Kitabı oku: «Un Règne de Fer », sayfa 3
CHAPITRE CINQ
Thorgrin faisait face à Andronicus, eux deux seuls sur le champ de bataille, des soldats morts tout autour d’eux. Il leva haut son épée et l’abattit sur le bouclier d’Andronicus ; ce faisant, Andronicus déposa ses armes, fit un grand sourire, et tendit les bras pour l’étreindre.
Mon fils
Thor essaya de stopper son coup d’épée, mais il était trop tard. L’épée passa droit à travers son père, et alors qu’Andronicus se scindait en deux, Thor se sentit dévasté par le chagrin.
Thor cligna des yeux et se trouva descendant vers un autel infiniment long, tenant la main de Gwen. Il réalisa qu’il s’agissait du cortège de leur mariage. Ils marchaient vers un soleil rouge sang, et comme Thor regardait des deux côtés, il vit que tous les sièges étaient vides. Il se tourna pour contempler Gwen, et alors qu’elle dévisageait, il fut horrifié de voir sa peau se dessécher et elle devint un squelette, tombant en poussière dans sa main. Elle s’affaissa en un tas de cendres à ses pieds.
Thor se retrouva debout devant le château de sa mère. Il avait, d’une quelconque manière, franchi la passerelle, et il se tenait devant les immenses doubles portes, en or, brillantes, trois fois plus grandes que lui. Il n’y avait pas de poignée, et il tendit les mains et les frappa de ses paumes jusqu’à ce qu’il commence à saigner. Le bruit résonnait à travers le monde. Mais personne ne vint répondre.
Thor renversa la tête.
« Mère ! » s’écria-t-il.
Thor s’effondra à genoux, et à l’instant où il le fit, le sol se changea en boue, et Thor chuta le long d’une falaise, tombant encore et encore, s’agitant dans tous les sens à travers les airs, plus bas, des dizaines de mètres, vers un océan déchaîné en contrebas. Il tendit les mains vers le ciel, vit le château de sa mère disparaître de sa vue, et hurla.
Thor ouvrit les yeux, le souffle court, le vent caressant son visage, et il balaya du regard les alentours, essayant de déterminer où il était. Il regarda en dessous et vit l’océan défiler sous lui, à une vitesse étourdissante. Il leva les yeux et vit qu’il s’accrochait à quelque chose de rugueux, et en entendant le battement des grandes ailes, il prit conscience qu’il se tenait aux écailles de Mycoples, ses mains froides à cause de l’air nocturne, son visage engourdi par les rafales du vent marin. Mycoples volait à grande vitesse, ses ailes battant en permanence, et tandis que Thor portait son regard droit devant, il réalisa qu’il s’était endormi sur elle. Ils volaient encore, comme ils l’avaient fait depuis des jours maintenant, se hâtant sous le ciel nocturne, sous les millions d’étoiles rouges scintillantes.
Thor soupira et essuya sa nuque, qui était en sueur. Il s’était juré de rester alerte, mais tant de jours avaient passé, leur périple ensemble, volant, à la recherche du Pays des Druides. Par chance Mycoples, le connaissant si bien, savait qu’il était assoupi et avait volé avec constance, s’assurant qu’il ne tombe pas. Ils avaient voyagé si longtemps ensemble, ils étaient devenus comme un. Pour autant que l’Anneau manquait à Thor, il était excité, au moins, d’être à nouveau avec sa vieille amie, juste eux deux, explorant le monde ; il pouvait dire qu’elle aussi était heureuse d’être avec lui, ronronnant avec contentement. Il savait que Mycoples ne laisserait jamais quelque chose de mal lui arriver – et il se sentait de même envers elle.
Thor regarda en dessous et scruta les eaux vertes, écumantes et lumineuses de la mer ; c’était une mer étrange et exotique, une qu’il n’avait jamais vue auparavant, une parmi toutes celles qu’ils avaient survolées durant leur recherche. Ils continuaient à voler vers le nord, toujours le nord, suivant la flèche de la relique qu’il avait trouvée dans son village natal. Thor sentit qu’ils se rapprochaient de sa mère, de sa terre, du Pays des Druides. Il pouvait le sentir.
