Geertstown.
Renard savait sans même avoir besoin de vérifier que l'amulette était toujours là. Il la sentait qui s’amusait à le pousser à bout, le vidait petit à petit de son énergie vitale. Renard était brisé et meurtri, épuisé et à peine capable de reprendre son souffle. Il sentait malgré tout quelque chose de bien plus insidieux sous-jacent, alors que l'amulette menaçait de l’achever.
Pourquoi cette amulette ne l’avait-elle pas déjà tué ? Renard n'était pas du genre à poser ce genre de question en temps normal, cela ne pouvait qu’attirer du négatif mais il ne pouvait s'empêcher de se poser des questions en pareil moment. Il ne pouvait rien faire hormis s’en poser justement, trop épuisé pour agir, même avec la perspective d'un dragon dans les parages qui le traquerait sans doute.
Le receleur auquel il avait vendu l'amulette était mort moins d'une heure après, pompé jusqu’à la moelle et n’ayant plus rien d’humain. L'homme était certes âgé mais quand bien même, Renard ne pouvait croire que l'amulette ait pu causer pareils dégâts. Il se tramait quelque chose, quelque chose qui le dépassait.
Renard finit par se redresser, s’asseoir et se lever. Il savait ce qu'il devait faire sans qu’on ait besoin de le lui souffler, il le savait depuis le moment où il avait volé l'amulette à Geertstown : il avait besoin d'un sorcier.
Le problème était toujours le même. Les sorciers étaient tout sauf du vulgus pecum, trouver quelqu'un qui en savait suffisamment long en matière de magie pour s'occuper d'une amulette redoutée par les Forces Obscures en personne, en dépit de leur terrible pouvoir… comment espérer trouver un homme qui en soit capable ?
Renard se mit en marche, ses vêtements dégoulinaient à chacun de ses pas. Il avait déjà fait une douzaine de pas avant de réfléchir quelle direction prendre. La position du soleil lui fournit la réponse. Il allait vers l'est, vers Royalsport.
Il savait son idée stupide, les rumeurs qui couraient sur Geertstown disaient que la guerre venait de l'est. Une cité pleine de voleurs et de contrebandiers était considérée comme un havre de paix eu égard au reste du royaume.
Evidemment, la majeure partie de Geertstown était actuellement en feu, grâce au dragon venu chercher l'amulette.
Renard la prit et l’admira. Un petit morceau d'écaille de dragon au centre d’un octogone, chaque face affichait une pierre précieuse de couleur différente qui brillait au soleil.
"J'aurais dû te laisser à ta place," dit Renard à l'amulette. "Pourquoi faut-il toujours que je n’en fasse qu’à ma tête ?"
Et pourtant. Il l'avait reprise pour éviter des problèmes ultérieurs, la seule solution aurait été de laisser une chose aussi puissante entre les mains des Forces Obscures. Cette seule motivation s'était avérée suffisante pour que Renard prenne de court des individus capables de le réduire en pièces à l'aide de leurs pouvoirs magiques.
Devoir se rendre à Royalsport pour trouver un sorcier n'était rien en comparaison. Il savait de qui il avait besoin, il n’existait qu'un seul homme capable de l'aider en pareille situation. Renard devait faire appel à Maître Grey, le sorcier du roi. Il devait aller voir l’enchanteur, même si cela impliquait affronter la violence qui sévissait à l'est, et demander son aide.
Ou bien, conserver simplement l'amulette dans sa main et s’enfuir, en espérant que cela suffise à rompre leur lien, le sorcier saurait quoi faire.
Quoi qu'il en soit, Renard continua à cheminer parmi la rocaille, continua d’avancer dans l'espoir de trouver un chemin. Il tomba sur une piste qu’il suivit et le mena à une piste plus grande, il poursuivit son périple.
Il était presque déjà rendu au prochain village lorsqu’il se hasarda à jeter un regard en arrière, il avait gardé les yeux rivés devant lui jusque-là, penser à ce qui l’attendait éventuellement l’avait empêché de se retourner. Mais Renard n’y tenait plus. Il regarda par-dessus une épaule, scruta ciel et terre.
Il n'en fallut pas plus pour qu'il trouve ce qu'il cherchait. Ce n'était qu'un point maintenant, mais bel et bien là, de sorte que Renard savait qu'il ne ferait pas halte dans ce village, ou dans n’importe quel autre, bien longtemps, à peine le temps de voler un cheval.
