Kitabı oku: «Un Chant Funèbre pour des Princes », sayfa 3

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CHAPITRE QUATRE

Vue de dessus, l'invasion ressemblait à une aile qui balayait la terre et l'emportait sur son passage. Le Maître des Corbeaux appréciait cette idée et il était probablement le seul en mesure de l'apprécier car ses corbeaux lui donnaient une vue parfaite du champ de bataille pendant que ses navires se rapprochaient de la côte.

“Il y a peut-être d'autres observateurs”, se dit-il. “Peut-être les créatures de cette île verront-elles ce qui va s'abattre sur elles.”

“Que disiez-vous, monsieur ?” demanda un jeune officier blond dont l'uniforme resplendissait après qu'il l'avait longtemps poli.

“Rien qui te concerne. Préparez-vous à accoster.”

Le jeune homme partit précipitamment avec un élan qui semblait montrer qu'il avait hâte de passer à l'action. Peut-être se croyait-il invulnérable parce qu'il se battait pour la Nouvelle Armée.

“Ils finissent tous par nourrir les corbeaux”, dit le Maître des Corbeaux.

Toutefois, ce ne serait pas aujourd'hui parce qu'il avait choisi ses sites de débarquement avec soin. Au-delà du Knifewater, il y avait des parties du continent où les gens tiraient sur les corbeaux presque sans raison mais, ici, ils n'avaient pas encore pris cette habitude. Ses créatures s'étaient répandues partout et lui avaient montré les endroits où les défenseurs avaient disposé des canons et des barricades pour se préparer à l'invasion et où ils avaient caché des hommes et des villages fortifiés. Ils avaient créé un réseau de défenses qui aurait dû avaler toute une force d'invasion mais le Maître des Corbeaux voyait les trous dans ces défenses.

“Commencez”, ordonna-t-il et ses soldats sonnèrent les clairons, dont le son se propagea sur les vagues. Les barges de débarquement s'ouvrirent et une marée d'hommes se répandit sur la côte. Ils le firent surtout en silence parce qu'un joueur d'échecs n'annonçait pas le placement de ses pièces sur l'échiquier. Ils se répandirent, emmenant les canons et les fournitures, se déplaçant vite.

Alors, la violence commença exactement comme il l'avait prévu. Des hommes sortirent furtivement des sites d'embuscade de ses ennemis pour s'abattre sur eux de l'arrière, leurs armes frappant les groupes cachés d'ennemis qui voulaient l'arrêter. A cette distance, il aurait dû être impossible d'entendre les cris des moribonds ou même le feu des mousquets mais ses corbeaux relayaient tout.

Il voyait une dizaine de fronts à la fois. La violence se transformait en un chaos à plusieurs facettes comme elle le faisait toujours aux moments qui suivaient le commencement d'un conflit. Sur une plage, il vit ses hommes charger contre un groupe de paysans, leurs épées en mouvement. Il vit débarquer les cavaliers pendant que, autour d'eux, une compagnie se battait pour conserver sa tête de pont contre une milice armée d'outils agricoles. Il vit aussi bien des massacres que des actes de bravoure, même s'il était difficile de distinguer les uns des autres.

Par les yeux de ses corbeaux, il vit un groupe de cavaliers se rassembler un peu à l'intérieur des terres, leurs plastrons brillants au soleil. Il étaient assez nombreux pour pouvoir potentiellement enfoncer sa toile soigneusement coordonnée de sites de débarquement et, bien que le Maître des Corbeaux ne pense pas qu'ils connaissent l'endroit où il fallait frapper, il ne pouvait pas prendre ce risque.

Il étendit sa concentration et se servit de ses corbeaux pour trouver un officier convenable dans les environs. A son grand amusement, il trouva le jeune homme qui avait été si impatient de débarquer. Il se concentra car, pour qu'une de ses bêtes transmette sa voix, il lui fallait déployer un effort beaucoup plus grand que pour seulement voir par ses yeux.