Thor espérait que la flèche était exacte. Au plus profond de lui, il le savait qu’elle l’était. Il pouvait sentir dans chaque fibre de son être qu’elle les menait plus près de sa mère, de sa destinée.
Thor frotta ses yeux, décidé à rester éveillé. Il avait imaginé qu’ils auraient déjà trouvé le Pays des Druides à présent ; il semblait qu’ils avaient déjà couvert la moitié du monde. Pour un moment il s’inquiéta : et si ce n’était qu’une illusion ? Si sa mère n’existait pas ? Si le Pays des Druides n’existait pas ? Et s’il était condamné à ne jamais la trouver ?
Il tenta de déloger ces pensées de son esprit tout en pressant Mycoples.
Plus vite, pensa Thor.
Mycoples gronda et battit des ailes plus fort, et alors qu’elle baissait la tête, ils plongèrent dans la brume, se dirigeant vers un point à l’horizon qui, Thor le savait, pouvait ne pas exister.
*
Le jour perça comme Thor ne l’avait jamais vu, le ciel inondé non pas par deux soleils, mais trois, tous se levant ensemble depuis différents points de l’horizon, l’un rouge, l’autre vert, le dernier violet. Ils volaient juste au-dessus des nuages, qui étaient étalés en dessous de lui, si près que Thor pouvait les toucher, un manteau de couleur. Thor se prélassa dans le plus beau levé de soleil qu’il n’ait jamais vu, les différentes couleurs des soleils perçant les nuages, les rayons zébrant sur lui, sous lui, au-dessus de lui. Il avait le sentiment de voler lors de la naissance du monde.
Thor dirigea Mycoples vers le bas, et il se sentit humide tandis qu’ils passaient la couverture nuageuse ; momentanément, le monde fut inondé de différentes couleurs, puis il fut aveuglé. Comme ils sortaient des nuages, Thor s’attendit à voir encore un autre océan, encore une autre étendue de néant.
Mais cette fois-ci, il y avait quelque chose à voir.
Le cœur de Thor s’accéléra lorsqu’il remarqua en contrebas une chose qu’il avait toujours espéré voir, une scène qui avait occupé ses rêves. Là, loin en dessous, une terre apparaissait. C’était une île, entourée de brumes tourbillonnantes, au milieu de cet incroyable océan, large et profond. Sa relique vibra, il baissa les yeux et vit la flèche étinceler, pointant droit en bas. Mais il n’avait même pas besoin de le voir à présent. Il le sentait, dans chaque fibre de son être. Elle était là. Sa mère. Le magique Pays des Druide existait, et il était arrivé.
En bas, mon amie, pensa Thor.
Mycoples s’orienta vers le bas, et alors qu’ils se rapprochaient, l’île s’offrit de plus en plus à la vue. Thor vit des champs de fleurs sans fin, remarquablement similaires aux champs qu’il avait vus à la Cour du Roi. Il n’arrivait pas à comprendre. L’île semblait si familière, presque comme s’il était arrivé de retour chez lui. Il s’était attendu à un pays plus exotique. Il était troublant de voir à quel point il était étrangement familier. Comment était-ce possible ?
L’île était enchâssée par une grande plage de sable rouge étincelant, des vagues se brisaient dessus. Pendant qu’ils approchaient, Thor vit quelque chose qui le surprit : il paraissait y avoir une entrée pour l’île, deux piliers massifs s’élevant vers les cieux, les plus grands piliers qu’il ait vus, disparaissant dans les nuages. Un mur, peut-être de six mètres de haut, encerclait la totalité de l’île, et passer entre ces piliers semblait être la seule manière d’entrer à pieds.
Comme il était sur Mycoples, Thor décida qu’il n’avait pas besoin de passer entre les piliers. Il volerait simplement au-dessus des murs et atterrirait sur l’île, n’importe où il le voudrait. Après tout, il n’était pas à pied.
Thor ordonna à Mycoples de voler par-dessus le mur, mais quand elle arriva plus près, soudainement, elle le surprit. Elle poussa un cri strident et fit brusquement marche arrière, levant ses serres jusqu’à ce qu’elle soit presque à la verticale. Elle s’arrêta net, comme si elle se heurtait à un bouclier invisible, et Thor se cramponna de toutes ses forces. Thor l’enjoignit de continuer à voler, mais elle ne pouvait aller plus loin.