Le dragon volait à l’horizon, le suivait lentement mais sûrement, Renard savait qu’il rôtirait à nouveau dans ses flammes s’il ne rejoignait pas le sorcier au plus vite, guerre ou pas.
CHAPITRE NEUF
Nerra regarda fixement la grosse masse sombre du dragon qui s’élevait au-dessus d'elle, elle était persuadée de mourir. Il la regardait fixement de ses yeux jaune d’or, contemplant Nerra comme s’il essayait de se persuader de la facilité déconcertante avec laquelle il la dévorerait.
Les restes de la colonie éparse autour d'elle lui indiquaient qu’un souffle suffirait à l’anéantir. Pourtant, le sentiment étrange qui emplissait son coeur à cet instant n'était pas de la terreur, mais la fascination.
Comparé au dragon dont elle avait trouvé l'œuf, celui-ci était énorme, d’un noir étincelant, mais Nerra voyait désormais que le noir était en fait une douzaine de nuances et de teintes différentes, du gris le plus clair au noir goudron, comme parsemé des ombres du ciel nocturne. Ses écailles étaient si larges qu'elles ressemblaient à des plaques d'armure au niveau de son ventre, les seules giclées de couleur étant le jaune de ses yeux et le rouge profond de sa gueule lorsque le dragon l’ouvrait grand.
Il cracha des flammes près de Nerra, la terreur fit soudainement son retour dans l'esprit de Nerra. Elle se retourna et courut, trébucha parmi les vestiges de la colonie dévastée, se dirigea vers les arbres plutôt que vers le terrain sombre et rocheux à découvert, en partant du principe qu’une créature aussi volumineuse ne pourrait s’y faufiler.
Nerra entendit un rugissement derrière elle, et continua à courir.
Elle se trouvait maintenant dans la jungle à l'intérieur de l'île, des tâches de soleil trouaient la canopée tandis qu’elle continuait sa course. Les plantes que Nerra apercevait en courant ne ressemblaient en rien à celles qu'elle connaissait, des plantes vertes et luxuriantes, aux couleurs vives, qui emplissaient son nez de leurs parfums. Pressait-elle l’allure à cause des épines de la végétation ou sa nouvelle apparence en était-elle la cause ?
Nerra distinguait l'ombre énorme et large du dragon volant au-dessus d'elle, il la suivait sans encombre même à travers les arbres. Nerra ne pouvait s'empêcher de le regarder, partagée entre la terreur à l'idée qu'un si grand prédateur rôde et son admiration pour l'élégance avec laquelle il fendait l'air. Il descendait en piqué et remontait en battant à peine ses ailes géantes, crachant des flammes devant lui qui produisaient des courants thermiques facilitant son vol.
Mais, comment Nerra savait-elle tout cela ? Elle avait vu son propre dragon, bien sûr, elle avait senti ce lien particulier qui les unissait, mais ignorait tout du fonctionnement de leur organisme, ce qu’être un dragon signifiait. Elle semblait désormais posséder ce savoir indéniable qui allait crescendo.
Nerra ne put s'empêcher de regarder le dragon en arrivant dans une clairière, comprit alors que ses serres étaient presque aussi habiles que ses mains, que son corps pouvait transformer la magie ambiante en flamme, ombre ou brume. Elle savait sans qu'on ait besoin de le lui dire qu’il s’agissait d’un dragon femelle, qu'il était grand, même pour son espèce.
Nerra passa de longues secondes à contempler le dragon, secondes durant lesquelles un mouvement se fit entendre sur sa gauche. Une bête couverte d’écailles surgit des arbres, bondit vers elle tous crocs dehors, prête à mordre. La créature parut à Nerra semblable aux silhouettes tordues des êtres difformes de l'Ile de l'Espoir, mais celle-ci semblait plus animale, comme inhumaine à la base.
Elle n'eut cependant pas le temps de réfléchir car la créature déjà se jetait sur elle. En temps normal Nerra aurait couru, perdue, mais elle sortit d’instinct ses mains griffues, griffes qui entaillèrent la chair de la créature et la forcèrent à bondir en arrière. Elle la regarda fixement, sifflant et grinçant des dents comme si elle comptait bondir à nouveau sur Nerra, deux autres la rejoignirent au même moment.
Nerra savait d’instinct comment le dragon était monté en flèche, qu’il lui serait assez facile de gérer une créature de la famille des lézards, mais trois à la fois s’avérait plus difficile. Elles encerclèrent Nerra qui sentit sa mort prochaine.