“Il y a des cavaliers au nord”, dit-il en entendant le croassement de la voix du corbeau qui répétait les mots. “Tournez vers la crête qui se trouve à l'ouest et surprenez-les pendant qu'ils viennent vous attaquer.”

Il n'attendit pas de réponse mais envoya voler le corbeau et regarda du dessus les hommes obéir à ses ordres. C'était ce que son talent lui donnait : la capacité de voir plus de choses, d'étendre son influence plus loin que n'aurait pu le faire un homme normal. La plupart des commandants se retrouvaient noyés dans la confusion de la guerre ou handicapés par des messagers qui ne pouvaient pas bouger assez vite. Il pouvait coordonner une armée aussi facilement qu'un enfant aurait pu lui montrer la façon dont il faisait bouger ses soldats de plomb autour d'une table.

Au-dessous de son oiseau qui volait en décrivant des cercles, il vit les cavaliers arriver violemment sur le champ de bataille, l'air tout aussi élégants qu'une armée de légende. Il entendit le fracas des mousquets qui commencèrent à les abattre puis vit les soldats qui attendaient leur foncer dedans et leur charge de légende devint rapidement un chaos de sang et de mort, de douleur et d'angoisse soudaine. Le Maître des Corbeaux vit tomber homme après homme, dont le jeune officier, auquel un coup d'épée maladroit transperça la gorge.

“Ils ne sont que de la chair à corbeaux”, dit-il. Cela n'avait aucune importance; cette petite bataille-là était gagnée.

Il vit une bataille plus difficile s'annoncer autour des dunes qui montaient vers un petit village. Un de ses commandants n'avait pas suivi ses ordres assez vite et les défenseurs avaient enfoncé sa troupe et bloquaient la route qui menait à leur village malgré leur infériorité numérique. Le Maître des Corbeaux s'étira puis descendit dans une barge de débarquement.

“A terre”, dit-il en montrant l'endroit du doigt.

Les hommes qui étaient avec lui se mirent au travail avec la vitesse qu'ils avaient apprise à force de s'entraîner. Alors qu'il approchait de la côte, le Maître des Corbeaux regardait la progression de la bataille en entendant les cris des mourants et en voyant ses forces écraser groupe après groupe de ceux qui se prenaient pour des défenseurs. Il était évident que la Douairière avait ordonné que l'on défende son royaume mais, visiblement, elle n'en avait pas fait assez.

Ils atteignirent la côte et le Maître des Corbeaux traversa la bataille à grands pas comme s'il se promenait. Les hommes qui l'entouraient avançaient baissés et le mousquet levé pendant qu'ils cherchaient des menaces mais leur chef marchait droit et fier. Il savait où se trouvaient ses ennemis.

Tous ses ennemis. Il sentait déjà le pouvoir de ce pays et le mouvement des créatures locales les plus dangereuses qui réagissaient à son arrivée. Qu'elles le sentent venir. Qu'elles craignent ce qui allait leur arriver.

Un petit groupe de soldats ennemis bondit de sa cachette, derrière un bateau renversé, et il n'eut plus le temps de réfléchir, seulement d'agir. En un geste agile, il tira une longue épée de duel et un pistolet. Il tira dans le visage d'un des défenseurs puis en transperça un autre de son épée. Il s'écarta d'un attaquant, répliqua avec une force mortelle et continua d'avancer.

Les dunes étaient devant eux et le village se trouvait au-delà d'elles. Maintenant, le Maître des Corbeaux entendait la violence sans avoir besoin de ses créatures. Il entendait les épées s'entrechoquer avec ses propres oreilles, l'écho du grondement des mousquets et des pistolets alors qu'il approchait. Il voyait des hommes se battre les uns contre les autres et ses corbeaux lui permettaient de choisir les endroits où les défenseurs étaient agenouillés ou allongés, leurs armes pointées sur tout ce qui approchait.

Il se tenait au milieu de la mêlée et les défiait de lui tirer dessus.