C’est là que Thor réalisa : l’île était encerclée par une sorte de bouclier énergétique, un si puissant que même Mycoples ne pouvait passer au travers. On ne pouvait voler au-dessus du mur ; il fallait passer entre les piliers, à pied.
Thor commanda à Mycoples, et ils plongèrent vers le rivage rouge. Ils atterrirent devant les piliers, et Thor essaya de diriger Mycoples pour qu’elle vole entre eux, à travers la grande porte, pour pénétrer avec lui dans le Pays des Druides.
Mais une fois encore, Mycoples recula, levant ses serres.
Je ne peux entrer.
Thor sentit les pensées de Mycoples passer à travers lui. Il la regarda, la vit fermer ses énormes yeux brillants, clignant des paupières, et il comprit.
Elle était en train de lui dire qu’il devrait entrer dans le Pays des Druides seul.
Thor mit pied à terre dans le sable rouge et se tint devant les piliers, les examinant.
« Je ne peux pas te laisser ici, mon amie », dit Thor. « C’est trop dangereux pour toi. Si je dois y aller seul, alors j’irais. Retourne à la sécurité du foyer. Attends-moi là-bas. »
Mycoples secoua la tête et la baissa jusqu’au sol, s’allongeant là, résignée.
Je t’attendrais jusqu’à la fin du monde.
Thor pouvait voir qu’elle était décidée à rester. Il savait qu’elle était têtue, qu’elle ne céderait pas.
Thor se pencha en avant, caressa les écailles de Mycoples sur son long museau, s’inclina, et l’embrassa. Elle ronronna, leva la tête, et la posa sur sa poitrine.
« Je reviendrais pour toi, ma mie », dit Thor.
Thor pivota et fit face aux piliers, d’or pur, étincelants dans le soleil et l’aveuglant presque, et il fit un premier pas. Il se sentait vivant d’une manière qu’il n’aurait jamais imaginée alors qu’il passait à travers les portes et, enfin, dans le Pays des Druides.
CHAPITRE SIX
Gwendolyn voyageait à l’arrière d’un attelage, cahotant le long de la route, menant le convoi de gens qui serpentait lentement vers l’est, loin de la Cour du Roi. Gwendolyn était satisfaite de l’évacuation, qui avait été ordonnée jusqu’à présent, et satisfaite de la progression de son peuple. Elle détestait laisser sa cité derrière elle, mais elle était assurée qu’au moins ils auraient gagné assez de distance pour que son peuple soit en sécurité, bien avancé sur la voie de leur ultime mission : traverser le Passage Occidental du Canyon, embarquer sur sa flotte de navires sur les rivages des Tartuviens, et de franchir le grand océan vers les Isles Boréales. C’était la seule manière, elle le savait, de garder son peuple en sécurité.
Pendant qu’ils marchaient, des milliers de ses gens à pied tout autour d’elle, des milliers d’autres ballottant dans leurs charrettes, le bruit des sabots de chevaux emplissait les oreilles de Gwen, le son du mouvement régulier des charriots, de l’humanité. Gwen se retrouva à se perdre dans la monotonie du périple, tenant Guwayne contre sa poitrine, le berçant. À côté d’elle étaient assis Steffen et Illepra, l’accompagnant tout le long du chemin.
Gwen regarda dehors vers la route devant elle et tenta de s’imaginer ailleurs que là. Elle avait travaillé si dur pour reconstruire son royaume, et à présent elle était là, fuyant loin de lui. Elle exécutait son plan d’évacuation de masse à cause de l’invasion des McCloud – mais plus important, en raison de toutes les anciennes prophéties, des allusions d’Argon, à cause de ses propres rêves et du sentiment d’une tragédie en suspens. Mais si, se demanda-t-elle, elle avait tort ? S’il s’agissait seulement d’un rêve, juste d’inquiétudes dans la nuit ? Et si tout allait bien dans l’Anneau ? Si c’était une réaction exagérée, une évacuation inutile ? Après tout, elle pouvait évacuer son peuple vers une autre cité à l’intérieur de l’Anneau, telle Silésia. Elle n’était pas obligée de les mener de l’autre côté d’un océan.