Elle vit le dragon plonger telle une pierre vers la terre, ailes repliées sur le côté, alors qu'il descendait en piqué, se laissant choir jusqu'à être presque au niveau du sol avant d'ouvrir et battre fermement des ailes, créant un tel appel d'air que Nerra se retrouva cul par-dessus tête. Les drôles de lézards s’étalèrent à leur tour.
Le dragon ouvrit sa gueule différemment, en sortit une sorte de buée sombre et tremblotante qui s’abattit sur les créatures sans endommager les arbres derrière elles, et non du feu. Elles hurlèrent de douleur et se replièrent en tout hâte vers la forêt.
Tu es à moi.
Les mots résonnèrent dans la forêt, il fallut une seconde à Nerra pour comprendre que cela n'avait rien à voir avec un défaut d'audition. Les mots semblaient au contraire résonner dans son esprit, comme si son cerveau traduisait quelque chose de plus primitif en des termes qu'elle comprenait.
Nerra ne pouvait que fixer le dragon.
"Tu… tu es intelligent."
Le dragon souffla, comme si la question même était une insulte. Doucement, prudemment, Nerra tendit la main jusqu'à toucher son flanc. Il était chaud et lisse, la puissance des muscles en dessous évidente, alors qu'il changeait légèrement de position. Ses grands yeux fixaient Nerra, elle pouvait sentir tout ce que le dragon ressentait à cet instant précis : la curiosité, la possessivité. Le dragon leva une serre, toucha Nerra presque délicatement, mais fit cependant couler le sang.
Elle sentit la connexion infime s’établir à ce moment-là, se renforcer, s’unifier, de sorte qu'un bref instant, on eut l'impression qu'elle était le dragon. Elle se voyait comme il la voyait : un être fragile et précieux, transformée en une créature aussi proche de la perfection que les humains de ce monde pouvaient l'être. Elle sentit son propre dragon sur elle, sentit le moment où sa pensée mit fin à cette requête.
Tu n'es pas le dragon Alith. Tu es Shadr, ta peau refroidit dans l'obscurité, le premier des dragons.
"Tu es…" Nerra avait du mal à comprendre. "Tu es leur reine ?"
Le dragon sembla acquiescer. Oui, je suis… la reine. Et tu es… la fille de la reine. Tu es la Perfection, tout comme je le suis pour mes semblables. Tu m’appartiens, fille de la Reine Nerra.
"Je t’appartiens ?" dit Nerra.
Les Parfaits sont parmi nous, liés à nous, comme tu le seras bientôt. Nous les avons créés pour servir, pour se mouvoir parmi les humains. Nous avons déjà essayé de te récupérer, mais tu étais trop jeune.
Nerra songea à son dragon bleu mais le grand dragon noir au-dessus d'elle fit crépiter un souffle de flammes.
Tu es à moi, pas à eux. Bientôt, la vérité dévoilera le lien qui nous unit.
Nerra ne savait pas comment réagir. Elle était en partie terrorisée à l'idée d’appartenir à qui que ce soit, et d’autant plus à un dragon, mais de l’autre elle écumait en son for intérieur, elle avait attendu ça toute sa vie. Raison pour laquelle elle avait été transformée en ce qu'elle était, pourquoi elle avait tant souffert durant toute sa vie. Le reste prenait enfin tout son sens en pareil moment.
Viens.
Shadr le dragon baissa son cou, il était évident qu'elle voulait que Nerra monte sur son dos. Nerra hésita, retenue par une certaine crainte.
N’aie pas peur. Tu n'as plus rien à craindre.
Nerra savait qu’elle disait vrai. Elle ressentait la puissance de la créature en face d'elle, cette connexion magique qui les enveloppait. Rien ne pourrait lui arriver avec Shadr. Rien ni personne ne la traiterait différemment à cause de sa soi-disant maladie qui n’en était pas une ; elle faisait d'elle ce qu'elle avait toujours voulu être. Les tenants et aboutissants lui échappaient encore mais peu importe. Elle grimpa sur le dos du dragon.