“Vous avez une chance de vivre”, dit-il. “Il me faut cette plage et je suis prêt à vous l'acheter en vous laissant la vie sauve, à vous et à vos familles. Déposez les armes et partez. Ou alors, mieux encore, rejoignez mon armée. Faites l'un ou l'autre et vous survivrez. Continuez à vous battre et je ferai raser vos maisons.”

Il restait où il était en attendant une réponse. Il la reçut quand un coup de feu retentit. La douleur et la force de l'impact le frappèrent si fort qu'il chancela et tomba sur un genou. Cependant, à ce moment-là, il y avait trop de mort autour de lui pour qu'on puisse l'arrêter aussi facilement. Les corbeaux étaient bien nourris aujourd'hui et leur pouvoir était en mesure de guérir toute blessure qui ne le tuait pas directement. Il mit du pouvoir dans la blessure et la referma en se relevant.

“Qu'il en soit ainsi”, dit-il avant de charger.

D’habitude, il ne faisait pas cela. C'était une façon stupide de se battre, une vieille façon qui n'avait rien à voir avec les armées bien organisées ou les tactiques efficaces. Il courut avec toute la vitesse que son pouvoir lui donnait, esquivant les coups et diminuant la distance qui le séparait de son objectif.

Il tua le premier homme sans s'arrêter, plongeant profondément son épée puis la retirant d'un coup sec. Il fit tomber le suivant par terre d'un coup de pied puis l'acheva avec un coup large de son épée. Il arracha le mousquet de la main de l'homme qui le tenait puis tira avec en se fiant à la vue de ses corbeaux, qui lui indiquait où il fallait qu'il tire.

Il plongea dans un groupe d'hommes qui se cachaient derrière une barricade de sable. Contre l'avance lente de ses forces, ce groupe aurait pu être assez pour les retarder et pour permettre à plus de défenseurs d'arriver. Contre sa charge folle, cela ne fit aucune différence. Le Maître des Corbeaux bondit par-dessus les murs de sable, arriva au milieu de ses ennemis et taillada dans toutes les directions.

Il n'avait pas le temps de surveiller ses hommes par les yeux de ses corbeaux mais il savait qu'ils le suivraient. Il était trop occupé à parer les coups d'épée et les coups de hache, à répliquer avec une efficacité cruelle.

Maintenant, ses hommes étaient là et ils se déversaient sur les barricades de sable comme la marée montante. Ils mouraient en le faisant mais cela ne comptait pas pour eux tant qu'ils étaient là avec leur chef. C'était sur cela que le Maître des Corbeaux avait compté. Ces hommes qui, pour lui, n'étaient guère que de la chair à corbeaux faisaient preuve d'une loyauté surprenante.

Suivi par leur masse, le Maître des Corbeaux eut vite fait de tuer les défenseurs. Il laissa ses hommes avancer vers le village.

“Allez-y”, dit-il. “Massacrez-les, car ils nous ont défiés.”

Il regarda le reste des débarquements pendant quelques minutes de plus mais il ne semblait plus rester de grands goulets d'étranglement. Il avait bien choisi son lieu de débarquement.

Quand le Maître des Corbeaux atteignit le village, plusieurs parties étaient déjà en flammes. Ses hommes parcouraient les rues et tuaient tous les villageois qu'ils trouvaient. Ou du moins, la plupart de ses hommes le faisaient. Le Maître des Corbeaux en vit un traîner une jeune femme hors du village. La peur de la femme n'avait d'égal que le joie évidente du soldat.

“Que fais-tu ?” demanda-t-il en s'approchant.

L'homme le regarda fixement, choqué. “Je … j'ai vu cette femme, mon seigneur, et je me suis dit —”

“Tu t'es dit qu'il fallait que tu la gardes”, dit le Maître des Corbeaux, finissant sa phrase pour lui.

“Eh bien, elle aurait rapporté un bon prix vendue au bon endroit.” Le soldat osa un sourire qui semblait avoir pour but de les rendre tous deux complices d'une grande conspiration.

“Je vois”, dit-il. “Cela dit, je ne l'ai pas ordonné, n'est-ce pas ?”