Sauf si elle pressentait une destruction complète et totale de l’Anneau. Pourtant d’après tout ce qu’elle avait lu et entendu et ressenti, cette destruction était imminente. Évacuer était le seul moyen, s’assurait-elle.
Alors que Gwen contemplait l’horizon, elle souhaita que Thor puisse être là, à son côté. Elle leva les yeux et scruta le ciel, se demandant où il était maintenant. Avait-il trouvé le Pays des Druides ? Avait-il trouvé sa mère ? Reviendrait-il à elle ?
Et se marieraient-ils un jour ?
Gwen abaissa le regard dans les yeux de Guwayne, et elle vit Thor le lui rendre, vit ses yeux gris, et elle tint son fils plus fermement. Elle essaya de ne pas penser au sacrifice qu’elle avait dû faire dans les Limbes. Tout allait-il se réaliser ? Le destin serait-il si cruel ?
« Ma dame ? »
Gwen sursauta en entendant la voix ; elle se tourna et vit Steffen, se tournant dans le charriot, pointant quelque chose dans le ciel. Elle remarqua que, tout autour d’elle, son peuple s’arrêtait, et elle sentit soudainement son propre attelage tressauter et s’arrêter. Elle fut perplexe quant à la raison pour laquelle le cocher pourrait s’arrêter sans son ordre.
Gwen suivit le doigt de Steffen, et là, à l’horizon, elle fut surprise de voir trois flèches tirées haut dans les airs, toutes enflammées, puis retomber dans une courbe, chutant vers le sol comme des étoiles filantes. Elle fut choquée : trois flèches enflammées ne pouvaient signifier qu’une chose : c’était le signe des MacGils. Les serres d’un faucon, utilisées pour annoncer la victoire. C’était une marque utilisée par son père et son père avant lui, un signe conçu seulement pour les MacGils. Il n’y avait pas d’erreur possible : cela indiquait que les MacGils avaient gagné. Ils avaient repris la Cour du Roi.
Mais comment était-ce possible ? se demanda-t-elle. Quand ils étaient partis, il n’y avait aucun espoir de victoire, encore moins de survie, sa chère cité envahie par les McClouds, sans personne pour monter la garde.
Gwen aperçut, dans l’horizon lointain, une bannière en train d’être hissée, de plus en plus haut. Elle plissa les yeux, et là encore il n’y avait pas d’erreur : c’était la bannière des MacGils. Cela ne pouvait que signifier que la Cour du Roi était à présent de retour dans le giron des MacGils.
D’un côté, Gwen se sentit transportée de joie, et souhaitait y retourner à l’instant même. De l’autre, alors qu’elle considérait la route qu’ils avaient parcourue, elle pensa aux prédictions d’Argon, aux parchemins qu’elle avait lus, à ses propres prémonitions. Elle sentait, profondément en elle, que son peuple devait toujours être évacué. Peut-être les MacGils avaient-ils repris la Cour du Roi ; mais cela n’impliquait pas que l’Anneau soit sûr. Gwendolyn était encore certaine que quelque chose de pire approchait, et qu’elle devait emmener son peuple loin de là, le mettre e, sûreté.
« Il semble que nous ayons gagné », dit Steffen.
« Une raison pour festoyer ! », s’exclama Aberthol, approchant son attelage.
« La Cour du Roi est à nouveau notre ! » s’écria un homme du peuple.
Une grande clameur s’éleva parmi ses gens.
« Nous devons faire demi-tour immédiatement ! » cria un autre.
Une autre acclamation monta dans les airs. Mais Gwen secoua la tête catégoriquement. Elle se leva et fit face à son peuple, et tous les yeux se tournèrent vers elle.
« Nous ne ferons pas demi-tour ! » tonna-t-elle à son peuple. « Nous avons commencé l’évacuation, et nous devons nous y tenir. Je sais qu’un grand danger attend l’Anneau. Je dois vous mettre en sécurité tant que nous en avons encore le temps, pendant qu’il reste encore une chance. »
Son peuple grogna, mécontent, et plusieurs manants s’avancèrent, pointant vers l’horizon.