Les écailles saillantes du cou de Shadr offraient une prise suffisante pour que Nerra s'y accroche lorsque le dragon déploya ses ailes et s’envola vers le ciel, ses battements d'ailes frénétiques les propulsant toutes deux vers les cieux. Nerra vit le sol se déployer sous elle telle une carte, le continent de Sarras devint une masse de roches noires et de jungle, des volcans ponctuaient l’horizon, elles se rapprochaient de l'un des plus grands à une telle vitesse que Nerra avait du mal à croire qu’un dragon puisse se déplacer si rapidement.
Nerra distinguait, au fur et à mesure qu’elles approchaient, quelque chose de quasi improbable sur ses flancs : des édifices hauts et lisses semblaient avoir été creusés à même la paroi du volcan, comportant de nombreux espaces ouverts délimités par des piliers qui rappelèrent à Nerra le temple de la source. Des silhouettes se déplaçaient parmi eux, la lumière brillait sur leurs écailles. Nerra réalisa, sous le choc, qu’ils étaient comme elle.
Mais ce n'était pas tout, des dragons se perchaient, volaient et crachaient leur souffle au bord du cratère. La plupart crachaient des flammes, d'autres des éclairs, de la glace ou des nuages d'acide. Les créatures arboraient toutes les couleurs de l'arc-en-ciel, certaines ternes, d'autres brillantes et presque aveuglantes. Toutes étaient énormes, mais aucune aussi imposante, aussi redoutable, aussi puissante que Shadr.
"Il y en a … tant," chuchota Nerra, elle savait que le dragon l'avait entendue malgré le vent qui emportait son murmure.
Ils nous attendent.
"Ils nous attendent ?" répéta Nerra. "Pourquoi ?"
Nous sommes… en guerre.
CHAPITRE DIX
Erin était à court d'hommes. Elle en avait encore quelques-uns sous la main mais d'autres avait péri, d'autres encore étaient partis dans la cité pour essayer de tenir diverses troupes ennemies en respect, mais maintenant… ils n'étaient plus assez nombreux. Tout simplement en sous-effectif.
Pas quand les soldats du Royaume du Sud étaient libres de parcourir la cité comme bon leur semblait. Ils se déversèrent au moment où le niveau des rivières baissa, Erin savait à quoi s’attendre et détestait déjà la suite.
"Dispersez-vous," dit-elle aux hommes restants.
"Pardon ?" demanda l'un d’eux.
"Dispersez-vous. Mettez-vous à couvert. Quittez la cité si possible. Nous pourrons peut-être revenir plus tard mais n’avons aucun moyen de tenir dans l’immédiat."
Erin aurait tout donné pour ne pas avoir à prononcer ces paroles, elle haïssait devoir avouer sa défaite après tout ce qu'ils avaient fait, tout ce qu'ils avaient sacrifié pour essayer de défendre Royalsport. Elle savait qu'elle ne pouvait pas demander à ses hommes de poursuivre le combat, pas maintenant, face à la masse écrasante d'ennemis.
"Cachez-vous parmi la population si vous ne parvenez pas à vous échapper," leur dit-elle en essayant de cacher son cœur brisé. "Nous… nous trouverons le moyen de nous en sortir."
"Mais qu’allez-vous devenir ?" demanda l'un des rares hommes restants. "Aller au château ?"
"Ma famille est là-bas." Erin regarda vers la Maison des Armes qui émergeait du pâté de maison suivant. "Mais d'abord… je dois aider un ami. Allez-y, tous combien vous êtes. Partez tous."
Ils partirent en courant, détalèrent comme des lapins, mais Erin n’attendit pas de voir dans quelle direction. Elle était trop occupée à courir, essayant de rejoindre la Maison des Armes avant que les hommes ne s'en approchent. Elle courut à toutes jambes, privilégiant les ruelles pour ne pas se faire repérer, sans pour autant ralentir.
Parvenue à proximité des ruisseaux, Erin plongea dans le lit presque tari. Elle émergea de l'autre côté, dans le quartier de la Maison des Armes. Elle s'y dirigea, espérant arriver tant qu'il était encore temps pour seconder Odd.
Elle le trouva au beau milieu d’un fracas de violence qui montait d'une des rues adjacentes. Le choc des lames aurait pu venir de n'importe où mais Erin coupa instinctivement sur sa gauche entre deux bâtiments, en direction du bruit.
Elle vit Odd aux prises avec des soldats, courant, s'arrêtant, se retournant pour en abattre un avant de se déplacer à nouveau. Mais ils étaient trop nombreux, même pour un homme expérimenté.