“Mon seigneur —” commença le soldat mais le Maître des Corbeaux levait déjà un pistolet. Il tira de si près que l'autre homme perdit presque tout son visage lors de la détonation. Quand son assaillant tomba, la jeune femme qui se trouvait à côté de lui sembla trop choquée même pour crier.

“Il est important que mes hommes apprennent à suivre mes ordres”, dit le Maître des Corbeaux à la femme. “Il y a des endroits où je permets que l'on prenne des prisonniers et d'autres où je ne laisse survivre que ceux qui ont un talent. Il est important de maintenir la discipline.”

Alors, la femme eut l'air d'espérer, comme si elle se disait que tout cela était une erreur malgré les déprédations que subissaient les autres habitants du village. Elle ne changea d'expression que lorsque le Maître des Corbeaux lui planta son épée dans le cœur d'un coup assuré et net, peut-être même indolore.

“Dans ce cas, j'ai donné un choix à tes hommes et ils ont pris leur décision”, lui dit-il quand elle s'accrocha à l'arme. Il la sortit et elle tomba. “C'est un choix que je compte donner à la plus grande partie des autres habitants de ce royaume. Peut-être prendront-ils une décision plus sage.”

Il regarda autour de lui pendant que le massacre continuait, ne ressentant ni plaisir ni déplaisir, juste une sorte de satisfaction égale en voyant une tâche accomplie, ou du moins une étape parce que, après tout, il n'allait pas se contenter de prendre un village.

Il restait beaucoup à faire.

CHAPITRE CINQ

La Reine Douairière Mary de la Maison de Flamberg trônait dans les grands appartements de l'Assemblée des Nobles, au cœur de la situation, en essayant de ne pas avoir l'air de trop s'ennuyer sur son trône pendant que les supposés représentants de son peuple parlaient sans cesse.

En une autre occasion, elle n'en aurait pas tenu compte. La Douairière avait depuis longtemps maîtrisé l'art d'avoir l'air impassible et royale pendant que les grandes factions présentes débattaient. En général, elle laissait les populistes et les traditionalistes se fatiguer avant de prendre la parole. Cependant, aujourd'hui, cela prenait plus longtemps que d'habitude et, par conséquent, sa difficulté à respirer, jamais vraiment absente, s'aggravait. Si elle n'en finissait pas bientôt, ces idiots pourraient voir le secret qu'elle s'évertuait à cacher.

Cependant, il était impossible de hâter les choses. La guerre avait éclaté, ce qui signifiait que tout le monde voulait avoir sa chance de parler. Pire encore, plusieurs d'entre eux voulaient des réponses qu'elle n'avait pas.

“Je voudrais seulement demander à mes honorables amis si le débarquement des ennemis sur nos côtes indique que, une fois de plus, le gouvernement a décidé de négliger les capacités militaires de notre nation”, demanda Lord Hawes de Briarmarsh.

“L'honorable seigneur connaît bien les raisons pour laquelle cette Assemblée se méfie de l'idée d'une armée centralisée”, répondit Lord Branston d'Upper Vereford.

Ils continuaient à bavasser, à refaire les anciennes batailles politiques pendant que d'autres batailles plus réelles se rapprochaient.

“Si je peux expliquer la situation pour que cette Assemblée ne m'accuse pas de manquer à mes devoirs”, dit le Général Sir Guise Burborough, “je dirai que les forces de la Nouvelle Armée ont débarqué sur nos côtes du sud-est en contournant beaucoup des défenses que nous avions mises en place pour empêcher que cela n'arrive. Elles ont avancé rapidement en écrasant les défenseurs qui ont essayé de les arrêter et en brûlant les villages lors de leur progression. Il y a déjà de nombreux réfugiés qui semblent penser que nous devrions les reloger.”

C'était amusant, pensa la Douairière, que cet homme puisse présenter des gens qui s'enfuyaient pour survivre comme des membres d'une famille résolus à rester trop longtemps.