« Je ne sais pas pour le reste d’entre vous », brailla l’un d’eux, « mais la Cour du Roi est mon foyer ! C’est tout ce que je connais et aime ! Je ne suis pas sur le point de traverser un océan vers une île étrange pendant que notre cité est intacte et aux mains des MacGils ! Je retourne à la Cour du Roi ! »
Une grande clameur s’éleva, et comme il partait, s’en retournant, des centaines de personnes se mirent en rang et le suivirent, tournant leurs attelages, se dirigeant sur la route menant à la Cour du Roi.
« Ma dame, devrais-je les arrêter ? » s’enquerra Steffen, paniqué, loyal jusqu’à la fin.
« Vous entendez la voix du peuple, ma dame », dit Aberthol, montant à côté d’elle. « Vous seriez insensée de le leur dénier. De plus, vous ne le pouvez pas. C’est leur foyer. C’est tout ce qu’ils connaissent. N’affrontez pas votre propre peuple. Ne les menez pas sans raisons. »
« Mais j’ai une bonne raison », dit Gwen. « Je sais que la destruction est en chemin. »
Aberthol secoua la tête.
« Et pourtant ils l’ignorent », répondit-il. « Je ne doute pas de vous. Mais les reines prévoient, pendant que les masses agissent à l’instinct. Et une reine est aussi puissante que le peuple veut bien lui permettre d’être. »
Gwen se tint là, brûlant de frustration tandis qu’elle observait son peuple défier ses ordres, regagnant la Cour du Roi. C’était la première fois qu’ils se rebellaient ouvertement, qu’ils la défiaient ostensiblement. Elle n’aimait pas la sensation. Est-ce que cela présageait des choses à venir ? Ses jours en tant que reine étaient-ils comptés ?
« Ma dame, dois-je donner l’ordre aux soldats de les arrêter ? » demanda Steffen.
Elle eut l’impression qu’il était le seul à lui être encore loyal. Une part d’elle voulait dire oui.
Mais alors qu’elle les regarder partir, elle sut que cela serait vain.
« Non », dit-elle doucement, la voix brisée, se sentant comme si son enfant venait tout juste de lui tourner le dos. Ce qui la chagrinait le plus était qu’elle savait que leurs actes mèneraient seulement à leur malheur, et qu’il n’y avait rien qu’elle puisse faire pour arrêter cela. « Je ne peux empêcher ce que le destin prévoit pour eux. »
*
Gwendolyn, découragée alors qu’elle suivait son peuple pendant le retour à la Cour du Roi, passa sous les portes arrière de la Cour du Roi et entendit déjà les acclamations distantes des réjouissances venant de l’autre côté. Ses gens étaient transportés de joie, dansant et applaudissant, lançant leurs chapeaux dans les airs alors qu’ils se déversaient à travers les portes, retournant vers les cours de la cité qu’ils connaissaient et chérissaient, la cité qu’ils appelaient chez eux. Tout le monde se précipité pour féliciter la Légion, Kendrick, et l’Argent victorieuse.
Mais Gwendolyn procéda avec une boule au ventre, déchirée par des sentiments partagés. D’un côté, elle était évidemment heureuse d’être de retour, elle aussi, heureuse qu’ils aient défait les McClouds, heureuse de voir que Kendrick et les autres étaient saufs. Elle était fière de voir les corps des McClouds éparpillés partout, et elle était ravie de voir que son frère Godfrey avait réussi à survivre, assis à l’écart et pansant une plaie, la tête dans ses mains.
Toutefois en même temps, Gwendolyn ne pouvait dissiper ce profond sentiment de mauvais augure, sa certitude qu’un autre cataclysme allait s’abattre sur eux tous, et que la meilleure chose à faire pour son peuple était d’évacuer avant qu’il ne soit trop tard.