Erin n'hésita pas. Elle plongea tête baissée dans la mêlée, usant de sa lance sans réfléchir au fait qu'elle aurait dû avoir peur vue la quantité de soldats. Elle planta sa lance dans la gorge d'un homme, frappa un autre dans le dos de la pointe, se frayait un passage pour avancer.
Une épée s’abattit sur Erin qui la dévia plus instinctivement que dans un sursaut de conscience. A ce stade, elle combattait depuis si longtemps qu'elle n'avait plus l'énergie de penser à la façon dont elle se battait, ni aux techniques utilisées, hormis le déroulement de la bataille. Erin riposta et acheva l'homme, tandis que Odd, posté à ses côtés, en descendait un, puis un autre.
Ménageant ainsi une brèche dans la mêlée, Erin pointa du doigt.
“Par ici.”
Odd acquiesça et se débarrassa d'un homme en travers de son chemin. Erin s'arrêta le temps de planter la pointe de sa lance dans la gorge d'un soldat, il était temps de fuir, tous deux partirent comme des dératés vers une ruelle étroite qui aboutissait dans une impasse.
Erin grimpa dessus, suivie de Odd une fraction de seconde plus tard. Erin aperçut une pile de caisses et de boîtes situées derrière une auberge devant elle, les atteignit et attendit que Odd passe, avant de planter sa lance, qui fit office de levier, et les renversa, elles s'éparpillèrent et bloquèrent l'allée en tombant. Les rares hommes qui avaient réussi à franchir le mur s'arrêtèrent devant ce fracas, un seul réussit à passer. Odd le tua d'un coup d'épée bien senti.
Ils se remirent à courir, galvanisés par la peur de ce qui se passerait s'ils s'arrêtaient, ne feraient halte que lorsqu'ils auraient semé les soldats à leurs trousses.
*
Odd n'était pas mort, un sentiment de pur étonnement s'empara de lui alors qu'il courait avec Erin, ne s'arrêtant que lorsqu'ils atteignirent le refuge de fortune constitué par un étal abandonné lors de l'invasion. Odd s'y appuya et reprit son souffle.
"Vous êtes revenue me chercher," sa surprise allait crescendo.
Erin fronça les sourcils. "Evidemment que je suis revenue vous chercher."
Cela lui semblait évident, Odd doutait fort qu'un autre aurait pris le risque. Il se doutait qu'ils estimaient qu'il n'en valait pas la peine.
"Ils tiennent la Maison des Armes," dit-il. "Le Maître d'armes Wendros et moi avons tenu un moment, mais ils étaient trop nombreux."
Odd détestait admettre son échec, surtout à Erin.
"Wendros était ici ?" demanda Erin. "C'est … c'est lui qui m'a appris à me servir d'une lance en lieu et place d'une épée."
Odd posa une main compatissante sur son épaule. "Je suis désolé, il n'a pas pu s'en sortir."
Il vit la douleur sur ses traits. Elle l'enfouit comme elle le faisait avec tant d'autres choses, sous le coup de la colère.
"Je les tuerai," dit Erin.
"Et je vous aiderai," rétorqua Odd. "Mais pour l'instant, il nous faut un plan."
"Ils sont trop nombreux pour les attaquer ouvertement," décréta Erin.
Odd ne put qu'acquiescer. Ils étaient déjà en surnombre lorsque les troupes de Ravin avaient été séparées par le déferlement des rivières. Désormais tous réunis, autant essayer de contenir une tempête.
"Et maintenant ?" demanda-t-il.
"Je dois… je dois retourner auprès de ma sœur," annonça Erin. Odd s'y attendait. Erin n'était pas du genre à fuir, ou faire passer sa propre sécurité avant les autres. "Vous n'êtes pas obligé de me suivre cela dit. Vous pouvez vous cacher dans la cité, vous échapper lorsque la voie sera libre."
"J'ai prêté serment devant votre sœur," dit Odd, frémissant de colère, qu'il le veuille ou pas. "J'ai tant fait dans ma vie, brisé tant de promesses … je tiens à honorer celui-ci."
"Vous m'en voyez ravie," dit Erin en tendant la main. Odd la vit regarder en direction du château. Des hommes demeuraient entre eux et lui désormais, dans les rues du quartier où ils se trouvaient, se déversaient lentement dans le quartier aisé. "Pensez-vous que nous pourrons arriver sans être vus ?"