“Qu'en est-il des préparations autour d'Ashton ?” demanda Graham, Marquis du Shale. “Il me semble qu'ils se dirigent vers ici, non ? Pouvons-nous rendre les murailles imprenables ?”

C'était la réponse d'un homme qui ne connaissait rien aux canons, pensa la Douairière. Elle aurait pu éclater de rire si elle avait eu assez de souffle pour le faire mais elle avait déjà bien assez de mal à conserver son impassibilité.

“Elles le sont”, répondit le général. “Avant la fin du mois, nous devrons peut-être nous préparer pour un siège. Nous construisons déjà des ouvrages de terre pour nous préparer à cette éventualité.”

“Envisage-t-on d'évacuer la population qui se trouve sur le chemin de l'armée ?” demanda Lord Neresford. “Devrions-nous conseiller aux citoyens d'Ashton de fuir vers le nord pour éviter les combats ? Est-ce que notre reine devrait au moins envisager de se retirer dans ses propriétés ?”

C'était amusant : la Douairière n'avait jamais remarqué qu'il se souciait de son bien-être. Il avait toujours été le premier à voter contre toutes les propositions qu'elle faisait.

Elle décida qu'il était temps de prendre la parole, pendant qu'elle le pouvait encore. Elle se leva et le silence se fit dans la pièce. Les nobles s'étaient battus pour créer leur Assemblée mais ils l'écoutaient encore dans ce cadre.

“Demander une évacuation déclencherait une vague de panique”, dit-elle. “Il y aurait des pillages dans les rues et cela ferait fuir les hommes forts qui pourraient autrement défendre leur maison. Moi aussi, je reste. Je suis chez moi, ici, et personne ne me verra fuir devant des canailles ennemies.”

“Ce sont bien plus que des canailles, Votre Majesté”, signala Lord Neresford comme si les conseillers de la Douairière ne lui avaient pas communiqué l'étendue précise de la force d'invasion. Peut-être supposait-il seulement que, en tant que femme, elle ne connaissait pas assez la guerre pour la comprendre. “Cependant, je suis sûr que toute l'Assemblée est impatiente d'entendre ce que vous proposez pour les vaincre.”

La Douairière lui fit baisser les yeux, même si c'était difficile à faire alors que ses poumons risquaient de lui donner une crise de toux à tout moment.

“Comme le savent les honorables seigneurs”, dit-elle, “j'ai délibérément évité de jouer un rôle trop rapproché dans la gestion des armées du royaume. Je ne voudrais pas vous mettre tous mal à l'aise en essayant de vous donner des ordres maintenant.”

“Je suis sûr que nous pourrons le pardonner cette fois”, dit le seigneur comme s'il avait le pouvoir de la pardonner ou de la condamner. “Quelle est votre solution, Votre Majesté ?”

La Douairière haussa les épaules. “Je me suis dit que nous pourrions commencer par un mariage.”

Elle resta où elle était en attendant que la fureur s'apaise pendant que les diverses factions de l'Assemblée se criaient les unes sur les autres. Les royalistes la soutenaient fortement pendant que les anti-monarchistes se plaignaient du gaspillage d'argent. Les membres de l'armée considéraient qu'elle les négligeait alors que ceux qui venaient des confins du royaume voulaient savoir ce que cela signifierait pour leur population. La Douairière ne dit rien avant d'être sûre d'avoir leur attention.

“Écoutez-vous ! Vous bavassez comme des enfants effrayés”, dit-elle. “Vos tuteurs et vos gouvernantes ne vous ont-ils pas appris l'histoire de notre nation ? Combien de fois des ennemis étrangers ont-ils tenté de conquérir nos terres parce qu'ils convoitaient leur beauté et leur richesse ? Faut-il que je vous les énumère ? Faut-il que je vous rappelle les échecs de la flotte de guerre des Havvers, l'invasion des Sept Princes ? Même pendant nos guerres civiles, les ennemis venant de l'extérieur ont toujours été repoussés. Personne n'a conquis ce pays depuis mille ans et vous, vous paniquez maintenant parce que quelques ennemis ont échappé à notre première ligne de défenses.”