Mais son peuple était emporté par la victoire. Il n’écouterait pas la raison tandis qu’elle était menée, avec des milliers d’autres, dans la cité tentaculaire qu’elle connaissait si bien. Comme ils entraient, Gwen fut soulagée de voir que, au moins, les McClouds avaient été tués rapidement, avant d’avoir eu une chance de causer de réels dégâts à sa reconstruction soigneuse.
« Gwendolyn ! »
Gwendolyn se tourna et vit Kendrick mettre pied à terre, se précipiter en avant, et l’enlacer. Elle lui rendit son étreinte, son armure dure et froide, après avoir confié Guwayne à Illepra à côté d’elle.
« Mon frère », dit-elle, levant le regard sur lui, ses yeux étincelants de triomphe. « Je suis fière de toi. Tu as fait plus que tenir notre cité – tu as vaincu nos assaillants. Toi et l’Argent. Tu personnifies notre code d’honneur. Père serait fier. »
Kendrick esquissa un grand sourire cependant qu’il inclinait la tête.
« Je te suis reconnaissant pour ces mots, sœur. Je n’allais pas laisser ta cité, notre cité, la cité de notre père, être détruite par ces barbares. Je n’étais pas seul ; tu dois savoir que notre frère Godfrey a opposé la première résistance. Lui et une petite poignée d’autres, et même la Légion – ils ont tous aidé à repousser les assaillants. »
Gwen se tourna pour voir Godfrey marcher vers eux, un sourire troublé sur son visage, une main sur le côté de sa tête, couverte de sang séché.
« Tu es devenu un homme aujourd’hui, mon frère », lui dit-elle avec sincérité, posant une main sur son épaule. « Père serait fier. »
Godfrey sourit en retour d’un air penaud.
« Je voulais juste te prévenir », dit-il.
Elle sourit.
« Tu as fait bien plus que ça. »
À côté de lui arrivèrent Elden, O’Connor, Conven, et des douzaines de membres de la Légion.
« Ma dame », dit Elden. « Nos hommes ont vaillamment combattu ici aujourd’hui. Mais, je suis triste de l’annoncer, nous en avons perdu beaucoup. »
Gwen regarda derrière lui et vit tous les corps de toutes parts dans la Cour du Roi. Des milliers de McClouds – mais aussi des douzaines de recrues de la Légion. Même une poignée de chevaliers de l’Argent étaient morts. Cela ramena des souvenirs douloureux de la dernière fois que sa cité avait été envahie. Il était dur pour Gwen de regarder.
Elle pivota et vit une douzaine de McClouds, captifs, toujours en vie, tête baissée, mains derrière le dos.
« Et qui sont ceux-là ? » demanda-t-elle.
« Les généraux des McClouds », répondit Kendrick. « Nous les avons gardés en vie. Ils sont tout ce qui reste de leur armée. Qu’ordonnes-tu que l’on fasse d’eux ? »
Gwendolyn les examina lentement, les fixant droit dans les yeux. Chacun d’entre eux la fixa du regard en retour, fier, provocant. Leurs visages étaient bourrus, typiques des McClouds, ne montrant aucun remords.
Gwen soupira. Il y avait eu un temps où elle avait pensé que la paix était la réponse à tout, que si seulement elle était assez douce et bienveillante envers ses voisins, pouvait faire montre d’assez de bonne volonté, alors ils seraient plus amène envers elle et son peuple.
Mais plus elle régnait, plus elle voyait que les autres interprétaient ses offres de paix comme un signe de faiblesse, comme une chose de laquelle tirer parti. Elle n’avait plus la même naïveté, la même foi en l’humanité, qu’elle avait auparavant. De plus en plus, elle n’avait foi qu’en une chose : un règne de fer.
Alors que Kendrick et les autres la regardaient tous, Gwendolyn éleva la voix :
« Tuez-les tous. »
Leurs yeux s’écarquillèrent sous l’effet de la surprise, et du respect. De toute évidence, ils ne s’étaient pas attendus à cela de la part de leur reine, qui avait toujours lutté pour la paix.
« Ais-je entendu correctement, ma dame », demandé Kendrick, de la stupéfaction dans la voix.
Gwendolyn acquiesça.
« Tu as bien entendu », répondit-elle. « Quand tu auras terminé, rassemble leurs corps, et expulse-les de nos portes.