"Non," répondit Odd. Il n'y avait aucun moyen d'y arriver sans être vus, au vu du nombre. Un homme plus sensé aurait peut-être essayé de toute façon et serait mort, piégé par un trop grand nombre d'ennemis pour parvenir à se battre. Ne restait donc que l'autre solution. Une réminiscence de son ancienne folie céda la place à la colère, Odd gratifia Erin d'un sourire dément. "On fait la course."
Il partit en courant, se cacher ne servait à rien, bientôt les rues de la cité seraient noires de soldats. Mieux valait courir, prendre de la distance avant qu'ils comprennent où ils voulaient en venir.
Erin courut avec lui, Odd se mit à rire, que faire hormis savourer cette joie brute lorsque tout espoir était perdu. Un soldat se mit en travers du chemin de Odd, qui l'abattit sans même ralentir.
"Courez !" hurla-t-il à Erin alors qu'ils traversaient le lit d'une rivière, jusqu'au quartier noble. Il distinguait les murailles grises et imposantes apparemment solides du château, pour qui n'était pas versé dans l'art de la guerre. Un autre soldat essaya de se placer devant Odd, l'ancien chevalier l'abattit aussi rapidement que le premier.
D'autres hommes arrivèrent, Odd vit Erin s'arrêter alors qu'elle enfonçait sa lance dans l'un d'eux, deux autres essayèrent de l'attaquer. Odd se retourna et en descendit un, puis s'empara et tira la main d'Erin.
"Ne nous arrêtons pas," lui dit-il. "Pas pour ça, pas pour-"
Il trébucha sur un pavé mal scellé et tomba. Les hommes s'approchaient de lui alors qu'il se relevait, Odd esquiva de justesse la première attaque. Une lame traversa son flanc, il grimaça de douleur et tua l'homme qui la maniait. Erin surgit d'un bond, plantant sa lance dans la gorge d'un autre, y fit un trou, avant de détaler.
Ils continuèrent à courir, à tuer, les murailles du château se rapprochaient. Erin était rapide, Odd faisait de son mieux pour la suivre. Mais il y avait un hic, les portes du château étaient closes, il n'y avait aucun moyen de les ouvrir et les troupes de Ravin se rapprochaient.
Odd aperçut des silhouettes sur les murs, un des gardes les avait clairement reconnus et leur faisait signe. Odd vit une corde toute fine descendre le long du mur, il courut pour l'attraper.
Erin arriva la première et commença à grimper, se hissant à la corde, sa lance attachée dans son dos. Odd suivit et lui cria du bas que leur ascension ne passerait pas inaperçue. Des flèches se fichèrent dans les murs autour d'eux. Pire encore, Odd sentit la tension de la corde changer, il regarda en bas et vit des hommes grimper sous lui, ils le suivaient pour le tuer ou prendre la muraille d'assaut.
Odd réfléchit un instant, enveloppa fermement la corde à son bras et dégaina un couteau de sa main libre.
Couper la corde lui sembla prendre une éternité, éternité durant laquelle les hommes en contrebas poursuivaient leur ascension, assez près pour le toucher alors même que les derniers brins cédaient. Odd sentit une main se cramponner à son pied tandis que, sous lui, les hommes sur la corde se précipitaient vers la mort. Odd contempla le visage de l'homme qui se trouvait là, vit sa peur, sa colère. Avant de le frapper une fois, deux fois, assez fort pour que l'homme lâche prise précipitamment et tombe en hurlant.
Odd reprit son ascension et fut surpris de constater en arrivant au sommet qu'Erin n'était pas seule. Lenore l'aida elle aussi, le hissa à l'abri de la muraille.
"Je savais que vous reviendriez tous les deux," dit-elle. "Je suis heureuse que vous soyez sains et saufs."
Odd poussa un soupir de soulagement, bien que sachant que personne n'était en sécurité.
"Ma mère est dans le grand salon du donjon," déclara Lenore. "Nous devrions la rejoindre. Nous y serons plus en sécurité qu'ici."
"Nous ne serons nulle part en sécurité bien longtemps," déclara Erin. "Mais nous sommes probablement mieux là-bas qu'ici."
Sur ces paroles, Odd entendit les hommes de Ravin commencer à tambouriner aux portes, essayer de les briser. Odd savait que les jeux seraient faits dès lors qu'ils arrêteraient et grimperaient tout simplement. Ce qui leur laissait du temps pour le moment.
Ils coururent au donjon, Odd entendit derrière lui le cliquetis métallique des premiers grappins.
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