Elle regarda les occupants de la salle en leur faisant honte comme à des enfants.

“Je ne peux pas donner grand-chose à notre peuple. Je ne peux pas commander sans votre soutien et c'est normal.” Elle ne voulait pas qu'ils contestent son pouvoir ici et maintenant. “Cependant, je peux lui donner de l'espoir et c'est pour cela que, aujourd'hui, dans cette Assemblée, je souhaite annoncer un événement qui offre de l'espoir pour l'avenir. Je souhaite annoncer le mariage imminent de mon fils Sebastian à Lady d’Angelica, Marquise de Sowerd. Allez-vous vouloir voter sur ce sujet ?”

Ils ne le voulaient pas mais elle soupçonnait que c'était surtout parce qu'ils étaient très étonnés par cette annonce. La Douairière n'en avait que faire. Elle quitta la salle parce qu'elle considérait que ses propres préparations étaient plus importantes que tout ce que l'Assemblée conclurait en son absence.

Il y avait encore tant de choses à faire. Il fallait qu'elle s'assure que les filles des Danses avaient été éliminées, qu'elle prépare le mariage —

La crise de toux la prit brusquement, bien qu'elle s'y soit attendue pendant la plus grande partie de son discours. Quand elle vit que son mouchoir était taché de sang, la Douairière comprit qu'elle avait fait trop d'efforts aujourd'hui. Cette chose-là et d'autres choses progressaient plus vite qu'elle ne l'aurait voulu.

Elle finirait de faire ce qu'il fallait ici. Elle rendrait le royaume sûr pour ses fils, contre toutes les menaces, intérieures comme extérieures. Elle assurerait la pérennité de sa lignée. Elle éliminerait les dangers.

Cela dit, avant tout cela, il y avait quelqu'un qu'il fallait qu'elle voie.

***

“Sebastian, je suis vraiment désolée”, dit Angelica avant de s'arrêter en fronçant les sourcils. Ce n'était pas le bon ton. Trop impatient, trop fort. Il fallait qu'elle réessaye. “Sebastian, je suis vraiment désolée.”

C'était mieux mais pas encore parfait. Alors qu'elle marchait dans les couloirs du palais, elle s'entraînait sans relâche car elle savait que, au moment où elle devrait le dire sérieusement, il faudrait qu'elle le dise à la perfection. Il fallait qu'elle fasse comprendre à Sebastian qu'elle ressentait sa douleur parce que cette sorte de sympathie serait la première chose à faire pour conquérir son cœur.

Cela aurait été plus facile si elle avait ressenti autre chose que de la joie en repensant à la mort de Sophia. Rien que le souvenir du couteau qui s'enfonçait en elle lui donnait un sourire qu'elle ne pourrait pas se permettre d'afficher en présence de Sebastian quand il reviendrait.

C'était pour bientôt. Angelica l'avait devancé en chevauchant vite mais elle était sûre que Rupert, Sebastian et tous les autres rentreraient bientôt. Il faudrait qu'elle soit prête à ce moment-là parce que se débarrasser de Sophia n'aurait d'intérêt que si elle arrivait à profiter du vide que cela laissait.

Cela dit, pour l'instant, Sebastian n'était pas le membre de leur famille dont elle devait se soucier. Elle se tenait devant les appartements de la Douairière et respirait pour se détendre pendant que les gardes la regardaient. Quand ils ouvrirent les portes en silence, Angelica afficha son plus beau sourire et avança.

“Souviens-toi que tu as fait ce qu'elle voulait”, se dit Angelica.

La Douairière l'attendait, assise dans une chaise confortable et en train de boire une sorte de tisane. Angelica se souvint de lui faire une grande révérence cette fois. Il lui sembla que la mère de Sebastian n'était pas d'humeur joueuse.

“Lève-toi, Angelica, je t'en prie”, dit-elle d'un ton étonnamment doux.