Gwendolyn se tourna et s’éloigna, à travers les cours de la Cour du Roi, et ce faisant, elle entendit derrière elle les cris des McClouds. Malgré elle, elle tressaillit.
Gwen marcha à travers une cité envahie de corps et pourtant emplie d’acclamations et de musique et de danse, des milliers de personnes grouillant à nouveau vers leurs maisons, remplissant la cité comme si rien de mauvais ne s’était produit. Alors qu’elle les observait, son cœur s’emplit d’effroi.
« La cité est de nouveau notre », dit Kendrick, venant à côté d’elle.
Gwendolyn secoua la tête.
« Seulement pour un certain temps. »
Il la dévisagea avec surprise.
« Que veux-tu dire ? »
Elle s’arrêta et lui fit face.
« J’ai vu les prophéties », dit-elle. « Les anciennes écritures. J’ai parlé avec Argon. J’ai eu un rêve. Un assaut s’annonce sur nous. C’était une erreur de revenir ici. Nous devons évacuer immédiatement. »
Kendrick la regarda, le visage blême, et Gwen soupira en contemplant ses gens.
« Mais mon peuple n’écoutera pas. »
Kendrick secoua la tête.
« Et si tu avais tort ? » dit-il. « Si tu regardais trop profondément dans les prophéties ? Nous avons la meilleure armée du monde. Rien ne peut atteindre nos portes. Les McClouds sont morts, et nous n’avons plus d’ennemis dans l’Anneau. Tu n’as rien à craindre. Nous n’avons rien à craindre. »
Gwendolyn remua la tête.
« Il s’agit précisément du moment où tu as le plus à craindre » répliqua-t-elle.
Kendrick soupira.
« Ma dame, ce n’était qu’une attaque isolée », dit-il. Ils nous ont pris par surprise lors du Jour du Pèlerinage. Nous ne laisserons pas encore une fois la Cour du Roi sans garde. Cette cité est une forteresse. Elle a tenu pendant des milliers d’années. Il ne reste plus personne pour nous renverser. »
« Tu as tort », dit-elle.
« Bon, même si c’est le cas, tu vois que le peuple ne partira pas. Ma sœur », dit Kendrick, sa voix s’adoucissant, implorante. « Je t’aime. Mais je te parle en tant que ton commandant. En tant que commandant de l’Argent. Si tu essayes de forcer ton peuple à évacuer, à faire ce qu’il ne veut pas, tu auras une révolte sur les bras. Ils ne voient pas ce danger que tu vois. Et pour être honnête, je ne le vois pas non plus. »
Gwendolyn contempla son peuple, et elle sut que Kendrick avait raison. Ils ne l’écouteraient pas. Même son propre frère ne la croyait pas.
Et cela lui brisa le cœur.
*
Gwendolyn se tenait seule sur les parapets supérieurs de son château, tenant fermement Guwayne et regardant au-dehors le coucher de soleil, les deux astres suspendus bas dans le ciel. En contrebas, elle entendit les cris étouffés et les célébrations de son peuple, tous se préparant à une grande nuit de festivités. Au-delà, elle vit les paysages vallonnés des terres entourant la Cour du Roi, un royaume à son sommet. Partout se voyait l’abondance de l’été, des champs verts sans fin, des vergers, une contrée luxuriante et riche.
Le pays était satisfait, reconstruit après tant de tragédie, et elle vit un monde en paix avec lui-même.
Gwendolyn fronça les sourcils, se demandant comment une quelconque sorte de ténèbres pourrait atteindre cet endroit. Peut-être les ténèbres qu’elle avait imaginées étaient déjà apparues sous la forme des McClouds. Peut-être avaient-elles déjà été évitées, grâce à Kendrick et aux autres. Peut-être Kendrick avait-il raison. Peut-être était-elle devenue trop prudente depuis qu’elle était devenue Reine, avait vu trop de catastrophes. Peut-être sondait-elle, comme Kendrick l’avait dit, trop profondément les choses.
Après tout, évacuer ses gens de leurs maisons, les mener à travers le Canyon, sur des navires, vers les changeantes Isles Boréales, était une mesure drastique, une mesure réservée au temps de grand cataclysme. Et si elle le menait à bien, et qu’aucune tragédie n’advenait à l’Anneau ? Elle serait connue en tant que la Reine qui a paniqué sans aucun danger en vue.
Gwendolyn soupira, étreignant Guwayne alors qu’il se tortillait dans ses bras, et se demanda si elle était en train de perdre l’esprit. Elle leva les yeux et fouilla les cieux à la recherche d’un quelconque signe de Thorgrin, espérant, priant. Au moins, elle espérait voir un signe de Ralibar, où qu’il soit. Mais lui non plus n’était pas revenu.
Gwen contempla le ciel vide, déçue encore une fois. Encore une fois, elle devrait compter sur elle. Même son peuple, qui l’avait toujours soutenue, qui l’avait considérée comme dieu, semblait maintenant se méfier d’elle. Son père ne l’avait jamais préparée pour cela. Sans le support de son peuple, quelle sorte de Reine serait-elle ? Impuissante.
Gwen voulait désespérément se tourner vers quelqu’un pour du réconfort, des réponses. Mais Thorgrin était parti ; sa mère était partie ; apparemment tous ceux qu’elle connaissait et aimait étaient partis. Elle se sentit à un tournant décisif, et ne s’était jamais sentie si désorientée.
Gwen ferma les yeux et demanda à Dieu de l’aider. Elle essaya de toute sa volonté de l’invoquer. Elle n’avait jamais été du genre à prier beaucoup, mais sa foi était forte, et elle se sentait certaine qu’il existait.
S’il vous plait, Dieu. Je suis perdue. Montrez-moi comment protéger au mieux mon peuple. Montrez-moi comment protéger au mieux Guwayne. Montrez-moi comment être une grande souveraine.
« Les prières sont quelque chose de puissant », dit une voix.
Gwen pivota immédiatement, instantanément soulagée d’entendre cette voix. Se tenant là, à quelques mètres, était Argon. Il était vêtu de sa cape blanche et de son capuchon, tenant son bâton, regardant l’horizon au lieu d’elle.
« Argon, j’ai besoin de réponses. Aidez-moi. »
« Nous sommes toujours dans le besoin de réponses », répondit-il. « Et pourtant elles ne viennent pas toujours. Nos vies sont censées être vécues. Le futur ne peut toujours nous être raconté. »
« Mais il peut nous être évoqué », dit Gwendolyn. Toutes les prophéties que j’ai lues, tous les rouleaux de parchemin, l’histoire de l’Anneau – indiquent encore une grande obscurité sur le point de s’élever. Vous devez me dire. Va-t-elle se produire ? »
Argon se tourna et la dévisagea, ses yeux emplis de feu, plus sombres et effrayants qu’elle ne les avait jamais vus.
« Oui », répondit-il.
L’inflexibilité de sa réponse la terrorisa plus que tout. Lui, Argon, qui parlait toujours par énigmes.
Gwen frissonna en son for intérieur.
« Viendra-t-elle ici, à la Cour du Roi ? »
« Oui », répondit-il.
Le sentiment d’effroi de Gwen s’approfondit. Elle sentait aussi ferme dans sa conviction qu’elle avait eu raison tout le long.
« L’Anneau sera-t-il détruit ? » demanda-t-elle.
Argon la regarda, puis acquiesça lentement.
« Il ne reste que peu de choses que je peux te dire », dit-il. « Si tu le choisis, cela peut être une d’entre elles. »
Gwen réfléchit longuement. Elle savait que la sagesse d’Argon était précieuse. Toutefois il s’agissait de quelque chose qu’elle avait réellement besoin de savoir.
« Dites-moi. »
Argon prit une profonde inspiration alors qu’il se tournait et étudiait l’horizon pour ce qui parut être une éternité.
« L’Anneau sera détruit. Tout ce que tu connais et chéris sera balayé. L’endroit où tu te tiens ne sera rien d’autre que des charbons ardents et des cendres. Tout l’Anneau ne sera que cendres. Ta nation aura été oblitérée. Les ténèbres arrivent. Des ténèbres plus grandes qu’aucune autre dans notre histoire. »