Après tout, il était normal qu'elle soit contente. Angelica avait fait tout ce qu'elle avait exigé.

“Assieds-toi”, dit la vieille dame en désignant un endroit à côté d'elle. C'était mieux que d'avoir à s'agenouiller devant elle mais recevoir l'ordre de le faire vexait quand même un peu Angelica. “Maintenant, raconte-moi ton voyage à Monthys.”

“C'est fait”, dit Angelica. “Sophia est morte.”

“En es-tu sûre ?” demanda la Douairière. “Tu as vérifié son corps ?”

Angelica fronça les sourcils en constatant que la Douairière ne lui faisait pas confiance. Cette vieille femme n'était-elle donc jamais satisfaite ?

“Il a fallu que je m'enfuie avant d'avoir pu vérifier mais je l'ai transpercée avec un poignard dont j'avais recouvert la lame du poison le plus violent que j'aie”, dit-elle. “Personne n'aurait pu y survivre.”

“Eh bien”, dit la Douairière, “j'espère que tu as raison. Mes espions disent que sa sœur était présente sur les lieux.”

En entendant ces mots, Angelica sentit qu'elle écarquillait légèrement les yeux. Elle savait que Rupert n'était pas encore rentré. Donc, comment la Douairière pouvait-elle en savoir tant si tôt ? Peut-être Rupert avait-il envoyé un oiseau messager.

“Effectivement”, dit-elle. “Elle est partie en bateau vers Ishjemme avec le cadavre de sa sœur.”

“Pour aller retrouver Lars Skyddar, c'est sûr”, marmonna la Douairière. Ce fut un autre petit choc pour Angelica. Comment des roturières comme Sophia et sa sœur pouvaient-elles connaître quelqu'un comme le souverain d'Ishjemme ?

“J'ai fait ce que vous vouliez”, dit Angelica. Même à ses propres yeux, elle paraissait être sur la défense.

“T'attends-tu à des compliments ?” demanda la Douairière. “Ou peut-être à une récompense ? Un petit titre à ajouter à ta collection, peut-être ?”

Angelica n'aimait pas qu'on lui parle sur ce ton. Elle avait fait tout ce que la Douairière avait exigé. Sophia était morte et Sebastian serait bientôt rentré, prêt à accepter Angelica comme épouse.

“Je viens d'annoncer tes noces à l'Assemblée de Nobles”, dit la Douairière. “Je me disais qu'épouser mon fils serait une récompense suffisante.”

“Plus que suffisante,”, dit Angelica. “Cela dit, Sebastian acceptera-t-il la proposition cette fois ?”

La Douairière tendit la main et Angelica dut se forcer pour ne pas tressaillir quand la vieille femme lui tapota la joue.

“Je suis sûre d'avoir déjà dit que c'était ton travail. Distrais-le. Séduis-le. Mets-toi à genoux devant lui et supplie-le s'il le faut. Selon mes rapports, il rentre accablé de chagrin. Ton travail, ce sera de le lui faire oublier. C'est à toi de le faire, pas à moi. Fais le nécessaire, Angelica.” La Douairière haussa les épaules. “Maintenant, pars. J'ai des choses à faire. Déjà, il faut que je vérifie si tu as vraiment tué Sophia.”

Ce congé était assez abrupt pour être grossier. Avec quiconque d'autre, Angelica se serait vengée. Avec la Douairière, Angelica ne pouvait rien faire et cela ne faisait qu'aggraver l'humiliation.

Cela dit, elle ferait ce qu'exigeait la vieille femme. Elle séduirait Sebastian quand il rentrerait au palais. Elle serait bientôt membre de la famille royale par mariage et cette accession à une position supérieure serait une récompense plus que suffisante.

Entre temps, l'incertitude de la Douairière concernant la mort de Sophia l'inquiétait. Angelica l'avait tuée; elle en était sûre mais …

Mais il serait tout aussi bien qu'elle apprenne autant que possible ce qui se passait à Ishjemme, juste pour être sûre. Elle avait au moins un ami là-bas, après tout.